Non non, je n'avais pas disparu, et encore moins abandonné ma fic ! En fait, je l'ai même finie ! Donc, maintenant, plus de longue attente entre les chapitres restants. Chapitre 12La plume, cadeau de Philippe, courait sur le papier, ne s'arrêtant que pour plonger dans l'encrier avant de se laisser à nouveau guider sur la page par la main de son propriétaire. Elle n'avait pas chômé, ces dernières semaines : entre les lettres et les poèmes, Filippo écrivait certainement plus en un mois que Philippe en un an.
La porte s'ouvrit brusquement et Alfonso entra, suivi de Maria. L'élan de la plume se brisa net.
– Que se passe-t-il ? interrogea Filippo, surpris et vaguement inquiet, en se tournant vers ses frère et soeur.
– J'ai entendu quelque chose... commença Alfonso avec une appréhension visible. J'allais voir
Zio Giulio, mais la Reine était avec lui, et...
– Il a écouté à la porte, l'interrompit Maria.
Il était impossible, au ton de sa voix, de dire si elle désapprouvait ou s'amusait de cette indiscrétion. En fait, son intervention avait surtout pour but d'éviter que le récit traîne en longueur. Elle l'avait entendu avant et estimait que Filippo devait savoir au plus vite. Mais Alfonso n'en protesta pas moins :
– Pas du tout ! s'écria-t-il comme si l'accusation l'avait gravement offensé.
Puis il précisa, très digne, en regardant son frère :
– La Reine criait... Écouter n'était donc pas utile.
Filippo éclata de rire. Même s'il lui arrivait de penser que son petit frère avait une fâcheuse tendance à se croire tout permis parce que leur oncle lui donnait un très mauvais exemple, il ne pouvait pas résister à ce genre de répliques faussement ingénues.
– Nous dirons donc que vous avez
entendu à travers la porte, déclara-t-il ensuite, feignant aussi le plus grand sérieux.
Mais, contrairement à ce qu'il attendait, Alfonso ne lui adressa en réponse qu'un petit sourire dénué de gaieté.
– Oui... Mais ce n'est pas drôle. Elle a compris, pour vous et le Petit Monsieur...
En effet, il n'y avait vraiment pas de quoi rire ! Une exclamation horrifiée échappa à Filippo, dont la main se crispa sur la plume qu'il tenait toujours sans y prêter attention. Il la reposa enfin sur le bureau et, comme chaque fois qu'il se trouvait dans une situation difficile, ses yeux cherchèrent ceux de sa soeur préférée.
Maria ne dit rien, mais croiser son regard suffit. Se tournant de nouveau vers leur petit frère, Filippo réclama plus d'informations.
– Elle était très en colère, raconta le jeune garçon avec une moue désolée. Elle a hurlé "Comment osez-vous manipuler mon fils de cette façon ?" et "Cette histoire doit cesser immédiatement".
– Mais... non ! s'exclama Filippo, incapable de croire que ses pires craintes étaient en train de se réaliser. Elle ne peut pas tout détruire sous prétexte que j'ai commencé par obéir à un ordre insensé ! Notre oncle ne lui a-t-il donc pas dit qu'il n'était plus question de cela, maintenant ?
Alfonso secoua tristement la tête. Bien sûr, cette phrase-là aurait pu lui échapper, mais...
– Hélas, intervint Maria d'un ton encore plus triste, je crains qu'il n'ait volontairement omis de le préciser. Il a probablement saisi l'occasion de se venger de votre insoumission...
– Oh ! Oui, bien sûr... soupira Filippo. C'est tout ce à quoi l'on peut s'attendre de sa part. Et maintenant la Reine va aller dire à Philippe que je ne l'ai jamais aimé.
Sa voix se brisa sur ces derniers mots, et Maria s'empressa de s'approcher pour le serrer dans ses bras.
– Peut-être n'est-il pas trop tard, dit-elle doucement, comme elle aurait parlé à un enfant apeuré. Vous pourriez lui expliquer...
– Il ne me croira jamais !
Les autres tentèrent de le persuader qu'il pourrait au moins essayer, mais Filippo savait qu'il n'avait aucune chance. Philippe doutait déjà tellement sans raison ! Habitué à vivre dans l'ombre de son royal aîné, il avait toujours du mal à croire qu'on puisse s'intéresser à lui. Il avait sans cesse besoin d'être rassuré... Ce n'était que trop facile à comprendre pour quelqu'un comme Filippo, qui devait toujours se battre pour le droit d'être lui-même et non le remplaçant de son frère disparu. Lui aussi doutait trop souvent. Lui aussi perdrait définitivement toute confiance dans un cas comme celui-là.
