Un petit OS pour vous souhaiter à toutes et à tous une joyeuse Saint-Valentin ! Attention !
Résumé : Du rififi au Paradis ! Saint-Pierre mêne l'enquête...
°0°0°
Ange en grève !
Le Paradis était en temps ordinaire un lieu des plus paisibles, qu’un artiste amoureux de la beauté avait certainement peint avec un pinceau d’écume. Il y soufflait en permanence un vent de sérénité qui calmait même les âmes les plus tourmentées.
Mais ce matin-là, cette quiétude était largement troublée, et le vent qui soufflait dans l’au-delà n’était rien moins que paniqué.
Saint-Pierre, immense barbu jovial, aux yeux clairs et rieurs d’enfant, et à la carrure de rugbyman, était occupé à comptabiliser les âmes qui devaient passer Sa Porte dans la journée (son job était quelque peu répétitif, mais il l’adorait) lorsqu’il vit soudain atterrir devant lui dans un bruissement d’ailes affolé l’Archange Raphaël, Guérisseur officiel du Paradis.
Ce dernier, dont la chevelure dorée était d’ordinaire impeccablement coiffée, ce qui lui valait l’admiration de ses pairs, avait aujourd’hui des épis plein la tête. Il était de plus, échevelé, hors d’haleine, et Pierre fronça les sourcils, se demandant ce qui diable pouvait le mettre dans un tel état.
Le Guérisseur était en temps normal l’archétype du calme olympien.
– Pierre, il faut que tu viennes tout de suite, nous avons un problème !
Pour que Raphaël en personne lui demande son aide, l’affaire devait être de la plus haute importance !
– Que se passe-t-il ? Je ne peux pas quitter mon poste comme ça…
– Ecoute, je veux bien te remplacer le temps qu’il faudra, mais fais quelque chose ! A mon avis, il n’y a que toi qui arriveras à le raisonner ! Moi-même, j’ai tout tenté, mais il est plus têtu qu’une mule !
Pierre passa une main dans sa barbe d’un air dubitatif, avant de croiser les bras.
– Rafe, tu m’expliques ou je dois deviner ?
Il savait que l’Archange détestait qu’on l’appelle ainsi. Néanmoins, celui-ci ne releva pas, signe que la situation, quelle qu’elle soit, était réellement grave. On pouvait taxer Raphaël de beaucoup de choses, mais certainement pas d’être une drama queen.
– L’Ange Samiel – Tu sais, le petit Samiel, de l’ordre des Anges Gardiens ? – se trouve dans le jardin d’Eden. Il a décidé de se mettre en grève. Hors, je n’ai pas besoin de te rappeler que la dernière fois que c’est arrivé, c’était Lucifer qui avait lancé le mouvement. Et on sait comment sa grève sauvage s’est terminée… !
Pierre frissonna intérieurement.
«
Oui, par une guerre civile et un Paradis dévasté… Des morts, des déchus, et du malheur… Tu marques un point, Raphaël… »
Près de dix mille ans plus tard, penser à Lucifer ravivait encore la souffrance de ses congénères, aussi son nom était-il soigneusement banni de toute conversation angélique. Une grève au Paradis ? Lucifer avait inventé le concept.
Le Gardien soupira et rendit les armes.
– Très bien, très bien, n’en rajoute plus, je vais voir ce qui arrive à notre Samy.
Pierre s’amusa intérieurement de voir Raphaël faire la grimace. L’Archange n’aimait décidément pas beaucoup les surnoms qu’il se plaisait à donner à ceux de son entourage.
«
Je suis un Apôtre de Dieu, remets-toi, Rafe ! »
La vision qui l’attendait en arrivant dans le jardin d’Eden valait tout de même son pesant d’or.
Ses grandes ailes blanches déployées dans son dos, en jean, chemise immaculée, et en baskets (Dieu avait décidé depuis les seventies d’être plus cool sur la tenue réglementaire angélique !) Samiel arpentait le jardin de long en large, une énorme pancarte blanche dans ses bras.
On pouvait y lire, en lettres cursives dorées, cette inscription peu orthodoxe en ce lieu divin : «
Ange en grève ! »
Pierre observa le jeune Ange tandis qu’il faisait les cent pas, dans un silence total, mais gardant bien haut levée sa bannière.
