Merci beaucoup pour vos coms!!
4. REPAIRE SECRETMon cœur a fait un sacré bond dans ma poitrine. Mais pas vraiment de surprise. Je n’ai même pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s’agit. Cette voix grave, railleuse, je la reconnais parfaitement.
David Miller, qui a visiblement l’art des apparitions soudaines, se trouve à quelques mètres de moi, appuyé nonchalamment contre l’embrasure d’une porte qui donne sur un petit salon. Il a l’air serein et aguicheur avec son petit sourire narquois et ses yeux pétillants. Un bon point pour lui, il est seul. Aucune fille pendue à son bras en vue.
Parfait.
Il n’a pas fait de gros efforts vestimentaires, juste un simple pantalon de toile blanche et une chemise de la même couleur, mais il est quand même à tomber par terre. Et moi je sens une espèce de boule au niveau de la gorge, rien qu’à le voir.
Et puis j’ai un peu chaud aussi, mais ça vient sûrement du fait que je suis trop habillé pour la saison.
Je souris bêtement, incapable de répondre. A dire vrai, je ne suis pas sûr de ma voix alors je préfère me taire.
« Je me demandais justement si j’allais te voir par ici. » lance-t-il.
« Err…Eh bien d’habitude, je m’arrange pour éviter d’atterrir dans ce genre d’endroit mais cette fois, j’ai pas pu y échapper. »
« Une prise de conscience soudaine envers notre planète ? »
« Non, une mère enquiquineuse. Et puis les Johanssen sont des amis de longue date. »
Il a l’air un peu surpris.
« Ah ouais, tu connais la maison, alors. »
« On peut dire ça. Et toi, qu’est-ce que tu fais là ? Tu te planques ? »
Il jette un coup d’œil autour de lui, comme pour s’assurer que personne ne l’écoute.
« Ouais, je suis à l’affût des minettes…Si une passe trop près de la porte, hop-là, à l’intérieur. »
Il rigole avant d’ajouter rapidement. « Non, en fait, je traque les petits fours. »
« Pardon ? »
Il se penche légèrement en arrière, tend le bras et l’instant d’après me montre une poche, remplie d’une flopée de petits fours, entassés à la va-vite. Je le fixe d’un air ébahi. Mais qu’est-ce qu’il va faire de tout ça ?
« Tu luttes contre l’obésité précoce chez les jet-setteurs en leur piquant la nourriture ? Ou contre la surconsommation ? Ou alors tu es boulimique peut-être ? »
Il rigole franchement puis affiche un air mystérieux.
« C’est une histoire un peu compliquée. »
« Et tu ne vas pas me la raconter ? »
« Si, bien sûr, mais pas ici. »
Il redépose son butin sur une petite table de la pièce, à l’abri des regards.
« Un verre, peut-être ? » propose-t-il en me désignant le bar.
J’accepte d‘un petit signe de tête, mais je suis encore curieux de savoir ce qu’il cache. Il s’éloigne, fait signe au serveur, récupère deux cocktails et revient aussitôt. Il me tend un verre et réengage la conversation.
« J’ai aperçu ta mère. Elle avait l’air heureuse. »
« Oui, c’est parce qu’elle va refaire sa salle de bains. »
Il sourit, sans avoir vraiment compris l’allusion, mais il a vite saisi qu’une histoire particulière se cache derrière mes paroles. Et connaissant sa mère, il doit savoir ce que c’est de vivre avec une personne tellement imprévisible.
On échange encore quelques banalités sans intérêt, puis le silence s’installe entre nous, comme une semaine auparavant, dans son appartement. Appuyé contre le mur, près de lui, je sirote mon cocktail, une espèce de boisson bleue pas mauvaise du tout. Je ferme à demi les yeux et laisse couler le moment, savourant la présence du jeune homme à mes côtés.
Près de nous, à moitié cachés par une énorme plante verte, un couple se chamaille sur un canapé. Une espèce d‘asperge toute sèche qui reproche à son mari de lui avoir renversé du champagne sur sa fabuleuse tenue de gala. Bref, de la lui avoir ruinée. Apparemment elle ne connaît pas le détachant…Le pauvre homme tente bien de l’aider à nettoyer mais dans sa précipitation, il ne fait qu’empirer la situation.
