merci à tous pour les encouragements, c vraiment adorable ^^
pas très satisfaite de cette partie, qui se déroule pas vraiment comme je voulais...( pfff c génial je contrôle même plus mes propres personnages...mdr )
***
Hephaistion courrait dans l’immense jardin qui encerclait le palais.
Il cherchait Alexandre. Depuis plus d’une heure à présent.
Le prince avait d’abord été absent au déjeuner, puis au dîner. Et à y réfléchir, personne ne l’avait vu de la journée. Hephaistion avait senti son inquiétude grandir peu à peu. Personne ne savait où était Alexandre.
A présent le soir tombait. La nuit serait bientôt là, et il n’était toujours pas rentré. Hephaistion se répétait qu’il avait sûrement tort de s’affoler ainsi, mais n’y tenant plus, il était parti à sa recherche dès la fin du jour. Il avait cherché dans toutes les pièces du château, et explorait à présent le parc et les jardins gigantesques du domaine royal, criant le nom d’Alexandre.
Le soleil déclinait doucement, peignant le ciel aux couleurs sang et or.
L’angoisse étreignait Hephaistion de plus en plus fort. Jamais il n’aurait le temps d’aller partout avant la tombée de la nuit noire.
Mais il contourna une large haie d’églantines, et découvrit alors Alexandre assis sur un banc de marbre gris. Il se tenait droit et immobile, les yeux fixés sur le soleil qui se couchait lentement à l’horizon.
Sa toge blanche était maculée de terre, ses cheveux n’étaient plus retenus par le lien d’or qui lui serrait habituellement le front, et tombaient en cascade ambrée autour de son visage. Il semblait complètement absorbé par ses pensées, perdu au plus profond de son esprit. Ses traits figés reflétaient la concentration la plus intense, ses yeux dans lesquels brillait le soleil étaient grands ouverts et étincelaient.
L’astre couchant projetait sur lui une lumière puissante, teintée de rouges et d’oranges, l’enveloppant d’une aura de chaleur flamboyante. Il irradiait.
Pendant quelques instants Hephaistion resta aussi immobile que lui. Le jeu des couleurs brûlantes sur sa peau dorée paraissait irréel.
Il n’osa pas le toucher. Ce regard absent l’alarma. Son Alexandre semblait si parfait, divin.
Inaccessible.
« Alexandre ! »
L’interpellé tourna lentement la tête et plongea les flammes de son regard dans les yeux de son ami.
« Hephaistion. Que fais-tu là ? »
Sa voix était calme et profonde, légèrement rauque, comme s’il n’avait pas parlé depuis des jours. Il fixait Hephaistion mais ce dernier se rendit compte qu’il ne semblait pas le voir.
Troublé par ces yeux sombres et ce ton si étrange, il répliqua :
« Je…je t’ai cherché, Alexandre…je t’appelle depuis des heures ! Que faisais-tu, pourquoi n’as-tu pas répondu ? »
Alexandre reporta ses yeux à l’horizon et répondit calmement :
« Excuse-moi. Je n’ai rien entendu. »
Hephaistion ne savait que faire. Il connaissait ce regard vide, cet air lointain, et les détestait.
Il savait qu’alors Alexandre se noyait dans ses pensées les plus intimes et obscures. Il sentit la tristesse l’envahir.
Son Alexandre…il avait l’air si distant, si froid, égaré là où son ami ne pouvait le suivre.
Il s’assit en silence sur le banc près de lui.
Ils restèrent ainsi un long moment. Si proches mais pourtant si loin l’un de l’autre, pensa Hephaistion, chagriné. Il espérait désespérément qu’Alexandre reviendrait bientôt à la réalité. Mais peut-être avait-il déjà oublié sa présence.
Soudain, les yeux toujours fixés aux limites du ciel écarlate, Alexandre déclara :
« Je l’ai fait. »
Hephaistion comprit tout de suite. Il demanda néanmoins, après un temps d’hésitation :
« Tu…tu as fais quoi, Alexandre ?
- Je l’ai fait. Avec une femme. »
Le cœur d’Hephaistion se serra. Il leva la tête et observa le visage beau et inexpressif d’Alexandre.
Ce dernier remua doucement les épaules, puis les bras. Il semblait émerger lentement d’un très long sommeil. Il posa son regard sur le jeune homme brun et parût attendre quelque chose.
Hephaistion ne savait que dire.
