Chapitre 66 : Le portail.
Après quelques minutes d’adaptation, Bucky adora le voyage interstellaire, les lumières, le mouvement, la sensation de liberté : il appréciait. Steve était nettement plus mitigé, il ne pensait déjà plus qu’à une chose : revenir sur terre. Cela amusa son compagnon qui remarqua : « T’aime pas ça, toi ? - Non, je suis trop loin de chez moi. - Moi, tant que t’es là, je veux bien voyager à l’autre bout de l’univers. Steve sourit, ça, c’était tout Buck. Il observa le profil, les quelques croûtes qui restaient sur le beau visage et assura d’une voix ferme : - Je te déteste. Buck lui jeta un long coup d’oeil. - Moi aussi, répondit-il avant de regarder de nouveau par les hublots. Thor les trouvait bizarres, il s’étonna : - C’est quoi votre problème ? - Rien, fit Steve, pourquoi ? - Pourquoi vous dîtes le contraire de ce que vous pensez ? Steve expliqua : - Devant les gens c’est plus facile. - Je ne suis pas les gens ! Je suis Thor, dieu du tonnerre, et vous pouvez vous dire « je t’aime » devant moi, je ne sauterai pas au plafond. Buck n’était pas décidé à discuter, Steve, lui, l’était, il questionna : - Vous, les asgardiens, vous n’avez pas de problème avec ça ? - Avec quoi ? Steve eut un geste embarrassé, il bougonna : - Certains rapports humains ! - Les rapport entre hommes ou entre femmes ? - Oui… - C’est une chose naturelle, les sentiments, le désir ne nous mènent pas forcément vers une personne du sexe opposé. Vous les humains avez toujours diabolisé ça afin de favoriser la reproduction. - Pas vous ? - Non, la reproduction est une chose, les sentiments une autre. Sur Asgard on a toujours su faire la différence entre les deux. Sur la terre vous liez les deux. S’il est vrai que l’un mène souvent à l’autre, il n’y a pas que ça… heureusement… Et puis, de nos jours, la terre est plutôt surpeuplée, alors il faudrait en finir avec ces vieux idéaux dépassés. Steve observa longuement son interlocuteur, il finit par constater : - Vous dîtes ça, mais vous préférez les femmes, vous. - Moi ? qu’en savez vous ? - Me prenez pas pour un idiot ! Il y a eu Jane et sûrement bien d’autres ! - Oui, bien d’autres, la plupart du temps des femmes, la plupart du temps… - Le reste du temps ? - Écoutez, Steve, j’ai plus de mille ans, j’ai eu le temps de m’attacher à bien des personnes, mâle ou femelle ! - Ah… Buck avait tendu l’oreille, il souriait, silencieux, la conversation l’amusait. Steve reprit : - Des humains ? Des asgardiens ? - Des asgardiens surtout. Des asgardiennes et quelques asgardiens… - Non, sans rire ? - Sans rire. Ça vous choque ? - Je serais mal placé ! - Il me semble… Dans ma jeunesse, lors de ma formation de guerrier, l’un de mes camarades m’était très cher… - Ah… - Il s’appelait Yomir… - Qu’est-il devenu ? - Il est mort au combat, dans mes bras… - Pardon. - C’était il y a bien des siècles, pourtant, cela me serre encore le cœur. - Nous aurions dû éviter le sujet. - Non, il est bon de ne pas oublier son passé… j’ai beaucoup aimé Loki, aussi… - Loki ?!! - Oui, j’ai longtemps cru qu’il était mon frère. Et puis j’ai appris la vérité… J’ai toujours ressenti quelque chose de particulier pour lui, s’il n’avait pas été mon frère pendant tout ce temps… c’était un être compliqué mais je crois qu’il m’aimait, à sa façon… Cette fois, des larmes roulèrent sur les joues de Thor, il ajouta : - J’ai souvent hésité à le serrer dans mes bras… aujourd’hui je voudrais tant pouvoir le faire… il me manque. - Désolé… - Laissons