Bonsoir,
Voici une fic que j'ai écrite il y a déjà quelques semaines mais j'attendais la diffusion de la fin de la série pour la poster.
Comme indiqué, c'est une Henry/OC, même une Henry/OCx2 (mais pas en même temps lol).
La fic se passe dans le courant de la saison mais ne fait pas du tout mention d'Adam.
Je vous poste le début, je mettrai la suite en ligne si j'ai des reviews
Bonne lecture !
---------------------------------------
Ressemblances
Lorsque Henry arriva sur la scène de crime, le lieutenant Martinez se tenait debout près du corps, son portable à l'oreille, le regard rivé vers le balcon du 6e étage de l'immeuble voisin sur lequel se trouvait son collègue, le lieutenant Hanson. En voyant le légiste approcher, elle raccrocha et le salua.
— Notre victime s'appelait Eduardo Castillo, 26 ans, programmeur informatique. D'après les premiers témoignages, il est tombé de son balcon un peu après 6 heures ce matin. J'aurais besoin de savoir rapidement s'il a fait ça tout seul ou si on l'y a aidé.
Henry s'agenouilla près du corps sans vie du jeune homme d'origine hispanique, vêtu d'un boxer gris et d'un débardeur blanc.
— En résumé, vous voulez savoir s'il s'agit d'un meurtre, d'un suicide ou d'un accident, lança le légiste en commençant son examen.
— Tout à fait. Hanson est chez lui. Il n'y a aucune trace de lutte mais pas non plus de note ou de lettre indiquant qu'il aurait volontairement mis fin à ses jours.
— À première vue, il ne s'agit pas d'un suicide.
Jo s'accroupit à côté de lui et il lui désigna les jambes de leur victime.
— Vous voyez ces marques ? Elles proviennent du choc de l'arrière de ses mollets contre la rambarde du balcon au moment de sa chute.
— Ça pourrait être un accident ?
Henry examina les mains du jeune homme, puis secoua la tête.
— Il semble avoir des fibres sous les ongles… Je ne peux rien affirmer avec certitudes tant que je ne les aurais pas analysées… et tant que je n'aurai pas pratiqué l'autopsie. Cependant, il est à peu près certain qu'il n'est pas tombé seul de son balcon.
— Ok ! Ça me suffit pour lancer l'enquête.
***
Henry releva la tête de son microscope au moment où Jo entrait dans la morgue. Lucas finissait de refermer le corps et le légiste se demanda ce qui avait pris autant de temps au lieutenant pour les rejoindre. Au moment où il allait le lui demander, elle l'interrogea :
— Alors ?
— Les fibres provenant de sous les ongles de notre victime sont un mélange de coton et de polyester de couleur grise comme on en trouve dans beaucoup de vêtements de prêt-à-porter.
— Donc, ça ne nous apprend rien sur notre tueur tant que nous n'avons pas d'élément de comparaison. Et du côté de l'autopsie ?
Henry se leva et se dirigea vers le corps.
— Ce jeune homme était en parfaite santé. Il aurait donc dû être en mesure de se défendre contre une personne qui voulait le faire tomber de son balcon.
— Ce qui veut dire qu'il connaissait sûrement son agresseur. J'ai fait quelques recherches avant de venir : fils unique, ses parents sont morts il y a cinq ans dans un accident de voiture. Il n'avait aucune autre famille. Il vivait seul et ses voisins disent qu'il ne recevait jamais personne chez lui. Du moins, à leur connaissance.
— Vous disiez qu'il était programmeur informatique ? Il travaillait à domicile ?
— Non. Il était employé par Phoenix Games, une société de conception de jeux vidéos dont les bureaux sont situés à Brooklyn. J'allais justement m'y rendre. Vous venez ?
Une vingtaine de minutes plus tard, ils entraient dans des bureaux ultra-modernes dissimulés au cœur d'un immeuble ancien. Ils furent accueillis par une jeune femme blonde à l'air affligé.
— Bonjour, Alice Perkins, se présenta-t-elle. Je suis… j'étais l'une des collègues d'Eduardo. La nouvelle de sa mort nous a tous anéantis. Alex… notre patron, Alexander Crowley, a rassemblé tout le monde en salle de conférence. Il m'a demandé de vous conduire à son bureau. Il vous rejoindra dès qu'il aura terminé.
