POV R. J. Lupin / C’est l’histoire d’un loup-garou qui fait de la dépression nerveuse...
Où suis-je ? Jamais je n’ai eu les moyens de posséder un lit aussi vaste - qu’est-ce que j’en aurai fait, d’ailleurs ? C’est pas comme si.... Oh, non. Je suis chez Wilhelmina. Elle m’a laissé sa maison londonienne, maintenant qu’elle réside à demeure dans le nord. C’est gentil. Elle m’a même laissé une elfe de maison, plutôt bizarre, en fait. Je ne sais pas si c’est elle qui doit veiller sur moi ou l’inverse ! C’est du Will tout craché, ça. Elle pense peut-être que chacun assurera la thérapie de l’autre. Mff. C’est drôle à dire, mais elle est parfois optimiste ! Ca, on l’aurait jamais cru, en première année à Poudlard, quand... Oh non. Ma tête. Faut que je me lève.
C’est bien ce que je pensais, je n’ai pas encore du évacuer tout ce whisky, j’arrive pas à marcher droit. Merlin ! Faut-il être stupide pour se faire un mal pareil ! C’est à se demander comment j’ai réussi à attendre ce pieu, hier soir. Enfin, je vais quand même essayer d’atteindre le miroir accroché à côté de la porte, ne serait-ce que pour constater l’étendue des dégâts...
Ah oui. Quand même. Je me suis rarement vu aussi ravagé. Non seulement j’ai les cheveux gris et des rides plein la figure, comme d’habitude quoi, mais là, je fais peur à regarder. Ohlàlà, les poches sous les yeux ! Et les yeux eux-mêmes, la vache, on voit plus le blanc, c’est soit jaune soit rouge. Tout gonflés. Paupières rouge vif. Barbe pas rasée. Tâches douteuses un peu partout. Et l’ensemble des traits complètement affaissés, comme fondus. Plutôt qu’hier soir, c’est peut-être ce matin que je suis allé me coucher ! On dirait que j’ai pas dormi trois heures. Pourtant, je devais être crevé ! Oui, mais, c’est vrai que j’ai pas émergé du sommeil du juste. Si je me suis réveillé sans savoir où j’étais, c’est à cause de... Beuh. Pas bien. Je vais me passer de l’eau froide, ça devrait améliorer les choses. De toutes façons, il faut pas penser aux cauchemars en plein jour. Sinon on tombe dans la dépression, Will me l’a bien dit. Elle a bien fait de faire des études chez les Moldus : maintenant, elle peut horriblement bien expliquer les névroses de tout le monde et le mieux du mieux, c’est qu’aucun guérisseur de Sainte-Mangouste peut les soigner après ! Riche idée, vraiment !
La salle de bain est fraîche, avec tout ce marbre partout. Allez, je dois pas lui en vouloir, c’est pas sa faute si je suis dans cet état ce matin. Ou les autres matins. Quoiqu’il est peut-être l’après-midi, maintenant ? Bof. Tant pis. Ouais, après tout, elle essaye de m’aider, peut-être plus que n’importe qui, alors qu’elle s’en est pris plein la figure, elle aussi. Je ne sais pas si je pourrais la remercier un jour. L’eau fait du bien, en tout cas. Je me sens plus net. Allez, tâche de remettre un peu d’ordre dans ta vie, Rémus, mon vieux Lunard. Arrgh, bordel, j’aime pas ce nom ! Je supporte pas d’être le dernier des Maraudeurs vivant, tu m’entends, je le supporte pas ! Pourquoi ! Pourquoi moi ! J’suis qu’un foutu loup-garou, j’aurai du crever le premier, agoniser dans un bois quelconque, j’aurai pas du survivre à tout ça ! Pourquoi ! Pourquoi ! Pourquoi vous êtes partis.... Pourquoi vous m’avez laissé... Vous aviez promis... Tu m’avais promis...