Ils en avaient parlé ensemble plusieurs fois. Ils étaient alors aussi inexpérimentés l’un que l’autre, et ils passaient des soirées entières à échanger gaiement leurs interrogations et leurs doutes sur la chose. Ils ressentaient tous deux un mélange confus de peur et d’excitation à l’idée de passer à l’acte, mais Alexandre savait bien que sa mère le pressait de choisir la femme qui porterait son enfant. En riant, ils avaient alors maintes fois passé en revue toutes les jeunes filles du royaume qu’ils connaissaient, et essayé d’imaginer laquelle leur conviendrait. Ils tombaient toujours d’accord pour dire qu’aucune n’était belle, ou au moins désirable. De toute façon, ils étaient tous les deux trop jeunes pour y penser !
Hephaistion avait cependant redouté qu’à la suite de ces conversations Alexandre ne commence à s’intéresser à des filles qui l’éloigneraient de lui. Mais il n’en fut rien, le prince ne changea pas et continua d’en plaisanter avec lui.
Pourtant, durant ces moments si intimes passés à deux, le cœur d’Hephaistion balançait. Il brûlait d’envie de lui dire combien il l’aimait lui, lui seul…et combien il se sentirait rassuré…s’il pouvait essayer avec lui, au moins la toute première fois…il aurait tellement moins peur…
Les choses avaient tellement changées depuis. Le rêve était mort, cruellement chassé par la réalité.
Il essaya d’adopter un ton enjoué, alors que le chagrin s’emparait de lui.
« Et alors ? Comment était-ce ? »
Alexandre reporta son regard au loin et répondit ;
« C’est étrange… »
Surpris, Hephaistion demanda :
« Etrange ? Tu veux dire agréable ? Et…comment…comment est-ce…arrivé ?
- Hier soir, lorsque je suis monté dans ma chambre, je l’ai trouvé là, m’attendant. Une jeune fille. Brune, jolie, avec de grands yeux tout bleus…je ne l’avais encore jamais vu au palais. J’ignore comment elle est entrée dans ma chambre. »
Hephaistion fixa tristement le sol pendant que son ami continuait ;
« Elle était nue, je n’ai pas eu à la déshabiller. Et lorsque je me suis approchée d’elle, j’ai vu qu’elle était encore plus effrayée que moi. J’ai vite compris qu’elle avait été envoyée par ma mère. C’était sans doute un esclave, elle n’avait pas choisie d’être là. »
Hephaistion sentit un désespoir glacé l’envahir.
Alexandre poursuivit :
« Elle était fraîche et pure. L’air innocent d’un oiseau tombé du nid. J’ai essayé d’être très doux. Elle a gémit quand je l’ai pris.
- Et…qu’as-tu ressenti ? »
Alexandre se tu un instant, puis reprit farouchement ;
« Du plaisir. De la passion, simple et dévorante. Tout le corps est comme aspiré dans un tourbillon de sensation. On perçoit chaque chose avec plus de force, plus intensément. Une exaltation des sens. Je me rappelle parfaitement son odeur chaude, le grain de sa peau moite. Un moment j’ai oublié qui j’étais. J’étais avec elle, en elle, plus rien ne comptait. Je n’étais plus que les frissons délicieux qui parcouraient ma peau alors que je la touchais, la goûtais. Elle était brûlante. Puis j’ai eu l’impression de vibrer, de m’envoler hors de mon corps, emporté par ces vagues de plaisir rouge qui me rendaient fous. Pendant un infime moment on connaît le bonheur. Un bonheur violent, presque animal. Je l’ai touché avec elle. »
Hephaistion se sentait mal.
Chaque mot l’atteignait au plus profond de lui-même, le captivai et le blessai. Il aurait voulu que son ami l’enlace, lui offre sa chaleur, un peu de cette ardeur qu’il avait donné à cette fille.
Etais-ce cela, la jalousie ? Une tristesse profonde et dévorante ?
Il avait de plus en plus de mal à refouler les larmes amères qui perlaient à ses yeux, et dit d’une voix tremblante :
« Alexandre… »
Ce dernier revivait l’instant, plongé dans son souvenir, savourant les quelques sensations qui lui parvenaient encore. Sa voix se faisait chaude et passionnée. Il s’enflammait.
« Et accéder à une telle félicité…atteindre l’extase dans les bras d’une fille que je n’avais jamais vu auparavant…n’est-ce pas étrange ? Je me suis sentie liée à elle, comme à personne d’autre. Nous ne formions plus qu’un seul corps. Ce fut pourtant très court, mais je suis sûr que jamais je ne l’oublierais. »
Il ne vit pas combien ses paroles faisaient souffrir son ami. Hephaistion luttait toujours contre le chagrin, les yeux fixés droits devant lui. Il se mit à trembler.