Jo et Henry la suivirent le long d'un couloir. Ils aperçurent un peu plus loin un groupe de personnes dans une grande pièce entièrement vitrée, semblant écouter avec attention un homme blond qui leur tournait le dos. L'homme était plutôt grand, bien bâti et vêtu d'une façon décontractée mais élégante : jean noir et chemise blanche. La jeune femme les amena jusqu'à une porte. Au moment où elle l'ouvrait et leur faisait signe d'entrer, son regard se porta derrière eux. Henry se retourna machinalement et se figea.
Flashback – Central Park – mai 1932La Grande Dépression avait jeté des familles entières à la rue. Le parc accueillait plusieurs dizaines de milliers de constructions précaires dans lesquelles hommes, femmes et enfants vivaient dans l'espoir de voir un jour leur situation s'améliorer.
Henry passait ses journées à Hooverville, nom donné à ces endroits où ceux qui n'avaient plus rien parvenaient tant bien que mal à survivre. Au fil des décennies, il avait amassé suffisamment d'argent pour vivre sans avoir besoin de se faire payer. C'était pour cette raison qu'il soignait gratuitement tous ceux qui voulaient bien de son aide.
Ce matin-là, il sortait d'une cabane où il venait d'examiner deux enfants souffrant de malnutrition lorsqu'il fut abordé par un jeune homme blond d'une vingtaine d'années.
— Pardonnez-moi, Monsieur, êtes-vous le médecin dont tout le monde parle ?
— Je pense l'être, en effet.
— Pourriez-vous venir examiner ma mère ? Elle a de la fièvre et elle tousse depuis plusieurs jours mais ce matin, elle était trop faible pour se lever.
— Je vous suis.
Alors qu'ils traversaient le campement, Henry demanda :
— Comment vous appelez-vous ?
— Gabriel Wyatt. Ma mère, c'est Amelia.
Ils arrivèrent devant une construction en tôles dont la porte n'était qu'un simple rideau de toile épaisse. Une fois à l'intérieur, le médecin embrassa l'unique pièce d'un seul regard. Au fond se trouvaient deux lits de fortune dont l'un était occupé par une femme blonde d'une cinquantaine d'années, apparemment endormie. Les deux chaises et la table semblaient avoir connu des jours meilleurs. Le coin cuisine ne comportait qu'un réchaud et quelques ustensiles posés à même le sol. Gabriel approcha une chaise du lit où reposait sa mère. Alors qu'il s'y asseyait, Henry remarqua le cadre photo que la femme serrait contre sa poitrine. Le cliché représentait un couple, deux petites filles et un garçonnet. Il devina très vite qu'il s'agissait là de la famille Wyatt avant la Dépression et se demanda où se trouvaient le père et les sœurs aînées du jeune Gabriel. Celui-ci s'agenouilla de l'autre côté du lit, à même le sol, et posa sa main sur l'épaule de sa mère. La femme ouvrit des yeux brillants de fièvre qu'elle posa d'abord sur son fils, puis sur Henry.
— Maman, j'ai ramené le docteur. Il va t'examiner.
Elle hocha la tête et referma les yeux tandis qu'Henry commençait à l'ausculter. Il ne lui fallut pas longtemps pour émettre un diagnostic : elle présentait tous les symptômes d'une pneumonie aiguë. Lorsqu'il eut terminé, il fit signe à Gabriel de le suivre à l'extérieur. À peine furent-ils dehors que le jeune homme souffla :
— Elle ne va pas s'en sortir, n'est-ce pas, Docteur ?
Il semblait à la fois triste et résigné.
— Je suis désolé… soupira Henry. J'aurais aimé vous dire le contraire, mais son état ne peut qu'empirer.
Il avait beau être médecin depuis un siècle et demi, il était toujours aussi frustré lorsqu'il ne parvenait pas à sauver l'un de ses patients. Gabriel se laissa tomber sur un banc proche et leva les yeux vers lui.
— Vous pensez qu'il lui reste combien de temps ?
— Difficile à dire. Quelques semaines, peut-être un peu plus…
Henry s'assit à côté de lui et, un peu malgré lui, il se mit à détailler le visage du jeune homme. Il avait déjà remarqué, dès que Gabriel l'avait abordé, la couleur particulière de ses yeux hétérochromes, l'un bleu, l'autre vert. En l'observant attentivement, Henry se rendit compte que le blond devait être plus proche des trente ans que des vingt. Il avait une silhouette fine mais musclée qui se devinait sous ses vêtements grisâtres usés jusqu'à la corde.