Et voilà, je suis à genoux sur un tapis de bain vert et blanc à chialer comme un môme, c’est limite si je bave pas, histoire de bien montrer que je suis un monstre. Comment j’ai pu en arriver là ? Je peux pas continuer comme ça, faut que je trouve un boulot, que je fasse quelque chose. Un boulot. Peut plus, avec cette saloperie de loi. Bon, ça sert à rien de s’apitoyer, je vais encore recommencer à gueuler tout seul et je déteste ça. Je vais faire quelque chose. Ranger la chambre, tiens ! Ca me fera du bien d’être dans un lieu propre et ordonné. Je suis sûr que mon cerveau suivra le même chemin , c’est arythmantique.
Alors... Par où on commence, d’abord ? Le lit... Incroyable, il pèse une tonne, ce matelas, j’arrive à peine à le soulever ! Ca me donne l’impression d’avoir aucune force, plus aucun muscle dans les bras. J’ai peut-être visé trop haut. Je vais d’abord ramasser le linge qui traîne. Wah, c’est crade ! J’ai porté une robe aussi dégueulasse ? Faut la laver d’urgence, sinon, c’est sûr, plus personne pourra la ravoir. Mais, euh... Où ? Comment je lave les vêtements, ici ? Il faudrait que je demande à l’elfe. Comment elle s’appelle, déjà ? Do...y... Non, Dobby, c’est le copain de Harry, celui qui collectionne les chaussettes. Voyons voir. Je suis sûre que je connais le nom de cet elfe. Ah ! oui.
- Winky ?
J’ai ouvert la porte et j’ai crié son nom depuis le palier. Je suis pas sûr qu’elle me répondra. Elle aussi à des problèmes de boisson, j’ai cru comprendre. Quoique j’ai jamais vu quelqu’un se pinter à la Bierraubeurre ! Enfin... J’imagine que pour elle, c’est très fort...
Elle est arrivée, finalement. C’est drôle, contrairement à moi, on dirait qu’elle a repris du poil de la bête, depuis qu’elle est là. Du poil de la bête, ahah, ça devrait me concerner moi, pourtant ! Ah ! Quelle bonne blague ! J’en pleurerait de rire, tiens. D’ailleurs faut que je m’essuie les yeux, j’y vois vraiment plus très bien. Ouhlà, j’inquiète Winky, voilà qu’elle me demande ce que j’ai en me regardant par en-dessous, comme tous les gens qui apprennent ce que je suis. Oh ! Stop, Rémus ! Ca suffit, la paranoïa, cette elfe est moins aussi décomposée que toi ! Soit aimable, un peu !
Je lui dis que je ne sais pas quoi faire des vêtements sales, parce que je veux ranger la chambre et... en fait, que je sais pas très bien comment faire. Je ne suis pas chez moi, c’est vrai ! Elle a l’air contente, tout d’un coup.
- Monsieur a bien essayé !
M’appelle pas monsieur. Je le mérite pas. Sans la potion que Rogue continue de m’envoyer tous les mois de Poudlard, par hibou spécial, je serais moins qu’un fauve enragé. Rémus. Ca suffira bien comme ça. Au moins, je me souviendrai peut-être de mon prénom.
En tous cas, l’elfe a l’air contente d’avoir quelque chose à faire, elle aussi. Comme elle voit que je reste paumé, elle me propose son aide.
***
Winky et moi, on a réussi à remettre de l’ordre. Mais elle a vu que j’étais pas bien, alors elle est partie faire un peu à manger, parce qu’elle dit qu’on a l’impression que je vais tomber dans les pommes. C’est bien possible, ma foi, je ne sais pas depuis combien de jours j’ai avalé un truc solide. Ces derniers temps, je carbure à l’huile de noix, comme dit Kingsley. Ah, Kingsley, un bon pote, celui-là. Dans un autre monde, on aurait pu aller écluser quelques bières tranquilles, lui et moi, en sortant du boulot... Je suis sûr que j’aurais eu le niveau pour être Auror. Mais voilà, je suis une bête ! Alors, pas de carrière d’Auror, le petit loup-garou... Quand j’ai rencontré Kingsley, j’étais déjà suffisamment moche pour savoir qu’il y avait peu de chances que ça s’améliore. Et finalement, lui aussi m’a laissé tombé, il y a quelques temps. C’est étrange que je pense à lui, assis là, vautré, plutôt, dans un des somptueux fauteuils en cuir du salon où j’ai attendu l’aube cette nuit. Il me manque. Ca aussi, c’est bizarre. On a pourtant jamais été hyper proches. Pourtant, je sais pas, j’avais l’impression qu’on était sur la même longueur d’onde et qu’il le ressentait, lui aussi. Faut dire qu’il est séduisant... Je devrais peut-être essayer de me ressaisir deux trois jours et aller lui faire une petite visite. Moui. Je vote Kingsley Shackelbot !
