Forum - Le Monde du Slash

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MessagePosté: 15 Oct 2006 19:51 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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Image C'est trop gentil ! Image

Je sais même pas quoi dire, du coup ! Image Enfin, déjà:

Image Image

Et puis... ben, pour le "ils sont trop chous", je suis d'accord, évidemment ! Image De toute façon, quand j'écris, je suis toujours limite amoureuse de mes personnages. Image

J'espère ne pas devoir te faire attendre trop longtemps pour la suite... Je compte écrire le chapitre 8 la prochaine fois que je serai chez ma soeur Image, mais je ne sais pas trop où en sera l'histoire après (j'ai tendance à toujours faire plus long que prévu, alors mes plans changent tout le temps Image), donc je ne peux pas promettre que ce sera un bon moment pour une seconde pause mais, si c'est le cas, je pourrai poster les chapitres 6, 7 et 8 après mon retour, quand j'aurai tout recopié Image.

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MessagePosté: 22 Déc 2006 17:56 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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Chapitre 6

Jonglant avec des demi-vérités et des mensonges par omission, Filippo parvint presque sans mal à fournir à son oncle les rapports hebdomadaires exigés tout en continuant à lui cacher que Philippe et lui avaient assez largement dépassé le stade de l'amitié. Il craignait bien un peu que quelque espion du Cardinal finît par découvrir tout ce qu'il passait sous silence mais, comme Philippe tenait également à la discrétion, il était au moins assuré qu'aucune démonstration publique d'affection amoureuse ne viendrait ruiner ses efforts de dissimulation.

En fait, ce qui lui pesait était de ne rien pouvoir dire à Maria. Filippo n'avait jamais eu de secrets pour sa soeur préférée et, quand elle le questionnait, il supportait beaucoup plus mal de devoir lui répondre vaguement que de mentir à leur oncle. D'ailleurs, il comptait bien tout lui raconter un jour ou l'autre mais, jusqu'à présent, il en avait toujours été empêché par la présence ou l'arrivée intempestive des "petits" – Alfonso, Ortensia et Marianna – ou, pire, d'Olimpia, l'aînée des filles Mancini encore célibataires. Devant elle, pas question de prononcer la moindre parole contre l'oncle, et moins encore d'évoquer un sujet qu'il devait ignorer : toute dévouée à Zio Giulio, elle se ferait une joie d'aller lui rapporter la conversation avec un luxe de détails dépassant peut-être encore le zèle de ceux qu'il payait pour ce genre de services.

Maria, toutefois, connaissait trop bien son frère pour ne pas se douter qu'il lui cachait quelque chose. Aussi s'arrangea-t-elle pour lui en parler dès qu'une occasion de le voir seule à seul se présenta.

– Alors, petit frère, allez-vous enfin me conter les raisons de la soudaine amitié qui semble vous lier au frère du Roi ? demanda-t-elle avec un sourire malicieux en refermant derrière eux la porte de la chambre qu'elle partageait avec Olimpia. Est-ce que par hasard... ?

Filippo resta un instant muet d'étonnement. Se pouvait-il que sa soeur ait vraiment tout deviné ?

– Je ne peux rien dire ici, protesta-t-il ensuite. Olimpia...

– ...est en grande conversation avec le Roi dans les jardins, termina tranquillement Maria. Elle ne va certainement pas rentrer tout de suite. Et j'ai suggéré à Madame de Venelle d'emmener les petits en promenade.

Cette fois, Filippo éclata de rire. Maria devait vraiment tenir à savoir ce qui se passait, pour avoir ainsi éloigné le reste de la famille dans le seul but de lui parler ! Certes, charger la gouvernante de la débarrasser des plus jeunes n'était pas tellement compliqué, mais elle avait dû aussi trouver un prétexte pour rester...

– Oui... Mais, à vrai dire, le plus difficile a été d'empêcher Alfonso d'aller vous supplier de les accompagner, répondit la jeune fille en riant elle aussi. Je crois qu'il sera ravi d'aller à Clermont l'automne prochain. Il ne cesse de se plaindre d'être traité en enfant et entouré de femmes.

– En effet, il m'a dit qu'il était impatient d'aller au collège, confirma Filippo, soudain pensif. D'ailleurs, il me presse de questions auxquelles j'ai parfois du mal à répondre sans laisser échapper une information compromettante.

A ces mots, Maria rit de plus belle.

– Pensez-vous donc pouvoir lui faire accroire que vous avez été un élève modèle ? Il me semble qu'il vous connaît suffisamment pour ne pas s'étonner de vos fameuses évasions... Toutefois, j'admets que, si vous pouvez évoquer les salons littéraires, il vaut mieux éviter de mentionner d'autres détails, car ce sont là des choses qu'un garçon de douze ans ne peut comprendre, ajouta-t-elle après un instant de réflexion. Et à ce propos, vous ne m'avez toujours pas dit...

– J'avais treize ans, moi, remarqua Filippo, ignorant complètement la dernière partie du discours de sa soeur. Quand Pierre-Emmanuel s'est mis en tête de m'apprendre le sens de l'expression "vice italien"... J'étais à peine plus âgé que ne l'est notre frère à présent. Et je me demande...

Bien sûr, s'inquiéter à ce sujet était assez peu logique dans la mesure où il n'avait jamais considéré que son ami l'ait "détourné du droit chemin" ou quelque autre ineptie de ce genre. Il se trouvait très bien tel qu'il était et n'aurait jamais songé à blâmer Pierre-Emmanuel de l'avoir influencé, parce qu'il n'imaginait pas que ses goûts eussent pu différer sans cette histoire d'amitié trop intime. Mais quelque chose lui disait que, dans le cas de son frère, il en irait peut-être tout autrement.

– A cause de cette expression ridicule, tous les Français semblent persuadés qu'un Italien ne peut qu'accepter leurs avances, expliqua le jeune homme à sa soeur qui, ayant compris à quoi il pensait, ne riait plus du tout non plus. Alors je suppose que je devrais avertir Alfonso, mais... comment lui en parler sans me trouver contraint de lui dire certaines choses qui risquent également de le choquer ?

Maria ne répondit pas tout de suite. L'air aussi soucieux que son frère, elle regardait par la fenêtre comme pour chercher au dehors la réponse à leur problème.

– Il nous reste encore quelques semaines pour y réfléchir, dit-elle finalement en se tournant de nouveau vers Filippo. Quoi qu'il en soit, il est sans doute préférable que vous ne lui parliez pas trop de vos relations avec Pierre-Emmanuel... ou avec un certain prince que vous ne quittez guère ces temps-ci.

Ainsi donc, elle n'avait pas perdu de vue le sujet de départ ! Amusé malgré lui, Filippo prit un ton faussement réprobateur pour répliquer :

– L'avenir de votre plus jeune frère vous importe donc si peu que vous accordez plus d'intérêt aux amitiés de l'autre ?

