Chap 6.
Le passage à Cincinnati prit fin en quart de final pour Roger et il ne savait pas très bien comment se sentir après ce match incroyable. La défaite, bien sûr, mais Rafa. Etincelant, déterminé, qui avait réveillé en lui l'envie de se battre. Il ne lui avait pas menti chez Carlos. Eux deux sur un court, c'était toujours à couper le souffle. L'eau et le feu l'un contre l'autre... La classe face à la puissance. Aujourd'hui, tout comme hier.
Mais il avait perdu.
Dans le vestiaire, Rafael l'avait rejoint, il n'avait pas eu besoin de lever la tête pour savoir que c'était lui.
- Beau match. - Je sais. - Non, tu ne comprends pas, tu as été magnifique, tu étais superbe. Demain il n'y aura aucun journaliste qui osera parler de chant du cygne...
Et Rafa avait raison. On parla de cette défaite comme d'une renaissance. Mais Roger, lui, se rappela finalement plus de l'après match. De la fierté de Rafael, du contact de ses lèvres, de la douceur de ses gestes et de tout le reste... Comme la sensation grisante de le voir s'abandonner à lui, de le posséder, de l'entendre prononcer son prénom dans un souffle de jouissance... Comme s'il n'y avait plus qu'eux au monde, comme dans cette ruelle en Espagne...
***** ****** ****************** ******************* Et malgré cette intensité, trois pierres au fond de son coeur l'obligeaient à partir comme un fugitif sitôt que l'étreinte cessait. Mirka. Myla. Charlène. ***** ****** ****************** *******************
Dès son arrivée à Flushing Medow, il ne put s'empêcher de le chercher. Il l'aperçut s'entraînant sur un court avec Richard Gasquet et l'observa de loin. Il ne le regardait plus avec les mêmes yeux qu'auparavant, ou était-ce qu'à présent il était parfaitement conscient de l'attention particulière qu'il portait à chaque courbe de son corps alors qu'il se déplaçait sur le terrain? Sa puissance de pure-sang, son énergie, la contraction de chaque muscle...
Feliciano Lopez alla saluer son ami sur le court et gratifia au passage le suisse d'un regard un peu métallique.
- Ne lui en tiens pas rigueur, nous avons toujours eu tendance à trop couver Rafa, il a toujours été le plus jeune de la bande.
La bande. L'Armada. Et celui qui venait de parler, bien sûr, le patriarche. Carlos. Toujours présent dans les grands Chelems pour jouer les tournois des "légendes".
- Désolé d'avoir débarqué chez toi sans préavis.
L'espagnol sourit de bon cœur.
- Eh bien, ça valait le coup puisque tu as trouvé les mots pour le convaincre de rejouer. - J'avais peut-être aussi trouvé ceux qui l'avaient éloigné des courts.
La réponse sibylline du suisse était un peu amère, il reporta les yeux sur le jeune taureau qui frappait la balle comme dans un "vrai" match.
- Ne lui fais pas ça, Roger. - Lui faire quoi ? - Vous envoyer en l'air trois fois dans l'année dans l'urgence, sans autre forme de promesse, en pensant que ça n'a pas d'importance...
Roger se contracta et fut tenté de s'indigner mais la phrase de Carlos avait quelque chose de trop vraisemblable pour qu'il la démente si facilement. De vraisemblable et de lâche. Et le noeud dans son estomac ressemblait trop à un aveu de faiblesse.
- Je suis marié, Moya. - Mais tu l'aimes. - Je... - Pas avec moi. Tu peux garder tes mensonges pour ta femme, tu as une façon de le regarder qui ne trompe pas. Vous deux, ça a toujours été une évidence... Si tu refuses de le voir, tu seras aussi malheureux que lui.
Il baissa la tête, le regard à nouveau fuyant. Le majorquin finit par dire :
- Mais qu'est-ce qui te fait si peur ? - Le monde du sport n'est pas prêt pour ça, les sponsors, les scandales... - Tu es Roger Federer, le plus grand joueur de tennis de l'histoire, tu n'as plus rien à prouver à personne. Tu n'as plus rien à risquer et si ce n'est pas toi qui fais changer les choses, alors qui ?
Est-ce que c'était seulement une question de courage ? Les obstacles paraissaient insurmontables mais l'ancien numéro un espagnol avait raison sur un point... Soit il devait renoncer à Rafael, soit il devait assumer ses sentiments. Quel plaisir retireraient-ils tous les deux de cinq à sept chronométrés dans des chambres d'hôtel impersonnelles entre deux décalages horaires?
Il ne pouvait pas se mentir, entre Rafael et lui, ça n'avait rien à voir avec ça... Ce n'était pas juste du désir, du plaisir... ça n'était pas pour le sexe. Il se rappelait parfaitement de ce "je t'aime" qu'il lui avait murmuré du bout des lèvres comme un naufragé qui s'accroche à un phare... et qui l'avait pris tellement de cours qu'il n'avait rien pu prononcer... Pourtant, dès ce moment-là, il avait su qu'il était perdu.
Bien sûr qu'il l'aimait.
Bien sûr que c'était à lui d'agir. Rafael ne ferait jamais rien qui puisse lui nuire, jamais un geste, un mot qui ne le force à quoique ce soit. Et pour autant, il n'avait pas le droit de lui imposer un amour à mi-temps. Le regard sévère mais sans jugement de Carlos valait pour sa conscience...
Et puis, au fond de lui, il eut soudain peur que Rafael s'intéresse à quelqu'un d'autre, s'il hésitait trop longtemps...
Contrairement au tournoi précédent, Mirka le rejoignit, rendant à nouveau présente cette culpabilité qu'il avait ignorée avec une facilité déconcertante qu'il n'aurait jamais imaginé. Juste pour un regard de Rafa. Elle n'avait rien demandé à son retour de Cincinnati et Roger savait bien pourquoi. Elle attendait. Et sa réponse vint bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru.
A suivre
_________________ * On peut résister à tout, sauf à la tentation. Oscar Wilde *
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