Qui a dit que j'aimais les couples improbables ?
Puisqu'on a jamais autant d'inspiration que lorsqu'on n'a pas le temps, voici un petit quelque chose pour me détendre. Et vous détendre aussi, j'espère !
Un peu triste. Mais après "Le sens de la vie", je pouvais difficilement faire pire, rassurez-vous.
The Killers - Human
There is no message we’re receiving
Let me know is your heart still beating
Are we human?
Or are we dancer?♣♣♣♣♣
Looping se fichait bien des railleries de Barracuda et Futé. Il était habitué, après tout. Que ce soit pour Billy, son chien invisible, ses conversations avec quelques fantômes ou le fait qu’il soit, en ce moment même, en train de valser seul à proximité du feu. Fermant les yeux, il se laissa emporter par la musique grésillant d’une vieille radio bricolée, réalisant quelques pas maladroits, les bras placés autour d’un partenaire imaginaire.
Entraîné par le rythme, il ne remarqua guère que les rires avaient brutalement cessés. Soulevant une paupière puis l’autre, il découvrit Hannibal, souriant, qui glissa ses mains dans les siennes, suivant la même chorégraphie. S’adaptant assez mal, Looping se doutait qu’ils avaient l’air deux fois plus ridicules qu’auparavant. Néanmoins, Futé et Barracuda ne riaient plus.
Hannibal. Son Colonel, son boss. Le seul qui l’écoutait réellement, en dépit de ses excentricités. Un homme qui forçait le respect des trois mercenaires et s’imposait naturellement. Cette situation étrange était la plus évidente des preuves : les moqueries avaient cessés dès l’instant où il était entré dans la danse.
Les cheveux gris, courts, étaient entièrement décoiffés par le peu de vent qui balayait ce fond de vallée. La peau se plissa aux coins des yeux rieurs, d’un bleu pétillant. L’odeur de tabac et de poudre piquait au nez de Looping.
Dans une autre vie, Hannibal aurait été un briseur de cœur, un charmeur, il en était sûr. Et le pilote était même certain qu’il aurait pu damner le pion à Futé à plusieurs reprises. Mais il n’était peut-être pas tout à fait objectif, dépita le Capitaine, le visage frappé d’un demi-sourire.
Revenant à cette chanson, il démarra le compte à rebours : il lui restait deux refrains, un couplet pour savourer cet instant si particulier. Il sentit la main de son supérieur, dans le creux de son dos, tandis que ses doigts se recroquevillaient sur les siens. Haussant un sourcil, visiblement amusé, Hannibal ne soupçonnait rien du trouble qu’il causait à Looping. Le cœur battant la chamade, le pilote fixait les lèvres enserrées autour du cigare, envieux de ce fichu cubain. Elles lui donnaient envie d’y déposer les siennes et puis, très certainement, de partir en courant.
Oscillant de l’arrière de sa tête à la chute de ses reins, le Colonel promenait sa paume calleuse et rêche, brossant parfois furtivement la nuque découverte de son subalterne. Cette sensation particulière lui rappela le contact du sable lors de ses trop rares escapades vers l’océan. Attendri, Looping balaya les environs : Futé et Barracuda s’était réfugié dans le van. Quelques bribes de leur conversation s’échappaient de la portière ouverte. Peu importe : il ne restait qu’un seul couplet et le pilote entendait bien en profiter.
Rêvassant à des scénarios dignes des plus mauvais films Hollywoodiens, il se rapprocha spontanément du visage de son supérieur, concentré sur ses pas. Hannibal le regarda en coin, sans reculer ni réagir. La valse devint finalement un enlacement où ils se déplaçaient parfois d’un pas, effort ultime pour discerner le jeu de la véritable caresse.
Frissonnant, l’estomac de Looping se noua. La chanson venait de balancer ses dernières notes. Hannibal s’immobilisa aussitôt mais ne repoussa, en revanche, pas son Capitaine. Tentant le tout pour le tout, Looping écarta le cigare et posa ses lèvres sur la bouche entrouverte. Muet de surprise, le Colonel ne refusa guère le présent. Lui volant un baiser chaste, fugace, Looping recula légèrement, gêné mais heureux. Hannibal lui offrit un sourire franc et appuya, complice, sur la visière de sa casquette, lui masquant en partie la vue.
Caché derrière son couvre-chef, les yeux de Looping ne reflétèrent aucune tristesse. Juste un peu de dépit, peut-être, lorsqu’il découvrit la chance malheureuse des fous : on leur pardonne tout. Mais personne ne les prend jamais au sérieux.
♣♣♣♣♣
_________________
Kami 2.0 || «Il ne faut jamais faire de littérature, il faut écrire et ce n'est pas pareil.» C. Bobin