S’il était silencieux, me direz-vous, comment pouvait-il troubler la quiétude de ce lieu sacré ?
Et bien, vous répondrai-je, tout simplement parce que l’aura de mécontentement qui émanait de lui perturbait l’énergie positive du lieu, l’emplissant d’ondes néfastes.
Dans un lieu tel que le jardin d’Eden, où tout n’était qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté, Samiel… faisait tâche. Et son humeur aussi.
De toute manière, dès qu’une âme, quelle qu’elle soit, avait un coup de blues ou un coup de colère, tout l’Eden était au courant, tant le lieu était réceptif aux émotions négatives.
Pierre soupira, et s’avança lentement vers l’Ange Gardien.
Celui-ci se figea net en l’apercevant, avant d’incliner gracieusement la tête en signe de déférence.
Saint Pierre était le Gardien de l’entrée du Paradis, le confident très apprécié de Dieu en personne et de Jésus Christ. De plus, sa silhouette imposante forçait le respect, et son caractère jovial lui valait d’être très apprécié.
– Que se passe-t-il, mon petit Samy ? Que signifie tout ceci ?
Avec une patience ostentatoire, Samiel lui montra sa pancarte.
– Je le vois bien, reprit Pierre, mais je voudrais savoir pourquoi.
Difficile de prendre l’Ange au sérieux en voyant ses boucles brunes, ses grands yeux verts et sa bouille de Chat Potté !
Samiel posa sa pancarte, soupira et croisa les bras dans un signe de défi.
– Je ne me sens pas soutenu par ma hiérarchie.
Une vague d’agitation fit trembler l’Eden, et Pierre songea avec amusement que pas une seule des âmes qui peuplaient ce lieu, angéliques ou mortelles, ne devait perdre une miette de leur conversation.
– Tu ne te sens pas soutenu par ta hiérarchie, répéta l’Apôtre. Explique-toi un peu mieux, s’il te plait.
Il vit avec intérêt son compagnon se mettre à rougir.
– En fait, bredouilla-t-il, il y a… ce démon. Enfin, ce déchu. Enfin, vous voyez ?
– J’ai saisi l’idée générale, répondit patiemment l’Apôtre. Alors, que fait-il, ce démon ?
Samiel se tordit les mains d’énervement.
– Il… Il… Il me tente !
Pierre retint de justesse une explosion de rire, qui n’aurait certainement pas arrangé la situation.
– Mon enfant, c’est le propre des déchus, ce sont des maitres de la tentation, c’est bien de là qu’est venue l’expression humaine «
Démon tentateur». Mais raconte-moi… Comment te tente-t-il ?
La rougeur de l’Ange s’accentua.
– Il ne cesse de me contrer, d’essayer d’envoyer les mortels dont j’ai la charge sur le chemin de la perdition. C’est très grave !
– Oui, en effet, mais c’est son job, tout comme le tien est de parer ses attaques.
Samiel baissa ses yeux verts, troublé. Sa voix s’abaissa au niveau du chuchotement, et Pierre dut tendre l’oreille pour entendre les paroles qui suivirent.
– Ce n’est pas tout… Il… Il m’a… Il m’a… embrassé… et… touché…
L’envie de rire se faisait plus pressante, mais Pierre la ravala courageusement.
– Je vois, mon enfant, fit-il doctement. Et jusqu’où… sont allés ces attouchements ?
Samiel évita soigneusement son regard, refusant clairement de répondre.
– Samy, reprit patiemment l’Apôtre, tu sais, n’est-ce pas, que le mythe des anges sans sexe n’est justement qu’une légende créée par le Paradis pour éviter d’affoler les humains ?
«
On a eu assez de bazar avec les Néphilims ! songea-t-il avec un frisson de terreur. »
– Je m’en suis bien rendu compte quand le démon m’a…, enfin, m’a…, murmura l’ange. Enfin, vous voyez ?
Pierre hocha affirmativement la tête.