– C'est que je crains le retour de la délatrice, se défendit Maria, légèrement rouge tout de même. Et il me semble vain de nous attarder sur un point que nous ne pouvons résoudre immédiatement...

– De plus, vous êtes curieuse, conclut Filippo à sa place.

Ils se regardèrent un court instant en silence, puis leurs rires résonnèrent de nouveau dans la pièce.

Mettant provisoirement de côté ses préoccupations de frère aîné, Filippo redevint le garçon insouciant qu'il était d'ordinaire et s'amusa de la stupéfaction de sa soeur quand il lui annonça avec toute la désinvolture dont il était capable que leur "cher" oncle l'avait chargé d'une mission particulièrement importante et délicate, puis précisa d'un ton non moins léger de quoi il retournait.

– Rendez-vous compte, ma soeur ! s'exclama-t-il ensuite, passant soudain du détachement exagéré à un enthousiasme tout aussi excessif. Il a donné un duc français à notre aînée, un duc italien à l'une de nos cousines et un prince du sang à la seconde. [1] Visant toujours plus haut, le voici qui m'offre mieux encore : le propre frère du Roi de France ! Après cela, qui oserait encore prétendre qu'il n'a que mépris pour moi ?

Bien entendu, le caractère ironique de toute cette tirade n'échappa pas à Maria qui, bien que ne comprenant pas quels avantages le Cardinal-Ministre comptait tirer de cette affaire, devinait parfaitement qu'il s'agissait là d'une manœuvre politique à laquelle il n'avait mêlé son neveu que parce qu'il n'avait personne de plus fiable sous la main.

– Il a vraiment perdu l'esprit, commenta-t-elle, momentanément incapable de trouver autre chose à dire.

– C'est exactement ce que j'ai pensé aussi, approuva Filippo, reprenant enfin un ton normal. Il est complètement fou. Surtout s'il imagine que je suis ses ordres aveuglément...

– Il m'avait pourtant semblé... murmura Maria, les sourcils froncés.

Filippo se tourna brusquement vers elle, l'air très ennuyé.

– Est-ce si évident ?

– Pardon ?

Visiblement, la jeune fille ne comprenait plus. Et cela n'avait rien d'étonnant, compte tenu du peu d'informations dont elle disposait pour l'instant.

– J'espère simplement que vous êtes la seule à avoir vu de quelle façon Philippe me regarde, parce que je fais tout ce que je peux pour persuader notre oncle qu'il ne me considèrera jamais que comme un ami, précisa Filippo, un peu gêné à l'idée de devoir avouer que la réalité était bien différente.

Le sourire amusé de sa soeur ne fit qu'augmenter ce léger embarras.

– Oh, mais je n'avais pas remarqué cela ! s'écria-t-elle, souriant de plus en plus largement. En revanche, la manière dont vous regardiez votre ami ces derniers jours m'avait paru fort... étrange, voyez-vous ?

Filippo baissa les yeux, rouge de confusion.

– Je ne pensais pas que... balbutia-t-il.

– Mon petit frère est amoureux, chantonna Maria, décidément d'humeur taquine, en pinçant affectueusement la joue dudit petit frère.

Elle avait raison, bien sûr. Il n'en doutait même plus, maintenant. Il aimait Philippe, qui l'aimait aussi.

Il aurait dû être heureux. Et il l'était, la plupart du temps. Mais ce bonheur reposait sur des bases trop fragiles, qu'une personne malintentionnée pourrait très facilement ébranler.

Le voyant inquiet, Maria le serra dans ses bras.

– Ne craignez rien, chuchota-t-elle. Votre secret sera bien gardé.

~ * ~

– Elle sait ?

Un éclair de panique passa dans les yeux de Philippe, qui jeta machinalement un coup d'oeil en direction de la porte comme s'il s'attendait à voir apparaître dans l'encadrement toute la famille de son ami. Il avait dû venir le voir trop souvent... Ce n'était vraiment pas discret.

– Votre soeur sait que... répéta-t-il, espérant toujours avoir mal compris.

– Oui, elle sait tout, répondit calmement Filippo. Elle avait plus ou moins deviné, apparemment. Mais il n'y a aucune raison de s'alarmer. Maria n'est pas le genre de personne qui bavarde à tort et à travers.

Philippe se demanda un instant comment il devait prendre cette dernière déclaration. Après tout, il était, lui, toujours trop bavard... Mais il ne s'attarda pas longtemps sur la question, car quelque chose d'autrement plus contrariant qu'une insulte involontaire lui revint soudain à l'esprit.

– On ne peut pas en dire autant d'Armand... remarqua-t-il, très bas, comme se parlant à lui-même.

Filippo ne comprit pas tout de suite. Ce prénom était trop répandu pour qu'il puisse deviner sans autre indication à qui le prince faisait allusion. Mais, se souvenant d'un certain sourire moqueur, il ne tarda pas à soupçonner l'identité de celui qui risquait de les mettre dans l'embarras.

– Vous voulez dire... commença-t-il.

– Le comte de Guiche, confirma Philippe en baissant les yeux. Il ne sait pas vraiment, mais... En vérité, je crains qu'il ait conté bien des choses avant même qu'elles se produisent.

"Et même certaines qui ne se sont pas encore produites", ajouta-t-il in petto en se demandant s'il suffirait de le dire à haute voix pour que...

Mais non, ce ne serait pas convenable. Et, d'ailleurs, Filippo était bien trop préoccupé par les possibles conséquences des rumeurs qui couraient certainement déjà à leur sujet. Ce n'était vraiment pas le moment.

– Peut-être n'a-t-il rien dit... hasarda Philippe pour le rassurer. En tout cas, ni ma mère ni mon frère ne semblent en être informés. Dans le cas contraire, Louis, au moins, n'aurait pas manqué de m'en faire le reproche.

Si Filippo trouva étrange que le prince s'attende à des remontrances de la part d'un frère dont plusieurs amis se plaisaient à défier la morale en collectionnant des conquêtes aussi bien masculines que féminines, il n'en laissa rien paraître, et Philippe se garda bien d'insister sur cette remarque somme toute assez maladroite.

– Voulez-vous que j'aille demander à Armand s'il en a parlé à quelqu'un ? proposa-t-il timidement.

Il se sentait un peu coupable de n'avoir pas su détourner les soupçons du comte le jour où celui-ci y avait fait allusion devant lui. Et si, par sa faute, son cher ami italien venait à avoir des ennuis avec sa famille ? Sa mère, peut-être, serait choquée. Et, qui sait, son oncle pourrait même décider de le renvoyer à Rome !

– Je vous accompagne, décida Filippo après un instant d'hésitation.

Philippe n'était pas très sûr d'apprécier l'idée mais, comme il ne pouvait avancer aucun prétexte pour justifier un refus, il se contenta de prier pour que les noms de Louis et Paolo ne soient jamais cités dans la conversation...

