Lorsque Billy vit le nom sur le papier, ses doigts se contractèrent compulsivement. Oui… C’était lui. Il prit la peine de relire trois fois afin de s’assurer que ce n’était pas son imagination qui avait marqué ces lettres chéries sur le billet. C’était lui mais… comment cela pouvait-il être lui ? C’était impossible ! Il considéra le gardien de ses yeux perdus comme dans l’espoir de rencontrer un sourire hilare ou autre chose… Mais son vis-à-vis soutint le regard avec une expression d’un sérieux approbateur. Billy déglutit avec difficultés. Il se précipita dans sa voiture, démarra dans un vrombissement du moteur et un jet de graviers et sortit en trombe par la porte que le garde s’était empressé d’ouvrir. Il s’arrêta à peine pour vérifier que personne n’arrivait sur la grande route, et s’y engagea dans un crissement de pneus.
Lorsqu’il fit irruption dans le hall de l’hôpital, il était peu rempli. Seules quelques personnes semblaient attendre là des nouvelles de proches. Billy se dirigea vivement vers le comptoir d’accueil.
- S’il vous plait ! lança-t-il avec un début de détresse dans la voix.
Un gros homme aux cheveux courts, à lunettes, et à l’allure d’un ours bonhomme se redressa du casier de dossiers qu’il était en train de fouiller.
- Oui ?
- Mon ami a été amené ici il y a quelques minutes.
- Son nom ?
- Dominic Monaghan.
Le regard du standardiste s’éclaira légèrement.
- Ah ! Je comprends pourquoi votre tête me disait quelque chose… Un petit instant, je bipe le Docteur Romano.
Une fois ceci fait, l’homme invita Billy à s’asseoir et à attendre, lui précisant que c’était la seule chose à faire.
Billy alla patienter sur le siège en plastique noir le plus proche. Il avait de la peine à concevoir que Dom, son Dom était dans l’une des pièces voisines. Il avait envie de se lever et de courir de salle en salle pour le trouver. Mais il savait que s’il voulait aider les médecins à faire leur travail, le mieux qu’il pouvait faire était d’attendre sagement. Après tout, Dominic n’avait été apparemment que mordu à la cheville, et ses jours étaient loin d’être en danger ! Mais pourquoi avait-il encore fait l’idiot ? Que ce soit pour exciter la presse ou pour pisser du haut de la fontaine du centre-ville de Wellington, Dom ne savait jamais s’arrêter au bon moment… Oui, seulement cette fois il ne s’agissait probablement pas des mêmes raisons…
- Bien ! On a récupéré le premier, et on retrouve le second à présent…
Billy sursauta. Il ignorait combien de temps s’était écoulé entre le moment où il s’était assis et celui où cette voix pince-sans-rire était venu le tirer de ses songes. Il leva les yeux sur un petit homme mince vêtu d’un pyjama de médecin bleu foncé attaché sur le devant par un nœud rouge et d’une longue veste plus claire tirant sur le bleu glacier. Un stéthoscope était posé autour de son cou tel un serpent fidèle aux mâchoires métalliques. Bill se leva vivement. Le visage du médecin rappelait vaguement le faciès des petits singes, mais aucune ride ne le traversait. Il était surmonté d’un bonnet de tissu bleu foncé également et sur lequel on pouvait voir des petites fusées colorées.
- Bonjour, je suis le Docteur Romano. Je me suis occupé de votre ami lorsqu’il a été admis ici.
Billy voulut le saluer. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il remarqua qu’il avait un bras en écharpe. Il s’empressa de changer de main.
- Billy Boyd.
- Je le sais, lui lança-t-il comme s’il venait de sortir une lapalissade.
- Alors… comment va-t-il ?
- Le chien ne l’a pas loupé… saleté de clebs ! Pas comme ma Grethel, elle au moins c’est un chien éduqué. Je pense qu’on ne devrait pas laisser n’importe qui se balader avec des chiens mal éduqués. Ca nous éviterait beaucoup de travail ici, croyez-moi.
- Mais comment va Dominic ? insista Billy, assez abasourdi par les propos du médecin.
- Venez avec moi, il vous le dira lui-même.
