La suite... Alors, cette fois, vous êtes prévenues: ce ne sera pas très gai non plus. Mais, Cybelia, tu auras l'occasion d'imaginer Emmanuel Moire dans le rôle de Louis. ^^
Chapitre 13
– Ah, mon frère ! Je pensais vous trouver chez Mère...
La voix de Louis parvint comme assourdie à Philippe, dont l'esprit semblait flotter dans un brouillard de détresse.
– J'en sors, répondit-il d'une voix atone. Mais, si vous souhaitez me parler aussi, pas maintenant, je vous en prie.
– Oh, mais qu'avez-vous ? s'écria Louis, effaré de découvrir le visage baigné de larmes de son cadet. Vous étiez si heureux ces derniers jours... Mère aurait-elle découvert votre secret ?
Philippe hocha simplement la tête. Il aurait aimé pouvoir s'échapper, mais Louis n'était pas disposé à le laisser partir si vite.
– Et elle vous a sermonné, j'imagine ? C'est toujours ce qu'elle fait pour moi... Mais venez donc. Ce sujet ne peut être abordé au milieu d'un couloir.
Il marchait déjà en direction de son cabinet de travail, et Philippe le suivit machinalement, incapable de trouver un prétexte pour se dérober. De toute façon, où qu'il aille, son chagrin le suivrait, alors autant obéir...
– Bien, reprit le Roi, à peine entré dans la pièce. Dites-moi tout, Philippe. Il y a bien quelqu'un, avouez-le !
– Oui, mais...
Philippe n'hésita qu'un bref instant. Après tout, au point où il en était...
– ... ce n'est pas une femme, précisa-t-il en regardant son frère avec une sorte de défi.
Louis eut un mouvement de recul, détourna les yeux comme pour chercher une réponse appropriée quelque part sur un mur, puis se recomposa une expression royale, toisant son frère de toute sa hauteur.
– Je ne puis prétendre que cela me surprenne, admit-il enfin. J'espérais me tromper mais, à l'évidence...
Il laissa la phrase en suspens, et Philippe en profita pour tenter de lui faire comprendre qu'il ne servirait à rien de l'accabler de reproches.
– Louis, je regrette de vous déplaire, mais c'est ainsi. Ou, plus exactement, je suis ainsi. Et lui aussi.
Le Roi ne perdit pas contenance, cette fois. Il resta immobile et muet, telle une statue au regard accusateur. Puis, au bout de ce qui sembla une éternité, il laissa tomber un seul mot :
– Mancini ?
C'était à peine une question. Philippe confirma d'un simple oui.
– Eh bien...
– Cette famille a le don de plaire à la nôtre, je sais, commenta Philippe, citant le comte de Guiche.
L'impassibilité de son frère s'en ressentit à nouveau.
– Pardon ?
– Quelqu'un m'a dit cela un jour, s'empressa d'expliquer le prince. Et il faut admettre qu'il n'avait pas tort... même si, désormais, Mère semble furieuse contre le Cardinal.
Comme toujours, il parlait trop. Et Louis fronçait les sourcils, se posant visiblement des questions sur le sens de ses paroles.
– Oh, n'allez pas croire.... balbutia Philippe, très rouge. Ce n'était pas à cela que je pensais.
– Moi non plus, déclara hâtivement le Roi.
Les deux frères gardèrent le silence pendant plusieurs secondes. Philippe s'interrogeait. Qu'avait sous-entendu cet "eh bien", alors ? La réponse était presque évidente, mais tout de même étonnante, compte tenu de l'interdit qui pesait sur l'évocation de cette histoire.
– Louis ?
On aurait cru entendre le petit garçon qui, une dizaine d'années plus tôt, se tournait vers son aîné chaque fois que quelque chose lui échappait. Mais, à l'époque, Louis n'avait jamais attendu les questions avec l'appréhension qui se lisait maintenant sur son visage. Et, d'ailleurs, ce que le Petit Monsieur s'apprêtait à lui dire n'avait plus rien de commun avec ses préoccupations d'enfant.
– Mère dit que Mazarin avait ordonné à Philippe de... "gagner mon amitié"... et que ce n'était pas la première fois qu'il confiait une telle mission à l'un de ses neveux...
Il ne savait même pas pourquoi il tenait à en parler. Qu'espérait-il ? Que Louis le comprendrait ? Il ne pourrait jamais. Pourtant, à la façon dont le Roi prononça malgré lui le prénom français qu'il avait donné à Paolo Mancini – "Paul ?" –, son frère sut qu'il comprendrait au moins un peu.
– Vous savez, poursuivit-il alors, Philippe se demandait pourquoi Paul avait fait cela, et...
Un éclair de panique passa dans les yeux de Louis.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Bien sûr, il nierait...
– Je pense que si, mais vous préférerez certainement que j'évite de le dire clairement, remarqua Philippe.
Le Roi lui lança un regard furieux, mais sa colère cachait mal la confusion dans laquelle l'avait plongé la révélation.