– Alors le mieux serait d'aller parler à la Reine, déclara Maria après un instant de réflexion. Si elle accepte de nous écouter, elle comprendra qu'il vaut mieux ne rien dire à son fils.
Malheureusement, Anne d'Autriche tenait, comme son ami le Cardinal, Maria et Filippo en piètre estime. Ortensia et Marianna, qui avaient sa préférence, auraient sans doute pu la convaincre de n'importe quoi, mais il était évidemment hors de question de mettre les petites dans la confidence. Laura Vittoria étant absente et Olimpia indigne de confiance, il ne restait qu'une option :
– J'irai ! décida Alfonso sans la moindre hésitation.
Filippo le regarda sans répondre, songeur. Était-ce une bonne idée ? Il n'en était vraiment pas sûr. Mais le "petit" guettait sa réponse avec un air qui semblait supplier "Laissez-moi faire quelque chose pour vous aider", et il fallait bien admettre que c'était son seul espoir.
– Très bien, accepta-t-il finalement. Dites-lui...
– Que vous aimez Philippe, termina Alfonso à sa place.
Et il sourit. Pas malicieusement comme d'habitude, mais avec une telle assurance que Filippo en fut touché. Ce sourire-là signifiait "Faites-moi confiance, elle me croira" et, à le voir, il était impossible d'en douter.
– Merci...
Pour une fois, Alfonso ne tenta pas d'esquiver la main qui lui ébouriffa les cheveux. Cela faisait ridiculement "bébé" mais, après tout, si c'était le seul moyen qu'avait trouvé son frère pour montrer qu'il l'aimait, il pouvait le supporter.
~ * ~
Philippe entra chez sa mère d'un pas hésitant. Pourquoi l'avait-elle convoqué ? Il ne voyait pas ce qu'elle pourrait avoir à lui reprocher, mais l'expression indéchiffrable qu'elle affichait semblait indiquer que la conversation n'aurait rien de plaisant, et le ton sur lequel elle l'invita à s'asseoir le conforta dans cette impression. Ce n'était pas exactement celui qu'elle employait quand elle était fâchée, mais il avait quand même quelque chose d'inquiétant.
– Ce Philippe Mancini... commença-t-elle alors, et le coeur de son fils s'emballa.
Savait-elle ? Avait-elle des soupçons... ou des certitudes ?
– Depuis quand le fréquentez-vous ?
Certitudes, apparemment. Mais peut-être ne savait-elle pas tout.
– Quelques semaines, répondit évasivement Philippe en s'efforçant de ne pas paraître trop mal à l'aise. J'apprécie beaucoup sa compagnie. Tout le monde préfère toujours tenter d'obtenir les bonnes grâces de Louis, mais lui...
– Il ne s'est intéressé qu'à vous, conclut la Reine à sa place. Et soudainement, je crois... Cela ne vous a-t-il pas étonné ?
Où voulait-elle en venir ? De nouveau, Philippe chercha – en vain – un indice quelconque sur le visage impassible de sa mère. Pas le moindre sourire, mais pas non plus d'éclat de colère dans les yeux. Rien. Si ce n'est, peut-être, la détermination. Mais quant à deviner ce qu'elle tenait à savoir...
– Mère, je ne sais ce que vous imaginez, mais je vous assure qu'il ne s'agissait pas de passer par moi pour mieux se concilier le Roi ensuite, hasarda-t-il. Philippe Mancini ne ressemble en rien à son oncle.
– Qu'en savez-vous, mon fils ? répliqua aussitôt Anne en détournant les yeux, incapable de soutenir plus longtemps le regard de son fils.
– Mère, je le connais ! Nous sommes amis.
– Amis...
Cette fois, l'expression était parfaitement claire, tout comme le ton de la voix quand elle répéta ce simple mot : non seulement elle doutait que ce fut tout, mais elle était persuadée du contraire. Elle finit même par regarder à nouveau son fils droit dans les yeux pour exiger la vérité :
– Ne me cachez rien, Philippe. Qu'est-il exactement pour vous ?
Mais comment répondre à cela ? Existait-il seulement un mot approprié à la situation ? Un mot qui évoquerait les sentiments réciproques sans risque d'ambiguïté ?
– Mon... meilleur ami, balbutia finalement le prince, tout en sachant pertinemment que sa mère ne le croirait pas.
– Vous n'avez jamais su me mentir, soupira Anne, comme résignée à devoir tout dire elle-même. Mais lui, de toute évidence, est très capable de vous faire accroire beaucoup de choses. Il prétend vous aimer, je présume ?
– Prétendre ? s'indigna Philippe, oubliant un instant son embarras. Mère, il...
– Et vous l'aimez, constata la Reine avec un autre soupir.