Billy suivi le médecin qui s’engouffra dans le couloir de gauche.
- Ca s’est soldé par quoi, concrètement ? demanda-t-il en zigzaguant entre les chariots, les lits roulants et les patients.
- Une jolie plaie ouverte à la cheville ! annonça le Docteur Romano avec ce qui ressemblait presque à de la fierté. On a rincé tout ça, et mis un bandage.
- C’était gros? interrogea Boyd, inquiet.
- Très ! Et j’espère pour lui que l’animal n’avait pas mâchouillé n’importe quoi, ou pire : était infecté par la rage. Vous direz à Mr Monaghan que dorénavant il évite de jouer au loup avec des mâchoires de ce calibre…
Enfin, il poussa une porte sur la gauche et pénétra dans une pièce aux murs bleus clairs. Il y avait là six lits dont un seul au fond à gauche avait le rideau tiré. Les autres étaient vides. Billy s’avança dans la salle à la suite du petit homme, le cœur battant, les jambes légèrement flageolantes. Le Docteur Romano alla ouvrir le rideau en lançant :
- Mr Monaghan, vous avez de la visite. Je vais voir si je peux vous obtenir de quoi vous sauver la vie dans ce capharnaüm vivant. Au cas où ça vous intéresse l’homme à qui vous avez éclaté le visage avec une beigne dans les règles de l’art s’en tire avec trois points de suture à l’arcade sourcilière ainsi qu’un splendide œil au beurre noir. Je serais vous je lui apporterais une boîte de chocolats. Je vous laisse.
Il avait dit tout cela sans qu’une seule manifestation d’humour ne le trahisse. Mais de toutes façons, Dominic n’avait plus rien entendu à compter de son sixième mot. Billy était debout devant lui, et le fixait d’un regard indéfinissable. Il paraissait vouloir faire passer une foule de chose à travers : du reproche, de la reconnaissance, de l’inquiétude, du soulagement, et un bonheur beaucoup trop important pour être retranscrit dans l’expression. Il paraissait si éteint… encore plus vulnérable qu’à l’ordinaire… comme si n’importe quelle petite secousse l’eût fait choir définitivement à terre. Une fois que la blouse bleue se fut éloignée et qu’ils aient tous deux entendu la porte battre plusieurs fois avant de se stabiliser, Billy rompit le contact invisible et tira l’ensemble du rideau autour d’eux. Puis il s’effondra plus qu’il ne s’assit sur le lit, se pencha vers lui et murmura d’une voix que Dom n’aurait pas perçue s’il ne s’était trouvé si près :
- Mon amour, mais qu’est-ce que tu as encore fait ?
En fait de réponse, Dom l’attira contre lui avec une impétuosité qui ne souffrait aucune réplique. Il le serra en laissant s’exprimer toute la force de ce qu’il avait trop longtemps contenu. Et ce fut au moment où il sentit le cœur de Billy cogner si fort contre lui qu’il aurait pu traverser leurs poitrines pour rejoindre le sien, ce fut au moment où il sentit une chaleur contre lui dont il avait été privé pendant une période dont il ne voulait même pas se rappeler l’étendue, ce fut à ce moment-là que Dominic pensa à Laurent et le remercia intérieurement avec plus de passion que pour n’importe quel dieu avant de déconnecter toute conscience du monde qui l’entourait en-dehors de Billy.
- Je ne pouvais plus le supporter…
Il sentit sa chemise d’hôpital se tremper et se rendit compte que Billy était en pleurs. Ce n’est qu’alors qu’il réalisa que ses yeux coulaient eux aussi.
- Quelle idée de faire ainsi l’idiot pour rien… Certaines conneries sont plus douloureuses que les autres… hoqueta le jeune homme aux cheveux châtains qui commençait à se calmer un peu.
- Alors déjà, pour ton information, je n’ai pas mal. Je n’ai plus mal. Je ne sens même plus rien. Et ensuite, je n’ai pas fait l’idiot pour rien puisque tu es là… fit observer Dom en mordillant l’oreille la plus proche.
