Spéciale dédicace à Pink .
EpilogueJohnny et Evan firent l’amour toute la nuit.
Dans le lit d’abord, sur le canapé du salon ensuite, puis par terre, à même la moquette, et une dernière fois à l’aube, sur la machine à laver en marche – Johnny avait toujours eu des fantasmes bizarres.
Puis ils prirent un bain ensemble et se recouchèrent, l’un dans les bras de l’autre, repus et fourbus.
Lorsque Johnny émergea, sur le coup de midi, au milieu des draps en bataille et des coussins lacérés, la première chose qui lui vint à l’esprit, c’est que ça allait être une journée très difficile.
Non seulement il était courbaturé de partout – sûrement à cause des secousses de l’essorage – mais en plus il ne pouvait plus s’asseoir.
Pire encore, Evan, cet ingrat qui l’avait si copieusement malmené la nuit dernière, n’était plus à ses côtés. À sa place se tenaient Ping et Pong, qui le fixaient d’un air réprobateur.
« Oh non… », soupira Johnny en se mettant la tête sous les draps.
Il le savait : il n’aurait pas dû se laisser aller de cette manière la nuit dernière. Evan l'avait pris pour un garçon facile et ça l’avait rebuté. D’où son évaporation matinale.
C’est alors que Johnny se rendit compte que Ping tenait entre ses papattes une carte griffonnée de travers :
« Te fais pas de films, je rapplique illico. »
Une demi-heure plus tard, Evan revenait à l’appartement, en jean et baskets de ville, tout sourire. De mémoire de Ping, on ne l’avait jamais vu si pimpant.
Johnny l’attendait sur le paillasson, boudeur, le nounours Chanel dans les bras :
« Où que t’étais ? » demanda-t-il d’une voix peu amène.
Evan s’esclaffa :
« On est ensemble depuis hier et tu sors déjà le rouleau à pâtisserie ?
– Et toi, tu fais déjà des mystères ! » riposta Johnny, la lippe retroussée.
Ses beaux yeux clairs lançaient des éclairs :
« Je VEUX savoir où tu étais !
– T’énerve pas, darling, tenta de l’apaiser Evan. J’suis juste… euh… descendu acheter des clopes…
– Parce que tu fumes ? grogna Johnny, le menton calé entre les deux oreilles du nounours.
– Nan, mais j’ai pas d’autre prétexte de disponible… »
Johnny lança le pauvre nounours à la tête d’Evan et partit se claquemurer dans sa chambre.
Un quart d’heure plus tard, après une dispute qui fit trembler les fondations de l’immeuble, ils se réconciliaient sur l’oreiller.
Malgré ses efforts, Johnny n’avait pas réussi à tirer les vers du nez d’Evan.
L’obstination de celui-ci à garder le silence sur ses activités de la matinée l’intriguait. Et plus encore l’air de satisfaction nigaude qu’Evan arborait depuis son retour.
*
Johnny était en train de passer l’aspirateur pour la troisième fois de la journée – ce fichu sapin de Noël semait ses épines partout – lorsqu’un objet insolite attira son attention :
« Evaaaaaaaaaaaan !
– Murmf ?
– C’est quoi, çaaaaaaa ? »
Johnny montrait du bout du doigt un minuscule paquet, suspendu à une branche du sapin par un ruban argenté. Il venait seulement de découvrir sa présence, car l’objet était presque totalement enfoui dans une guirlande.
« C’est ce que je suis allé chercher tout à l’heure », répondit Evan sans bouger de son canapé.
Les yeux de Johnny s’écarquillèrent : c’était donc ça ?
« Mon… mon cadeau de Noël ? » demanda-t-il en tremblant de joie – Evan avait donc eu la délicate attention de penser à lui ?
Mais qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Le paquet n’était pas plus gros qu’une boîte d’allumettes et sans doute très léger car la branche ne ployait pas sous son poids
« C’est ça, hein ? C’est mon cadeau de Noël ? insista Johnny, qui mourait d’envie de l’ouvrir.
– Pas forcément, répliqua Evan avec un sourire subtil.
– Hein ? couina Johnny. C’est pas pour moi ?
– Murmf.
– Tu me fais marcher, là !
– C’est pour toi, le rassura Evan, de plus en plus amusé. Seulement je ne comptais pas te l’offrir spécialement pour Noël.