Mais pas maintenant. La pleine lune est dans trois jours, je vais être encore plus décati que je ne le suis maintenant. Tous les soirs, c’est la même chose, je regarde par la fenêtre jusqu'à ce que je vois la lune, qui grossit, grossit, toujours plus. Tous les soirs j’espère que pour une fois, pour ce mois-ci, je vais avoir un peu de répit. Mais y a toujours aucune magie ni aucun souhait qui puisse arrêter la course du monde. La lune est là. A chaque fois plus ronde.
Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?
Rien. Bien sûr. Je n’étais qu’un gosse. Ce n’était pas de ma faute. C’est « l’ironie du destin » dont parlait si bien Malefoy, quand il a découvert ce que j’étais, après mon année à Poudlard. Dire que l’ordure a poussé le vice jusqu'à m’écrire une lettre d’insulte alors que j’avais déjà démissionné. Faut-il que ce soit un maniaque. J’espère que l’un des autres le réduira en friture, un de ces quatre matins. Allez, cette guerre éclatera bien un jour ! Ca fait deux ans que Voldemort s’est découvert, on ne devrait plus attendre bien longtemps. Même si je risque de ne plus être là à ce moment. Je me sens si faible ! J’ai l’impression que je pourrais m’envoler avec un simple coup de vent, si je sortais de cette maison. Que la pluie qui bat contre les carreaux suffirait à me dissoudre. C’est le mois de mars, dehors. Rien de réjouissant, ça me rapproche de juin et... Et ça, je ne veux surtout pas y penser. Deux ans. Deux ans déjà. Deux ans ! Comment j’ai pu tenir jusque là ?
Machinalement, ma main a repris le chemin de la bouteille de pur malt qui gît abandonnée le long de ce meuble confortable et je m’aperçois que je me suis calé dedans plus profondément, le haut du corps tassé, les jambes allongées en travers de l’ombre projetée par les fenêtres ruisselantes sur le tapis. C’est si facile... Je soupire en considérant l’étiquette qui me promet de plonger sans heurt vers l’hébétude et l’oubli, vers des cris du corps assez évidents à entendre pour faire cesser toutes les autres rumeurs. Vers un délire si profond qu’il néglige les hurlements de douleur... Si je me transformais définitivement, peut-être que je trouverais cette paix.
Je ne sais pas comment j’ai fait pour reposer cette bouteille sans la déboucher. Tout ce que je comprend, c’est que j’entends les pas de Winky et que je me sens coupable de m’être laissé allé alors qu’elle a supporté sa propre détresse pour m’aider. Est-ce qu’elle aussi cherche à oublier ? Je sais qu’elle travaillait pour Croupton et que ça c’est assez mal terminé. Est-ce qu’on a la même histoire ? Il faudrait que je lui demande.
***
J’ai mangé. Je ne me souviens pas de ce que c’était, mais ça m’a requinqué. Winky est restée avec moi, pour vérifier que je ne me sentais pas mal, ou parce qu’elle aussi en a assez d’être seule. Alors, on a parlé. Ou au moins, on a essayé. Je lui ai demandé, Winky, t’es triste ? Ca sonnait horriblement faux, mais je n’arrivais pas à trouver d’autres mots. Je crois que je perds de plus en plus mon vocabulaire. Faut dire que je ne sais pas depuis combien de temps j’ai pas parlé à un être humain. Ou même à un hybride dans mon genre. Winky, ça va, elle est à ma portée. Elle a compris ce que je lui disais. Mais du coup, elle s’est mise à pleurer en hoquetant. Tout son corps tremblait sans retenue, ses bras ballants même pas accrochés au tabouret sur lequel elle était assise pour se retenir de tomber. Je ne sais pas comment elle est restée dessus, finalement. Voyant qu’elle n’arrivait pas à parler, je lui ai dit :
- C’est à cause de ton ancien maître ?