— Puis-je vous poser une question ?
Le jeune homme répondit d'un hochement de tête.
— J'ai remarqué la photographie que tient votre mère. Où se trouvent les autres membres de votre famille ?
Gabriel soupira profondément avant de répondre :
— Mes sœurs sont mariées et vivent à Philadelphie toutes les deux. Elles ont la chance d'avoir des époux qui peuvent encore subvenir à leurs besoins. Quant à mon père… il travaillait à Wall Street… il a tout perdu lors du Krach de 29. Et il ne l'a pas supporté… il s'est suicidé peu après Noël cette année-là.
Henry s'en voulut immédiatement d'avoir abordé le sujet. Un sourire triste apparut sur les lèvres de Gabriel.
— Ma mère et moi vivons ici depuis lors. Je travaille de temps en temps sur des chantiers ou sur les docks, ce qui nous permet de manger peut-être plus souvent que d'autres. J'ai trouvé du travail sur un cargo et je suis parti trois mois en mer. Lorsque je suis revenu, la semaine dernière, elle était déjà très malade.
— Je ne peux pas la guérir, mais je vous promets de tout faire pour qu'elle souffre le moins possible.
— Merci, Docteur.
Henry suivit des yeux Gabriel alors qu'il retournait chez lui, plus touché par la douleur du jeune homme qu'il ne l'aurait dû.
Fin Flashback— Henry ? Ça va ? On dirait que vous avez vu un fantôme.
Il jeta un bref coup d’œil vers Jo qui le considérait d'un air inquiet, puis reporta son attention sur le nouveau venu. Lorsque leurs regards se croisèrent, Henry sentit son pouls accélérer.
Hétérochromie… bleu et vert…Une brève expression de surprise passa dans les yeux du jeune homme blond, dilatant ses pupilles. Il serra la main tendue de Jo en se présentant :
— Alexander Crowley.
— Je suis le Lieutenant Martinez et voici le Docteur Morgan, notre médecin légiste. Nous sommes ici à propos d'Eduardo Castillo.
Il les fit entrer dans son bureau et referma la porte vitrée derrière lui. Il leur fit signe de s'asseoir avant de prendre place en face d'eux.
— C'est terrible… j'ai encore du mal à y croire…
Henry avait des difficultés à se concentrer sur ses paroles. Sa ressemblance avec Gabriel Wyatt était trop frappante pour être une coïncidence. Bien sûr, ils n'étaient pas semblables, même si, au premier abord, c'était leurs traits communs qui avaient déclenché la remontée de ce souvenir.
Alors que Jo commençait à poser ses questions, Henry se força à se focaliser sur l'enquête. Il aurait tout le temps d'éclaircir le mystère « Alexander Crowley » plus tard.
— Eduardo Castillo travaillait pour vous depuis longtemps ?
— Presque cinq ans, mais nous nous connaissions depuis notre enfance. C'était mon meilleur ami…
Des larmes embuèrent ses yeux et il les essuya d'un revers de manche, visiblement embarrassé.
— Eduardo était très doué dans son domaine. Nous nous sommes perdu de vue quelques temps, lorsqu'il était au MIT. Quand il en est sorti, j'ai été surpris qu'il veuille bosser pour ma petite société.
— Pourquoi ?
— Il était vraiment brillant. Il aurait pu sans mal intégrer une boîte beaucoup plus prestigieuse – et qui paye mieux que moi. Le jour où il m'a appelé pour me demander si j'avais un boulot pour lui, j'ai cru qu'il avait perdu l'esprit. Mais je n'ai jamais regretté de l'avoir engagé.
— Avait-il des problèmes avec un collègue ? Ou un client ?
— Non, tout le monde l'adorait. Il n'était pas du genre bavard, préférant les ordinateurs aux personnes, mais si quelqu'un avait besoin d'un coup de main, il répondait toujours présent. Pour ce qui est des clients, c'est Alice et moi qui nous en chargeons.
Henry intervint :
— Avait-il une petite amie ?
Il remarqua que le jeune homme ne le regardait pas dans les yeux lorsqu'il répondit :
— Pas à ma connaissance. Comme je vous l'ai dit, il était plutôt réservé. Et il passait tout son temps à bosser sur des nouveaux jeux.
