Pov Mozart
La nuit avait été agitée. Après le départ précipité de Salieri, qui sonnait comme une insulte froide et perfide en mon être désœuvré, j’avais passé la soirée dans une auberge, enchainant inlassablement les verres d’alcool jusqu’à ce que le propriétaire me mette à la porte de son établissement. Trop ivre pour rentrer, j’avais passé la nuit dehors, dormant sur la ruelle pavée.
Je m’étais réveillé avec un terrible mal de tête, une envie de vomir soutenue et une colère noire. Mon esprit, pourtant encore embrumé par le sommeil éthylique auquel je m’étais adonné sur cette ingrate couche, n’avait qu’un seul objectif pour la journée : aller trouver Salieri pour m’expliquer avec lui. Mais je ne pouvais pas le faire dans cet état. Ma propre odeur me donnait la nausée et mes vêtements étaient dans un état déplorable. Déterminé à me rendre chez le compositeur Italien qui m’avait brisé le cœur au plus vite, je marchai d’un pas décidé en direction de ma demeure.
_ Wolfgang !s’écria Constance dès que j’eu passé la porte de chez moi. Mais où étais-tu ? Je me suis fait un sang d’encre !
_ Plus la peine de t’inquiéter pour moi, grognais-je. Fait tes valises et rentre chez ta mère, je te paie le transport.
Si l’élu de mon cœur ne m’avait pas autant humilié la veille, j’aurais certainement agit avec bien plus de délicatesse et de tact, mais comme on dit : « Avec des si on referait le monde ».
_ Quoi, mais Wolfgang…, balbutia Constance choquée. Mais qu’est-ce qu’il t’arrive mon chéri ?
_ Je ne t’aime plus. J’aime quelqu’un d’autre, alors pourquoi continuer à se voiler la face.
C’était rude et vraiment inhumain de parler ainsi mais je n’étais pas d’humeur. Moi qui m’étais presque toujours trouvé chanceux en amour, voilà qu’un homme me reniait mon amour alors que je n’avais encore jamais rien éprouvé de si fort. C’était douloureux…très douloureux…
_ Mais…
_ Non !la coupais-je. Pas de « mais », je ne t’aime plus alors pars avant que je dise des choses que je pourrais regretter.
Sans lui laisser le temps de pleurnicher plus, je me rendis dans la salle d’eau et, à l’aide de mes domestiques qui me portèrent de l’eau chaude, je me débarrassai de la crasse qui tapissait ma peau. Une fois séparé de l’odeur nauséabonde récoltait à l’auberge de la veille, je m’habillai avec soin et pris un rapide déjeuner avant de me rendre à la demeure de l’Italien qui m’avait offensé.
Comme je m’y attendais, ce fut son majordome qui m’ouvrit. En bon domestique, il savait parfaitement qui j’étais et s’inquiéta de la colère noire qu’il lu sur mon visage encore marqué par la fatigue.
_ Maestro Mozart, me salua-t-il assez froidement. Monsieur ne vous attendait pas. Veuillez patienter ici le temps que je l’informe de votre présence.
_ Du temps je n’en ai plus à perdre, m’énervais-je en le bousculant pour entrer.
_ Monsieur !s’écria-t-il choqué. Vous ne pouvez pas !
Je m’avançai vivement dans l’entrée, parcourant des yeux les portes pour deviner lesquelles dissimulaient le salon où je pensais que l’élu de mon cœur brisé siégeait en cette heure. Arrivant devant une double porte en bois magnifiquement sculptée, je les ouvrais violemment, toujours coursé par le majordome de Salieri. Le maître de maison était effectivement là, allongé sur un épais tapis, devant un feu illuminant ses traits. Il reposait sa tête sur les jambes pliées de sa compagne, qui jouait avec ses cheveux en plaisantant avec lui. Une nouvelle vague de jalousie m’assaillit en le voyant si heureux en sa compagnie. Son rire envahit mes oreilles, serrant mon cœur d’une façon détestable.
_ Toutes mes excuses Monsieur, je n’ai pas pu le retenir.
Salieri releva les yeux vers moi, affichant un air clairement contrarié. Il se releva souplement et aida sa compagne à en faire de même. Cette dernière m’adressa un sourire doux, visiblement contente de me revoir et de pouvoir être présentés.
_ Va te reposer Maria, lui ordonna-t-il avec douceur. Je te rejoins dans que j’ai fini.
_ Mais, je croyais que…, protesta-t-elle.
_ S’il-te-plaît, l’interrompit l’Italien. Fais ce que je te dis.
