Bon... Ceci est la première fiction vraiment à moi que je poste. Même pas slash. J'espère que ça intéressera quand même des gens...
Qu'est-ce que vous en dites???
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La lune se reflétait dans ses yeux argentés et cela lui faisait ressembler à un fantôme errant. Il faisait -2°C, il était minuit moins le quart, et le parc était désert. C’était normal, car à cette heure là, les parcs publics sont fermés. D’ailleurs, il avait déchiré son pantalon en escaladant la grille. C’était assez embêtant, car il n’aimait pas s’acheter de nouveaux vêtements - la cohue des magasins l’avait toujours agacé -, et il ne savait pas coudre.
Il se promenait à travers les allées, au hasard. Il faisait toujours ça, durant ses longues nuits d’insomnie. Il se promenait, dans le froid et le silence de la nuit déchiré de temps à autre par le moteur bruyant d’une voiture lointaine... Il avait alors l’impression, disait-il, d’être le premier homme venu au monde. Un peu comme quand on se lève très très tôt, qu’on va acheter du pain et qu’on se rend compte que la boulangerie est fermée.
Il aurait pu continuer cette promenade nocturne encore quelques heures si son regard n’avait été attiré par une chaussure. Une chaussure brune, à lacets, et très sale, qui dépassait d’un buisson. Il pensa, assez logiquement, que dans cette chaussure devait se trouver un pied, qu’au dessus d’un pied il y a toujours une jambe et qu’une jambe toute seule, c’est très rare.
Alors il s’approcha, tout doucement. Il avait un peu peur, ce n’est pas courant, les chaussures dépassant de buissons. Il fit craquer quelques branches sous ses pieds, et à chaque craquement, son adrénaline montait de quelques degrés. Il écarta les branches, délicatement, et distingua une silhouette. Accrochant la jambe droite, il la tira hors du buisson, peinant sous son effort. Quand enfin il put voir clairement à qui appartenait la chaussure brune à lacets, il fut stupéfait. Il avait devant les yeux la femme de sa vie. Il le savait, c’était elle, celle à qui il était destiné. Pâle, elle lui faisait penser à la surface d’un étang gelée. Il se pencha, doucement, caressa amoureusement la joue glacée, huma le lourd rideau de cheveux (la couleurs noire n’était pas sans rappeller au jeune homme les poils de son chat), embrassa le cou qui exhalait une délicieuse odeur de plastique brûlé et de terre mouillée... C’était elle. Morte, froide, et magnifique.
Il se dit alors que si la police avait vent du fait, cela ferait toute une histoire, et que le corps irait très certainement à la morgue. Or, c’était lui, et lui tout seul, qui avait trouvé cette délicieuse personne. De plus, on n’a qu’une seule femme de sa vie. Pas deux, pas trois, une seule, et ce serait vraiment dommage que la sienne finisse bouffée par les vers ou dans une urne funéraire.
Il hissa donc la jeune femme sur son dos. Elle était toute légère, une plume. Ou alors, c’était peut-être l’amour qui le rendait plus fort... Les nuages voilaient la lune, ne laissant filtrer qu’une très faible lueur. Ses yeux argentés continuait, pourtant, à briller de leur lueur si singulière.
Arrivé à la grille, il eut plus de mal. Il accrocha les mains du cadavre autour de son cou, et commença son escalade. Il dut s’y reprendre à deux fois, mais, enfin, arriva de l’autre côté. Coup d’oeil à droite, coup d’oeil à gauche... Personne. Il traversa la rue presque en courant, ouvrit la porte de son immeuble, entra dans l’ascenseur, appuya sur le bouton du quatrième étage, sortit ses clés, ouvrit sa porte et la referma, tout cela sans reprendre son souffle.
Il déposa son précieux fardeau sur son lit, respectueusement, se coucha à côté sans même prendre le temps d’ôter ses chaussures et s’endormit comme une masse.
