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Clark regarda Jeffrey éloigner son visage du sien, comme paralysé. Un sourire était imprimé sur les traits du jeune homme en face de lui, sourire qui parut s’agrandir lorsque ce dernier découvrit l’étonnement de Clark. Ils restèrent un long moment silencieux, se regardant, laissant toute l’émotion et la magie du moment les bercer. Parce que pour Clark, il s’agissait un peu de cela : ce qu’il venait de se passer était… magique.
« Clark ? »
Jeffrey le dévisageait avec toujours ce même sourire. Il attendit une seconde, s’assurant d’avoir toute l’attention du jeune homme, avant de lui dire :
« Ca va ? »
La gorge nouée par l’émotion, Clark hocha la tête en signe d’acquiescement, ne pouvant clairement s’exprimer à voix haute. Jeffrey se mit à rire, puis se retourna vers la rambarde du perron de la ferme des Kent où il avait posé la pizza qu’il venait livrer. La saisissant, il la tendit à Clark.
« J’espère qu’elle ne sera pas trop froide… »
Clark s’empara du carton que Jeffrey lui tendait et tous les deux se retrouvèrent à le tenir, face à face.
« Jeffrey, je… »
Le camarade de lycée de Clark, attendit la suite, son regard plongé dans celui du jeune homme debout devant lui. La main de ce dernier glissa le long du carton à pizza, venant toucher la sienne.
« Oui, Clark ? »
Clark se mit à lui sourire.
« Pourquoi… as-tu fais cela ? »
Jeffrey observa Clark avec une forme d’ironie dans le regard, avant de baisser celui-ci vers leurs deux mains qui se touchaient. Il fixa ensuite à nouveau le jeune homme en lui disant :
« Parce que j’en avais envie. Depuis longtemps. Et toi aussi »
Un sourire de Clark vint répondre au sien, avant qu’il ne lui dise :
« Merci
- Merci ? Pourquoi ? Pour la pizza ? Pas de problème, Clark ! C’est mon job ! »
Le sourire de Clark se fit amusé.
« Non, Jeffrey. Merci pour le … baiser »
Le jeune livreur entremêla ses doigts avec ceux de Clark
« De rien, Kent ! Pour une première fois, c’était pas mal ! »
Ils se regardèrent un instant, avant que Jeffrey ne lui laisse le carton dans les mains.
« Je vais devoir y aller. J’ai d’autres livraisons »
Il recula, avant de descendre les marches, et de repartir vers sa voiture. Mais après trois pas, il s’arrêta et se retourna vers Clark.
« Clark, je… »
Emporté par le désir et les sentiments que tout cela provoquait au fond de lui, et par l’hésitation de Jeffrey, Clark fit promptement :
« Oui ?
- Maintenant que… Enfin je veux dire… Bon ! Tu aimerais qu’on se revoit ?
- Qu’on se revoit ?
- Oui. Pour discuter de ce qu’il vient de se passer… Entre autre »
Le visage de Clark s’illumina, et d’une petite voix chaleureuse il répondit :
« Bien sur, Jeffrey
- Cool ! Tu m’appelles ?
- Je t’appelle… »
Après un dernier sourire éclatant à Clark, le jeune homme s’éloigna à nouveau vers sa voiture, mais revint sur ses pas encore une fois.
« Clark ?
- Oui ?
- C’était comme dans ton rêve ? »
Un sourire immense apparut sur le visage de Clark.
« C’était mieux que cela, Jeffrey… »
Le jeune livreur lui rendit son sourire et monta dans sa voiture, cette fois-ci pour de bon. Clark le regarda s’en aller, puis retourna à l’intérieur de la maison, où il fut accueillit par sa mère.
« Ca va Clark ? »
Avec un sourire dont il n’avait même pas conscience, il lui répondit :
« Très bien maman, ça va très bien ! »
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(Février 2005)
Se déplaçant dans le lit, Clark serra Jeffrey contre lui, l’entourant de ses bras, et il lui embrassa le front amoureusement. Le jeune homme leva des yeux rieurs vers lui, avant de le prendre à son tour dans ses bras, et de l’embrasser tendrement. Lorsqu’il cessa son baiser, il lui fit :
« Mes parents devraient partir plus souvent, non ? »
Clark se mit à rire, avant de caresser le dos de Jeffrey.
« Je ne sais pas…
- Comment cela tu ne sais pas ?
- On… fait ça si souvent. Ca nous freine quand même un peu ! »
Et Clark éclata de rire, Jeffrey lui donnant une tape sur l’épaule. Puis il attira Jeffrey à lui et il l’embrassa, laissant son baiser devenir passionné. Jeffrey s’écarta de lui ensuite.
« Tu sais que tu embrasses très bien ?