La dispute devient hilarante entre ces deux-là. J’écoute malgré moi et j’ai bien du mal à me retenir d‘éclater de rire. Je jette un coup d‘œil à David qui se mord la lèvre inférieure, les yeux rivés sur le sol et commence à devenir dangereusement écarlate. Il relève les yeux et je lui lance un clin d’œil. C’est un véritable miracle qu’on ne parte pas en vrille sur un fou rire.
C’est fou ce que je savoure cet instant. J’adore cette atmosphère complice.
Quand soudain…« Oh, Aaaaaron ! »
Oh non... Cette voix…
Rachel Jones.
Merde. Pas elle. Pas ici. Pas maintenant.
Je sens le monde s’écrouler autour de moi et pourtant je ne l’ai même pas encore aperçue. J’entends des petits pas pressés et l’instant d’après, Rachel déboule dans mon champ de vision en se dandinant, aussi vite que ses talons aiguille démesurés le lui permettent. Elle porte une robe ultra courte recouverte de paillettes qui la font ressembler à une boule à facettes de discothèque ambulante. En arrivant vers moi, elle freine et commence à se déhancher d’une manière excessive comme une…Non, mieux vaut que je garde mes réflexions pour moi.
Dans ma tête, c’est la panique et la mort cérébrale immédiate. J’essaie de sourire, de dire bonjour, de bouger. Sans succès.
« Ah, tu es là ? »
C’est tout ce que j’ai pu dire finalement. Avec un enthousiasme et une délicatesse à faire peur. Et avec un ton si sec que ça renvoie les bougonnements de mon père au rang de tendre gazouilli.
« Oui bien sûr, Je t’ai envoyé un mail pour te prévenir, tu ne l’as pas vu ? »
Zut. Tout compte fait, il faudrait peut-être que je prenne l’habitude de les lire, ses mails…Ne serait-ce que pour éviter de tomber nez à nez avec elle sans m’y attendre.
« Heu…Non…Mon…Mon ordi est tombé en panne.. »
C’est la première excuse bidon qui me traverse l’esprit. Absolument minable. Même un gamin aurait deviné l’entourloupe. Mais on parle de Rachel. Elle, elle gobe tout du début à la fin.
« Oh, mon pôoovre. Il faut absôoolument que tu me préviennes dès que tu en auras reçu un nouveau, eh ? »
Ses ô trainants et sa voix perchée me donnent mal à la tête. Derrière moi, je sens le regard moqueur de David. Et je devine son hilarité. Je décide de mettre un point final à tout ça. Et c’est avec un ton plus posé et plus calme que je continue, pour la rassurer et faire qu’elle se taise
« Bien sûr. Pas de souci. Je fais ça dès que je le reçois. Sûrement demain ou après-demain. »
C’est un joli tissu de mensonges. Elle peut toujours courir pour que j’essaie de la contacter, tiens.
« Tu ne me présentes pas ton ami ? » roucoule alors la trouble-fête.
Du calme, du calme, du caaalme !
« Eh bien voilà David. David, voilà Rachel. »
Rachel laisse échapper un petit gloussement.
« Salut…Je suis une très bonne amie d’Aaron. »
Hein ? Non mais pourquoi elle lui sort ça maintenant.
« Oh, vraiment ? » réplique David, l’air intéressé.
J’espère que mon visage n’est pas aussi rouge que je le crains…
« Euh Rachel, je suis désolée mais nous devons y aller. Tu nous excuses ? »
« Déjà ? Mais…Vous allez où ? »
« On va parler…affaires. Des trucs d’hommes. Hein, David ? »
Mes derniers mots sont accompagnés d’un regard appuyé et entendu. David se mord les lèvres pour ne pas rire.
« Oui, d’hommes, c’est ça. »
J’entraine David vigoureusement par le bras, en parlant dans ma barbe, assez bas pour qu’elle ne m’entende pas.