Tut tut tut, tut tut tut... Il s’éveilla en sursaut au son de son réveil. Comme tous les matins d’hiver, le soleil n’était pas encore levé. Comme tous les matins d’hiver, le lit était chaud et confortable tendit que dehors, il pouvait presque entendre la rue geler. Comme tous les matins d’hi... Non. Pas comme tous les matins. Le bras de la jeune femme morte entravait son ventre, poussant douloureusement sur son estomac. Il contempla le poignet fin, racé, les veines bleutées qui se voyaient en transparence, les doigts longs, et la petite bague rouge, à l’auriculaire.
Vraiment jolie, cette bague. Voyante mais pas tape-à-l’oeil, on aurait dit qu’elle faisait partie de la main. Elle témoignait du bon goût de la morte. Il prit la main dans la sienne, étendit la paume froide contre la paume chaude. Oui. Décidemment, cette fille était parfaite.
Il se leva alors, défroissa quelque peu ses vêtements, et se fit du café. Il n’avait jamais aimé le café, mais il est de notoriété publique que c’est la boisson que les hommes forts prennent le matin. Le thé, c’est pour les lopettes et les petits enfants. Du moins, c’était ce que lui avait toujours répété son père. Paix à son âme.
Ayant avalé, en hâte pour faire passer plus vite le goût, son café, il se pencha sur le front de la jeune morte, l’effleura de ses lèvres, lui murmura un “à ce soir” tendre et prévenant et sortit de chez lui.
Le bus était bondé, encore plus que d’habitude, lui sembla-t-il. Il chercha vainement une place assise, et dut se résigner à rester debout, accroché vaille que vaille à un piquet... A côté de lui se trouvait un gros homme dégageant une étonnante odeur de chou-fleur bouillit. Pas vraiment désagréable, elle lui rappelait la maison de sa grand-mère Flora, celle qui habitait dans une ferme, aux abords de Neuchâteau.
Enfin! Son arrêt! Il se fraya un passage au milieu de la marée humaine condensée dans le bus. L’air libre! Pollué et glacé, mais libéré des respirations fétides des gens du bus!
Il se mit à marcher, les mains dans les poches pour les protéger du froid, le visage dans son col roulé pour le protéger du vent. Il arriva enfin devant le bâtiment ou il travaillait. Un grand immeuble gris, sinistre. Le genre d’endroit ou on ne trouve que des pauvres gars livides à force de travailler sur ordinateurs, des hommes banals, tristes, déprimants. Il monta au septième étage, où se trouvait son bureau, s’assit sur sa chaise tournante, et se rendormit aussitôt, appuyé à sa table, la tête posée sur les bras.
La journée passa lentement. Trop lentement. Les chiffres et les mots se mélangeaient, il n’arrivait à rien. Il se fit réprimander à deux reprises par son supérieur, un type suintant le fric, gras comme un porc, aux yeux cruels de celui qui aime voir la ruine des autres.
Mais aujourd’hui, la pensée du soir ne se résumait pas à manger seul des lasagnes en barquette et à insomnier ensuite dans son lit. Aujourd’hui la femme de sa vie, certes morte, mais merveilleuse, l’attendait dans ses draps bleus.
C’est ainsi qu’à 6 heures trente, il fut le premier sorti, différent de son habitude - il détestait le moment de ressortir dans le froid, au moins le bureau était chauffé. C’est en courant qu’il attrapa son bus, en courant qu’il en sortit, en courant qu’il traversa la rue et en courant qu’il rentra chez lui.
Alors, il put, essoufflé et les joues rouges, prononcer la phrase magique à la morte: “je suis rentré”.
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“La jeune Elodie Sanchez disparaît mystérieusement la nuit du 4 janvier”
Voici ce que titrait le journal “Le Soir”, le 7 janvier 2005. L’article relatait le commencement de l’enquête, le désespoir des parents, et toutes ces petites choses dont les liseurs de faits d’hiver sont friands. Il y avait aussi la fiche détaillée de la victime: 23 ans, étudiante en lettres, yeux bleus clairs, cheveux noirs, 1 mètre 65, 51 kilos, portant au moment de la disparition un jeans Lewis, un polo noir et blanc rayé et une veste rouge bordeau. Une petite photo permettait de distinguer une femme pleurant dans les bras de son mari au visage fermé.