[Edit] Je reposte mon roman (en version corrigée) au cas où quelqu'un qui ne l'aurait pas encore lu serait intéressé.
Résumé : A quinze ans, Filippo Mancini, neveu de Mazarin, se voit confier par son oncle une sorte de mission qui l'oblige à se rapprocher de Philippe, alias le Petit Monsieur, frère de Louis XIV. (Si vous préférez, j'ai aussi mis en ligne une version pdf à lire ou télécharger ici :
http://neebit.com/s?c8749caba8.pdf)
PréfaceCette histoire n'est qu'un roman mais, si l'on en croit le Quid, elle contient une part de vérité. L'article sur Monsieur, frère de Louis XIV, indique que Mazarin "le fit initier à l'homosexualité par son neveu, Filippo Mancini". Le frère de Louis XIV avec celui de Marie Mancini ? Voilà qui était fait pour éveiller mon intérêt !
Aussitôt, j'ai voulu en savoir plus sur le neveu du cardinal autant que sur le frère du roi. Pour ce dernier, pas de problème : non seulement de nombreux textes sont disponibles sur Internet mais en plus ma soeur avait déjà acheté la biographie "Monsieur, frère de Louis XIV" de Philippe Erlanger. Filippo y est d'ailleurs brièvement mentionné ("Primi Visconti [...] nous révèle : 'Il m'a été assuré [...] que [Filippo Mancini] a, le premier, corrompu Monsieur'.").
Malheureusement, s'il est aussi facile de trouver des textes et des références de livres sur Marie Mancini et, dans une moindre mesure, sur certaines de ses quatre soeurs, les renseignements sur ses frères, y compris Filippo qui vécut pourtant bien plus longtemps que les deux autres, sont extrêmement rares. Une petite ligne par ci, une autre par là... et rien de plus concernant l'époque où il influença, dit-on, les goûts de celui qui n'était encore que le Petit Monsieur, duc d'Anjou (Monsieur, duc d'Orléans, étant alors toujours son oncle Gaston, frère de feu Louis XIII).
Mais je finis tout de même par trouver de précieuses informations sur la personnalité de Filippo, d'abord dans "Les petites Mazarines" de Pierre Combescot (ouvrage qui m'a également beaucoup aidée à "connaître" les autres membres de la famille) puis, alors que j'avais déjà bien avancé dans l'écriture, "Les nièces de Mazarin" d'Amédée Renée (livre ancien que j'ai payé un prix exorbitant pour mes faibles moyens... mais quand on aime, on ne compte pas – enfin, pas trop).
En ce qui concerne certains personnages secondaires, une autre source m'a été utile : "Histoire amoureuse des Gaules" de Bussy-Rabutin, qui donne des portraits du comte de Guiche et de ses amis. Et pour qui se poserait la question, précisions que, de tous les personnages dont les noms apparaissent dans ce livre, seul Pierre-Emmanuel d'Isigny n'a jamais existé. Je le regrette, mais il m'a été impossible de découvrir quoi que ce soit sur d'anciens élèves du collège de Clermont (aujourd'hui lycée Louis le Grand) susceptibles d'avoir été des amis plus ou moins intimes de Filippo Mancini.
Quant au reste... disons que tout est vraisemblable (pour autant que je puisse en juger) à défaut d'être entièrement vrai.
Un mot encore avant de vous laisser plonger dans le Grand Siècle. Pour éviter le problème posé par la francisation du prénom de Filippo (deux Philippe comme personnages principaux, c'eut été bien peu pratique !), j'ai gardé son prénom italien, sauf dans les lignes de dialogue de personnages français, et donc il en va de même pour ses frères, soeurs et cousines. C'est sans doute un peu perturbant si vous avez l'habitude de lire "Marie" pour "Maria" ou "Hortense" pour "Ortensia", mais la cohérence l'exigeait.
Bonne lecture !
Chapitre 1"
Mio zio è pazzo !"
Ces quatre mots d'italien constituaient l'unique pensée cohérente du jeune Filippo Mancini quand il sortit du cabinet de travail de son oncle, le Cardinal Mazarin.
Mon oncle est fou... C'était la seule conclusion possible à cette conversation surréaliste qui l'avait laissé en état de choc, tout juste capable de bondir hors de la pièce pour se retrouver dans le couloir désert, l'esprit trop occupé des échos de paroles stupéfiantes pour formuler autre chose que cette évidence : "
Mio zio è pazzo !"