__________________________

[1] Le "duc français" est le duc de Mercoeur, frère aîné du duc de Beaufort et donc comme lui petit-fils illégitime d'Henri IV. Il avait épousé Laura Vittoria Mancini. Le "duc italien" est le duc de Modène, qui avait épousé Laura Martinozzi. Le "prince du sang" est le prince de Conti (deuxième prince du sang, après son frère Condé), qui avait épousé Annamaria Martinozzi. Ce titre était réservé aux descendants des anciens rois, après les deux générations qui portaient les titres de fils et petits-fils de France.

__________________________

Chapitre 7 la semaine prochaine (du moins j'espère que je penserai à l'ajouter - n'hésitez pas à me le rappeler, sinon).
Je pense qu'on peut deviner que Philippe regrettera d'avoir laissé Filippo le suivre. Quoique... dans un sens, ce sera plutôt une bonne chose, finalement. Enfin, vous verrez cela !

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Dernière édition par Cybèle Adam le 28 Avr 2010 18:47, édité 3 fois.

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MessagePosté: 22 Déc 2006 20:35 
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Localisation: ♫ J'ai longtemps cherché un paradis sur Terre... ♫
J'adore comment tu as décrit Maria et son caractère.

:suite:

Cybelia.


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MessagePosté: 23 Déc 2006 15:42 
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Image de rester une lectrice fidèle malgré le délai. :)

Il y avait longtemps que je voulais caser quelque part une conversation avec Maria, et là je dois dire que je me suis bien amusée. Tant mieux si tu as apprécié son caractère ici. Il est important qu'on aime la soeur préférée de mon personnage principal. ^^

A part ça, j'aime bien avoir l'occasion de glisser de petites informations sur les autres Mancini dans l'histoire, de manière à ce qu'ils existent aussi pour le lecteur un peu plus que comme prénoms qu'on peut confondre (enfin, sauf Maria que les fans du spectacle connaissent forcément). Déjà que j'ai un peu de mal à me souvenir de l'âge qu'avait chacun cette année-là, j'imagine comme ça doit être embrouillé pour quelqu'un qui n'a même pas lu plein de trucs sur eux... J'espère juste que toutes les petites digressions qui en résultent ne donnent pas trop une impression de longueur inutile.

Chapitre suivant vendredi prochain. Rappelle-le-moi si j'oublie !
En attendant, j'espère que tu passeras un bon réveillon de Noël. Bisous.

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MessagePosté: 29 Déc 2006 14:49 
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Chapitre 7

Quand le Petit Monsieur entra chez lui avec son ami Mancini, le comte de Guiche ne prit même pas la peine de dissimuler la surprise que lui avait causé l'annonce de leur arrivée.

– Que me vaut l'honneur de cette visite, Monseigneur ? demanda-t-il à Philippe d'un ton qui aurait pu paraître aussi poli que la forme s'il n'avait, comme toujours, accompagné la question d'un sourire un peu trop en coin.

Filippo, qui ne les avait jamais vus ensemble qu'en présence d'une bonne partie de la Cour, ignorait encore à quel point le comte pouvait se montrer familier avec le prince dans son privé. Il s'attendait donc à ce que celui-ci s'en trouve aussi choqué que lui-même mais, bien entendu, il n'en fut rien.

– Vraiment, Armand, vous êtes impossible ! se contenta de s'exclamer Philippe dans un éclat de rire qui acheva de stupéfier le neveu de Mazarin. Vous feriez moins scandale en m'appelant directement par mon prénom. Du reste, vous savez que vous le pouvez.

Un nouveau sourire, amical mais toujours malicieux, lui répondit aussitôt.

– Je le sais, en effet. Mais, voyez-vous, je craignais un peu qu'une telle liberté de langage paraisse inopportune à votre... ami.

Philippe ignora délibérément la pause pleine de sous-entendus qui précédait le mot "ami", mais Filippo voyait bien qu'il était embarrassé, et les manières insolentes du comte l'agacèrent de plus en plus tandis que la conversation se poursuivait.

Comment Philippe pouvait-il donc supporter cela sans rien dire ? Et traiter avec tant de courtoisie quelqu'un qui avait très probablement répandu des rumeurs plus ou moins fondées à leur sujet.

"Il accepte tout parce que le comte beau garçon, c'est évident !" conclut-il rapidement, furieux de voir celui qu'il aimait permettre à un autre que lui de soutenir son regard pendant plusieurs secondes comme pour lui transmettre un message muet, et même de prendre sa main sous prétexte d'examiner de plus près une bague supposée neuve.

Filippo commençait à envisager sérieusement de partir, et peut-être même d'aller dire à son oncle que le frère du Roi n'avait visiblement pas besoin de lui pour lui montrer la voie de ce vice italien que les jeunes courtisans français connaissaient parfaitement, quand son rival supposé daigna enfin se souvenir de sa présence.

– Ne soyez pas timide, Mancini ! Rien ne vous oblige à rester ainsi en retrait, muet et modeste comme un serviteur. Vous êtes également un ami de Philippe, n'est-ce pas ? Et un ami particulièrement proche, je crois...

Cette nouvelle insinuation déplacée ne plut pas davantage à Filippo que le reste de ce qu'il avait vu et entendu depuis qu'il se trouvait chez Armand mais, comme Philippe semblait avoir oublié la raison de leur visite, il se dit que c'était là l'occasion d'aborder enfin le sujet. Tout en s'arrangeant pour égratigner au passage cette insupportable assurance que le prince tolérait bien trop à son goût.

– Moins proche que vous, si j'en juge par la familiarité avec laquelle vous vous adressez à lui. Je dois avouer que cela m'a surpris, car j'oserais à peine me conduire ainsi avec un membre de ma propre famille. Mais je suppose que, s'il l'accepte, je ne devrais pas m'en offusquer non plus. Cependant, puisque vous semblez si bien persuadé que je suis assez heureux pour occuper une place particulière dans l'ordre de ses amitiés, permettez-moi de vous demander si vous avez fait part de cette conviction à votre entourage...

Dès la première phrase, Philippe s'était tourné vers son un-peu-plus-qu'ami avec un étonnement qui ne fit que croître quand il entendit la suite. Certes, rien de tout cela n'était véritablement insultant, mais ce n'était pas non plus particulièrement sympathique, et il ne comprenait pas ce qui pouvait motiver un tel discours.

Le comte, d'ailleurs, paraissait également un peu dérouté : contrairement à son habitude, il n'avait pas répliqué immédiatement. En fait, il se demandait probablement s'il valait mieux donner une réponse conforme à la réalité ou seulement celle que les autres espéraient.

– Dites-nous, Armand, insista alors Philippe. C'est important.

– Eh bien...

Armand hésita, jetant un coup d'oeil vaguement inquiet en direction de Filippo avant de se tourner de nouveau vers le prince.