- Tu sais que j’ai encore envie de toi ? »
Clark prit la tête de Jeffrey entre ses mains, et l’embrassa de plus belle. Les deux garçons se rapprochèrent encore, leurs deux corps se pressant l’un contre l’autre, et ils laissèrent le désir les guider une fois de plus.
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(Mai 2005)
Jeffrey serrait Clark si fort contre lui qu’il avait l’impression qu’il allait lui faire mal s’il continuait. Mais il ne voulait pas le lâcher, comme si le fait de rester tous deux là, ainsi, l’un dans les bras de l’autre, allait changer les choses et faire qu’il ne soit pas obligé de s’en aller. Mais non. La voix brisée, il lui fit d’un ton morne, murmurant à son oreille :
« Je dois y aller Clark »
Il sentit Clark resserrer un peu plus l’étreinte, avant de s’écarter de lui et de le regarder avec une tristesse dans le regard qui lui fendit le cœur en deux, vraiment. Comme si cela allait tout expliquer, il ajouta de la même voix :
« Mon avion n’attendra pas… »
Tenant la main de Clark, Jeffrey se recula légèrement et ramassa son sac de voyage dont il passa la bandoulière autour de son épaule. Les deux garçons se fixèrent ensuite, longuement. Clark vint contre Jeffrey et l’embrassa une fois encore, le prenant dans ses bras une fois encore, voulant le garder près de lui une fois encore… Mais c’était la dernière fois, et ils le savaient tous les deux. Lorsque leur baiser fut achevé, Clark caressa la joue de Jeffrey, et il plongea son regard dans celui larmoyants de son petit ami. D’une voix chaude, douce et pleine d’affection, il lui murmura lentement :
« Je t’aime, Jeffrey »
Des larmes roulèrent sur le visage du jeune homme, avant qu’il ne dépose un tendre baiser sur les lèvres de Clark en disant d’une voix émue :
« Je t’aime aussi, Clark »
Et il s’éloigna d’un coup, rapidement, sans se retourner pour ne pas avoir à souffrir plus que ce qu’il ne souffrait en cet instant, mettant ainsi fin à quelques mois de bonheur en descendant les marches du loft de Clark.
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(Octobre 2006)
Whitney se recroquevilla dans un des coins du cachot où il se trouvait, se tassant sur lui même. Une peur viscérale lui nouait les intestins, une peur comme il n’en n’avait pas éprouvé depuis des années. Dans son esprit, tentant de chasser ce sentiment qui le paralysait, il essayait aussi de comprendre ce qu’il se passait au-delà de la porte de sa cellule, dont la lumière qui lui parvenait par le dessous de celle-ci l’éblouissait.
Il y avait d’abord eu les cris, puis les explosions, et toutes ces rafales de tir d’armes automatiques. Un vraie petite guérilla semblait se dérouler dehors et il ne comprenait pas pourquoi. Il entendait crier ses détenteurs, mais aussi les cris d’autres personnes. Et ces autres personnes semblaient crier en… américain. Un espoir fou s’empara de lui, bien qu’une partie de sa conscience s’empressa d’anéantir ce sentiment, et il resta seul, avec sa peur.
A l’extérieur, le silence se fit, pesant et dérangeant. La peur de Whitney augmenta encore, surtout lorsqu’il se rendit compte que des pas, qu’il percevait parfaitement, s’approchaient de sa cellule. Il vit une ombre passer devant la porte, avant que cette dernière ne s’ouvre brusquement, laissant une lumière aveuglante pénétrer le réduit où il se trouvait. Whitney se tassa un peu plus sur lui même, instinctivement, et il retint son souffle. Il entendit marcher vers lui, vit une ombre derrière ses paupières closes, et l’instant d’après une main se posait sur son épaule. Malgré lui, sa voix cria :
« Non ! Laissez moi ! »
Bizarrement, la pression sur son épaule se fit plus… affectueuse, et une autre main s’empara de la médaille d’identification qu’il portait autour du cou. Les secondes suivantes, il entendit une voix parlant dans sa langue lui dire :
« Ne crains rien, Marine… »
Whitney ouvrit les yeux et releva lentement la tête. Le soldat en face de lui était en contre jour, comme auréolé de lumière, mais il vit quand même le sourire qu’il arborait et Whitney pensa que c’était là le plus beau sourire du monde, la plus belle des choses qu’il n’avait jamais vu. Les années passées ici se bousculèrent en souvenirs dans sa mémoire, et il sentit l’espoir fou de se dire que tout cela était fini lui amener une furieuse envie de pleurer dans les yeux. La voix qui lui avait parlé peu avant reprit :
« Tu rentres au pays, soldat ! »
Whitney éclata en larmes.
