Il était prés de dix heures du soir et cela faisait à peu prés cinq heures et dix huit minutes qu'il était rentré de cette étrange entrevue. Allongé entre ses draps de satin gris, immobile, il fixait le plafond. Cette nuit, le sommeil ne venait pas. Peut être avait il trop dormit le matin même, peut être était il en proie à de sombres tourments.
Il avait prit la peine de se changer pour la nuit et avait définitivement rangé ses habits bordeaux au fin fond de son placard. Il était irrité de toutes les remarques qu'ils avaient pu provoquer, il détestait se faire remarquer de la sorte. Demain, il remettrait ses habituels vêtements noirs et blancs.
Les yeux rivés sur la surface désespérément blanche, son esprit se troublait. Le comportement de Mozart à son égard l'avait perturbé. Ses sourires le hantaient, son doigt brulait encore ses lèvres, son teint s'empourprait. C'était insensé... Il ne pouvait comprendre ses réactions, ni celles de son rival, il lui manquait une pièce du puzzle. Il n'était sur que de deux choses : il était amoureux de la musique de Mozart et détestait celui qui lui donnait vie. Il était la cause de tout ses malheurs, celui qui le torturait si tendrement, et c'était ce partage de sentiments qui lui échappait, c'était ce bien qui fait mal, c'était cet affreux mélange d'amour et de haine, cette douce violence qu'il exerçait sur son corps, lui et sa musique. Il devenait fou, il le sentait, de jour en jour, d'heure en heure, cette incompréhension, cette incertitude finirait par le tuer, il en était certain. Et son corps, son esprit et son cœur ne pouvait rien agir sans s'écorcher aux barbelés de l'absence. Il était prit dans un étau qui se resserrait progressivement et finirait par le faire imploser. Ce Mozart avait planté une lame dans son corps et s'amusait à la remuer autant qu'il le pouvait, cela l'amusait, de le voir souffrir, de le voir se tordre sous ses coups. Cette lame avait déchiré tout ce qui faisait de lui ce qu'il était, et ne lui avait laissé que son ego pour se défendre. Il se sentait vide, à bout de force, et si cette lutte l'avait d'abord diverti, elle lui était aujourd'hui des plus pénible. Chaque coups se traduisait par un échec, diminuait ses forces, le rendait plus vulnérable. Il jalousait cet homme entouré, adulé, aimé, tandis que lui n'était que détester, n'ayant acquis sa renommée et ses alliés qu'a force de complots et de bassesses dont il n'était aujourd'hui plus tellement fier. Il était seul. Cette évidence le transperça et les larmes se mirent à couler, doucement, le long de ses joues, et vinrent s'imprégner dans le drap de coton blanc. Il resta longtemps ainsi, à pleurer silencieusement, et il lui semblait que chaque larme verser venait alourdir sa peine, mais cela faisait tellement de bien, loin des autres, de baisser son masque... Il ferma les yeux.
Mais la douleur ne s'éteignait pas, les contradictions incomprises de son être le déchirait, le tiraient jusqu'à l'intime limite qu'il venait d'atteindre. Que faire que dire que penser, il ne savait plus rien, ses songes étaient morts, ses yeux ne voyaient qu'à travers un filtre opaque, son cœur ne battait plus que pour faire souffrir un jour de plus, son cerveau s'emmêlait, ses oreilles le trahissaient. Il devait être ferme, ne pas aimer la musique de Mozart, il devait se battre contre lui corps et âme et pourtant tout recours lui était interdit. Il saignait de se battre contre lui, il saignait d'être à sa merci. Plus rien n'importait plus que la musique de Mozart, ses symphonies, ses opéras, tout était si beau, si merveilleux, si fantastique, cela le transportait hors du monde, c'était si bon de se sentir si proche du ciel... Et pourtant on le lui interdisait, il se l'interdisait.
Le sommeil ne venait pas, il se releva, s'assit sur le bord de son lit et, avec le peu de courage qu'il lui restait, se leva. Il resta un long moment, là, debout, sans savoir quoi faire de sa nuit. Il eu l'idée de trouver une maîtresse mais il ne supporterait sans doute pas sa présence très longtemps. Un désir de se sentir protégé le submergea, mais dans les bras de quelle femme pouvait il trouver l'écoute dont il avait besoin ? Sa renommée ne lui permettait pas de telles faiblesses. Il s'écroula sur une chaise, à côté de la cheminée éteinte et, la tête dans les mains, fondit une nouvelle fois en sanglots. Cette fois, la mort vint poser son long manteau trouée sur ses épaules et lui murmura nombres de merveilles. Elle lui promit la paix, le repos, elle lui promit la musique éternelle et il l'écouta attentivement, le visage toujours enfouit dans ses mains fortes.