cela. Nous allons trouver un endroit où ce qui reste de mon peuple pourra vivre en paix. C’est ça qui compte. Buck prit la parole : - Et ça se trouve où ? - Sur une lune nommée Maliahé. - Une lune ? - Oui, une lune d’une planète gazeuse géante Opirès. - Connais pas… - Non c’est très loin, on y sera dans deux bonnes heures... » Ils débarquèrent sur une planète désertique. Ils s’y mouvaient et y respiraient sans problème mais il n’y avait rien de vivant autour d’eux : que de la poussière, des cailloux. Un ciel bleu limpide à moitié caché par la rondeur d’une planète gigantesque aux reflets rouges qui ressemblait vaguement à Jupiter. - « Il n’y a rien ici, fit Steve. - Non, admis Thor, il n’y a rien… hormis ce qu’on cherche… Buck remarqua : - Je n’aime pas cet endroit… - Moi non plus, » concéda Thor. Ils s’engagèrent dans un défilé de roches gigantesques. Ils marchèrent quelques minutes et s’arrêtèrent brusquement : un portail en fer forgé leur barrait le passage. Il devait être là depuis fort longtemps mais demeurait solide et sein, sans la moindre trace de rouille. Thor expliqua : « Il n’y a pas d’eau ici, nul ne peut y vivre. - Je vois ça, répliqua Steve. Au delà du portail, on ne distinguait que pierre et poussière, il ajouta : - Il n’y a rien non plus de l’autre côté. - Il faut l’ouvrir, c’est un passage… - Un passage ? - Oui, un passage vers un univers invisible où la vie est possible. Ils purent voir la phrase que leur avait cité l’asgardien, inscrite en relief sur le haut arrondi du portail, juste au dessous de fers acérées qui pointaient vers le ciel. Buck observa : « On ne peut pas l’escalader, tout simplement ? - Ceux qui ont essayé y sont restés embrochés. La première fois que je suis venu ici, c’était avec Loki, il y avait deux cadavres empalés là-haut. - Charmant… - Je t’interdis d’essayer, intima Steve en regardant Buck le sourcil froncé. - Non, non, il n’en est pas question… Thor posa ses doigts sur la grosse clef qui était l’unique moyen d’ouvrir la porte. Il tenta, de toutes ses forces de la tourner, mais rien y fit. Il regarda Steve : « A vous maintenant… - Faut pas rêver, si vous n’y arrivez pas… Il posa sa main à son tour sur le fer de la clef. Il tenta d’imposer un mouvement à l’objet qui lui résista sans faillir. Il y mit toutes ses forces puis abandonna. Il haussa les épaules, fataliste : - Je vous l’avait dit… Thor semblait très déçu. Steve ajouta : - On pourrait peut-être l’enfoncer ? - Si on l’endommage, on bloque le passage… Thor reprit : - J’aurais vraiment pensé… Buck laissa errer son regard sur l’immense portail. Steve ronchonna : - N’y pense même pas ! - C’est tentant… voir ce qu’il y a de l’autre côté… - Tu le vois, il n’y a rien ! - Oh si ! Intervint l’asgardien, il y a quelque chose. Mais ce n’est pas en l’escaladant qu’on peut le voir… - Dommage.. » fit Buck. Machinalement, il posa ses doigts sur la clef. Il la remua, pensant sentir une résistance. Il y eut un déclic, la clef tourna sans difficulté, comme dans une serrure neuve et bien huilée. Stupéfait, il se tourna vers les deux autres qui, tout à leur observation des alentours, n ‘avait rien vu : « Eh ! Fit-il. Devant leurs yeux stupéfaits, il poussa la porte qui s’ouvrit lentement. sans bruit, sans grincement. - Non d’un chien ! Lança Thor, il l’a ouverte ! Steve le prit par le bras. - Bucky… - J’ai rien fait Steve… la clef a tourné sans problème… Il avait l’air d’un petit garçon pris en faute, Thor le rassura très vite. - Tu n’as