Comme Croupton est mort dans des circonstances tragiques, je pensais que c’était son décès qui avait du l’affecter à ce point. Mais je me trompais. D’un coup, elle est sortie de son silence larmoyant et elle s’est accusée de l’avoir trahi, de l’avoir laissé tout seul à un moment où il avait terriblement besoin d’elle. Elle a même essayée de se punir en se tirant sur les oreilles, mais on aurait dit qu’elle aussi n’avait plus vraiment de force. Pourtant, même si elle devait pas se faire mal, ce n’était pas un spectacle réjouissant. Je ne savais pas comment la faire arrêter, alors, je l’ai prise sur mes genoux et je l’ai serrée contre moi pour l’empêcher de se débattre. Vu mon état, c’est tout ce que je pouvais faire, mais ça a quand même marché. Elle a arrêté de bouger et s’est tenue là, apathique. Moi, je n’avais même plus la volonté de bouger les bras pour lui rendre sa liberté, alors on est resté comme ça un moment. J’avais presque plongé dans le sommeil, quand elle m’a demandé d’un coup :
- Le monsieur Rémus est triste aussi ?
Avec une violence incroyable, toutes mes émotions me sont revenues d’un coup. Je me suis replié sur elle en accusant le choc. Je ne voulais pas en parler, mais Merlin sait pourquoi, je me suis retrouvé à lui répondre :
- Oui. Oui... Le loup-garou est comme l’elfe, il a mal dans son cœur. Si mal.
Je n’ai rien pu ajouter. C’était trop. Mais elle a eu l’air de comprendre. On est redevenu silencieux et immobiles. On a attendu. Quand la nuit est arrivée par les fenêtres qui nous faisaient face, je me suis dit que je ne voulais pas voir la lune. Pas encore une fois. Qu’est-ce que ça changerait ? De toute façon, elle serait fidèle au poste, inexorable dans son avance. Il faudrait que j’y passe dans trois jours et que je sois là ou pas pour le constater n’y changerait absolument rien. Alors j’ai pris une décision, pour la première fois depuis des semaines et ça m’a fait l’impression d’inspirer d’un seul coup une grande goulée d’air frais. Je me suis tourné vers Winky et je lui ai dit :
- Winky ? Je ne me sentais pas très assuré, mais j’ai continué quand même. On va dormir ? Juste... dormir ?
Elle a du comprendre ce que je voulais dire, parce qu’elle n’a pas hoché la tête tout de suite et quand elle l’a fait, ça a été très lentement, de haut en bas et puis de bas en haut. Ca m’a fait plaisir. Ce soir, on avait signé un pacte. Elle comme moi, on allait essayer de dormir - et de ne pas boire. Elle s’est extraite avec difficulté du fauteuil. Je l’ai suivi. Arrivée au bas de l’escalier qui monte à ma chambre, elle s’est retournée et m’a déclaré solennellement :
- Bonne nuit, Rémus Lupin.
Il y avait de la gravité et de la confiance dans son regard. Ca m’a fait du bien. Je suis monté, en meilleur état que depuis plusieurs jours. J’ai posé mes vêtements sur une chaise. J’ai volontairement évité la baie vitrée qui aurait pu me révéler la vie nocturne du centre de Londres. J’ai ouvert le lit. Je me suis glissé, nu, entre les draps blancs qu’on avait changé le matin. Je me suis endormi presque instantanément.