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(Novembre 2006)
Chloé entra en coup de vent dans la chambre d’étudiant de Clark, sans même prendre la peine de frapper à la porte. Ce dernier, assis à son bureau en train de pianoter sur son ordinateur, eut un sursaut, tout comme le jeune homme assis sur le lit, qui lui laissa tomber le livre qu’il tenait entre ses mains. Clark se retourna vers elle, furieux.
« Ca va pas la tête ?! Qu’est-ce que c’est que ces façons d’entrer ? »
Chloé semblait dans un état second. Elle répondit d’un trait :
« Désolé, Clark ! Mais là, tu ne vas pas le croire ! »
Un petit silence se fit. Le jeune homme sur le lit ramassa son livre, puis jeta un coup d’œil incertain à Clark en lui disant :
« Je ferais peut-être mieux de vous laisser, Clark. On reprendra l’exercice plus tard, d’accord ? »
Clark lui fit un sourire gêné.
« Ok, Mark… Quand tu veux »
Chloé, comprenant qu’elle venait de s’imposer avec la grâce et le style propre à un bulldozer traversant un mur, fit un pas en avant et s’excusa :
« Je ne voulais pas vous interrompre, pardon… Mais c’est important ! »
Mark lui rendit un sourire poli et, tout en rangeant ses affaires, lui répondit :
« C’est pas grave, Chloé… »
Il lança un dernier regard à Clark en lui disant :
« A la prochaine, Clark »
Et il sortit de la pièce sans se retourner. Lorsqu’il fut sortit, Clark se leva et demanda à son amie :
« Ok, Chloé ! Qu’est-ce qu’il se passe ? »
La jeune fille lui tendit un papier tout en lui expliquant d’un ton fébrile que Clark connaissait bien :
« J’ai imprimé cet e-mail dès que je l’ai lu !
- Et que dit-il ?
- Lis-le, Clark ! Tu ne vas pas le croire ! »
Ce que fit Clark. Et effectivement, il eut du mal à le croire. Chloé prit une forme de plaisir à voir les traits du jeune homme changer à mesure qu’il découvrait la nouvelle, traits qui affichèrent bientôt une totale stupéfaction. Clark releva la tête et la questionna, incrédule :
« C’est… impossible ! D’où sors-tu cela ?
- Ma cousine Loïs qui travaille au Daily Planet me l’a envoyé. Parce que cela concerne Smallville »
Clark relut rapidement le mail, avant d’ajouter :
« C’est réellement vrai ?! »
Chloé hocha la tête et lui répondit :
« Oui, Clark. C’est vrai. Whitney Fordman vient d’être retrouvé en Afghanistan »
Elle marqua une très courte pause avant d’achever :
« Vivant »
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(Août 2010)
Whitney se réveilla brusquement, sentant une douleur dans son cou, entendant comme un grincement dans ses cervicales lorsqu’il releva la tête. Il se redressa dans le fauteuil où il s’était endormi, et descendit ses jambes de la chaise qu’il avait approché pour pouvoir les y allonger. Il se frotta les yeux, le visage, avant de porter son regard vers le lit, soudainement inquiet.
La première chose qu’il nota fut que la perfusion était sur le point de s’achever. Il se leva et avança vers le lit. Quand tous ses mouvements s’interrompirent alors qu’il découvrait le visage du jeune homme qui dormait dans le lit. Un instant paralysé, physiquement et consciemment, il sentit une tristesse immense naître dans son cœur et envahir tout son corps. Des larmes emplirent ses yeux…
Whitney vint tout contre le lit et tendit la main lentement vers le bras du jeune homme reposant dans les draps. Lorsqu’il le toucha, il comprit qu’il s’en été allé. Un sanglot douloureux enfla dans sa poitrine, avant d’éclater bruyamment dans sa gorge, et Whitney s’effondra. Il se laissa tomber sur le lit, en pleurs, s’allongeant à demi sur le jeune homme qui dormait désormais d’un sommeil éternel. Il l’entoura de ses bras, et laissa sa peine s’échapper de lui en torrents de larmes.
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(Avril 2016)
Loïs Lane se leva de la chaise qu’elle occupait face au bureau de Clark et posa dessus l’enveloppe que le jeune homme lui avait tendu il y a un quart d’heure, lors du début de leur conversation. D’un ton enjoué, elle lui fit :
« Appelle ta mère Clark, et vas-y
- Pardon ?
- Appelle ta mère et vas-y ! Prends toi une semaine chez toi, loin de Metropolis, loin du Daily Planet, loin de tout ! Ca ne te fera pas de mal de revoir tes anciens camarades, comme il y a cinq ans déjà. Et j’ai dit une semaine, pas un week-end, ok ? Déjà que tu n’y vas presque jamais !
