Mais la douleur ne s'éteignait pas, les contradictions incomprises de son être le déchirait, le tiraient jusqu'à l'intime limite qu'il venait d'atteindre. Que faire que dire que penser, il ne savait plus rien, ses songes étaient morts, ses yeux ne voyaient qu'à travers un filtre opaque, son cœur ne battait plus que pour faire souffrir un jour de plus, son cerveau s'emmêlait, ses oreilles le trahissaient. Il devait être ferme, ne pas aimer la musique de Mozart, il devait se battre contre lui corps et âme et pourtant tout recours lui était interdit. Il saignait de se battre contre lui, il saignait d'être à sa merci. Plus rien n'importait plus que la musique de Mozart, ses symphonies, ses opéras, tout était si beau, si merveilleux, si fantastique, cela le transportait hors du monde, c'était si bon de se sentir si proche du ciel... Et pourtant on le lui interdisait, il se l'interdisait.
Le sommeil ne venait pas, il se releva, s'assit sur le bord de son lit et, avec le peu de courage qu'il lui restait, se leva. Il resta un long moment, là, debout, sans savoir quoi faire de sa nuit. Il eu l'idée de trouver une maîtresse mais il ne supporterait sans doute pas sa présence très longtemps. Un désir de se sentir protégé le submergea, mais dans les bras de quelle femme pouvait il trouver l'écoute dont il avait besoin ? Sa renommée ne lui permettait pas de telles faiblesses. Il s'écroula sur une chaise, à côté de la cheminée éteinte et, la tête dans les mains, fondit une nouvelle fois en sanglots. Cette fois, la mort vint poser son long manteau trouée sur ses épaules et lui murmura nombres de merveilles. Elle lui promit la paix, le repos, elle lui promit la musique éternelle et il l'écouta attentivement, le visage toujours enfouit dans ses mains fortes.
Le grincement léger de la porte tenta de l'alerter d'une nouvelle présence, mais il l'ignora et ne se remit pas d'aplomb. Sa femme de chambre ne l'inquiétait pas, elle n'irait pas raconter sa peine au reste du monde, elle resterait prés de lui, peut être était ce mieux, qu'elle reste auprès de lui. Elle était bonne, elle resterait à ses côtés jusqu'à la fin, il en était persuadé. Il l'entendit hésiter sur le seuil.
- Salieri ?... Est ce que vous pleurez ?...
La voix résonna comme des milliers de clochettes à ses oreilles... Mozart... Il était de toute façon trop tard pour sauver la face, il ne bougea pas. Wolfgang s'approcha de son pas léger et s'accroupit à côté de lui, posa sa main sur son épaule et murmura.
- Salieri... Que vous arrive t-il ?...
Les intonations de sa voix raisonnaient de sincérité et de compassion, de tristesse. Mais il était à présent rendu trop loin pour y prêter la moindre attention.
- Profitez de votre victoire Mozart, je rend les armes. Regardez bien l'état votre victime et partez, je n'en puis plus de vous voir. Vous me tuez.
C'était sans compter sur le caractère de Mozart. Il ne partit pas et bien au contraire, il étendit ses bras autour du corps recroquevillé et plaça sa tête juste à coté de celle de l'italien. Alors tout proche de son oreille, il lui confia :
- Je n'ai rien fais Salieri, c'est vous, qui vous êtes torturé. Vous n'admettrez jamais rien de tout ce qui se passe dans votre cœur, vous avez peur des autres, peur de mourir et peur que l'on vous oublie.
Il s'arrêta un instant. Les sanglots s'étaient éteins. Rassuré, il poursuivit :
- Au fond, n'est ce pas l'amour des gens que vous cherchez avec vos manigances ? Allons, ne pleurez plus Salieri, je resterais avec vous. Toute ma vie. Vous ne serez plus jamais seul. Relevez vous.
Ce fut comme si les chaînes qui déchiraient sa chair s'évanouirent, une étrange chaleur s'éveilla dans son cœur et coula dans toutes ses veines, de sa tête jusqu'à ses pieds. Il frissonna. Il lui semblait que de la glace fondait en lui, ses larmes s'arrêtèrent de couler et l'épée qui menaçait au dessus de sa tête se retira lentement.
Il osa alors regarder Mozart. Il lui souriait, les yeux brillants, ses cheveux blonds n'étaient pas coiffés, il trouva cela mignon.
Le compositeur chéri glissa sa main jusqu'à sa joue et essuya de son pouce quelques larmes encore brûlantes. Le cœur de Salieri se serra, et éjecta un puissant poisson dans ses veines. Et le poison détruisait tout sur son passage, le passé et l'avenir sombre qu'il s'était construit, les amours ratés, le gloire, la puissance, le pouvoir, les combats, l'autre lui, il tua jusqu'aux plus petites résistances de son âme. Et le poison vint frapper l'évidence qui retentissait à présent dans l'esprit du maestro. Le pièce du puzzle, c'était cela... Le désir, l'amour. Mozart approcha doucement son visage et ses lèvres vinrent caresser les siennes. Ses muscles réagir violemment, le poison avait inhibé toutes ses réflexions et ses pensées baignaient dans un flot de désir. Il n'était plus capable d'agir décemment, raisonnablement. Définitivement, c'était affreux, cet homme l'attirait.
Enivré, il saisit la nuque de Mozart, approcha son visage du sien, laissa passer sa langue dans la bouche de son compagnon et se releva.
Tout était confus mais tout était clair, la nuit allait devoir être longue, il poussa doucement Mozart sur son lit de satin et se débarrassa confusément de ce qui lui servait d'habit de nuit.