Un petit drabble écrit en une heure, histoire de ne pas perdre la main. J'espère que le pairing ne dissuadera personne et que l'humeur de cet écrit n'en minera aucun. Bonne lecture !
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Avec ce peu d’espoir en moi que je ne parviendrai jamais à tuer, je pousse la porte de ce lieu qui comporte tant de souvenirs. J’ai mal à chaque fois que j’y viens, à repenser à tout ce qui m’a échappé du jour au lendemain et pourtant, je suis là.
Quelques vieilles factures et publicités vous attendent sagement sur le buffet. L’une de vos vestes est encore posée sur le dossier d’une chaise de la salle à manger. C’est irréel. Il ne manque que vous, Jason Gideon. Il manque de la vie dans cet appartement. Il manque cet air de jazz qui émane de la cuisine en même temps que les effluves de sauce ou de pâtisserie. Il manque votre sourire dans le reflet de la vitre, celle qui donne sur les lumières de la ville. Aucune trace des bougies parfumées qui éclairaient autrefois la pièce d’une lueur douce et timide. Comme moi, me disiez-vous parfois en posant vos mains sur mon corps longiligne, sans relief.
Ma peau me brûle encore parfois là où vous la parcouriez de vos doigts comme vous auriez joué sur un piano. Plus ivoire qu’ébène, mon épiderme frissonnait. Et cela vous plaisait. Moi, j’aimais tout chez vous. Votre prévenance, votre intelligence, votre voix, l’hypersensibilité que vous cachiez derrière ce visage buriné.
J’ai le regret de ces multiples autres faiblesses que je n’aurai jamais l’occasion de mettre à jour. Je porte trop de rage et de rancœur en moi depuis ce matin maudit où le ciel m’est tombé sur la tête, où vous nous avez laissé. Sur la pointe des pieds, par une lettre et sans le moindre dernier regard. Vous m’aviez apporté de la confiance, de la stabilité. Vous avez filé avec elles.
Sur l’appuie de fenêtre, j’allume deux bougies. La cire et la cannelle embaument l’air d’un parfum généreux et lourd. Leurs reflets vacillent sur la fenêtre là où des gouttes d’eau se font une course imaginaire sur le verre froid. Celui-ci qui ne me renvoie aucune image de vous, seule celle de mon visage pâle et maigre. Ces orbites qui semblent creusés dans le charbon où on aurait déposé deux yeux aux iris clairs qui ne plaisaient à personne sinon à vous.
Une fois de plus, je me réfugie dans ce lit où j’ai versé il y a longtemps un peu de sang, beaucoup de larmes de joie et d’autres traces de plaisirs. Vêtu de l’un de vos pulls larges et pelucheux, je remonte la manche droite. Quelques secondes plus tard, une aiguille glaciale perce la peau. Le Dilaudid brûle toujours les veines sur son parcours, mais ce n’est rien.
Vous vous collez à mon dos, les bras autour de mon frêle torse, celui dans lequel mon cœur bat la chamade. Vous me manquiez, vous dis-je. Vous acquiescez : vous en pensez autant. Cette main pataude dans mes cheveux ôte ma peine. Cette étreinte réveille chez moi une envie de douceur. Inquiet, je vous demande de rester. Vous murmurez juste : «
Evidemment. »
Je me tais. Intérieurement, je sais que je me réveillerai à l’aube au milieu de mes souvenirs, dans une infinie solitude. Je ne dis rien : parler vous ferait fuir. Et comme à chacune de mes visites, j’ai vraiment, vraiment besoin de vous.
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Kami 2.0 || «Il ne faut jamais faire de littérature, il faut écrire et ce n'est pas pareil.» C. Bobin