Ce n'était pas la peine de nier. Au moins, elle ne semblait avoir l'intention ni de hurler ni de se lamenter, mais Philippe n'en fut pas vraiment rassuré pour autant. C'était tout de même très gênant, et il était toujours convaincu qu'elle ne pouvait que lui en vouloir.
– Est-ce... vraiment mal ? demanda-t-il d'une voix faible au bout de plusieurs secondes d'un silence pesant. Louis en serait choqué, je le sais, mais vous...
Il s'interrompit, n'osant ajouter "vous m'appeliez votre chère petite fille". Cela sonnerait trop comme une accusation, comme un "tout est de votre faute" qu'elle ne pourrait que mal prendre. Toutefois, elle devait se sentir un peu coupable, car elle répondit d'un ton navré :
– Je ne juge pas vos... inclinations, Philippe. Et je ne nie pas non plus les avoir probablement favorisées à force de penser que vous auriez fait une fillette ravissante. Mais le problème n'est pas là. Cessez seulement de fréquenter ce garçon.
Renoncer à Filippo ? Les yeux de Philippe s'écarquillèrent d'horreur à cette idée.
– Mère, non ! s'écria-t-il, désemparé. Tout mais pas cela ! Nous serons discrets, je vous le promets. Personne ne saura.
Il n'était pas question qu'il accepte une chose pareille. Il supplierait sa mère à genoux s'il le fallait. Elle ne pouvait pas être si cruelle...
Elle le fut pourtant, parce qu'elle croyait savoir mieux que lui ce qu'il convenait de faire.
– Mon fils, je sais que vous tenez à lui, mais quoi qu'il vous ait dit, sachez qu'il n'agissait que sur ordre de son oncle.
– Comment ? Non ! C'est insensé ! s'emporta d'abord Philippe. Il n'a pas pu...
Mais, se souvenant de ce que lui avait dit Armand à propos de "tout cet embrouillement sentimental" dont le comte affirmait que "les hommes entre eux" ne s'embarrassaient généralement pas, il n'ajouta "C'est impossible" que de la voix sans timbre de quelqu'un qui ne croit plus à ce qu'il dit. Et il ne put retenir les larmes qui menaçaient déjà de couler depuis l'instant où sa mère avait prononcé les mots "Cessez de fréquenter ce garçon".
– C'est possible et c'est la vérité, insista Anne aussi doucement que possible. Monsieur Mazarin a ordonné à son neveu de gagner votre amitié, voire plus, et le neveu a obéi... comme son frère il y a quatre ans.
La stupeur stoppa momentanément les pleurs incontrôlables de Philippe, qui releva la tête pour croiser le regard désolé de sa mère.
– J'ai bien fait comprendre au Cardinal que j'étais outrée de le voir ainsi chercher à manipuler mes fils, annonça celle-ci, reprenant un air de majesté qui donna à Philippe la triste conviction qu'il ne pouvait attendre de sa part aucune parole consolatrice.
Au contraire, elle acheva même de l'accabler en poursuivant, toujours avec cet horrible détachement :
– Et je lui ai ordonné d'éloigner son neveu au plus vite.
– Non ! gémit Philippe.
Et il se remit à pleurer, vivante image du désespoir.
Même dans ses conditions – même en sachant que Filippo ne l'aimait pas réellement –, il ne pouvait supporter l'idée d'en être séparé à jamais. Ne plus le voir, ne plus lui parler... C'était tout simplement inenvisageable. Sans doute aurait-il dû le haïr, maintenant, mais quelque chose en lui s'y refusait farouchement.
– Mère... supplia-t-il.
Mais comment aurait-elle pu comprendre ? Comment aurait-elle pu accepter de laisser rester à la Cour un garçon qui s'était moqué de son fils ?
Plus tard, peut-être... Quand elle serait suffisamment remise du choc et de l'humiliation causés par la découverte des manoeuvres scandaleuses de son ami le Cardinal – qu'elle avait apparemment semoncé vertement mais non chassé, du reste. C'était à se demander si... Mais Philippe n'avait pas la tête à se poser des questions sur les relations de la Reine avec le Principal Ministre qui l'avait tant aidée durant sa régence. Il se contenta de prendre congé et de partir, profondément abattu.
Anne le suivit des yeux jusqu'à ce que la porte se referme. Elle aurait voulu pouvoir le consoler, mais cette situation la dépassait. Tout était tellement plus facile quand il était petit ! Maintenant, il lui échappait. Et il lui en voulait de lui avoir enlevé le garçon qu'il aimait, même si elle avait une bonne raison pour cela – du moins le croyait-elle.
A bientôt pour le chapitre suivant !