« Filons d’ici, par pitié. »
« Ouais, mais pourquoi… »
« Les questions après, si tu permets… »
Je ne me retourne pas et je fonce, le poignet de David toujours broyé entre mes doigts. Je ne parle plus, j’essaie juste de mettre le plus de distance possible entre moi…entre nous et ce cauchemar. Quand j’estime que nous sommes enfin en sécurité, je m’arrête enfin et lâche mon compagnon qui se frotte le bras. Apparemment, j’ai serré vraiment trop fort …
« Eh bien, » commence-t-il, étonné, « Est-ce que c’était vraiment la peine de courir comme ça ? Est-ce que c’est une manière de traiter son amie ? »
« Ce n’est pas mon amie. Ni même une amie. Tout juste une connaissance. »
« Pourtant elle est très jolie et très…vive. »
« C’est une vraie blonde. »
« Et alors ? »
« Et alors, s’il existe un représentant parfait de chaque stéréotype sur cette terre, alors elle est l’incarnation même de la ravissante idiote. Et terriblement casse-pied aussi, si tu vois le genre. Bordel, j’arrive pas à m’en défaire. Quelle plaie, cette fille ! »
J’ai dit tout ça d’une traite, sans reprendre ma respiration. Je suis hors de moi, pour le coup. J’ai besoin de me calmer. C’est incroyable comment certaines personnes arrivent à me sortir de mes gongs. Comme ça, juste par leur présence.
« Viens, on va trouver un endroit plus tranquille. » propose David d’un ton neutre.
« J’adhère totalement à cette idée. »
J’aperçois un couloir…Si je me trompe pas, celui-ci nous mène directement à la cuisine. Je commence à me mouvoir dans cette direction.
Mauvaise manœuvre. Des 200 personnes présentes dans la propriété à ce moment précis, c’est ma mère qui arrive, accompagnée de Jane et de Liz. Pour l’instant, on est encore cachés parmi les invités mais dans peu de temps, on va finir inévitablement par se croiser.
« Merde. Ma mère. Manquait plus qu’elle. »
Je me retourne, à la limite de l’affolement mais c’est pour constater que David a disparu. Bon sang, c’est quoi cette histoire ? Ils se sont tous mis de mèche pour me rendre dingue, c’est ça ?
Ma génitrice et ses deux acolytes ont l’air passablement excitées, ce qui veut sûrement dire que le discours du gala va bientôt commencer…Quelle chance…Il faut que je trouve un endroit où me cacher le temps qu’elles passent, sinon elles risquent de m’entrainer avec elles sur l’estrade ou pire, elles vont me demander de dire quelques mots.
Non…
Je sens soudain un souffle chaud contre mon oreille puis une main qui se pose sur mon avant-bras.
« Viens, suis-moi. » fait David dans mon cou.
« Hein…Où ? »
« T’inquiète. Suis-moi. »
Pas la peine de me le répéter deux fois. Je le suis sans réfléchir, en slalomant entre les gens et rapidement, on se retrouve dehors, à l’écart de la foule. Du coin de l’œil, je vois qu’il a réussi à récupérer son sac de provisions.
On traverse le jardin, lui devant, moi sur ses talons. Et on commence à s’éloigner un peu trop de la demeure principale, là. Bon sang, il m’amène où ?
En quelques secondes, mon cœur s’accélère, j’ai la gorge sèche, les mains moites et je ne peux m’empêcher d’avoir des idées mal placées…
Dans ce genre de situation, impossible de ne pas laisser mon imagination s’emballer.
Nous arrivons finalement près d’une petite maison, une de ces petits pavillons de luxe que Josh a fait construire pour ses invités. Dans la pénombre, je ne distingue pas grand-chose. Les volets sont clos. Il n’y a pas le moindre bruit.
Puis David frappe trois fois à la porte sans attendre. Quelques secondes plus tard, la porte s’entrouvre, laissant passer une lumière douce. Une tête apparaît dans l’embrasure, celle d’un jeune homme aux cheveux ébouriffés.
« Kurt, c’est moi », murmure David.
Le dénommé Kurt s’efface pour nous laisser passer et je suis David à l’intérieur. On se retrouve aussitôt dans un petit salon. La pièce sent le tabac, l’alcool, la nourriture et la chaleur humaine.