- Mais… et les articles en cours ? »
Loïs lui fit son sourire tout va bien, que le jeune homme trouvait de plus en plus séduisant au fil des ans, et elle lui répondit :
« J’ai un scoop pour toi, monsieur le futur grand reporter : Le Daily tournait sans toi avant que tu n’y travailles. Incroyable, non ? Alors on pourra bien se passer de toi une semaine, Clark ! »
Les deux amis se regardèrent en riant. Loïs s’avança ensuite vers la porte en disant :
« Amuse-toi bien, Clark ! Et passe le bonjour à ma chère cousine Chloé ! »
Mais juste avant de sortir, elle se ravisa. Plongeant son regard dans celui de Clark, elle lui fit d’un ton impératif :
« Et s’il te plait, Clark : pas de casse cette fois, d’accord ? »
Elle sortit du bureau. Resté seul, Clark fit tournoyer entre ses doigts l’enveloppe à entête de son ancien lycée, à Smallville, l’air pensif un moment. Au fond de lui, il souhaitait se rendre à cette soirée en l’honneur de sa promo du lycée, mais il savait aussi que retourner à Smallville c’était affronter le passé, un certain passé, un passé qu’il pensait oublié, alors que la simple évocation mentale de tout cela en cet instant lui prouvait que non. De plus, au-delà de quelques craintes qu’il sentait bien présentes à l’idée de rentrer chez lui, un autre sentiment le poussait à accepter l’invitation : Clark se disait que peut-être, avec le temps écoulé…
Il se saisit de son portable et appela sa mère. Ce fut le répondeur qui décrocha, et comme à chaque fois, Clark eut un pincement au cœur triste et nostalgique en entendant la voix de son père déclamer l’annonce d’accueil. Cette voix, qui lui manquait tant parfois, ouvrait à chaque fois l’écrin de souvenirs de son cœur. Il pensa que finalement, aller à cette soirée était une bonne idée : ces souvenirs lui feraient du bien. Clark entendit les derniers mots de l’annonce du répondeur, se disant que sa mère ne le changerait probablement jamais, puis il attendit le bip, et il laissa un message :
« Salut maman, c’est moi. Je t’appelle parce que je viens de recevoir l’invitation du lycée pour la soirée des quinze ans de la promo 2001. Comme je pense m’y rendre, je voudrais te demander (…) »
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(Juin 2016)
La brise printanière qui soufflait ce jour là, poussant de grands nuages blancs interminables dans le bleu du ciel, donnait à l’atmosphère une note plus fraîche en ce premier jour de l’été. L’impression était même amplifiée par la pluie de la veille qui avait laissé un peu partout une rosée brumeuse. Il faisait bon se promener et flâner en ce beau matin de juin, à Smallville.
Clark et sa mère remontaient une allée gravillonnée, marchant cote à cote et bras dessus dessous, tous d’eux probablement perdus dans les pensées que devait leur inspirer à chacun la beauté de cette journée et le calme des lieux. Mais ils devaient par dessus tout penser à celui qu’il venaient voir ici, et ce faisant, à tous ces souvenirs propres à eux seuls. Quittant le chemin, ils s’avancèrent ensuite sur une pelouse d’un vert éclatant et brillant d’étincelles lumineuses nées de la réflection du soleil sur la rosée et, après quelques pas, s’arrêtèrent tous deux sous un grand arbre qui déployait son ombre tout autour d’eux, mais dont les branches laissaient passer une multitude de rayons lumineux dorés à travers la brume légère. Des oiseaux chantaient sur les hauteurs des branchages, troublant à peine la quiétude et la paix de ces lieux. Le monde ressemblait presque à un tableau de Norman Rockwell qui serait subitement devenu vivant, et tout aujourd’hui semblait inspirer la beauté et la paix.
Martha lâcha le bras de son fils pour s’accroupir près de la pierre tombale, et y déposer contre, en l’arrangeant, le bouquet de fleurs blanches qu’elle tenait d’une main. Caressant le marbre de la stèle funéraire, elle murmura dans un sourire triste :
« Bonjour, Jonathan… »
Clark, debout, les mains dans les poches de ses jeans, fixait d’un regard indéfinissable la tombe de son père. Après un instant, et avant qu’il ne se noie dans ses souvenirs, il fit d’une voix douce, pleine de chaleur :
« Salut, papa. Tu… »
Il s’interrompit une seconde, le temps que sa mère relève la tête vers lui, et il termina sa phrase dans un souffle :
« Tu me manques, papa… »
Martha se releva complètement, passa à nouveau son bras sous celui de Clark, et appuya sa tête contre l’épaule de son fils en disant, avec toujours ce même sourire triste :
« Tu lui manques aussi, Clark. Tous les jours, crois-moi »
Clark prit sa mère dans ses bras, tous deux très émus et les yeux larmoyants, et ils s’étreignirent un moment, submergés par un mélange de tristesse et d’amour mêlés. Et la présence de Jonathan Kent autour d’eux, ils l’auraient juré… Quelques instants plus tard, après avoir déposé chacun un baiser du bout de leurs doigts sur la stèle de marbre, ils s’éloignaient de la tombe, serrés l’un contre l’autre, Clark passant un bras autour des épaules de sa mère.