Et maintenant, il est trois heures du matin, je suis de nouveau dans ce fauteuil si profond qu’on croit y disparaître, j’ai vidé la bouteille entamée à laquelle j’en ai ajouté une autre, pleine d’Old Firewhisky. Je ne sais pas comment j’échappe encore à un coma éthylique. Possible que la terreur d’être à nouveau la proie du sommeil me maintient à la lisière de la conscience. J’ai le sentiment d’avoir atteint un détachement clinique morbide. Je suis capable de me dire que j’ai suffisamment bu pour ne pas avoir froid, alors que je suis toujours dans le plus simple appareil, comme je me suis couché, en fait, puisque tout à l’heure j’ai bondi de mon lit pour atteindre cette pièce avant de réfléchir à quoi que ce soit. Je me sens sale. Et malade. Mais il n’y a que l’alcool qui m’empêche de rêver. Je n’en peux plus. J’ai envie de m’éteindre, tout serait fini, tout serait tellement plus simple... Peut-être que... Peut-être qu’on rejoint des gens quand on passe à son tour de l’autre côté. Peut-être que je pourrais les revoir. Peut-être qu’il m’aura attendu...
***
Le soleil cogne contre mes paupières closes et une sourde douleur pulse régulièrement au niveau de mon mollet droit. Sur la frange du réveil, je me demande ce qu’il se passe. Peut-être que je suis en retard pour donner mon cours ? Non, c’est vrai, cette période-là est terminée depuis longtemps. Depuis, il y a eu la loi, et puis le ministère... Oh non. C’est vrai que maintenant, c’est Will qui... Ca suffit, il faut que je me réveille. J’ai mal au crâne.
Le soleil me crucifie les deux yeux dès que je les ouvre. Je réitère l’opération. Ca passe un peu mieux. Je me rend alors compte que c’est Winky qui tape sur ma jambe depuis tout à l’heure. Je m’aperçois aussi que j’ai revêtu mon costume d’Adam, pourquoi diable... ? Et que je suis dans le salon. Merlin, c’est pas vrai. La pauvre elfe me regarde d’un air rageur, sa déception est inscrite sur chacun de ses traits. Oh, Merlin. Winky, Winky, je suis désolé, pardonne-moi, j’ai fait un cauchemar, oh, s’il te plaît, ne me regarde pas comme ça... Elle reste silencieuse, butée. Quand j’essaye de m’approcher d’elle, je m’effondre lamentablement sur la tapis où je me râpe douloureusement les genoux. Winky... J’aimerais tellement faire quelque chose pour que tu me pardonnes. Toi, tu ne t’es pas relevée pour boire, cette nuit, c’est écrit sur ton visage. Je veux me rattraper. Je sais ! Je vais me laver ! Et puis... Et puis...
Soudain, l’idée jaillit, lumineuse.
- Winky, hier, on a rangé ma chambre, alors aujourd’hui, on pourrait ranger la tienne !
Elle est surprise, mais je suis content. Je ne lui laisse pas le temps de répondre et je file en haut, histoire de me récurer un peu et de retrouver une mise décente. J’ai trouvé ! C’est une bonne idée. Ca va nous occuper. Je n’aurai pas besoin de penser, comme ça.
Il est apparu que Winky n’avait pas de chambre. Je réalise que cette pauvre elfe vit depuis trois mois sous un tuyau d’eau, dans la buanderie. Pourtant, ça n’est pas une maison où on maltraite les elfes, ici. Il y en avait deux avant notre arrivée et chacun possédait une petite pièce, propre, coquette même, aménagée avec ce qui ressemblait à de petits meubles de poupée. Mais la pauvre n’a pas voulu s’y installer, rongée sans doute par la culpabilité et le remords dont elle m’a fait part hier. Voir sa pitoyable tanière m’a fendu le cœur. D’après ce que Dumbledore et Arthur ont pu en raconter, la pauvre n’était absolument pour rien dans le tragique destin des deux derniers Croupton. Mais à priori, ce n’est même pas la peine d’aborder le sujet avec elle : elle est vraiment convaincue que tout est de sa faute. Je voulais quand même faire quelque chose pour elle, pour qu’elle se sente un peu mieux, si c’était possible. Alors j’ai pris une décision. Pas de doutes, Will savait ce qu’elle faisait en nous rassemblant ici ! Ca me fait à chaque fois rager d’admettre qu’elle ait raison quand elle me manipule, mais il faut avouer que c’est peut-être ma dernière chance. Winky a perdu quelqu’un dont elle était responsable. J’ai besoin de quelqu’un qui veille sur moi, comme je l’ai encore montré hier. Et je suis aussi quelqu’un de dangereux. Winky était tout à fait dans ce genre de situation, chez son ancien maître.