Au Paradis, les anges naissaient hermaphrodites, à l’image de leur créateur, et leurs toutes premières expériences charnelles leur permettaient bien souvent de décider de leur genre final. Il y avait d'ailleurs dans l'au-delà un nombre assez équitable d’anges masculins et d’anges féminins. Et quelques-uns choisissaient même de rester hermaphrodites.
– Tu as donc fait ton choix ? demanda Pierre. Tu préfères être dans un corps masculin ?
Le « Oui » qui lui répondit ne fut qu’un souffle.
– Et ce démon tentateur, il a un nom ? reprit l’Apôtre, un sourire en coin.
Il commençait à voir d’où venait le problème.
– Il s’appelle Aziel.
Aziel… Un très séduisant brun aux yeux noirs comme l’enfer, selon l’expression consacrée. Pierre voyait très bien le personnage. Il était de l’ordre le plus inférieur du camp adverse, l’équivalent en négatif des Anges Gardiens.
«
Réjouis-toi, Raphaël, songea-t-il.
Quand il s’agit de démons et d’anges de sphères supérieures, c’est un tout autre foutoir ! »
Le Gardien ne pouvait s’empêcher de penser à la guerre séductrice et survoltée que se livraient toujours – après dix millénaires ! – le prince des ténèbres Lucifer et l’Archange Mikaël.
D’ailleurs, le Commandant Suprême de la Garnison Angélique (On en avait plein la bouche !) commençait à donner des signes de fatigue, en ce moment… Et Pierre n’osait imaginer le chambardement au Paradis si Mikaël se laissait finalement séduire par Lucifer… !
– Mon petit Samy, tu n’as pas à te sentir coupable.
– Mais j’ai cédé, Saint Pierre ! éclata le jeune brun, effrayé. Je suis coupable du péché de luxure ! Et ma hiérarchie m’a abandonné !
Pierre haussa discrètement les yeux au ciel. Sa hiérarchie avait certainement autre chose à faire que de se préoccuper de toutes les affaires de cul entre anges et démons ! C’était le genre de choses sur lesquelles on fermait soigneusement les yeux tant qu’elles ne mettaient pas en danger l’équilibre des forces.
Bon nombre d’anges avaient été perdus au profit du désir charnel, mais bon nombre de déchus étaient rentrés dans le rang au nom de la passion amoureuse ! C’était le secret de polichinelle le mieux gardé de tous les temps !
– En quoi t’es-tu senti abandonné, mon enfant ?
– J’en ai parlé à notre bien-aimé Gabriel, l’Archange régissant notre ordre, et il… s'est mis à rire ! Il riait même tellement qu'il en pleurait ! Je ne savais plus où me mettre ! Alors j’ai décidé que si l’on ne voulait pas m’écouter et m’aider, j’allais me mettre en grève !
L’Ange avait l’air passablement vexé, et Pierre s’enfonça les ongles dans les paumes pour éviter à son tour de se rouler par terre. Samiel était jeune, il n’avait guère vécu, et Gabriel n’aurait pas du réagir de façon aussi inappropriée.
Cependant, Pierre pouvait tout à fait comprendre sa réaction. Il faut dire qu’au cours des nombreux millénaires écoulés, l’Eden en avait vu bien d’autres !
Il se promit cependant d’avoir une petite conversation avec le Messager de Dieu, mais s’il connaissait bien son Gabriel, ce dernier devait déjà être en train de préparer son discours d’excuse auprès du jeune Samiel.
Gabriel était souvent moqueur et taquin, mais jamais délibérément méchant. Il n’y avait pas meilleure âme que lui.
– Samiel, ne crois-tu pas que ta réaction a été un peu… excessive ? Si tu avais laissé le temps à Gabriel de se calmer et de te répondre, il aurait pu te rassurer et t’indiquer comment te sortir de cette situation délicate…
A cette remarque, Samiel eut la bonne grâce de paraître gêné. Il rougit de plus belle.
– Je sais que je ne suis pas Gabriel, reprit le Gardien, mais si tu me le permets, je vais te donner un petit conseil…
– Bien sûr, Grand Saint-Pierre ! fit l’Ange avec empressement.
Il ressemblait à un jeune chiot, tout fou et désireux à tout prix de se faire aimer.