– Alors je ne suis pas obligé d’attendre ? trépigna Johnny. Je peux regarder ce que c’est, diiiiiiiiis ?
– Mais oui, gros curieux… »
Johnny s’empara du paquet, tira sur le nœud et arracha voracement le papier avec les dents. Une petite boîte cubique lui roula dans la main. Johnny la soupesa :
« Mais qu’est-ce que… »
Il pressa un petit bouton doré et, comme par magie, l’écrin s’ouvrit.
Sur un lit de velours blanc reposait un anneau d’or ciselé. Johnny le prit entre ses doigts et, l’approchant de ses yeux, il retint sa respiration. Quelque chose était gravé à l’intérieur. Quand il déchiffra les deux noms, Johnny manqua de s’évanouir.
Heureusement Evan avait bondi du canapé pour le rattraper par les aisselles :
« Il faudra le rapporter au bijoutier pour qu’il rajoute la date, lui souffla-t-il à l’oreille.
– Evan, Evan, Evan…, ne cessait de répéter Johnny, en extase.
– Ça veut dire oui ? »
*
Lorsque Johnny annonça à Evan son intention de prendre Stéphane comme témoin de mariage, celui-ci réagit à sa manière : en lui faisant une scène.
Les portes claquèrent, une boule à neige fut brisée en mille morceaux, un cadre dégringola du mur et, si Johnny ne s’était pas héroïquement interposé, Ping et Pong auraient fini horriblement écartelés.
« Mais arrête d’être jaloux comme ça, Evanounet ! C’est ridicule… ! »
Evan ruait dans les meubles comme un taureau dans l’arène.
« J’suis pas jaloux !!! C’est juste que j’suis sûr que tu l’aimes encore !!!
– Mais non, choupinou, je t’assure… je n’ai plus une seule photo de lui. J’ai tout brûlé, souviens-toi. Même la mèche de cheveux que je lui avais piquée dans le train, alors qu’il dormait.
– Tu prends qui tu veux, ton frère, ton père, ma grand-mère, le mec qui fait les carreaux en face, ton bidule à grandes oreilles, mais pas ce péteux suisse, tu m’entends !!!
– Mais enfin, mon roudoudou, Stéphâââne est un vrai gentleman. Et tu sais bien qu’il n’a jamais eu de sentiments pour moi…
– Ça pourrait lui prendre d’un coup, comme dans les films !!! Et puis arrête de me donner des surnoms ridicules, ça m’énerve !!! »
Johnny avait capitulé, pour sauver sa vaisselle.
Mais il envoya tout de même un carton d’invitation à Stéphane.
Qui lui répondit un mois plus tard, via facebook, qu’il ne viendrait pas. Vu qu’il épousait à la même date son champion de formule 1.
« Péteux suisse, va ! », maugréa Johnny en fermant la page.
*
On entendit un affreux bruit de casseroles. Une rolls blanche s’arrêta net devant la maison des parents de Johnny.
Pare-brise immaculé, chromes fourbis, carrosserie lustrée à la cire, la voiture de location étincelait sous le soleil de juin.
Des nœuds de tulle et des ballons roses ornaient les rétroviseurs et les poignées des portières.
Les invités se pressaient à la fenêtre du salon en poussant des clameurs d’admiration.
« Waouh !, s’exclama Tara en secouant sa capeline.
– Mais c’est un vrai carrosse ! renchérit Paris.
– Il ne manque plus que la princesse, grommela Christina en jetant un regard éloquent à sa montre. Vu comme c’est parti, on ne sera jamais à l’heure à la mairie ! »
Ivre de fierté maternelle, elle n’arrêtait pas de tripoter les épaulettes d’Evan.
Deux hommes en costume étaient assis à l’avant du véhicule : le chauffeur et un vieux monsieur qui semblait être le photographe.
« Z’ont pas fini de ronger leur frein, compatit Evan. On pourrait peut-être leur offrir un pot ?
– J’ai toqué à la porte de la salle de bains, intervint Patti, visiblement embarrassée. Johnny m’a assuré qu’il en avait pour une minute.
– Il a dit ça il y a combien de temps ? rétorqua sèchement Christina.
– Euh… quinze ou vingt minutes, confessa Patti en se tordant les mains. Je… je vais peut-être aller lui dire de se dépêcher. »
Tandis que Patti s’éclipsait, Christina rajusta la lavallière de son fils :
« Tu es parfait, mon chéri, le complimenta-t-elle.