– Il me semble en avoir parlé avec une personne... peut-être deux.

Philippe soupira intérieurement. C'était bien ce qu'il craignait.

– Qui ? reprit-il, déjà presque certain de connaître la réponse.

– Bernard, certainement... Et Louis-Victor, aussi, je crois.

A la seule vue de l'expression consternée qu'affichait le prince, Filippo sut que ce n'était pas du tout une bonne nouvelle. Et le commentaire qui suivit ne fit que confirmer cette impression.

– Autant dire toute la Cour !

Connaissant le marquis de Manicamp et le duc de Vivonne, Philippe ne doutait pas un seul instant qu'ils aient aussi parlé à "une personne, peut-être deux" et que les commérages s'étaient ensuite poursuivis de la même manière. Il en allait toujours ainsi... et il aurait été mal placé pour blâmer les autres, lui qui parlait toujours trop !

– En vérité, je ne leur ai rien appris, se défendit Armand. Eux aussi étaient présents le jour où vous avez disparu ensemble pendant la chasse, et ils avaient eu la même pensée que moi.

– Vous aviez tort ! intervint Filippo, toujours fâché contre le comte.

– Sans doute, convint celui-ci sans perdre l'air assuré qu'il avait repris en voyant que Philippe n'osait pas lui faire de reproches. Mais, puisque nous ne faisions que devancer la réalité, le mal n'est pas grand.

– Il pourrait l'être bien plus que vous ne l'imaginez !

Philippe, bien sûr, ne comprit pas exactement ce que Filippo entendait par là. Mais, comme il avait déjà pensé que le cardinal Mazarin et sa soeur la baronne Mancini risquaient de ne pas apprécier que leur héritier soit l'objet de ce genre de rumeurs, il ne chercha pas plus loin.

– Pensez-vous que... que mon frère ait pu entendre quelque chose à ce sujet ? demanda-t-il d'une voix hésitante.

– Je l'ignore, répondit Armand, très calme. Mais je suppose que personne n'aurait l'audace de l'en informer. Chacun sait qu'il vaut mieux éviter de rappeler au Roi une certaine affaire que vous savez...

Philippe envisagea un instant de prier Filippo d'aller l'attendre dehors, puis il se dit que, tout compte fait, peu importait qu'il sache aussi, puisqu'il semblait bien que, contrairement à ce que souhaitait Louis, cette histoire n'ait pas du tout été tenue secrète.

– Voulez-vous dire que, pour cela aussi, vous aviez tout répété à qui voulait l'entendre ? s'indigna le prince.

– Eh bien... commença Armand, cette fois visiblement embarrassé. Pas exactement à qui voulait l'entendre...

Bien que n'ayant toujours aucune idée de ce dont il était question, Filippo ne voulut pas manquer l'occasion de ruiner un peu plus les chances que pourrait avoir le comte de lui voler l'affection de Philippe.

– A Vivonne peut-être, à Manicamp certainement, n'est-ce pas ? railla-t-il à la manière de son ennemi avec une parfaite imitation du fameux sourire moqueur. Parce que ce sont vos... amis.

A vrai dire, il n'était pas entièrement certain que ce soit le cas pour les deux, mais la formule "Vivonne peut-être, Manicamp certainement" aurait résumé à merveille ce qui se disait dans le monde à propos des trois garçons.

Une stupeur sans nom se lisait à présent sur le visage de Philippe mais, contre toute attente, Armand, lui, accueillit la tirade d'un éclat de rire sincèrement amusé.

– Si vous cherchiez à me vexer, vous avez manqué votre coup, Mancini ! Vous n'avez réussi qu'à me faire penser que nous devrions vous inviter à vous joindre à notre groupe. Vous semblez avoir des dispositions pour le sarcasme.

Étant donné les liens un peu trop intimes qui, selon cette rumeur à laquelle Philippe n'hésitait pas à ajouter foi, unissaient les membres dudit groupe, le prince goûta fort peu l'idée, et moins encore le fait que Filippo paraisse trouver plutôt flatteur ce simili-compliment ridicule. Aussi décida-t-il qu'il était temps de partir, avant de laisser à Armand l'occasion de formuler une invitation plus précise.

~ * ~

Filippo suivit le prince jusque dans ses appartements, où il entra sans être tout à fait certain d'y être le bienvenu. Peut-être aurait-il mieux fait de retourner dans sa propre chambre ? Philippe n'avait toujours pas l'air de très bonne humeur... Sans doute allait-il lui reprocher d'avoir attaqué le comte – et en s'imposant dans une conversation à laquelle il n'entendait rien, qui plus est !

– Philippe ? appela-t-il doucement quand le prince eut renvoyé le valet qui s'était précipité pour voir s'il voulait quelque chose. Êtes-vous fâché ? Je sais que...

– Non, l'interrompit Philippe. Je ne suis pas fâché contre vous. Je ne comprends pas ce qui vous a pris, mais je dois reconnaître que votre intervention était assez... amusante.

Un sourire un peu timide accompagna le dernier mot et Filippo sourit aussi, heureux de constater que son plus cher ami ne lui en voulait pas.

– Elle était surtout déplacée, je m'en rends compte, répondit-il quand même d'un ton d'excuse. Guiche aurait pu très mal le prendre.

– Oh, il l'aurait mal pris seulement si vous n'aviez pas été un si charmant garçon ! Il m'avait déjà laissé entendre qu'il vous trouvait à son goût.

Philippe se sentait un peu stupide, maintenant. Après tout, Armand savait parfaitement que Filippo comptait beaucoup pour lui. Et il était peut-être arrogant, mais tout de même pas assez imprudent pour se poser en rival d'un frère de roi.

Quant à Filippo... Il venait enfin de comprendre la réaction du prince. Jalousie... Cela le fit sourire encore. Et, puisqu'il était désormais convaincu que Philippe ne lui en voulait pas du tout, il s'approcha enfin pour le prendre dans ses bras comme il l'aurait fait immédiatement s'il ne l'avait pas cru fâché.

– Si cela peut vous rassurer, je vous assure que ce n'était pas moi qui l'intéressais la dernière fois que je l'ai rencontré en ville. Mon ami Pierre-Emmanuel d'Isigny lui plaît beaucoup plus...

Philippe qui, comme toujours, avait posé la tête sur l'épaule de Filippo, la releva brusquement, s'écartant juste assez pour le regarder en fronçant les sourcils.

– Ami ? répéta-t-il, visiblement soupçonneux.

Évidemment...

Situation délicate. Techniquement, Pierre-Emmanuel était un peu plus qu'un ami ordinaire pour Filippo, mais plus depuis que Philippe l'était aussi d'une autre façon, alors... Serait-ce mentir que de dire oui, ami et rien d'autre ?

– Pas comme vous, fut finalement la réponse ambiguë que Filippo décida de donner.