– Philippe, quoi que l'on vous ait raconté... commença-t-il, bien décidé à sauver sa réputation.
– Louis, je sais, coupa Philippe avec insistance. Et vous ne devriez pas montrer tant d'embarras face à moi, dès lors que...
Lui non plus ne finit pas sa phrase, mais ce ne fut pas son frère qui l'interrompit : il s'arrêta de lui-même et, un instant plus tard, fondit en larmes une nouvelle fois.
Louis hésita longuement, planté devant lui sans savoir que faire. Puis il se décida enfin à avancer d'un pas et à lui poser sur l'épaule une main qui se voulait réconfortante. Philippe, toutefois, ne s'en contenta pas : interprétant le geste comme un signe que son frère avait renoncé à feindre l'indifférence, il se jeta littéralement dans ses bras.
– Vous comprenez, n'est-ce pas ? Dites-moi que vous comprenez ! l'implora-t-il, toujours sanglotant. Vous aimiez Paul... Pas comme j'aime Philippe, mais vous l'aimiez. Sans cela, vous n'auriez jamais...
Louis l'écarta brusquement, serrant un peu trop fort les doigts sur ses bras, et exigea qu'il le regarde avant de déclarer gravement :
– Philippe, c'est la première et la dernière fois que j'en parle. Paul était mon ami, nous étions très proches, j'étais très jeune et je ne savais pas ce que je faisais... Maintenant, j'apprécierais que vous me laissiez oublier cette erreur. Et tâchez d'oublier la vôtre.
– Mais ce n'était pas une erreur ! protesta Philippe.
Non, jamais il ne pourrait voir les choses ainsi. Les quelques semaines qu'il avait passées avec Filippo avaient été les plus heureuses de sa vie. Il aurait donné n'importe quoi pour ignorer encore que tout était basé sur des mensonges.
– Plus un mot à ce sujet, Philippe, ordonna Louis en le conduisant vers la porte. Oubliez.
Philippe renonça à insister et sortit sans rien ajouter. "Plus un mot", d'accord – il se tairait. Mais "oubliez" ? Qui Louis pensait-il donc pouvoir tromper ? Même lui, il n'avait pas oublié. Sans doute était-ce seulement l'ami qu'il regrettait, et c'était moins pénible parce qu'il l'avait déjà perdu depuis longtemps, mais lui aussi avait été choqué d'apprendre que Mazarin avait tout manigancé pour Dieu savait quelle obscure raison. Quant à leur mère, elle en voulait au ministre, mais pas au point de réclamer son renvoi.
"Eh bien..."
Étaient-ils donc tous incapables de se soustraire à la fascination qu'exerçait sur eux cette famille d'Italiens ?
~ * ~
Trop tard... Comme Alfonso regrettait, maintenant, d'avoir commencé par demander conseil à Maria ! S'il était allé parler directement à Filippo, il aurait perdu moins de temps et aurait peut-être pu voir la Reine avant qu'elle révèle à Philippe ce qu'elle croyait être la vérité.
– Vous n'y êtes pour rien, le rassura Filippo. C'est notre oncle qui est la cause de tout. Sans lui...
Il se tut brusquement. Avant même de prononcer les mots suivants, il venait d'en réaliser pleinement le sens. "Sans lui, rien ne serait arrivé." Rien du tout. Il n'aurait pas perdu Philippe, parce qu'il ne l'aurait jamais eu.
– Tout de même, insistait Alfonso. A quelques minutes près... J'aurais pu arriver avant lui.
– Mais la Reine n'aurait probablement pas accepté de vous recevoir alors qu'elle l'attendait, observa Maria.
Filippo ne dit rien. Il ne les écoutait pas. Il ne sentait même plus vraiment la main que Maria avait posée sur la sienne et remarqua à peine celle qu'Alfonso glissait dans l'autre. Il était bien trop occupé à se demander s'il regrettait ou non d'avoir accepté la fameuse mission.
Chaque instant passé avec le prince avait tellement compté... Il ne pouvait pas souhaiter ne les avoir jamais vécus. Mais qu'en restait-il, maintenant ? Philippe devait le haïr et, en même temps, souffrir autant que lui. Quel gâchis !
– J'aurais dû tout lui dire dès le début, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour les autres.
Oui, s'il fallait regretter quelque chose, c'était cela : ne pas avoir expliqué la situation plus tôt, quand il pouvait encore espérer que Philippe comprendrait. Mais il avait mis trop de temps à s'apercevoir qu'il risquait de perdre beaucoup plus qu'un ami, et plus les semaines passaient plus il devenait difficile d'aborder le sujet.
– Vous devriez au moins essayer de lui parler maintenant, conseilla Alfonso d'un ton grave qui seyait mal à sa voix d'enfant. Ou, si vous préférez, nous irons, Maria et moi...
Maria approuva d'un signe de tête. Elle aussi, bien sûr, souhaitait ardemment pouvoir rendre à son frère le garçon qu'il aimait.