Il le savait manipulateur et prêt à tout pour conserver sa place de Principal Ministre. Il savait aussi que l'intérêt de l'oncle –
Zio Giulio, comme il l'appelait – avait, seul, dicté le choix des maris de ses soeur et cousines Laura Vittoria, Laura et Annamaria, et il se doutait qu'il en irait de même pour ses autres soeurs, bien que Maria soit certainement moins disposée que ses aînées à accepter son sort sans protester. Il savait également que, quand lui-même avait été envoyé à Reims pour prendre part à la cérémonie du sacre du Roi, ce n'était certes pas à l'invitation du souverain, qui le connaissait à peine et ne pouvait donc avoir pour lui l'amitié qu'il avait eue pour son frère Paolo, mort quatre ans plus tôt. Non, bien sûr, c'était encore l'une de ces "manœuvres mazarines" destinées à associer une nouvelle fois aux yeux de tous la famille du Cardinal-Ministre à celle de son filleul, le roi Louis XIV en personne.
Bref, Filippo ne se faisait aucune illusion sur la personnalité d'intrigant de son oncle. Mais, s'il s'était attendu à être de nouveau utilisé tôt ou tard, il n'avait pas imaginé jusqu'où cela pourrait aller...
Il n'était pas facilement choqué, pourtant. Au Collège de Clermont, où il avait été envoyé dès son arrivée à Paris (il y avait maintenant deux ans de cela), il s'était rapidement lié d'amitié avec un groupe de garçons très peu disciplinés, dont l'un lui avait appris par l'exemple le sens des mots "vice italien" en usage à la Cour. Pourquoi ces pratiques (par ailleurs fort agréables) étaient considérées comme typiques de son pays natal, personne n'avait pu le lui expliquer, mais le fait d'être ainsi devenu un Italien "très italien" ne dérangeait nullement Filippo. Il aurait simplement préféré que
Zio Giulio ne l'apprenne jamais. Ou, au moins, qu'il prétende ne rien savoir.
Or, il venait justement de lui confier une mission en rapport direct avec ce fameux penchant prétendument italien...
Il avait commencé par des allusions mais, comme son neveu n'osait comprendre, avait fini par s'écrier :
– Ne faites pas l'innocent, Filippo ! Pensiez-vous que j'ignorais votre goût pour les jolis garçons ? Votre mère et vos soeurs sont peut-être trop naïves pour s'en apercevoir, mais ce n'est pas mon cas.
Puis, devant le mutisme de l'adolescent trop embarrassé pour répondre, il avait enchaîné, en venant enfin au fait :
– Je veux que vous vous arrangiez pour devenir le favori de ce jeune homme.
Le jeune homme en question étant Philippe, le frère cadet du Roi, mentionné un instant plus tôt dans l'une des allusions.
Un garçon d'allure très efféminée, toujours couvert de bijoux et de rubans, que sa mère Anne d'Autriche appelait, disait-on, "ma chère petite fille"... Sans doute était-il donc, lui aussi, porté sur les "jolis garçons". Mais de là à ordonner à quelqu'un d'aller s'en assurer...
Car il s'agissait bien de cela. Compte tenu de ce qui l'avait précédé, il était évident que le mot "favori" ne pouvait être compris dans le sens d'homme de confiance ou de meilleur ami. Et donc, manifestement, Mazarin envisageait très calmement de mettre son neveu dans le lit du prince !
Incrédule et toujours très rouge, Filippo avait bien tenté de se faire expliquer la raison de cet ordre insensé, mais il n'avait obtenu que de vagues références aux problèmes qu'avait causés Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, et à la menace potentielle que représenterait donc un Philippe intéressé de politique plutôt que de parfums et de dentelles.
– Ne vous occupez pas de cela ! avait conclu le ministre pour couper court à toute autre question ou remarque de son neveu. Débrouillez-vous seulement pour faire ce que je vous dis. Vous devriez en être capable, n'est-ce pas ?
– Euh... Oui, avait balbutié Filippo, plus rouge que jamais, en s'efforçant de ne pas penser à ce que sous-entendait la question.
– Parfait. Vous commencerez par lui parler ce soir. Gagnez son amitié et puis... avisez. A présent, allez vous habiller pour le souper.
Cela, Filippo ne se l'était pas fait dire deux fois : se levant d'un bond, il avait pratiquement pris la fuite.