rien fait de mal… Steve ajouta : - C’était toi l’homme de la situation, pas moi. - Moi ? Mais, j’ai assassiné des innocents, j’ai dû sang plein les mains… - Non, rectifia Thor, Bucky Barnes n’a tué personne… la chose qui maintenait cette porte fermée le sait, elle sait ce que tu es, mieux que personne… Thor passa devant, il avança de quelques mètres. - Venez… dit-il enfin, venez voir… Steve referma ses doigts sur le poignet de son ami, il l’entraîna, ils avancèrent à leur tour… Ils firent deux pas et le paysage changea. Il se transforma en une plaine immense. Une plaine bordée de montagnes verdoyantes desquelles la brume montait vers les nuages qui couraient dans le ciel clair, Opirès s’arrondissait toujours dans un coin des cieux, rouge et rose. Des ruisseaux, des rivières, des cascades, des fleuves. Toute l’eau qui manquait auparavant était là, dessinant un paysage magnifique au milieu d’étendues fertiles. - C’est beau… souffla Buck. - Merci, dit Thor, merci d’être venu… - Si j’avais pensé… Steve souriait. Loin d’être déçu de ne pas être l’homme providentiel, il était heureux de la surprise de son compagnon. Même cette chose, cette force magique qui retenait cette porte ne tenait pas compte des années où il n’avait pas été lui même. Elle ne retenait que sa force, son courage, sa grandeur d’âme. Car c’était l’âme qu’évoquait cette phrase forgée dans le fer : l’âme et non le physique. Et cette bonté d’âme, elle l’avait trouvée chez Buck. Elle y avait aussi trouvé une souffrance infinie et une capacité à faire don de soi : il avait, tant de fois, risqué sa vie pour lui, pour, finalement, tomber dans ce ravin parce qu’il avait voulu le suivre. Il lui avait fait confiance, une confiance aveugle qu’il lui avait toujours voué. Et lui, lui Steve Rogers, il l’avait abandonné au fond de ce ravin, aux mains d’HYDRA… Il l’attira brusquement contre lui pour le serrer de toutes ses forces. - Je t’aime, Buck… je t’aime tellement… Bien qu’un peu surpris, celui-ci apprécia. Il se prêta à l’étreinte en murmurant : - Oui, Steve… moi aussi... » Thor souriait largement. Il était heureux. Il y avait si longtemps qu’il rêvait d’ouvrir cette porte. Il la regarda, grande ouverte derrière eux. Il retourna près d’elle récupéra la clef qui n’opposa aucune résistance et la glissa dans sa poche : désormais, c’était lui le maître de ce monde. Il rejoignit les deux hommes qui marchaient lentement sur l’herbe verte : « Vous voyez, Steve, il n’y a pas de monstres… - Il faut voir… ne jamais se fier aux premières impressions… - J’ai confiance, ici, c’est chez moi. - Chez Buck, c’est lui qui a ouvert. - Il veut rester ? Celui-ci répondit très vite : - Non, je ne suis pas chez moi ici. Chez moi, c’est avec Steve, sur terre. Steve ébouriffa les cheveux : il savait ça. Thor le savait aussi, il reprit : - Je vous ramènerai chez vous puis j’irai chercher mon peuple pour l’amener ici… - Vous avez un vaisseau assez grand ? - Rocket me trouvera un vaisseau de bonne taille, je lui fait confiance… Steve prit Buck par les épaules. Il lui demanda : - Tu veux rentrer tout de suite ou accompagner les asgardiens dans leur déménagement ? - Ça me plairait de voyager encore un peu si Thor n’a rien contre. - Après ce que vous venez de faire pour les miens, Buck, je vous dois bien ça… - Vous ne me devez rien du tout… - Le voyage n’est pas terminé... » Il tapa sur l’épaule de l’homme qui venait d’ouvrir la voie aux siens...
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