– S'il accepte de vous voir, je suppose que... commença Filippo.
Un coup frappé à la porte l'interrompit et, un instant plus tard, Olimpia haussait les sourcils en découvrant ses frères et soeur rassemblés près de la table de travail, Filippo toujours sur la chaise et les deux autres à ses pieds, tous plus affligés qu'elle ne l'était elle-même pour une raison personnelle.
– Quel tableau pathétique ! s'exclama-t-elle, moqueuse, n'obtenant en réponse qu'un regard noir en triple exemplaire. C'est à croire que vous connaissez déjà la nouvelle...
De noirs, les regards se firent interrogateurs. Ou plutôt carrément stupéfaits. Elle ne pouvait pas savoir, tout de même ?
– Quelle nouvelle ? finit par demander Maria.
– Nous rentrons à Paris dès demain, annonça sa soeur sans cacher sa contrariété. Il semble que Zio Giulio ait eu un léger différend avec la Reine.
"Un léger différend" ? On voyait bien qu'elle n'avait pas entendu les cris de colère ! S'il n'avait été si désolé pour son frère, Alfonso aurait bien ri. D'ailleurs, même Filippo échangea avec Maria un coup d'oeil vaguement amusé.
– Et il nous renvoie tous pour cela ? questionna-t-il ensuite, apparemment très calme.
– Oui ! confirma Olimpia avec humeur. Et tout est de votre faute !
De nouveau, les trois autres levèrent vers elle des yeux où se lisaient la stupeur et, moins visible mais tout de même bien présente, une inquiétude grandissante.
Si elle savait, tout le monde saurait. Et Philippe risquait de penser que la Cour entière se moquait de sa naïveté depuis bien longtemps.
– Ma faute ? répéta Filippo d'un ton égaré. Dans un sens, oui, peut-être, mais...
– Et pourquoi serait-ce sa faute ? protesta Maria, agacée, en se levant pour marcher sur sa soeur. Cela pourrait tout aussi bien être la vôtre : la manière dont vous tournez autour du Roi est proprement scandaleuse !
Olimpia eut un rire bref, plein de condescendance.
– Seriez-vous jalouse, petite soeur ?
Les deux garçons se regardèrent puis levèrent les yeux au ciel avec ensemble. Ah, ces filles !
– Vous êtes celle qui jalouse toujours les autres, ma chère, répliqua Maria comme ils s'y attendaient. Au mariage de Laura, par exemple...
S'ils les laissaient continuer, la dispute pourrait durer des heures. Filippo envisagea de les mettre dehors pour avoir la paix, mais Alfonso intervint avant lui :
– Cela ne nous dit toujours pas pourquoi vous teniez Filippo pour responsable de la querelle qu'a eue Zio Giulio avec la Reine, rappela-t-il à Olimpia en s'interposant entre les deux soeurs.
– Oh, c'est vrai ! s'exclama alors l'interpellée. J'avais un message particulier pour Monsieur le Poète...
Contournant les deux autres, elle se planta devant Filippo avec un demi-sourire qui ne laissait présager rien de bon.
– Vous ne resterez pas à Paris bien longtemps, car notre oncle a décidé que vous feriez carrière dans l'armée. Ce pourrait être un honneur mais, vous connaissant, il est certainement conscient que ce n'est pas ce que vous auriez choisi. Alors ? Qu'avez-vous fait pour qu'il veuille vous éloigner ?
– Si je vous le disais, vous ne le croiriez pas, répondit seulement son frère.
Elle n'obtint rien de plus. Plongé dans ses pensées, Filippo l'ignora complètement.
L'armée... Oh, pourquoi pas ? Après tout, si Philippe ne l'aimait plus, peu lui importait de quitter la Cour. Maria lui manquerait, mais les autres... Alfonso serait bientôt au collège, Ortensia et Marianna au couvent ; il voyait de toute façon rarement Laura Vittoria ; être loin d'Olimpia, de leur mère et, surtout, de leur oncle ne risquait pas de le déranger... Peut-être même finirait-il par gagner leur estime en mourant, comme Paolo, au service d'un pays qui n'était même pas le sien. Et peut-être que Philippe le regretterait, s'il préparait une lettre d'adieux suffisamment convaincante.
* * *
Pour la fin, ma soeur a dit Mais hé, l'autre, ça va pas d'avoir des idées pareilles?! Espèce de guimauve... 'Mon mec ne veut plus me voir alors je préfère mourir', c'est presque ça. Ah là là!, alors je précise que ce n'est pas qu'il préfèrerait, mais juste qu'il s'en ficherait un peu - et qu'il arrive même à y trouver un bon côté (gagner l'estime de sa famille, être enfin l'égal de son frère aîné aux yeux de leur mère). Mais, de toute façon, c'est le choc, ça va passer.
Dernière édition par Cybèle Adam le 29 Avr 2010 14:32, édité 2 fois.
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