Et maintenant qu'il avait atteint sa chambre sans même se souvenir d'avoir tourné consciemment dans la bonne direction, il entendait encore si clairement la voix de son oncle répéter ses instructions qu'il ne doutait pas d'avoir à tout jamais gravé les mots dans sa mémoire.
"Avisez"... Facile à dire ! Ce n'était pas si simple, tout de même ! Avec n'importe qui d'autre, l'entreprise serait déjà délicate. Alors le frère du Roi...
Et s'il n'était pas d'accord ? On ne pouvait quand même pas le forcer !
"
Mio zio è pazzo !"
C'était décidément le seul commentaire qui venait à l'esprit du jeune Italien.
~ * ~
Philippe détestait être traité comme quantité négligeable par son frère, sa mère et... pratiquement tout le monde, en fait. Pour toute la Cour, il passait évidemment après le Roi, et il n'avait donc jamais eu d'ami qui ne soit d'abord celui de Louis. Excepté François-Timoléon de Choisy, ce petit garçon toujours habillé en fille chez qui sa mère l'emmenait souvent quelques années auparavant – celui qui lui avait donné le goût des robes, des mouches et d'autres accessoires normalement réservés à la gent féminine... Mais c'était encore un enfant : il n'avait que onze ans, quatre de moins que Philippe. Et, si ce détail ne les avait pas dérangés quand ils étaient plus jeunes, il avait fini par creuser entre eux une sorte de fossé que seul le passage de quelques années supplémentaires pourrait sans doute combler, en les rendant tous deux adultes. En attendant, le jeune prince se sentait seul. Aussi fut-il ravi de l'attention que lui témoigna soudainement Filippo Mancini – tellement ravi, même, qu'il ne songea pas à s'en étonner.
Les deux garçons se connaissaient déjà, mais ils ne s'étaient parlé qu'en de rares occasions, et jamais longtemps. Philippe savait donc bien peu de choses du neveu de Mazarin, mais il se rattrapa largement en une seule soirée : de naturel très bavard, le prince se mit en effet à poser d'innombrables questions, auxquelles Filippo répondait de bon gré.
– Comment se fait-il que vous parliez si bien le français ? s'émerveilla rapidement Philippe. Vous n'êtes pourtant en France que depuis... deux ans, c'est bien cela ?
– Deux ans à Paris, oui, confirma Filippo. Mais j'avais déjà passé huit mois à Aix avant cela.
Il omit de préciser que sa mère et sa tante avaient été furieuses de devoir rester si longtemps éloignées de la Cour où leur frère les avait invitées. En effet, Mazarin s'était bien gardé de les prévenir, avant leur départ, qu'il comptait leur imposer cette longue période de quarantaine afin qu'elles s'accoutument à la mode et aux manières françaises et ne lui fassent pas honte en se présentant devant la famille royale avec leurs airs de matrones italiennes entourées d'une marmaille piaillante et débraillée.
– Ah, en Provence, oui... Chez votre soeur la duchesse de Mercoeur ? Son mari est gouverneur de cette partie du pays, si je ne me trompe...
– En effet, nous logions chez Laura Vittoria, l'aînée de la famille.
– La première de vos nombreuses soeurs... commenta Philippe en riant. Je crois que j'aurais aimé avoir une ou deux soeurs... mais peut-être pas cinq ! Qui est la plus proche de vous ? Marie ?
– Oui. Elle a deux ans de plus que moi.
Philippe se demanda un instant s'il ne serait pas trop incorrect de demander l'âge exact de la jeune fille, pour pouvoir en déduire celui de son frère. Mais Filippo, devinant sans doute son hésitation, devança la question :
– C'est-à-dire dix-sept ans.
Le prince sourit.
– Vous avez donc quinze ans... comme moi !
Un garçon de son âge... Exactement ce qu'il lui fallait ! A l'instant même, il décida que Filippo serait son ami. Et surtout pas celui de Louis. Non, cette fois, il ne laisserait pas son aîné lui faire de l'ombre. Il existerait pour quelqu'un, serait apprécié pour lui-même et non simplement respecté pour la forme en tant que frère de Sa Majesté Louis le Quatorzième... si c'était possible.