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Entrant dans Le Talon, Clark embrassa la salle du regard. Il fut assailli par une pensée devenue habituelle depuis son retour à Smallville : tout avait changé. Ici aussi, comme partout dans cette ville où il avait vécu pourtant si longtemps, et qu’il reconnaissait difficilement.
Depuis combien de temps n’avait-il pas mis les pieds ici ? Cela lui sembla faire une éternité sur l’instant… Clark réalisa peut-être pleinement pour la première fois de sa vie le passage du Temps. Sans pouvoir en comprendre vraiment le sens, parce que c’était un sens que seuls les humains savaient saisir. Pas lui. Il serait probablement le dernier des derniers dans ce monde et cela le mettait à l’abri de la fatalité d’expression comme « la fin des temps », vide de sens à ses yeux. Son destin lui parut une fois de plus n’être qu’une terrible malédiction.
Le Temps passait, inexorablement. Et il entraînait à sa suite tout ce que la vie était, et tout ce qu’elle serait, ne le laissant qu’avec ses souvenirs, seul. Tout changeait, et rien ne changeait pourtant. Les yeux dans le vague, il vit des images de ce que le Temps fut pour lui ici, dans ce lieu : il revit tous ses amis d’alors, leurs gestes, leurs mots, leurs places exactes à tel ou tel moment… un sourire nostalgique se dessina sur se lèvres. Seul peut-être, mais avec tellement de souvenirs déjà.
Revenant en quelque sorte à la réalité, il avança dans la salle, découvrant le nouveau décor du Talon, et il alla s’asseoir à une table. Avec un dernier regard pour le comptoir, il se plongea dans l’étude du menu posé sur la table, se souvenant alors que cela faisait cinq ans qu’il n’était pas revenu ici.
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(Juin 2011)
« Ca alors ! Clark Kent ! »
Clark se tourna vers la personne qui venait de s’exprimer ainsi, et il découvrit Whitney Fordman debout devant lui, près du comptoir du Talon. Un instant surpris, les deux hommes se dévisagèrent longuement, réalisant qu’ils ne s’étaient pas vu depuis de nombreuses années, avant de comprendre également qu’ils se trouvaient face à un des hasards de l’existence. Un de ceux qui vous fait retrouver une vieille photo au fond d’un carton alors que vous êtes en train de chercher totalement autre chose, et où vous prenez soudain le temps de regarder cet instantané du passé, en vous asseyant une minute, parce que la-dite photo vient de réveiller en vous tout un tas de souvenirs qui vous ramènent à une époque où tout semblait si… bien. Et si simple.
« Salut Whitney… »
Ils se regardaient toujours, chacun cherchant peut-être quoi dire. Le Temps qui passe ne vous enseigne pas des formules toutes faites à ressortir dans des moments comme cela. Ou peut-être que si, mais elles ne vous reviennent jamais sur le moment. Ce fut Whitney qui reprit.
« Si je m’attendais ! Qu’est-ce que tu fais là, Clark ? Non, attends, laisse moi deviner… Les dix ans de la promo, hein ?
- C’est exactement cela »
Une fois de plus, ils se regardèrent sans plus rien dire. En fait, ils s’observaient, chacun découvrant ce que les années écoulées avaient fait à l’autre.
« Sympa tes lunettes, Clark… »
Le jeune homme se mit à sourire, puis constata un fait évident.
« Mais j’y pense : c’est vrai que tu ne m’as jamais vu avec, Whitney
- Non. Tu n’étais plus à Smallville quand je suis… revenu »
La façon dont il venait de dire cela laissait quelque place à l’interprétation. Whitney n’avait pas appliqué de ton particulier à sa fin de phrase, mais Clark sentait que se replonger dans le passé, sur ce simple mot revenu, laissait le jeune homme blond avec un sentiment teinté d’amertume.
« Question look, le costume cravate te va pas mal non plus, Whitney »
Ils eurent un sourire commun.
« Hé oui, Clark. Je dois assumer mon état de professeur jusque dans ma façon de m’habiller
- T’es pas mal… »
Whitney fixa Clark bizarrement, une fraction de seconde, puis son regard redevint normal. Désignant le tabouret près de lui, il demanda :
« Je peux ? »
Clark se tourna et recula le tabouret du comptoir.
« Bien sur, Whit ! Tiens ! Si on en profitait pour se prendre un verre ensemble ? Depuis le temps ! »
Il s’arrêta sur le regard rieur de Whitney, haussant les sourcils.
« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien, rien… Ca fait juste une éternité que personne ne m’a appelé Whit »
A l’évocation de ce surnom, Whitney eut une image qui se forma dans son l’esprit, et celle-ci lui provoqua une petite émotion qui lui pinça légèrement le cœur. Clark, ignorant cet état de fait, regarda Whitney s’asseoir, puis lui fit :
« Tu prends quoi ?
- Vu l’heure, je vais attaquer directement au café. Un grand ! J’ai une longue soirée de correction de devoirs devant moi !
- Va pour un grand café ! »
Quelques instants plus tard, leurs boissons en main, ils parlaient comme deux amis se retrouvant après des années, évoquant le bon vieux temps. Ce qui était exactement le cas.
« Tu sais qu’il y a une photo de toi au lycée sur le panneau des anciens élèves, Clark ?
- Ah bon ?
- Oui, une belle image de toi en tant que reporter du Daily Planet. Le costume cravate, ça te va pas mal aussi, Clark… »
Ce dernier reposa sa mug et se tourna vers Whitney en riant.
« Tu parles du tableau à côté de celui d’honneur ? Celui qu’on appelait A nos chers disparus ?
- Tout à fait !
- Seigneur ! Je suis sur ce tableau là ! C’est… c’est pathétique !
- Entièrement d’accord ! »
Ils ne purent se retenir de rire que deux secondes, avant d’être pris par un petit fou rire assez bruyant, qui fit se retourner quelques personnes présentes dans la salle du Talon vers eux. Lorsqu’ils retrouvèrent leur sérieux, après un silence qui semblait mettre fin subitement à la bonne ambiance, Whitney fit doucement :
« J’ai su pour ton père, Clark. Je suis désolé »
Clark fixa Whitney avec un regard ému, assorti d’un sourire identique.
« Merci Whitney…
- De rien, Clark. C’est normal »
Le silence retomba, pesant. Clark se sentit mal à l’aise tout d’un coup : Whitney venait d’avoir de la sympathie pour lui, pour son drame personnel vieux de deux ans, alors qu’ils ne s’étaient pas vu depuis si longtemps, et lui n’avait pas fait la moindre allusion à ce que Whitney avait vécu de… terrible avant d’être le jeune homme qu’il voyait là, assis à côté de lui. Clark se sentit l’obligation de lui témoigner un minimum de respect pour ce qu’il avait traversé lui aussi.
« Whitney, je… n’ai jamais eut l’occasion de te le dire, mais je suis… »
Il fut interrompu par la main de Whitney se posant sur son épaule.
« Inutile Clark, ça va
- Mais je….
- Le simple fait que tu y es pensé me suffit. Ne te confonds pas en excuses, ni en éloges s’il te plait. J’ai du mal à supporter cela avec le temps »
Clark eut inconsciemment la confirmation de ce qu’il pensait : Whitney voulait enterrer cette partie de son passé. Et vivre normalement.
« Alors dis moi, Clark… Tu es venu retrouver tous tes anciens camarades ? »
Cette fois, Clark comprit que question esquive, Whitney n’avait rien à lui envier. Il ne s’en formalisa pas.
« En fait, Whitney, je n’ai prévenu personne que je venais à cette soirée de retrouvailles. Pour tout te dire, je ne sais même pas si je vais vraiment y aller »
Whitney le dévisagea, surpris.
« Comment cela ?
- Je ne savais pas si je viendrais, aussi je n’ai pas souhaité donner de faux espoirs aux gens. Se replonger dans tout cela me paraît tellement étrange. J’ai l’impression que tous ces gens étaient dans ma vie il y a des siècles ! »
Ils se fixèrent, dans le même état d’esprit.
« Tu… ? »
Clark l’incita à continuer lorsqu’il s’interrompit.
« Je quoi ?
- Tu n’as pas l’impression de, excuse moi, mais de fuir ton passé en faisant cela ? »
Un silence bref se fit, avant que Clark, touché au fond de lui plus qu’il ne l’aurait cru, ne lui rétorque d’un ton défensif presque neutre :
« Et toi, Whitney ? »
Surpris, le jeune homme le contempla avec un air étonné.
« Moi ? Que veux-tu dire ?
- A part dix pages dans Newsweek il y a quelques années, qui raconte ton histoire Whitney ? »
Le visage de Whitney se couvrit d’un voile de colère, immédiatement remplacé par de la souffrance, avant qu’il n’ait le dessus sur toutes les émotions qui venaient d’envahir son corps. Clark regretta dans la seconde ce qu’il venait de dire.
« Pardon, Whitney, je ne voulais pas te blesser »
Ils se regardèrent droit dans les yeux.
