Bon bah, je continue quand même
3.
Sur le départ vers Minas TirithMalgré la nuit, ses yeux d’elfe l’ont perçu avant tous les autres, son ouïe fine a reconnu sans hésitation le pas léger d’un cheval elfique. Il sait que c’est le Seigneur Elrond en personne qui se déplace en terre du Milieu, il reconnaîtrait cette façon de chevaucher les yeux fermés. Il comprend qu’il n’y a qu’une explication à sa présence en ces lieux reculés…
Arwen a décidé de rester. Arwen n’a pas quitté Fondcombe. Elle reste pour lui. Elrond vient lui remettre l’épée qui a été reforgée.Legolas est à la fois heureux pour son ami et étrangement mélancolique. Malgré son apparente jeunesse, il a près de mille ans, suffisamment pour comprendre ce qui lui arrive, ce qu’il ressent en cet instant.
- Aiya, Legolas, lui glisse le Seigneur elfe, en quittant la tente de Theoden.
- Suilad, Heru Elrond *, répond le jeune prince en s’inclinant devant lui.
(* salutations, Seigneur Elrond)
Les deux elfes se jaugent un instant d’un regard chargé de non-dits, Legolas sait qu’Elrond lit en lui, il sait aussi qu’il ne dira rien, mais ce regard sévère et perçant vaut pour un « réfléchis bien à ce que tu fais, Aragorn et Arwen s’aiment ».
Sitôt le Seigneur de Fontcombe reparti, il voit le Dunedain sortir de la tente du roi du Rohan, une main sur le pommeau de son épée, se dirigeant droit vers son cheval.
- La lame d’Elendil ? demande le blond d’une voix dont il est difficile de discerner l’intonation profonde.
Aragorn sursaute, le voit et acquiesce doucement. Il dégaine l’imposante épée devant lui, la lame acérée reflète la lune et éclaire son visage d’une lumière blanche et vacillante. Et Legolas voit dans son ami la prestance des hauts personnages de sa lignée. La mâchoire virile, parfaitement dessinée, le profil droit et fier irradiant d’une aura chaleureuse, la profondeur de son regard sauvage, sa peau légèrement mate, exhalant des parfums épicés, la douceur de ses lèvres… il détourne le regard, bien trop rapidement pour que l’homme élevé par les elfes puisse ne pas le remarquer.
- Qu’avez-vous, Legolas ? demande-t-il d’une voix grave.
- Est-il nécessaire que je vous réponde ?
Le prince de Mikwood se maudit un instant pour sa faiblesse et devant le regard orageux de son ami qui semble lire dans son cœur les émotions qui l’assiègent, il se reprend de peur d’y lire pitié et compassion.
- Allons-y ! Où donc comptiez-vous vous rendre ?
- Pas cette fois Legolas.
- Où va-ton ? demande Gimli, sorti de nulle part.
Aragorn sourit à ses deux amis, capitule et se dirige avec eux vers la faille du Chemin des Morts…
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Les âmes damnées de ceux qui avaient trahi Isildur les accompagnent désormais ; magnifique tour de force du futur Roi du Gondor qui a su braver sa peur pour convaincre cette armée de fantômes.
Il se repose à présent à l’avant du bateau qui les conduit vers Minas Tirith pendant que Gimli visite les soutes à la recherche de tonneaux de bière.
- Le siège a du commencer au Gondor, dit-il soucieux à l’elfe qui se tient à ses côtés sans avoir besoin de tourner son visage pour vérifier qu’il s’agit bien de lui.
- Et Mithrandir est à leurs côtés.
Aragorn lui sourit enfin, ramenant un peu de soleil dans le cœur tourmenté de l’elfe.
- Nous serons là à temps, adresse-t-il à ce magnifique sourire.
- Merci.
Et il sent l’accolade ferme sur son épaule. Il sent aussi la chaleur qu’elle lui procure, au travers de sa tunique et ne peut réprimer un léger frisson. L’homme semble s’en rendre compte, il retire sa main. Gêné, le prince de la forêt noire, replonge son regard sur la mer.
- Veuillez me pardonner, Estel…
- Vous n’avez rien à vous faire pardonner, mon ami.
Legolas inspire un peu plus profondément, son pouls est bien plus rapide qu’il ne le devrait mais il se sent trop coupable pour reculer, il a l’impression de le trahir…
- Vous savez bien que si.
Cette fois-ci, Aragorn ne fait pas semblant de ne pas comprendre, il a trop d’estime pour son ami, il aurait l’impression de le trahir.
- Tes sentiments m’honorent, murmure-t-il dans un souffle, mais tu sais que je ne peux y répondre…
L’elfe lui sourit. Il aime ce tutoiement dans la bouche de l’homme, il comprend la marque de considération que cela suppose, même dans un moment comme celui-ci. Il pose un doigt délicat sur le pendentif de l’Etoile du Soir autour du cou de son ami :
- Je n’ai pas besoin d’explications, je voulais juste… enfin, je ne voulais pas vous embarrasser, et savoir si je demeurais votre ami.
Il fait froid sur ce bateau, une buée légère s’échappe de leurs lèvres. Ne désirant pas se montrer trop distant, le rôdeur remet son bras autour de l’épaule de son ami, il se rapproche de lui au point que le blond, aux sens si aiguisés, sente la chaleur de son souffle sur sa peau fragile.
- Un prince des elfes me gratifie de son amitié et devient mon soutien et mon repère dans une guerre qui nous dépasse et je le repousserais parce qu’il me juge digne de son amour ? C’est à moi de m’excuser, Legolas, si vous avez cru cela.
- Vous vous moquez, répondit l’elfe rougissant légèrement.
Le brun retire à nouveau son bras pas très à l’aise finalement, il sent le parfum sucré de la peau laiteuse du blond à ses côtés, le contact léger des mèches dorées que le vent rabat vers lui et il n’est plus si sûr de ses mots.
Devant le visage si proche de cet homme si cher à son cœur, Legolas ne peut réprimer le mouvement de ses doigts qui demandent à toucher la peau cuivrée qui s’offre presque à eux. Ils effleurent la joue du rôdeur, découvrant la sensation d’une barbe humaine naissante, ils glissent dans un frôlement jusqu’aux lèvres entre-ouvertes qui laissent échapper un souffle court, ils découvrent leur douceur, leur tiédeur…
L’homme reste figé à ce contact incroyablement léger, il se raccroche aux pupilles dilatées de l’elfe, comme un marin égaré dans le brouillard à un phare… mais c’est peine perdue, l’autre ne peut déjà plus se raisonner… Son autre main plonge dans les cheveux d’ébène, avide de découvrir d’autres sensations et ses lèvres viennent se poser comme une caresse sur celles qui lui font face sans même qu’il en ait conscience. Un tremblement…
- Non, Legolas… supplie le futur Roi d’une voix tout juste audible.
Et cette voix si fragile tétanise le prince Sylvain. D’un coup, il réalise ce qu’il fait, il sent le désir mais surtout la détresse dans cette prière murmurée. Il se recule, l’estomac noué, le regard perdu et Aragorn a le temps de voir ses yeux se remplir de larmes lorsqu’il se lève prestement et de sa démarche féline s’éloigne de la proue avant du navire. Il veut le suivre mais un « Terre ! » retenti et l’arrête net.