«
Tant qu’il ne fait pas le beau ! ricana intérieurement Pierre. »
– La prochaine fois que tu croises Aziel, délaisse donc un peu tes ouailles, elles n’en mourront pas, je te l’assure, et invite-le donc à prendre un verre avec toi. De préférence au bar d’un hôtel, on ne sait jamais ce qui peut se passer ensuite…
Samiel, à la fois outré et honteux, voulut intervenir :
– Mais… Mais… !
– Il n’y a pas de mais qui tienne ! le coupa l’Apôtre, sentant l’agacement monter en lui. Ecoute, Samy, tout le monde fait ça. Les humains, les anges, les démons ! C’est un faux débat. Sais-tu qu’Alathiel a une liaison avec le démon Abaddon ? Est-ce que ça l’empêche de bien faire son travail ? Non, car Alathiel est une pro ! Elle sait séparer job et vie privée !
La mâchoire de Samiel en tomba littéralement au sol.
– De même, Judicaël est en ménage avec l’ex-démone Sémiazah, étais-tu au courant ?! Non, et je vais te dire pourquoi, mon petit : parce qu’ils sont tous
très discrets ! Il n’empêche que ça arrive tous les jours, des histoires comme la tienne !
Pierre leva les bras au ciel, son sang bouillonnant.
– Et crois-moi, c’est autrement plus embêtant lorsqu’il s’agit de Lucifer et de Mikaël ! Pourquoi crois-tu que le premier s’obstine à essayer de coincer le deuxième dans des endroits sombres ? Certainement pas pour le tuer ! On se demande combien de temps ça va encore durer, cette histoire !
Les yeux écarquillés sous le choc, Samiel écoutait la violente diatribe. Pierre gesticulait et s’échauffait, et c’était une scène qu’on avait rarement l’occasion de voir en ce lieu sacré.
Le Gardien finit par se rendre compte qu’il n’était pas loin de se donner en spectacle, et se calma au prix d’un gros effort.
– Bon, enfin, ce que je voulais te dire, bougonna-t-il, c’est de te lâcher un peu. Ce n’est pas parce que tu t’envoies en l’air que tu vas forcément rejoindre le clan des déchus, Notre Père est plus indulgent que ça ! Et puis, peut-être pourras-tu, qui sait, ramener cette brebis égarée dans le droit chemin…
Samiel avait vraiment du mal à voir le très sensuel et provocant Aziel dans le rôle de la brebis égarée, mais peut-être Saint-Pierre marquait-il un point. Après tout, après l’avoir séduit comme il l’avait fait, Aziel aurait dû se détourner de lui, victorieux.
Au contraire, le démon ne cessait de le poursuivre et de vouloir l’inviter à sortir…
Il y avait peut-être une ouverture…
L'Ange se redressa brusquement, en proie à l’Illumination. Mais bien sûr ! Les voies de Père étaient impénétrables, mais clairement, il venait de l’investir, lui, Samiel, d’une nouvelle mission divine : séduire à son tour Aziel et le ramener dans le droit chemin !
Un vent que l’on ne saurait qualifier autrement que de «
franche rigolade » – signe que des milliers d’âmes avaient deviné la conclusion à laquelle avait abouti le jeune Ange Gardien ! – secoua le jardin d’Eden, mais tout à sa découverte, ce dernier n’y prit pas garde. Il fit disparaître sa pancarte, et attrapa la main de Pierre, qu’il secoua vigoureusement.
– Merci, Grand Saint-Pierre ! Vous m’avez ouvert les yeux ! Je ne faillirai point, je vous le promets ! Vous serez fier de moi, et Notre Père aussi !
Et dans une explosion de lumière divine, il disparut.
Pierre ferma les yeux et se frotta les tempes, sentant venir une migraine des plus féroces.
Dans sa tête, il entendait Gabriel et Raphaël hurler de rire. Même Mikaël, malgrè son humeur boudeuse, semblait amusé.
Une fois de plus, Pierre s'était fait avoir. Les Archanges s’étaient
encore débrouillés pour lui refiler la tâche de gérer une situation ingérable.
Il fallait qu’il ait une petite discussion avec Dieu.
Sur le champ.
Il commençait à se faire vraiment trop vieux pour toutes ces bêtises… !
FIN
°0°0°