« Ce n’est rien, Clark
- Je suis désolé
- Ne le sois pas. Je… Je dois accepter d’entendre la vérité de temps en temps, même si ça ne me fait pas plaisir »
Whitney se tourna vers Clark.
« Tu vois, j’ai tellement essayé d’oublier tout ce qu’il m’est arrivé, j’ai mis tant d’énergie à me reconstruire, à faire en sorte que toute ma vie ne soit pas que… ça, qu’au bout du compte j’ai bien peur de n’avoir réussi qu’à n’être plus que ce pauvre type en couverture du Newsweek dont tu parles
- Whit, non… »
Le cœur de Whitney irradia d’une douce chaleur lorsque Clark l’appela encore ainsi.
« Clark, si je suis devenu professeur d’anglais ici, à Smallville, Nulle Part-USA, ce n’est que pour une seule et unique raison : ici, j’existe
- Whitney, tous nous existons. Et pas à cause d’un endroit du monde, d’une profession qu’on exerce, ni d’un lourd passé douloureux
- Tu viens pourtant de résumer toute ma vie en une phrase, Clark !
- Ce que je veux dire, c’est que ce que nous sommes, en totalité, fait que nous vivons »
Whitney eut un petit sourire, avant de dire à Clark :
« Théorie intéressante… Tu serais prêt à la défendre devant mes élèves, Clark ? »
Clark eut également un sourire, avant d’ajouter :
« Et ce que nous sommes n’est que ce que les autres font de nous »
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Whitney consulta sa montre, puis reporta son regard sur Clark.
« Bon, c’est pas que je m’ennuie avec toi, mais il va falloir que je pense à rentrer. J’ai du travail qui m’attends à la maison
- Tu habites où, Whitney ? Smallville même ? »
Le jeune homme ramassa son cartable sur le sol.
« Oui, Pleasant Meadows, au 2034 Ezra Small Lane »
Clark se leva, sortit son portefeuille de la poche arrière de son pantalon, et tout en posant un billet de dix dollars sur le comptoir, il tendit une carte de visite à Whitney, que ce dernier regarda distraitement, sortant de la monnaie de sa poche.
« Laisse, Whit : c’est pour moi »
Whitney lui sourit.
« Merci, Clark
- De rien. Et attends… »
Il reprit sa carte de visite des mains de Whitney, et prenant un crayon à disposition sur un présentoir du comptoir, y écrivit quelque chose, avant de la retendre au jeune homme. Whitney jeta un œil à ce Clark venait d’inscrire, alors que ce dernier lui expliquait :
« Je t’ai rajouté mon e-mail perso ainsi que mon numéro de cellulaire
- Euh, merci Clark
- De rien. J’aimerais qu’on reste en contact si tu le veux bien »
Whitney dévisagea Clark un peu étonné, ce qui amena une question sur les lèvres de celui-ci :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien, rien… C’est juste qu’on s’est pas vu pendant tant d’années que cela me fait drôle de savoir que nous allons… renouer »
Il eut un petit ricanement amusé avant de poursuivre :
« Surtout que nous n’avons jamais été très proches ! »
Clark posa un regard profond sur Whitney, et d’une voix chaude lui fit :
« Nous n’avons plus quinze ans, Whitney. Alors essayons d’être des adultes, et de rattraper le temps perdu
- De rattraper le temps perdu ? »
Clark appuya son regard, et murmura presque d’un ton très sérieux :
« Je crois que nous avons beaucoup en commun, Whitney, que nous ne nous en soyons jamais vraiment soucié, alors que quelque chose me dit que cela nous ferait du bien de partager… tout ça. J’ai la sensation que tous les deux, nous sommes à un moment de notre vie où les choses doivent changer, où ce qu’il y a derrière doit rester derrière »
Un moment de vide vint ponctuer ce que Clark venait de dire, moment pendant lequel les deux jeunes hommes se regardèrent intensément. Au fond d’eux, les mêmes idées, les mêmes sentiments s’entrechoquaient. Clark venait de proposer quelque chose qui les touchait tous les deux, à sa propre surprise, mais quelque chose qui leur paraissait important. Vraiment important. Whitney fit un sourire à Clark, avant de lui dire :
« Si tu cherches un ami, Clark, je suis là »
Clark lui rendit son sourire, et lui tendit la main :
« Merci, Whitney. Alors, à bientôt j’espère ! »
Whitney hésita une seconde avant de serrer la main de Clark. A sa grande surprise, ce dernier l’attira vers lui, et lui donna une brève étreinte, avant de s’écarter, légèrement mal à l’aise, comme lui.
« Salut, Whit ! »
Clark s’éloigna sous le regard un peu intrigué de Whitney, qui le vit sortir du Talon et disparaître dans la rue.