Mais il avait hésité juste un peu trop longtemps pour que Philippe la prenne comme il l'aurait voulu, sans se douter qu'elle pouvait signifier autre chose.

– Pas comme moi, non, c'est évident ! s'emporta le prince, plus jaloux que jamais, en repoussant d'un geste rageur les bras qui l'entouraient. Vous me traitez comme une jeune fille, comme si j'allais crier au scandale si vous agissiez avec moi comme avec un autre... Ou peut-être est-ce simplement que vous ne vous souciez pas de moi ? Dans ce cas, ne vous sentez surtout pas obligé de rester ! Allez voir votre Pierre-Emmanuel, et j'irai dire à Armand que, s'il n'a pas changé d'humeur depuis le jour où il avait déclaré qu'il pourrait m'appartenir si je le souhaitais, je ne feindrai plus de ne pas saisir l'allusion.

Filippo avait bien tenté de protester dès les premières phrases, mais le prince ne l'écoutait pas. Finalement, plus aucun mot ne lui vint à l'esprit tant il était abasourdi – et, bien sûr, terriblement jaloux aussi.

– Philippe... tenta-t-il encore, d'une voix très incertaine.

Que dire qui soit suffisamment convainquant pour faire cesser cet éclat de colère ? S'il s'était agit d'une de ses soeurs, Filippo se serait probablement contenté de la secouer un peu pour obtenir son attention. Mais, pour Philippe, mieux valait avoir plus d'égards.

Se souvenant que le prince aimait l'entendre parler en italien, il décida d'essayer.

– Philippe, calmatevi, vi prego. Ascoltatemi. Vi amo, lo giuro. [1]

Le prince ne comprit probablement pas tout, mais peu importait. Comme Filippo l'avait espéré, il semblait maintenant beaucoup plus disposé à l'écouter.

Pourtant, Philippe ne s'était pas vraiment calmé. Il se sentait beaucoup moins énervé, mais absolument pas calme. Et c'était heureux, dans un sens, car sinon il aurait eu terriblement honte de tout ce qu'il venait de dire.

Il leva vers Filippo un regard plein de confusion, à la fois désolé pour la crise de jalousie, toujours pas tout à fait convaincu qu'elle ne soit pas justifiée et, surtout, troublé par ses propres paroles, plus ou moins consciemment destinées à tenter d'obtenir ce qu'il voulait depuis le début sans savoir comment l'exprimer. Les quelques mots d'italien en avaient rajouté, d'ailleurs. C'était sans doute un peu idiot, mais il adorait entendre Filippo parler dans sa langue maternelle.

– Parlez-moi encore en italien, le supplia-t-il pratiquement en se rapprochant pour se retrouver à nouveau dans ses bras.

Le sourire qui précéda la réponse imitait encore – mais involontairement, cette fois – celui du comte de Guiche. En effet, Filippo devinait très bien pourquoi Philippe aimait l'entendre prononcer des phrases qu'il ne comprenait qu'à moitié : Pierre-Emmanuel partageait cet intérêt pour l'italien et lui avait dit clairement que, particulièrement quand il avait déjà "des idées en tête", cela contribuait à lui donner envie de... le jeter sur le lit le plus proche et de lui arracher ses vêtements, selon la formulation employée ce jour-là.

Mi chiedo perché vi piace tanto... [2] murmura-t-il d'un ton qu'il voulait juste amusé mais l'était moins que prévu.

Philippe ne pensait certainement pas exactement la même chose que Pierre-Emmanuel, mais lui... Depuis le temps qu'il en rêvait et s'obligeait à ne pas le montrer ! Maintenant, il savait qu'il pouvait, mais... doucement.

Vi amo... Lo sapete, vero ? [3] dit-il encore en attirant Philippe plus près de lui.

Le prince se laissa volontiers embrasser et prolongea même le baiser, s'arrangeant pour le rendre beaucoup moins innocent qu'il n'était censé l'être au départ. Sans doute espérait-il que Filippo cesserait enfin d'hésiter, mais il y avait quand même un point qui devait être clarifié :

– Ne soyez pas jaloux de Pierre-Emmanuel, Philippe, reprit le jeune Italien en revenant au français pour s'assurer d'être bien compris. Il est vrai que lui et moi avons été très proches, mais c'est différent, maintenant. Et, si je me suis conduit trop sagement avec vous, ce n'est certainement pas par manque d'intérêt. Je sais aussi que vous n'êtes pas une jeune fille, oui... mais vous êtes prince, et je vous dois plus de respect qu'à d'autres.

– Oh, au diable le respect ! répliqua Philippe sans hésiter. Même votre frère aîné n'en a pas eu autant pour le mien, qui est pourtant roi.

Filippo le regarda sans comprendre pendant plusieurs secondes.

– Mon... frère ? articula-t-il enfin, cherchant toujours une autre manière d'interpréter l'allusion.

Paolo et Louis... Non, c'était impossible !

_________________________________

[1] "Philippe, calmez-vous, je vous en prie. Écoutez-moi. Je vous aime, je le jure." (L'italien moderne utilise "lei" pour le vouvoiement, mais à l'époque c'est le "voi" qui était employé dans un cas comme celui-ci.)
[2] "Je me demande pourquoi ça vous plaît tant..."
[3] "Je vous aime... vous le savez, n'est-ce pas ?"

_________________________________

Voilà donc comment je me suis arrangée pour que Filippo soit au courant de ce qui s'était passé entre son frère et celui de Philippe. Et puis je pense qu'on devine que cette conversation aura d'autres conséquences (mais non, n'espérez pas de détails - je suis vraiment incapable d'écrire autre chose que des allusions).

Ah oui, je voulais préciser aussi que, si j'ai fait en sorte qu'Armand invite Filippo à se joindre à son groupe d'amis, c'est que je sais qu'ils ont réellement été amis (enfin, au moins un peu) plus tard.

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MessagePosté: 29 Déc 2006 16:49 
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J'ai pas pu m'empêcher de rire sur cette phrase :
Citation:
S'il s'était agit d'une de ses soeurs, Filippo se serait probablement contenté de la secouer un peu pour obtenir son attention.

:lol:

A part ça, j'aime bien la façon dont chacun est jaloux des "amitiés" de l'autre... c'est vraiment bien trouvé.

:suite:

Cybelia.


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MessagePosté: 05 Jan 2007 17:13 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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Oh, j'avais oublié de répondre ! Désolée. :oops: Voilà ce que c'est de toujours faire 36 choses à la fois...
Comme toujours, je te remercie de suivre cette histoire et de me dire ce qui te plaît particulièrement ou ce qui t'a amusée (lol oui, ça me fait rire aussi, l'idée que Filippo aurait secoué Maria ou une des autres pour qu'elle l'écoute).

_________________________________


Chapitre 8

Philippe referma la porte derrière lui en se demandant s'il ne venait pas de commettre une énorme bêtise.