– Oh ouiiiiiiiii, s’extasia Tara en se collant à lui. Vous portez tellement bien le costume ! »
Evan repoussa l’intruse d’un coup de coude. Perchée sur des talons de douze centimètres, Tara fit trois pas de côté avant de manquer de se vautrer dans une plante verte.
Assis sur le canapé, les pères assistaient stoïquement à la scène, une bière à la main.
Patti revint en jurant ses grands dieux que son fils allait arriver d’une minute à l’autre. Elle évoqua un obscur problème de fer à friser.
Au bout d’un quart d’heure, ne voyant toujours rien venir, Evan décida de défoncer la porte de la salle de bains à coups de poing :
« Johnnyyyyyyyyyyy !!! Urge un peu, tout le monde t’attend !!!
– Pas la peine de cogner comme ça !, cria Johnny à travers le panneau. C’est ouvert ! »
En soupirant, Evan tourna le bouton et poussa la porte.
Il découvrit Johnny debout devant son miroir à ampoules, tout de blanc vêtu, qui achevait de laquer son monumental postiche Pompadour.
« J’ai presque fini, mon amour », minauda-t-il en guise d’excuse.
La tablette de verre au-dessus du lavabo était jonchée de fioles, de flacons, de pots, de bombes, de palettes de fards de toutes sortes.
Mais ce n’est pas cela qui attira l’attention d’Evan, qui se figea brusquement sur le seuil, la bouche grand’ ouverte.
Il cligna des yeux à plusieurs reprises.
« Mais, mais, mais… qu’est-ce que tu as fait à Pong ? bégaya-t-il en pointant l’index vers la pauvre créature. Ses oreilles sont toutes tire-bouchonnées !!!
– Ca s’appelle une mise en plis, Evanichou, le corrigea Johnny. Tu as vu le joli col en dentelles que je lui ai mis ? »
Le regard d’Evan obliqua vers la papatte droite de Pong, cousue à celle de Ping, lequel arborait un nœud papillon en satin noir.
L’accoutrement du Chanel, posté à quelques centimètres de là, n’était pas moins curieux : il avait le cou engoncé dans une cravate piquée d’une broche aux couleurs de la Pennsylvanie.
« Murmf, commenta Evan, vaguement sidéré.
– Ils sont élégants, n’est-ce pas ?
– Ce… ce sont nos damoiseaux d’honneur ?
– Nan, ce sont les futurs mariés, rectifia Johnny.
– Hein ? se récria Evan. Mais ils sont trois !
– Pfffff, se moqua Johnny. T’as rien compris !!! Ping et Pong sont ensemble et Nounours joue le rôle du maire.
– Un panda avec un cheburashka, c’est pas un peu mal assorti, comme couple ?
– C’est sûr qu’ils ne risquent pas de se reproduire…
– Un peu comme nous en somme… »
À cet instant, un hurlement strident leur transperça les tympans.
« C’est quoi, ça ? hoqueta Johnny, dont la Pompadour s’était lamentablement effondrée.
– Ma mère, soupira Evan. Je crois qu’elle est en train de s’engueuler avec la tienne.
– C’est inadmissiiiiiiiiiiiiiible, s’époumonait Christina dans le salon.
– Vous êtes qui, pour me donner des leçons !!! » s’égosillait Patti.
Johnny courut séparer les belligérantes.
Avant de quitter la salle de bains, Evan caressa la tête des peluches.
Sans s’en rendre compte, il avait fini par s’attacher à ces petites bêtes de chiffon et de polystyrène.
*
En décembre de la même année, Johnny et Evan s’envolèrent pour la Russie.
Ils devaient participer à un spectacle donné à l’occasion des fêtes de fin d’année, une sorte de comédie musicale sur glace – encore une idée de Tara.
Evan n’avait accepté que pour faire plaisir à Johnny. Il était devenu affreusement casanier.
Johnny avait emmené avec lui une malle pleine des innombrables peluches qu’on lui avait offertes pendant sa carrière.
Le jour de Noël, ils se rendirent dans un orphelinat de la banlieue de Moscou.
Toute la matinée, ils avaient distribué des pandas et des cheburashka aux enfants.
En rentrant à l’hôtel, Johnny avait pleuré. Et Evan l'avait consolé.
*
Au printemps, ils revenaient adopter une petite fille.
FIN