Alexandre s’en aperçut et crut qu’il avait froid. Le soleil avait complètement disparu à présent. La nuit approchait, l’atmosphère se rafraîchissait.
Il écarta gentiment les bras, et prit son ami tout contre lui pour lui tenir chaud. Hephaistion frissonna à ce contact. Il passa ses bras autour du cou d’Alexandre et se serra désespérément contre son corps. Il aurait voulu le serrer plus fort encore, le sentir fondre en lui. La tête abandonnée sur son épaule, il respira longuement son odeur si chaude, si troublante.
Alexandre frottait doucement son dos de ses deux mains pour le réchauffer, et poursuivait :
« Je crois que je me suis vite endormi après…au matin, elle était partie. Je voulais la revoir. Je l’ai cherché partout, pendant des heures. Je voulais connaître son nom. Mais je ne l’ai pas retrouvé. Alors je me suis assis là. J’aurais tellement aimé lui parler. »
Hephaistion murmura :
« Tu es ici depuis ce matin ?
- C’était un esclave, ma mère a du l’envoyer loin de moi. Elle voulait juste savoir si j’en étais capable, mais ne souhaitait pas que je m’attache à elle. C’est tellement…paradoxal ! Une si tendre intimité avec une inconnue…une fille que je ne reverrai probablement jamais. »
Hephaistion demanda, d’une petite voix semblable à un gémissement :
« Elle…elle te manque, Alexandre ?
- Non, je ne la regrette pas. Je ne sais rien sur elle, pas même son nom. Elle était belle, elle m’a offert le moment le plus intense de toute mon existence. Mais je me rends compte à présent que je ne saurais quoi lui dire. Ca a été tellement…simple ! Tout s’enchaînait, c’était à la fois très doux et bestial. Mais je ne l’aime pas. »
Le cœur d’Hephaistion chancelait. Il brûlait d’envie de tout lui avouer, de lui dire tout ce qui lui pesait…j’aurais aimé, Alexandre…j’aurais aimé être avec toi…être ta première expérience, ton premier amour…j’aurais voulu te sentir en moi, être à toi et m’envoler avec toi. Mais est-ce que je peux encore être tien maintenant…pourquoi voudrais-tu de moi ?
Dans son esprit, Philippe l’abîmait un peu plus chaque nuit, et Hephaistion sombrait de plus en plus profondément dans la honte et la peur qu’Alexandre ne découvre tout et rejette son amitié. Une larme roula sur joue. Il se sentait déchiré, perdu.
Brusquement, Alexandre le serra si fort qu’il eut le souffle coupé, et parla d’une voix rapide et dure :
« Mais c’est tellement étrange, de revenir après avoir atteint un plaisir si sauvage et pur, après avoir goûté l’extase. C’est comme le vague aperçu d’une sensation envoyée par les dieux. Ca semble irréel, c’est inoubliable. Mais c’est si horrible de retomber ainsi dans la réalité ! Par Zeus, on ne nous fait que trop ressentir à quel point nous sommes humains ! Les dieux sont cruels ! Et ils ne nous font goûter la saveur du divin que pour nous replonger plus brutalement encore dans le monde terrestre ! »
Hephaistion se figea. Alexandre s’était à nouveau égaré dans son esprit torturé, et lui livrait à présent ses pensées sans vraiment savoir qu’il les exprimait à voix haute.
Il ne savait pas comment le faire revenir. Il savait pourtant que son ami ne devait pas rester seul dans cet état si proche de la folie, mais ignorait comment le suivre.
« Tous nos actes sont limités parce que nous sommes humains. Nous sommes humains et nous allons mourir. Il ne faut pas craindre la mort, mais elle est présente dans chacun de nos gestes, chacune de nos paroles ! La mort est partout et il faudra la vaincre. Songe à ce que nous pourrions accomplir si nous étions libérés de la peur de la mort. Les dieux sont immortels, et je peux l’être aussi. Mère me répète que je suis fils de Zeus. Je saurai m’en montrer digne, et j’irai plus loin, plus haut que nul autre avant moi ! Je toucherai les sommets qu’aucun homme n’a jamais atteints. J’explorerai les contrées les plus reculées du monde et nul homme sur Terre n’ignorera mon nom ! Chacun saura qui est Alexandre et ce qu’il a accomplit. Je surpasserai les héros mythiques et leur gloire éternelle. Je serai immortel et mon nom s’inscrira parmi ceux des dieux.