Bien sûr, il y avait réellement beaucoup moins de risques que quelqu'un surprenne leur conversation s'ils étaient dans sa chambre plutôt que dans son salon. Et il ne pouvait même pas prétendre ne pas trouver particulièrement intéressante l'idée que Filippo puisse... profiter de la situation, en quelque sorte. Après tout, il lui avait pratiquement ordonné de se conduire comme il l'aurait fait avec n'importe quel autre garçon.

Le seul problème était que, maintenant qu'il y pensait, tout cela était atrocement embarrassant. D'autant plus qu'il allait lui falloir raconter ce qu'Armand lui avait dit...

Filippo restait silencieux aussi, et regardait autour de lui à la manière de quelqu'un qui ne sait pas très bien comment se comporter.

– Euh... Voulez-vous vous asseoir ? proposa Philippe d'une voix incertaine.

Lui-même s'assit au bord du lit et, après quelques secondes d'hésitation, Filippo prit place à côté de lui.

– Mon frère et le vôtre étaient-ils vraiment... ? commença-t-il, toujours incrédule.

– Amis, termina Philippe avec un petit sourire timide. Ils étaient surtout amis, mais... A vrai dire, je ne sais que peu de choses. Armand m'a rapporté ce que lui avait dit Paul. Sans cela, je n'aurais jamais imaginé... Vous savez, je n'avais même pas encore douze ans, à l'époque. Louis n'aurait jamais eu l'idée de me parler de cela.

Filippo hocha la tête, pensif.

– Il est évident que je ne parlerais pas de ce genre de choses avec Alfonso. Et Paolo n'aurait pas pu m'en parler non plus, même si j'avais été ici avec lui... Parfois, j'ai l'impression d'avoir à peine connu mon frère, ajouta-t-il après une courte pause. Alors maintenant...

Philippe s'approcha doucement pour l'entourer de ses bras et poser un léger baiser sur ses lèvres.

– Je comprends que cela vous perturbe, dit-il avec une petite moue compatissante. J'ai eu un choc également, moi qui croyais connaître le mien !

Filippo adressa au prince un sourire rassurant, puis dégagea un bras pour le lui passer autour des épaules et l'attirer plus près.

– C'est encore pire, j'imagine...

– Je ne sais pas, murmura Philippe en s'installant confortablement dans les bras de son très cher ami. Au moins, si je le voulais, je pourrais parler à Louis... bien qu'il soit presque certain qu'il n'apprécierait pas du tout que j'aborde le sujet.

– J'aimerais pouvoir parler à Paolo, soupira Filippo. Je n'arrive même pas à imaginer... Forcément, je le vois toujours tel qu'il était à dix ans.

Il resta silencieux pendant plusieurs dizaines de secondes, caressant machinalement les cheveux de Philippe, avant de demander :

– Comment était-il, à seize ans ?

– Beau ! répondit Philippe sans réfléchir.

Puis il pouffa de rire, en même tant que Filippo, quand il réalisa que c'était probablement ce qu'il pensait à l'époque sans en avoir conscience.

– Finalement, je crois que j'ai de la chance qu'il ne soit pas là pour vous détourner de moi, remarqua Filippo qui, à la réflexion, n'avait plus vraiment envie de rire.

Si même Philippe se mettait à faire l'éloge de l'ancien neveu préféré de "Monsieur le Cardinal"...

– Oh, mais je n'ai jamais dit que vous étiez moins beau que lui ! s'exclama le prince en s'écartant juste assez pour regarder son ami et vérifier qu'il n'était pas vraiment vexé.

Filippo détourna les yeux, fixant le sol d'un air songeur.

– Ce n'était pas la peine. Les comparaisons avec mes frères ne sont jamais à mon avantage...

Peut-être était-ce en partie pour cela qu'il s'entendait si bien avec Maria, que leur mère traitait comme quantité négligeable, favorisant toujours Olimpia – et désormais aussi la petite Ortensia, déjà si jolie à dix ans que certains pensaient à demander sa main au Cardinal sans attendre qu'elle ait atteint l'âge du mariage.

Il n'eut toutefois pas le temps de s'attarder sur la question car Philippe, d'un geste un peu trop brusque qui trahissait son indignation, l'obligea à se retourner pour lui faire face à nouveau.

– Pour moi, c'est à votre avantage ! Vous ne ressemblez peut-être pas beaucoup à Paul, mais cela ne signifie pas que je vous trouve moins beau que lui, et puis il y a tant de choses qui font de vous quelqu'un d'exceptionnel, à mes yeux si ce n'est à ceux des autres... Votre oncle vous reproche de ne pas lui obéir aveuglément ? A mon sens, c'est une qualité ! Qu'importe aussi que votre conduite n'ait pas été exemplaire au collège. Et si vous n'avez pas obtenu d'aussi bonnes notes que votre aîné, ce n'est pas faute d'avoir de l'esprit, car vos poèmes sont charmants. Et vous avez prouvé tout à l'heure que vous êtes également capable de manier le sous-entendu à la limite de l'insulte avec le même art que l'un des plus célèbres maîtres en la matière... Sans doute n'est-ce pas un don admirable du point de vue de tout le monde, mais cela m'amuse, savez-vous ? Et pratiquement toute la jeune Cour, y compris le Roi, apprécie généralement les gens qui ont ce sens de la repartie. Mais surtout... vous m'aimez, n'est-ce pas ?

– Bien sûr ! Ne vous l'ai-je pas assez dit ?

Cette réponse, donnée sans la moindre hésitation et sur un ton qui laissait clairement entendre combien la question semblait saugrenue, fit naître sur le visage du prince un sourire radieux auquel Filippo répondit, souriant aussi, en ajoutant un "je vous aime" en italien. Un tendre baiser suivit, puis quelques autres de plus en plus passionnés, au point que Filippo oublia que son respect pour le frère du Roi aurait dû, comme les autres fois, l'arrêter avant qu'il aille jusqu'à glisser les mains sous ses vêtements et se retrouve pratiquement allongé sur lui.

Philippe, bien entendu, était loin de songer à s'en plaindre. Tout au plus était-il légèrement inquiet, parce qu'il ne savait pas très bien ce qu'il était censé faire, mais la certitude que Filippo ne pourrait jamais lui faire de mal suffisait à le rassurer. Aussi fut-il particulièrement contrarié quand le jeune Italien, soudain repris de scrupules, retira vivement la main qui était sur le point d'atteindre un endroit que personne d'autre n'avait jamais touché.

– Vous pouvez ! s'écria Philippe en lui attrapant le poignet pour l'empêcher de reculer encore plus. Je sais que vous hésitez parce que vous n'êtes pas sûr que je ne vous le reprocherai pas plus tard, mais je vous assure que... je veux tout ce que vous voulez.