En face de moi, au beau milieu de la salle, j’aperçois une table de poker, avec un tapis d’une belle couleur verte, recouvert de jetons et de cartes. Partout autour sur les meubles s’entassent des bières vides, des emballages de chips et des amuse-gueule vides.
Il ne me faut pas longtemps pour saisir ce qui se passe ici.
« Ah, je comprend mieux ton vol des petits fours. »
David me lance un sourire malicieux et tend le bras vers l’homme qui nous a ouvert.
« Je te présente Kurt Delpiero. »
L’intéressé s’approche et me tend la main.
« Enchanté. Aaron Darko. »
« Et voilà Paul Johanssen »
Un jeune homme blond au teint pâlichon se lève pour m’accueillir.
« On s’est déjà croisé je pense. Je suis le neveu de Josh.
Je hoche la tête en souriant. Oui, je me souviens vaguement de lui, des vacances en Grèce, il me semble. C’était il y a longtemps, c’est un peu flou dans ma mémoire.
« Bienvenu dans notre salle de jeux clandestine. » déclare David avec une fierté feinte.
Je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire.
« Ok, je vois. C’est comme ça qu’on supporte la soirée. »
« T’as tout pigé. Notre repaire secret pour échapper à la torture. »
Je lorgne la table avec intérêt.
« Vous jouez de l’argent ? »
« Ouais, mais pas de sommes faramineuses. C’est plus symbolique qu’autre chose. »
Il me désigne une chaise vide d’un regard engageant.
« Alors, ça te dit ? »
Un peu que ça me dit, tiens.
Quelques minutes après, nous voilà tous les quatre installés. J’ai enlevé ma veste et ma maudite cravate qui me serre le cou et m’étouffe depuis le début. Je me sens à l’aise, clope au bec, bière à portée de main. Je suis dans mon élément. Je me laisse aller et j’oublie mes soucis.
L’ambiance est bonne enfant. On rit, on s’interpelle joyeusement. Moi qui suis d’habitude si asocial, je n’ai aucun problème pour m’entendre avec mes nouveaux compères. Paul est marrant, blagueur. Kurt est plus réservé mais tout aussi sympathique. Deux fils de bonne famille qui aiment bien « dévier des règles ».
Le temps passe vite dans cette pièce. La partie est serrée et plus je bois d’alcool, plus j’ai du mal à conserver un visage neutre, ce qui pour le poker est des plus ennuyeux.
David est assis en face de moi. Il me sourit souvent, m’envoie des clins d’œil. De temps en temps, il étend ses longues jambes sous la table et frôle les miennes. Entre ça et l’alcool me monte un peu à la tête, je suis sur un petit nuage.
Au bout d’un moment, je me demande quelle heure il est. Un coup d’œil à ma montre m’apprend qu’il est presque deux heures du matin. Waou, c’est fou comme le temps file quand on s’amuse. Nous en sommes maintenant à une énième main et je viens de me coucher pour cause de paire de sept minable. Pareil pour Kurt, qui affiche une mine déconfite devant ses cartes. Restent David et Paul en course. Ce dernier abat ses cartes sur la table.
« Allez regarde. Et pleure ! » s’écrit-il joyeusement avant de déposer son jeu à découvert.
Une suite. Rien que ça.
« Eh merde ! » fait David en rigolant et en abattant son full. « T’es vraiment verni toi ce soir. »
Moi aussi je me marre. Je suis crevé, j’en peux plus, mais je suis heureux.
« Eh bien les enfants », intervient Kurt, « Je pense que c’était la dernière pour moi, il se fait vachement tard. »
« Idem. »
Tout le monde est d’accord et nous mettons un terme à la partie. Bilan de la soirée : Paul nous a battus à plate couture.
Maintenant, il faut ranger tout le bordel autour de nous…On va en avoir au moins pour une heure…
N’empêche, ça a été une soirée parfaite !
Révélation N°8 : David et moi avons un autre point commun : nous aimons jouer aux cartes.
Bien que nous soyons franchement nuls, il faut l’avouer. Moi je me sens aussi un peu rouillé.
Mais comme on dit…Malheureux au jeu…