Maria afficha une moue fâchée et le compositeur Italien déposa un bref baiser sur son front avant de l’inciter d’une pression sur son dos à quitter la pièce. Salieri congédia son majordome avant de poser son regard meurtrier sur moi. A quoi m’attendais-je en même temps ? Déjà que nos rapports étaient houleux en temps normal, il n’allait pas m’accueillir à bras ouverts alors que je venais le déranger dans un moment paisible.
_ Mozart, me reçut-il avec une froideur glaciale. Ne vous a-t-on donc pas appris les bonnes manières ?
_ Oh ! Voyez-vous ça ? Monsieur Salieri estime avoir des leçons à donner !le provoquais-je. Mais n’est-ce pas lui qui est parti avant même la fin de la représentation d’un collègue ?
_ Je vous en prie !ricana-t-il sombrement. Nous ne jouons pas dans la même cour Mozart.
_ C’est vrai que Maestro Salieri est parfait, lui, ironisais-je cinglant.
_ Cessez vos enfantillages Mozart, soupira Antonio en se servant un verre d’absinthe. Quelle est la raison de votre venue indésirable ?
Je m’efforçai à conserver mon calme, ne désirant pour rien au monde me ridiculiser par un caprice devant lui. Il voulait jouer les hommes sans cœur ? Il allait être servi !
_ Je me demandais juste quelle était la raison de votre départ précipité hier, expliquais-je sans laisser transparaître d’émotion. Mais maintenant je comprends, je suis juste déçu…
_ Déçu ?s’étonna Salieri en me prêtant enfin un semblant d’attention.
_ Oui, déçu. Je pensais que vous seriez plus dévoué à l’empereur qu’aux charmes des femmes.
Alors que je m’attendais à ce qu’il entre dans une colère noire –réaction que je souhaitai provoquer-, Antonio se mit à rire, d’un rire lugubre qui faisait froid dans le dos.
_ Vous ne me connaissez pas Mozart. Il est malvenu de votre part de me juger.
_ Cette réflexion est d’autant plus malvenue venant de vous, lui fis-je remarquer. Vous passer votre temps à juger mon travail alors que vous ne vous y intéressez même pas.
_ Je répète ma question Mozart : pourquoi êtes-vous venu me déranger ?
_ Pour obtenir des excuses de votre part.
Un silence glacial succéda mon ordre indirect. L’élu de mon cœur releva les yeux vers moi. Je voyais sa surprise dans ses yeux, mais aussi sa détermination. Il n’allait pas me présenter d’excuses, il était bien trop fier pour ça.
_ Bien, maintenant que vous avez perturbé ma tranquillité, je pense qu’il est temps pour vous d’aller importuner quelqu’un d’autre, me congédia Salieri.
_ Vous serez bien obligé de reconnaître mon talent un jour, sifflais-je en faisant demi-tour.
J’étais déjà suffisamment énervé en arrivant, mais alors là c’était le pompon ! Monsieur Salieri préférait la compagnie de cette femme à quelques maigres heures à écouter mon travail. J’étais dégoûté et déçu. D’une part, je croyais que Salieri était au dessus de cette concupiscence ambiante dans la cour, mais j’étais aussi extrêmement triste de voir qu’il préférait la compagnie des femmes. Je devais bien être le seul de ce siècle à désirer la compagnie d’un autre homme, mais ce n’était pas la compagnie des hommes que je recherchai, juste la sienne...
Je sortis en claquant toutes les portes derrière moi. Pour tenter d’exorciser ma colère, je fis une longue promenade qui me mena finalement à l’opéra. J’y entrai, contrarié en entendant le massacre auquel mon assistant s’adonnait sur mes œuvres. Le congédiant rapidement, je repris les commandes pour répéter la partition de la veille pour voir ce qui avait tant dérangé mon cher Antonio, jusqu’à être dérangé de nouveau…
_ Quoi encore ?m’écriais-je excédé.
Me retournant, je fis face à la compagne de Salieri, seule…
_ Que faîtes-vous là ? Il n’y a pas de représentation, donc l’opéra est réservé aux artistes.
_ Etant la chanteuse lyrique de Salieri, c’est un privilège dont je bénéficie, me répondit Maria sans la moindre animosité.
Je soupirai sans faire l’effort de dissimuler ma lassitude. Le cauchemar ne s’arrêtait donc pas là ? Maria s’avança vers la scène, observant rapidement mon orchestre avant de leur sourire gentiment.