A vrai dire, c'était assez évident. Seulement, Filippo n'était pas certain que Philippe sache exactement de quoi il parlait. Après tout, il n'était jamais allé au collège, lui. Il n'avait pas eu de camarades de classe pour lui apprendre ce que parents et professeurs ne disent jamais. Mais, d'un autre côté, il pouvait très bien avoir entendu pas mal de choses en côtoyant les amis de son frère...

Voyant qu'il hésitait encore, Philippe le tira vers lui et recommença à l'embrasser. Résister aurait été stupide...

~ * ~

Philippe s'était, comme souvent, installé dans les bras de Filippo, la tête posée sur son épaule. Rien que de très ordinaire... excepté que, cette fois, ils étaient dans son lit – et pas du tout habillés. Mais ce n'était plus gênant, maintenant. Il avait eu tout le temps de s'habituer depuis...

Réalisant soudain qu'il devait être bien tard, le prince releva brusquement la tête et se tourna pour voir la pendule.

– Que se passe-t-il ? interrogea Filippo d'une voix ensommeillée.

Il était presque endormi quand Philippe avait bougé, le réveillant en sursaut.

– Cela fait plusieurs heures que nous sommes ici... Je crains que ce ne soit pas très discret.

– En effet...

Ni l'un ni l'autre ne se décida à se lever, pourtant. Philippe reprit même sa place en murmurant un vague "Encore dix minutes" qui fit sourire Filippo.

– Est-ce aussi ce que vous dites tous les matins ?

– Oui, exactement !

Ils se regardèrent, se sourirent et s'embrassèrent tendrement.

– J'aimerais que vous puissiez venir dormir ici la nuit, soupira Philippe. Je vais me sentir bien seul ce soir...

Filippo le serra plus fort contre lui.

– Vous me manquerez aussi. Il est évident que partager une chambre avec mon jeune frère a beaucoup moins d'intérêt.

– A propos de frères... commença Philippe.

Il ne dit rien de plus, mais c'était inutile.

– Oui, répondit Filippo comme s'il avait pu entendre la suite informulée. J'ai vraiment du mal à imaginer que nos aînés respectifs aient pu se trouver dans la même situation.

– Je ne suis pas certain que cela soit réellement comparable mais...

Comme il ne savait presque rien de l'affaire, Filippo saisit aussitôt l'occasion de demander quelques explications. Mais Philippe se contenta de résumer ses impressions.

– Mon frère aime tellement les femmes... dit-il d'un ton où perçait toute son incompréhension. Je doute fort qu'il ait pu être amoureux du vôtre – et vice versa. Je suis presque certain que Paul avait également ce fort penchant pour les demoiselles que vous ne partagez visiblement pas plus que moi.

Filippo répondit d'un sourire amusé à la fin de la tirade, et Philippe l'embrassa comme pour confirmer qu'il le trouvait bien plus intéressant que n'importe quelle demoiselle.

– Il faut pourtant que Paolo n'ait pas aimé que les femmes, pour faire ce qu'il a fait ! remarqua tout de même Filippo, au bout de quelques secondes. Je ne comprends d'ailleurs pas comment il a pu s'autoriser une telle chose si ce n'était pas pour la même raison que moi.

"Au diable le respect" quand on aime, d'accord, mais sinon ? Quelle raison aurait pu avoir Paolo de...

Filippo retint à grand-peine une exclamation quand, comme la manière dont son histoire avec Philippe avait commencé lui revenait à l'esprit, il lui apparut évident que son frère pouvait très bien s'être vu confier par Zio Giulio une mission similaire à la sienne.

Par chance, Philippe s'était de nouveau pelotonné contre lui et ne vit donc pas l'expression choquée qu'il n'aurait pas pu lui cacher autrement.

Le prince, en fait, répondait très calmement à ce qu'il venait de lui dire, réfléchissant à haute voix :

– Louis n'était sans doute pas encore aussi peu influencé par ses amis qu'il ne l'est aujourd'hui...

– Vous voulez dire que Guiche l'aurait convaincu qu'il pouvait être intéressant de ne pas se limiter à la seule gent féminine ? demanda Filippo d'un ton dubitatif.

– Lui ou un autre, confirma Philippe avant de poursuivre son raisonnement. Probablement pas lui, en fait, car il n'avait que treize ans. Louis aussi, mais presque quatorze, et il était déjà tellement intéressé par les femmes... Si quelqu'un lui avait donné l'idée de...

Cette version plaisait beaucoup plus à Filippo. Si tout était venu de Louis, alors, ses soupçons n'avaient pas lieu d'être.

– D'après Armand, pourtant, reprit Philippe après une pause, il semblerait plutôt que ce soit Paul qui... Oh, je ne comprends rien !

Il s'était redressé d'un bond en tapant du poing sur le matelas pour manifester son agacement, et Filippo s'assit aussi, le regardant en silence pendant plusieurs secondes avant de poser une question dont il n'était pas entièrement sûr de vouloir connaître la réponse :

– Que savez-vous, exactement ?

Philippe avait bien envie de lui conseiller de s'adresser plutôt au comte de Guiche, qui en savait autant sinon plus et raconterait tout sans détours, mais l'idée de ce qui pourrait se passer s'il laissait Filippo rencontrer seul quelqu'un comme Armand, a fortiori pour l'interroger sur un tel sujet, le convainquit qu'il valait mieux s'arranger pour fournir lui-même les informations réclamées. Il rapporta donc ce qu'il savait de la manière la plus détachée possible, tout en s'efforçant de se rhabiller – maladroitement, autant parce qu'il sentait le regard de Filippo fixé sur lui que parce qu'il n'avait pas l'habitude de se débrouiller sans l'aide d'un valet.

Le récit était d'ailleurs plutôt maladroit également. Quand il mentionna le fait que "Paul" Mancini craignait d'être chassé de la Cour, les soupçons de Filippo étaient déjà revenus, cent fois pires qu'avant. Horrifié, le jeune Italien se demandait maintenant si son frère avait pu tenir à obéir à leur oncle au point de forcer Louis à avoir avec lui des relations bien plus qu'amicales.

– Mais... Philippe... balbutia-t-il d'une voix blanche. Vous rendez-vous compte que... raconté ainsi...

"Notre oncle ne lui aurait jamais ordonné de faire cela", se raisonna-t-il à part lui. "Il n'aurait pas voulu le voir exilé..."

Mais si ce n'était pas un ordre de l'oncle, après tout ?

– Je ne peux croire que mon frère ait pu... ajouta-t-il à haute voix, ses yeux suppliant Philippe de lui rendre la certitude que Paolo avait été "parfait".

Même s'il détestait cette idée d'habitude, il la trouvait maintenant mille fois préférable à celle que le petit garçon dont il avait le souvenir ait pu devenir une personne encore plus détestable que le Cardinal-Ministre, coupable tout au plus de dissimulation, de manipulation et probablement aussi de détournement de fonds. Toutes choses qui le choquaient en temps ordinaire mais n'étaient plus rien en comparaison de ce qu'avait peut-être fait son propre frère...