Jo nota quelque chose dans son carnet avant de reprendre :
— Il travaillait aussi chez lui ?
— Étrangement non. Il préférait rester ici très tard le soir ou même le week-end. Et il ne m'a jamais demandé de lui payer ses heures supplémentaires.
— En résumé, c'était un employé modèle.
Le ton du lieutenant était suspicieux mais le jeune homme ne sembla pas s'en formaliser.
— On peut dire ça. Il va beaucoup nous manquer.
— Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
Alexander soupira avant de répondre :
— Hier soir, quand j'ai quitté le bureau. Il finissait ses sauvegardes du jour.
— Et où étiez-vous ce matin entre 6h et 6h15 ?
— Chez moi… seul… Je me préparais pour venir travailler. Vos collègues m'ont prévenu pour Eduardo quand je suis arrivé ici, vers 7h.
Elle jeta un bref regard à Henry avant de se lever.
— Merci de nous avoir reçus. Et toutes nos condoléances.
— Merci à vous. N'hésitez pas à me contacter si vous avez la moindre question.
— Avant de partir, pouvons-nous parler à vos employés ?
— Bien sûr.
Une bonne heure plus tard, Henry et Jo quittèrent les locaux de Phoenix Games. Ils avaient interrogé toutes les personnes présentes mais aucun ne semblait avoir un mobile pour tuer Eduardo Castillo. La plupart des alibis seraient faciles à vérifier sauf pour ceux des gens qui, comme Alexander Crowley, vivaient seuls.
Une fois dans la voiture, la jeune femme se tourna vers son partenaire.
— Qu'est-ce qui vous arrive ?
— Que voulez-vous dire ?
— Vous avez une attitude bizarre depuis tout à l'heure… enfin, encore plus que d'habitude.
Il ne pouvait décemment pas lui dire la vérité. Alors, il biaisa.
— Crowley ressemble juste beaucoup à un homme que j'ai rencontré quand j'étais plus jeune.
Jo mit le contact et démarra.
— Vous deviez vraiment tenir à lui, souffla-t-elle avec un petit sourire en coin.
Henry ne releva pas. Il ne voulait pas parler de Gabriel avec elle. Il n'en avait jamais parlé à personne, pas même à Abigail ou à Abraham. Gabriel était son jardin secret et il le resterait.
Flashback – Central Park – juin 1932Alors qu'il approchait de chez les Wyatt, l'instinct d'Henry l'avertit avant même que sa conscience ait compris ce qui se passait. Il poussa le rideau et entra sans bruit dans la petite demeure. Là, sur son lit, Amelia Wyatt reposait enfin en paix, délivrée de sa souffrance. Henry ne vit pas immédiatement Gabriel, puis il le remarqua enfin, assis par-terre dans un coin de la pièce, recroquevillé dans son chagrin. Il s'approcha doucement, puis s'agenouilla à ses côtés. Le jeune homme le fixa de ses yeux rougis mais déjà secs.
— Elle est partie dans la nuit, souffla-t-il d'une voix rendue rauque par trop de pleurs.
— Toutes mes condoléances. Je vais prévenir les pompes funèbres…
Alors qu'il allait se relever, Gabriel lui attrapa le bras et le supplia :
— Restez avec moi… s'il vous plaît… juste un moment…
La détresse du jeune homme lui déchira le cœur.
— Je suis là… Je serai là tant que vous aurez besoin de moi.
Alors qu'il finissait sa phrase, Gabriel fondit à nouveau en larmes. Henry l'attira contre lui, le berçant longuement dans ses bras alors qu'il épanchait son chagrin. Il savait ce que c'était de perdre les siens. Il aurait aimé être capable de fermer son cœur afin de ne plus avoir mal à chaque fois qu'une personne dont il était proche mourrait. Il en était cependant incapable. Et, depuis qu'il avait rencontré Gabriel près d'un mois plus tôt, une étrange attraction s'était exercée sur lui.
Au bout d'un très long moment, Gabriel se dégagea de son étreinte, l'air embarrassé.
— Je suis désolé…
— Ne vous en faites pas, je comprends.
Henry jeta un bref coup d’œil vers le corps sans vie d'Amelia. Gabriel suivit son regard en soupirant.
— Maintenant, je n'ai plus aucune raison de rester à New York…
Le cœur d'Henry manqua un battement. Un affolement surprenant s'empara de lui à l'idée de ne plus jamais revoir le blond. Il se força au calme avant de demander :
— Où irez-vous ?