_ J’ignore la raison pour laquelle Salieri refuse de nous présenter, mais je trouve ça très insultant. Je voulais m’excuser de l’indélicatesse de mon cher Antonio hier. Me voyant lasse de mon voyage, il s’est trop inquiété et m’a obligée à rentrer. J’aurais tellement aimé écouter l’intégralité de votre travail. Je dois avouer que vous m’intriguez beaucoup depuis que j’ai entendu parler de vous, et le comportement d’Antonio à votre égard suscite ma curiosité. Je sais par sa bouche qu’il prévoit de se rendre à la représentation de ce soir en compagnie de l’empereur, pour se faire pardonner de sa bavure d’hier. Ce que je ne sais pas en revanche, c’est la raison pour laquelle il s’entête à me refuser de m’y rendre aussi. J’en viens donc au but. Je suis venue pour me présenter et vous demander de bien vouloir me faire la faveur de me laisser assister à vos répétitions.
Choqué, oui je l’étais… Comment décrire cette femme ? D’ailleurs, comment la cerner ? Elle était trop proche de Salieri pour être blanche comme neige, comme je la voyais… Le compositeur Italien ne l’aurait pas envoyée. Aussi sournois soit-il, il ne jouerait pas avec une femme, surtout avec celle-ci à laquelle il semblait tenir tout particulièrement.
M’approchant de la chanteuse si douce, je l’enlaçai brièvement, ravi de pouvoir enfin faire sa connaissance.
_ Je suis Wolfgang Amadeus Mozart, me présentais-je gaiment. Mais vous pouvez m’appeler Wolfgang. Quel est votre nom ?
Je demandais ça par politesse, évidemment, puisque je le connaissais déjà. Mes rapports conflictuels avec Salieri ne me permettaient pas de prendre de risques avec elle. Son rire cristallin résonna quelques secondes, alors qu’un sourire amusé habillait ses lèvres.
_ Je m’appelle Maria Sylviano.
_ La compagne de Salieri ?questionnais-je en essayant de ne pas paraître trop curieux.
_ Non, juste une amie de longue date, me sourit-elle.
_ Bien. Mais je vous en prie, installez-vous !l’incitais-je en la conduisant au premier rang pour qu’elle ait une vue parfaite. Vous rappelez-vous à quel moment de la représentation vous êtes partis ?
Je le savais parfaitement, bien sûr, mais je n’avais pas envie qu’elle remarque l’intérêt que je portai à celui qui m’avait brisé le cœur. Mais, en y réfléchissant bien, ce n’était pas mon œuvre qu’il avait renié, il avait juste voulu prendre soin de son amie. Peut-être avait-il apprécié finalement…
_ Fin du premier acte, me répondit Maria gentiment. Je n’ai pu savourer que les premières notes de second acte.
_ Bien, alors nous reprendrons de là, l’informais-je ravi qu’elle ait apprécié.
Et c’est exactement ce que je fis, menant mon orchestre avec un enthousiasme débordant. Quand la dernière note mourut dans les airs, ses applaudissements retentirent. Elle se leva pour venir me féliciter et discuta brièvement de musique. Maria était une passionnée et avait très bon goût. Une vraie bouffée d’air entre les inepties de Rosenberg et les critiques infondées de Salieri.
_ Il me faut malheureusement m’en aller, s’attrista-t-elle. Antonio va s’inquiéter et je n’ai pas besoin de ça.
_ Oh, vous partez déjà, soupirais-je.
Maria me fit un petit sourire d’excuse. En moins de 2h, elle avait gagné non seulement gagné mon respect mais aussi mon affection. C’était vraiment une personne extraordinaire. Elle était non seulement talentueuse –elle m’avait accordé la faveur d’entendre sa voix magnifique- mais aussi drôle et cultivée. J’étais sincèrement peiné de la voir s’en aller, et l’étreignais en oubliant les usages. Sans faire plus de manières, elle me rendit mon accolade et me quitta après des au revoir précipités.
J’étais tout de même soulagé qu’elle ne craigne pas Salieri, parce que je n’aurais pas supporté l’idée qu’il fasse du mal à Maria. Sa visite m’avait empli d’espoir et de joie. Non, le départ de Salieri n’était pas dû à son dénigrement de l’œuvre que j’avais composé en songeant à lui, mais en plus il viendrait la voir dans son intégralité. En plus, théoriquement son cœur était toujours à prendre…
Me rappelant brusquement que l’élu de mon cœur serait présent dans l’auditoire ce soir, je me précipitai dans les coulisses, m’agitant frénétiquement pour me préparer à la représentation.
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