******
Dans les dernières lueurs de ce début de soirée, Clark sortit sur le perron du lycée. Saisissant son téléphone portable dans la poche de sa veste, il appuya sur une touche et attendit que la communication aboutisse.
« Allô ? »
Il eut brusquement un moment de terreur intense, stupide, mais réel. Il en était presque à se demander s’il n’était pas en train de faire n’importe quoi, lorsque la voix à l’autre bout du fil demanda :
« Clark ? C’est toi ? »
Ahuri, il resta sans voix une seconde avant de répondre :
« Whitney ? Comment sais-tu que c’est moi ? »
Un rire, qui lui fit inexplicablement du bien, accompagna la voix de Whitney.
« On appelle cela l’identification de l’appelant, Clark ! La technologie a bien atteint Metropolis quand même ? »
Clark se mit à rire aussi.
« Vas-y, Whitney, moques toi de moi !
- C’est exactement ce que je suis en train de faire ! »
Ils rirent encore un moment, avant que Whitney ne reprenne :
« Alors, Clark, que se passe-t-il ?
- Je… »
Clark se trouva sans voix : il ne savait même pas vraiment pourquoi il appelait Whitney. Ou plutôt si, mais il ne le comprenait pas pleinement. Il voulait juste entendre une voix qui ne lui demanderais pas mille fois les mêmes choses, comme tant de gens venait de le faire au cours de ce début de soirée. Clark savait que Whitney n’aurait pas ce genre de conversation. Il nota, sans y faire attention, que la musique qui s’échappait du bâtiment derrière lui était Blue Moon
« Clark ? Tu es là ?
- Oui, Whit… Désolé, j’étais perdu dans mes pensées
- Ah, ok »
Un silence de plus s’installa, avant que Clark ne reprenne :
« Je ne te dérange pas au moins ?
- Non, Clark. C’est juste un samedi soir de plus où je suis seul à la maison, a corriger encore et encore des copies, donc rien ne… Mais c’est quoi cette musique que j’entends ? »
Clark regarda le lycée en tournant la tête, puis descendit les marches du perron pour s’en éloigner.
« Le groupe de la soirée au lycée
- Tu m’appelles de là-bas ?
- Oui »
Whitney sembla changer de ton, et reprit :
« Tu passes une soirée avec tous tes amis, que tu n’as pas revu depuis des lustres, et tu m’appelles… moi ? »
Sans toujours vraiment le comprendre, il se rendit compte qu’il préférait être là dehors à parler à Whitney qu’à l’intérieur avec tout le monde. Clark se mit à réfléchir sur cela, bien qu’il n’ait pas à le faire : il aurait tout donné pour ne plus être là où il se trouvait.
« Disons que cette soirée est plutôt… plutôt…
- Nulle ?
- Non, pas à ce point ! C’est juste que…
- Ce n’est pas ce dont tu avais rêvé ?
- Oui ! C’est exactement cela, Whitney ! De plus, maintenant que j’y suis, je me rends compte que j’aimerais mieux être ailleurs »
Whitney prit une inspiration.
« Tu n’es pas content de tous les revoir ?
- Si, si… Mais une fois que j’ai eu répété à tous, à tour de rôle, ce que je devenais, et tout le reste, une fois que j’ai eu écouté tout le monde me raconter sa vie, je me suis dit : Bon, ok. Et maintenant ? »
Il y eut un blanc dans la conversation.
« Tu veux que je te dises, Whitney ? Je me sens mieux à discuter avec toi au téléphone qu’avec ces gens tout autour de moi. J’ai l’impression qu’ils ne… m’apporteront rien
- Alors que moi, oui ? »
Clark fixa un couple d’anciens élèves un peu en avant de lui, assis sur un des bancs du lycée dans la demi-obscurité, en train de s’embrasser comme s’ils avaient encore seize ans.
« Clark ?
- Je suis là, Whitney »
Nouvelle inspiration de Whitney, qui poursuivit avec une légère hésitation dans la voix :
« Est-ce que tu… ? »
Clark patienta le temps que son ami reprenne, en proie à un sentiment d’attente indéfinissable.
« Est-ce que tu veux passer chez moi ? On pourrait discuter si tu en as besoin »
Clark comprit ce qu’il attendait : ce que Whitney venait de dire.
« J’aimerais bien, oui…
- Tu aimerais ? Comment cela tu aimerais ? On pourrait se contenter de oui et de non comme réponse quand on se pose une question ? »
Le ton un petit peu énervé de Whitney amusa Clark.
« Whit, je veux bien venir chez toi, mais je n’ai pas de voiture. C’est Chloé qui m’a amené. Je peux venir à pied, remarque
- Reste où tu es, je viens te chercher
- Whitney, je peux marcher tu sais ! C’est pas si loin
- Je viens te chercher, Clark ! Attends moi à la grille du lycée »
(à suivre)