L'était-ce ? Oui, bien sûr ! Beaucoup de filles, d'ailleurs, appréciaient sa compagnie. Et lui appréciait la leur. Mais, ces derniers temps, il s'était un peu lassé de cet entourage exclusivement féminin. Souvent, il avait envie de parler à d'autres garçons. Même s'il n'était pas sûr de trouver quelque chose à leur dire. En fait, ce qu'il souhaitait surtout, c'était un prétexte pour être avec eux. Même s'il ignorait pourquoi il tenait tant à attirer leur attention. De plus, ce n'était pas
tous les garçons, mais seulement quelques-uns – et, ce soir-là, c'était même uniquement Filippo Mancini.
Sans s'en apercevoir, Philippe passa ainsi plusieurs heures à converser avec le jeune Italien, oubliant de participer au bal organisé par son frère. Il aimait danser, pourtant... mais il aimait plus encore les élégantes toilettes des dames de la Cour.
– Comme j'envie les femmes, qui peuvent porter d'aussi belles choses ! soupira-t-il soudain en contemplant la robe de fin brocart et la parure de rubis d'une duchesse assise à quelques mètres de l'endroit où il se tenait en compagnie de Filippo.
– Vous-même portez de fort jolis bijoux, Monseigneur, répondit celui-ci avec un sourire si charmant que Philippe en resta un instant muet de saisissement.
– Certes, convint-il finalement, ces pierres n'ont rien à envier à celles des dames. Mais sans doute les estimeriez-vous mieux mises en valeur sur l'une de ces demoiselles, ajouta-t-il en désignant un groupe de jeunes filles qui, se voyant observées, adoptèrent automatiquement les mines de coquettes convenant à la situation.
– A vrai dire, je me soucie peu des demoiselles, avoua Filippo.
Sans réfléchir, Philippe lui adressa aussitôt un sourire enchanté, auquel répondit un autre sourire qui le toucha plus encore que le premier.
~ * ~
Filippo avait jugé préférable de ne rien ajouter sur le sujet ce soir-là. Mieux valait procéder lentement, avec prudence. Enchaîner en déclarant carrément qu'il préférait les garçons et que Philippe était tout à fait à son goût aurait été franchement maladroit, à son avis. Après tout, malgré le sourire et le silence qui avait suivi, il n'avait encore aucune certitude. Et puis il n'était toujours pas très sûr de vouloir obéir à son oncle...
D'un côté, l'idée de devenir le favori de Philippe ne lui était nullement désagréable, car le prince avait un charme certain. Mais, justement à cause de cela, le jeune Italien répugnait à jouer un jeu dans lequel il ne pourrait jamais être parfaitement honnête.
S'il avait pu suivre les ordres avec détachement, tout aurait été plus simple. Mais comment gagner la confiance et l'amitié de quelqu'un sans s'y attacher soi-même ? Il voyait bien, maintenant, que c'était impossible. Et qu'il ferait sans doute mieux de tout arrêter avant que la situation lui échappe. S'il n'était pas déjà trop tard.
~ * ~
Philippe, pour sa part, regagna ses appartements dans un état d'allégresse évident puis, une fois couché, rêva longuement éveillé avant de retrouver dans son sommeil la voix et le visage de son nouvel ami. Qui se souciait fort peu des demoiselles... Philippe hésitait à en déduire ce que, malgré lui, il s'était mis à espérer. Peut-être avait-il mal compris ? Après tout, Filippo n'était pas couvert de bijoux et de dentelles, lui. Il n'y avait rien de féminin dans son apparence... excepté quelques traits qu'on pouvait juger un peu trop fins, trop doux pour un homme. Mais cela ne signifiait pas grand-chose, d'autant plus qu'il était encore très jeune. Quinze ans depuis deux ou trois mois à peine... Philippe lui-même en aurait bientôt seize. Ce dont ne semblait d'ailleurs pas se souvenir sa mère, qui le traitait souvent comme un enfant. Mais il n'était plus un enfant – plus vraiment. Et, s'il ignorait encore bien des choses sur les passions qui compliquent la vie des adultes, il sentait confusément que, bientôt, il en connaîtrait aussi les joies et les tourments. Car, au fond, même s'il n'en avait pas encore pleinement conscience, il était déjà amoureux.
* * *
Je trouve ce chapitre un peu trop "résumé" par moments (et encore, je l'ai rallongé) parce que, en fait, j'avais l'intention d'écrire une one shot, au départ... L'histoire est juste devenue "un peu" trop longue pour une one-shot, finalement ! ^^;
Euh... quelqu'un veut me donner son avis ?