Un haussement d'épaules lui répondit.
— Je pourrais peut-être me faire à nouveau embaucher sur un cargo… ou alors je pourrais juste m'éloigner de la ville. Il est peut-être plus facile de trouver du travail à la campagne qu'en ville. Les fermes doivent toujours avoir besoin de main d’œuvre, non ?
— Je l'ignore.
Henry prit une profonde inspiration et se releva.
— Pour le moment, nous devrions nous occuper de l'inhumation de votre mère.
— Je n'ai pas les moyens de lui payer des funérailles décentes, soupira Gabriel.
— Je m'en suis déjà chargé, avoua le médecin.
Son jeune ami lui adressa un regard surpris, puis fronça les sourcils.
— Vous n'avez pas à payer pour…
— Ne vous en faites pas, il ne s'agit que d'un prêt. Vous me rembourserez lorsque votre situation financière se sera améliorée.
— J'y compte bien !
La fierté qu'il pouvait lire dans les yeux si particuliers du jeune homme réchauffa le cœur d'Henry… et réveilla en lui des sentiments qu'il pensait ne plus pouvoir éprouver.
Fin Flashback***
Il faisait nuit depuis quelques heures déjà. La morgue était silencieuse, tous les employés étant rentrés chez eux. Henry se frotta longuement les paupières. Son esprit repartait sans cesse dans le passé, l'empêchant de se concentrer sur autre chose. S'il fermait les yeux, c'était pire. Les visages de Gabriel et d'Alexander se superposaient, le troublant encore plus.
Il reprit le rapport qu'il tentait vainement de lire depuis plus d'une heure, mais releva bien vite la tête en entendant la porte de la morgue s'ouvrir et se refermer.
— Docteur Morgan ?
Avant qu'il ait pu attribuer la voix à un nom, le visage d'Alexander Crowley apparut dans la faible lumière du bureau. Henry sentit son cœur battre un peu plus vite alors que le jeune homme lui adressait un sourire contrit.
— Je suis désolé de vous déranger aussi tard mais… il fallait absolument que je vous voie…
Henry, qui s'était levé à son entrée, lui fit signe de s'asseoir et fit de même.
— Je ne suis pas sûr d'avoir le droit de discuter de l'affaire avec vous, Monsieur Crowley.
— Alex. Appelez-moi Alex, s'il vous plaît. Et je ne suis pas là pour Eduardo.
Surpris, le légiste attendit qu'il s'explique.
— Vous allez sûrement trouver ça dingue… j'ai moi-même du mal à y croire… jusqu'à aujourd'hui, toute cette histoire n'était… qu'une histoire, justement… quelque chose qui ne pouvait pas être réel…
Le trouble du jeune homme et ses propos énigmatiques inquiétèrent Henry. Et s'il avait deviné son secret ? Alex poussa un profond soupir avant d'ouvrir son sac à dos et d'en tirer une épaisse enveloppe en papier kraft.
— Mon arrière-grand-père est décédé il y a six ans. Et parmi les quelques affaires qu'il m'a léguées, il y avait ceci.
Il sortit de l'enveloppe un carnet relié de cuir qu'Henry reconnut instantanément.
Le carnet de croquis de Gabriel !Alex parcourut rapidement les pages jaunies par le temps. Lorsqu'il s'arrêta, il contempla longuement le feuillet avant de tendre l'ouvrage à son interlocuteur. Et là, Henry crut que le temps s'était à nouveau arrêté pour lui en voyant le portrait dessiné au crayon.
— C'est vous, n'est-ce pas ?
Il devait mentir. Dire qu'il s'agissait de son propre arrière-grand-père, accuser la génétique pour la ressemblance… il devait le faire pour protéger son secret, sa vie… pour protéger Abe… Il ouvrit la bouche, bien décidé à encore une fois dissimuler la vérité. Il croisa une fraction de seconde le regard empli d'espoir d'Alex, ce regard si semblable à celui de Gabriel. Et il fut incapable de lui mentir.
— Oui… c'est bien moi…
Sa raison lui hurlait qu'il était devenu fou de dévoiler ainsi son plus grand secret à un inconnu. Mais son cœur lui soufflait qu'Alex était plus que ça, beaucoup plus. Le regard du jeune homme se fit soudainement lointain alors qu'un sourire étirait peu à peu ses lèvres.