Je me suis agenouillé devant elle pour amener mon visage à hauteur du sien et je l’ai saisi aussi doucement que possible par les deux bras. Je lui ai dit :
-Winky, j’ai honte pour cette nuit. Je suis désolée. Mais je ne suis pas bien, pas bien du tout.
La suite a été plus difficile à amener. J’ai eu pendant un instant la gorge noué, j’ai failli renoncer. Mais j’avais déjà gâché tant de choses, je ne pouvais pas me permettre de laisser passer cette chance. Après tout, n’avais-je pas voté Kingsley, hier ! Je me suis racroché à ça.
- J’ai... j’ai eu un gros chagrin d’amour. (Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire à cette formulation) J’ai besoin d’oublier. Mais c’est dur. Si je n’ai pas quelqu’un pour me surveiller... je ne sais pas si je pourrais arrêter. Il y a autre chose, aussi ; je suis un loup-garou, tu le sais. A cause de ça, je dois faire très attention, tous les mois. Je ne dois pas sortir et surtout, surtout, je ne dois pas oublier de prendre une potion bien particulière. J’aimerais que tu m’aides à faire tout ça.
Elle n’a pas répondu tout de suite. Malgré mes explications hésitantes, elle avait compris que j’étais très sérieux et sa grosse tête triste avait repris l’air grave que je lui avais vu la veille, avant de me quitter. Sa réponse m’a étonné.
- Tout le temps ?
- Comment ça ?
- Rémus Lupin veut que Winky l’aide tout le temps ? Pour toute sa vie ?
La question était importante. J’ai réfléchi. Est-ce que Winky cherchait un nouveau maître, ou n’était-elle décidée à m’aider que jusqu'à ce que j’aille mieux, pour qu’elle puisse ensuite vivre sa vie à sa façon ? J’avais peur de faire le mauvais choix. Mon dernier espoir de guérison résidait peut-être dans cette elfe de maison. Mais avant d’avoir vraiment pesé le pour ou le contre, je me suis rendu compte de ce qu’était ce choix pour moi. J’aurai toujours besoin de quelqu’un. Je le savais, maintenant. Je ne serai jamais un sorcier normal. A double titre. Sans aucun doute je mourrais loup-garou et sans avoir perdu la mémoire. Je ne suis pas allé au-delà de cette constatation.
-Pour toujours, Winky.
Je m’étais jeté à l’eau. Merlin, pourvu qu’elle accepte au moins un peu ! Plus aucun sorcier ne pouvait me tirer de ce bourbier. Personne ne savait. Personne ne devait savoir. Et avec la guerre, ils ne pouvaient pas se permettre de traîner un boulet comme moi à leur suite.
Encore une fois, elle prit le temps de réfléchir avant de répondre. Une fois de plus, elle me surprit.
- Winky aimerait être aidée par Rémus Lupin pour toujours.
Nous nous étions trouvés. A partir d’aujourd’hui, ça ne pourrait qu’aller mieux. Qui sait, maintenant ? Peut-être qu’un jour je pourrais enfin m’arrêter sur cette irritante boucle d’oreille que porte Kingsley, comme faite exprès pour me narguer ? Peut-être qu’un jour en suivant du doigt la ligne sinueuse d’un de ses superbes muscles, j’oublierai un instant celle du perpétuel évadé qui continue d’arpenter ma mémoire...
_________________ Cat
Donnez-moi un elfe... A enduire de miel... Donnez-moi un elfe... (sur un air connu)
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