Billy redressa la tête et le regarda. Sa mine était encore pire que sur la photo, à présent que les larmes inondait ses joues, sa bouche et son menton. Les rougeurs de son chagrin masquaient difficilement sa lividité. La barbe de cinq jours aurait pu être crédible si elle avait été un minimum étudiée, mais ce n’était pas le cas. Mais au moins ses yeux restaient intacts malgré ses traits tirés. Ils étaient toujours aussi denses et aussi pénétrants.
- Tu ne souffres pas trop, alors ?
- C’est tout le contraire.
Billy caressa son front et ses cheveux en esquissant tant bien que mal un sourire. Il déposa un baiser sur sa joue piquante, mais Dominic détourna de suite la tête pour provoquer la rencontre de leurs lèvres qui s’étaient elles aussi perdues pendant bien trop longtemps. Billy laissa faire, l’embrassant en retour de manière douce mais passionnée. Son pouce continuait de caresser la tempe de celui qu’il aimait. Ils ne furent pas très patients dans leur baiser, et après une pause d’un instant à peine, ils se reprirent en approfondissant l’échange. C’était un renouvellement. Chaque seconde de baiser était nourricière, et ils s’embrassaient avec l’insatiabilité déraisonnable de ceux qui viennent de traverser un désert et qui se trouvent en face d’une source claire et fraîche. Leurs souffles s’emballaient. Leurs corps aussi ressentaient une faim incoercible. Dom serrait Billy contre lui. Sa main droite remonta le long du dos et sur sa nuque, le faisant frissonner sous la froidure familière des anneaux et sous la caresse qui n’était enfin plus une illusion, et se crispa dans ses courtes mèches, comme pour l’empêcher de se retirer ne serait-ce que d’un millimètre de leur échange fécond qui remplissait goutte par goutte la grande jauge de leur joie de vivre. La paume de Billy alla se perdre lentement contre sa poitrine.
- Comme c’est touchant. Je me dois de vous mettre en garde malgré tout contre le fait que la plupart des maladies que l’on peut contracter après ce type de morsure sont transmissibles par la salive…
Dom et Billy se séparèrent immédiatement en entendant la voix sûre et ironique s’élever près d’eux. Romano était revenu accompagné d’un jeune homme en pyjama rouge cerise et aux cheveux châtains. Ce dernier affichait un air passablement anxieux.
- J’ai ici de quoi vous assurer une bonne remise sur pieds, Mr Monaghan.
Il désigna tour à tour l’ampoule qu’il tenait dans ses mains et le jeune homme à-côté de lui.
- Un bon antibiotique, et ce cher Carter, un infirmier en apprentissage. Si vous avez peur des piqûres je vous conseille de…
La porte de la salle venait de s’ouvrir brutalement et Romano fut interrompu avant la fin de sa perfidie. Le producteur de Billy apparut alors.
- J’en étais sûr ! Il n’y avait qu’un type comme lui pour foutre un bordel pareil ! vociféra-t-il en ôtant son immonde cigare de sa bouche graisseuse. Ah, c’est écœurant ! Je vous jure que vous le paierez très cher.
Boyd qui était toujours dans les bras de sa moitié voulut se lever mais Romano le devança en allant se planter devant le vilain homme joufflu (j’ai pas pu résister…) :
- Non mais qui vous a permis d’entrer ici, vous ? D’autre part je vous rappelle que fumer dans un hôpital est strictement interdit !
Il lui arracha son cigare et se dirigea vers un autre lit.
- Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi ? Vous savez ce qu’elles contiennent, ces bonbonnes ? Ah non, vous ne le savez pas… De l’oxygène pur, voilà ce qu’elles contiennent ! Une étincelle et boum !
Il alla ensuite vers le lavabo dans le coin opposé et passa le cigare sous le jet d’eau froide.
- Voilà, asséna-t-il en le lui plantant dans le gousset, et maintenant vous allez me faire le plaisir de décamper, vous n’avez rien à faire ici ! Je vous revois dans cinq ans pour l’artériosclérose ! Maintenant si vous voulez jouer les têtes de cochons… ce qui ne m’étonnerait pas tant… j’appelle la sécurité et on a tous une petite conversation sur qui doit payer quoi, d’accord ?
_________________ La Halfeline
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Le sachet de thé c'est la santé!
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