- Alexandre ! »
Hephaistion avait crié, effrayé par la voix de plus en plus embrasée d’Alexandre. Il fallait à tout prix qu’il lui revienne.
« Alexandre…tu es resté ici toute la journée, tu n’as rien mangé, rien bu depuis hier, tu as peut-être de la fièvre…il faut rentrer, maintenant ! Viens, regarde, il fait nuit à présent…Alexandre ! »
Alexandre ne dit rien, ne bougea pas. Il ne semblait plus se rappeler la présence de son ami.
Hephaistion ne savait plus comment le faire réagir et le ramener auprès de lui. Il ne pouvait pas l’aider. Des larmes de désespoir coulaient sur ses joues. Il n’osait bouger, le corps prisonnier des bras puissants.
Finalement, Alexandre frémit et desserra quelque peu son étreinte. Ses bras redevinrent doux.
« Excuse-moi, Hephaistion. Parfois j’ai simplement l’impression que mon esprit s’évade… »
Sa voix était redevenue normale et calme, il semblait être de nouveau lui-même, prévenant et attentif. Il caressa tendrement le dos d’Hephaistion pour le rassurer.
« …je suis désolé si je t’ai fait peur…merci d’être tout de même resté. »
Hephaistion pleurait en silence.
L’esprit abattu, il ne savait plus vraiment ce qu’il voulait. Il aurait voulu être à la place de cette fille pour pouvoir tenir Alexandre dans ses bras et lui dire ce qu’il ressentait pour lui. Partager avec lui cette délicieuse intimité. Lui prouver son amour, lui offrir du plaisir.
A cette idée l’image repoussante du roi se dressa à nouveau dans son esprit. Philippe…les seules étreintes qu’il connaissait étaient les siennes. La souffrance lui revint en mémoire. Tout son corps s’en rappelait et se contracta malgré lui. Le plaisir du roi était si violent, si abject…il revit le visage extatique de Philippe au dessus du sien, alors que lui-même pleurait de douleur.
Il chassa les scènes horribles de ses pensées. Tout aurait été différent avec Alexandre. Il aurait sûrement eut moins mal…mais qu’importe la souffrance, puisqu’il aurait été avec lui…et Alexandre semblait avoir tellement aimé…ça paraissait tellement délicieux, lorsqu’il en parlait…
Je t’aurais offert mon corps Alexandre, pensa-t-il. J’aurais été à toi, si seulement ton père ne m’avait pas tant abîmé, souillé…à présent je tremble à l’idée que tu ne le découvres…et je ne sais pas combien de temps je pourrai encore supporter ça…j’ai peur, Alexandre…j’ai mal…je t’en supplie, garde moi ainsi pour toujours, entre tes bras…je ne demande rien d’autre…
Ses larmes s’étaient changées en lourds sanglots qu’il ne pu contenir.
Alexandre s’en aperçut. Désemparé, il serra plus fort le corps tremblant d’Hephaistion, et se rendit compte qu’il avait beaucoup maigrit. Il s’alarma ;
« Hephaistion…Ca ne vas pas ? Qu’y a-t-il, pourquoi pleures-tu ? »
Le chagrin de son ami le bouleversait.
Hephaistion enfouit son visage dans son bras replié sur le cou d’Alexandre, les épaules secoués par ses pleurs. Il savait que son ami ne comprenait pas son désespoir mais ne pouvait s’empêcher de pleurer. Jamais sa vie ne lui avait parut aussi triste et inutile qu’en ce moment.
« Hephaistion…
- C’est…c’est trop dur, Alexandre… »
Sa voix n’était plus qu’un faible gémissement entrecoupée de sanglots.
Profondément troublé, Alexandre lui murmura quelques paroles apaisantes à l’oreille. Cette voix chaude et rassurante, son souffle brûlant contre sa peau lui firent du bien. Alexandre glissa avec une infinie douceur une main dans ses longs cheveux châtains et les caressa lentement. Son autre main frottait tendrement son dos, cherchant à le réconforter comme il pouvait.
« Hephaistion…tu sais que tu peux tout me dire… »
Oh non, Alexandre…pensa Hephaistion. Non, pardonne moi…
Il ne pouvait que s’abandonner aux larmes dans ses bras, soulagé qu’il ne le repousse pas, plongé dans sa chaleur.
Mais le ciel était noir à présent, et l’obscurité enveloppait leurs deux corps enlacés, les glaçants peu à peu.
Alexandre pressa plus fortement son corps contre celui de son ami, espérant le réchauffer, et murmura ;
«…parle moi, Hephaistion…je t’en prie…parle moi… »
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