— J'en étais sûr ! Je savais bien que Grand'Pa Gaby n'était pas sénile !
Henry déglutit difficilement et posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres.
— Votre arrière-grand-père… quel était son nom ?
— Gabriel Wyatt.
Il pinça les lèvres pour retenir un gémissement de douleur et ferma les yeux, incapable de soutenir plus longtemps le regard d'Alex. Celui-ci demanda d'une voix inquiète :
— Docteur Morgan ? Vous allez bien ?
Henry posa ses coudes sur son bureau et enfouit son visage entre ses mains.
— Ne vous inquiétez pas pour votre secret, je n'en parlerai à personne. J'avais juste besoin… de savoir que vous étiez bien le même Henry Morgan que mon arrière-grand-père a tant aimé.
À ces mots, le légiste releva la tête. Alex le regardait avec un petit sourire en coin, si semblable à celui de Gabriel. Henry se leva subitement, le faisant sursauter.
— Nous ne pouvons pas parler de ça ici ! Suivez-moi !
Il avait besoin de se retrouver dans un endroit plus sûr, là où personne ne risquerait de surprendre leur conversation. Alors, en dépit du bon sens et de la voix de la raison qui hurlait dans son crâne, il emmena Alex chez lui. Abe était parti pour plusieurs jours à un salon d'antiquaires à Miami, ils ne seraient donc pas dérangés.
***
Pendant tout le trajet dans la voiture du jeune homme, Henry avait réfléchi à ce qu'il allait dire. Mais à présent qu'ils se retrouvaient chez lui, il ne savait plus. Alex déclina son offre de boisson et ils s'installèrent confortablement dans le salon. Assis sur le sofa, le légiste tentait en vain de ne pas fixer son invité qui semblait un peu mal à l'aise dans son fauteuil, face à lui.
— Vous êtes sûr que vous ne voulez rien boire ? Même pas un verre d'eau ?
— Non, merci.
Tu essayes de gagner du temps, mon vieux…— Gabriel était donc votre arrière-grand-père…
— Oui, du côté de ma mère. Quand j'étais gamin, je passais toutes mes vacances chez lui à Boston. Et il me parlait souvent de son grand amour de jeunesse qu'il avait connu pendant la Grande Dépression à New York. Innocemment, je pensais à l'époque qu'il s'agissait de mon arrière-grand-mère. Je l'ai cru jusqu'à mes dix-huit ans.
Un voile de douleur obscurcit brièvement le regard d'Alex.
— J'avais seize ans quand j'ai réalisé que j'étais gay. Je l'ai caché à mon entourage pendant deux longues années. Seul Eduardo était au courant. C'est sur son épaule que j'ai pleuré mon premier chagrin d'amour lorsque le mec sur lequel je fantasmais a quitté notre lycée pour partir à l'autre bout du pays. Juste avant qu'il ne parte pour le MIT, il m'a convaincu de faire mon coming-out auprès de mes parents. J'avais choisi de leur parler au début de l'été, juste avant de partir chez Grand'Pa Gaby. Je voulais avoir une possibilité de m'éloigner d'eux si ça s'était mal passé. Ma mère l'a accepté sans problème. Mon père… il ne m'a jamais compris… même aujourd'hui, presque dix ans après, il m'en veut toujours de ne pas être « normal ».
Même après deux siècles d'existence, Henry avait encore du mal à comprendre comment des parents pouvaient juger leur propre enfant sur son orientation sexuelle. Il avait eu le temps de voir les mœurs évoluer mais il semblait que certains étaient restés bloqués sur la mentalité du 19e siècle. Alors que lui, qui était né à la fin du 18e siècle, avait paradoxalement très bien accepté ces évolutions.
Il reporta son attention sur Alex lorsque le jeune homme reprit :
— Le lendemain de mon coming-out, je suis donc parti pour Boston. Grand'Pa Gaby m'a accueilli à bras ouverts. Je pensais qu'il ne savait rien mais il m'a vite détrompé. Ma mère l'avait appelé pour le prévenir. Il savait donc… et il ne me jugeait pas. Au contraire. C'est ce jour-là qu'il m'a enfin révélé l'identité de son premier grand amour.
Henry sentit son cœur battre la chamade une nouvelle fois. Et les souvenirs affluèrent…
À suivre...