– Rassurez-vous, c'est impossible, répondit Philippe sans le regarder, gêné et désolé de lui avoir involontairement donné d'aussi terribles soupçons. Louis n'aurait jamais pardonné une telle chose, donc il n'aurait certainement pas donné à Paul ce grade de capitaine à titre presque posthume, et encore moins pleuré comme il l'a fait. Je l'ai vu : il était... anéanti. Autant que votre oncle.

– Oh, lui !

Rassuré à propos de son frère, Filippo s'était déjà remis à penser que toute l'histoire n'avait dû être qu'une manigance politique signée Mazarin. Et il était bien décidé à en obtenir confirmation à la première occasion.

– Je ne serais pas surpris qu'il ait surtout pleuré la perte d'une personne qui lui était toute dévouée, marmonna-t-il en se levant pour s'habiller aussi.

– Tout de même, il me semblait qu'il l'aimait beaucoup, insista le prince, un peu choqué.

Il n'appréciait pas spécialement le Cardinal, mais il l'avait vu très affligé de la mort de son neveu préféré et ne comprenait pas qu'on doute de sa sincérité en la circonstance.

– Vous ne savez pas ce dont mon oncle est capable, Philippe ! Je vous accorde qu'il aimait sans doute mon frère, comme il aime d'ailleurs l'autre, mais je le connais trop pour croire que son affection était totalement désintéressée. Il n'aime que ceux qui peuvent lui être utiles, ainsi que Paolo l'était... D'ailleurs, il a eu tôt fait d'écrire à ma mère pour réclamer un remplaçant – sans compter de nouvelles filles à marier, car il venait de fiancer l'avant-dernière de celles qu'il avait sous la main. Bien jolie lettre que celle-là ! "Ma chère soeur, pourriez-vous m'envoyer votre second fils pour qu'il prenne la place du premier ? J'aurais également besoin de l'aînée des filles qu'il vous reste à Rome, ainsi que de celle de Laura Margherita..." Je paraphrase mais, si la forme était plus délicate, le fond revenait à cela.

Cette fois, Philippe ne songea plus qu'à s'amuser des paroles de son ami :

– Malheureusement pour lui, Marie et vous êtes loin des modèles de neveu et nièce obéissants qu'il espérait ! commenta-t-il en riant.

Ce qui fit sourire Filippo.

– On l'en plaindrait presque, n'est-ce pas ? répliqua-t-il avec un clin d'oeil. Bien, puisqu'il vaut mieux que je ne m'attarde pas plus longtemps chez vous, je m'en vais tenter de convaincre Alfonso de se joindre aux rangs des insoumis. A demain, mon prince !

Malgré le ton léger, Philippe perçut toute l'affection contenue dans la dernière phrase et, après s'être laissé embrasser très volontiers, il murmura en réponse trois des rares mots d'italien qu'il connaissait : "A domani, amore."

* * *

Maintenant, je n'ai plus de chapitre en réserve (enfin, j'ai écrit le 9, mais seulement sur papier), donc il faudra de nouveau attendre plus longtemps pour la suite. Je peux toutefois jurer que je compte bien finir cette fic un jour ou l'autre. J'y tiens bien trop pour l'abandonner.
(Au fait, Cybelia, tu as le livre du spectacle Le Roi Soleil ? J'ai couiné comme une fan idiote - "iiiii, mon chériiii" ! lol - quand j'ai vu qu'il était écrit que "Monsieur" avait aussi eu "son Mancini". ^^)

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Dernière édition par Cybèle Adam le 29 Avr 2010 13:53, édité 3 fois.

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MessagePosté: 06 Jan 2007 00:46 
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La scène qui amène "la scène" est très jolie... et les doutes de Filippo bien exprimés.

Pour ce qui est du livre, oui, je l'ai mais je n'ai pas encore eu le temps de tout lire.

Prends ton temps pour écrire la suite ! Mais je te dis quand même :suite: :lol:

Cybelia.


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MessagePosté: 06 Jan 2007 12:36 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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Ma soeur trouve que j'aurais dû écrire "la scène" en détails mais bon, j'aurais jamais pu ! :oops: Contente que tu apprécies ce qui précède, en tout cas. :) Ils sont mimis, hein ? *finit toujours par être limite amoureuse de ses personnages (d'où le "iiii, mon chériiii" en voyant la phrase sur Filippo dans le livre)*
Merci encore de suivre cette fic et de toujours écrire un gentil petit commentaire. *bisou*
Voilà, donc, maintenant, j'espère que je vais m'en sortir avec la suite. J'ai écrit le chapitre 9 rapidement, mais après ça risque d'être beaucoup plus compliqué parce que, pour respecter la vérité historique, je vais devoir séparer mes "petits trésors" et... ben, évidemment, je veux paaaaaas !!! :cry:
Je ne dis rien de plus sur le livre, alors. On en reparlera quand tu auras tout lu.

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MessagePosté: 25 Avr 2007 14:01 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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Chapitre 9

L'accent bien trop français mais tout à fait adorable du prince résonnait encore dans la tête de Filippo quand il atteignit les appartements de la famille Mancini et faillit entrer en collision avec Maria, qui sortait au moment où il allait entrer.

– Enfin vous voilà ! s'exclama la jeune fille, très agitée. Mère est furieuse. Elle refuse de croire que j'ignore où vous vous trouviez et pense que je mens pour vous couvrir. Ce qui n'est qu'à moitié faux, car j'ai évité de lui dire avec qui je suis certaine que vous étiez.

– Merci. Je n'aurais vraiment pas aimé qu'elle envoie quelqu'un me chercher chez Philippe aujourd'hui, répondit son frère avec un sourire plein de sous-entendus que Maria, à en juger par son expression de surprise vaguement choquée, interpréta correctement. Mais pourquoi tient-elle justement à me voir maintenant ?

La réponse était simple : il était en retard. Repas de famille, comme tous les soirs. A la même heure. Mais, ainsi que Maria le remarqua avec consternation, il n'y avait pas pensé un seul instant.

Il n'était même pas présentable – habillé et coiffé un peu n'importe comment, ce qui confirma les soupçons de sa soeur.

– Vous êtes impossible ! soupira-t-elle sans toutefois pouvoir dissimuler un certain amusement.

– Vous le seriez aussi, à ma place, répliqua Filippo très sérieusement. Ne croyez-vous pas ?

Maria ne nia pas. Elle l'enviait un peu, au fond. Les garçons étaient tellement plus libres que les filles...

– Je vais prévenir Mère que vous arrivez, dit-elle seulement. Tâchez de mettre un peu d'ordre dans votre tenue avant de paraître devant elle.

~ * ~

Si la Signora Mancini vit quelque chose d'anormal dans la manière dont son fils était habillé ou coiffé, elle préféra l'ignorer. Quant à son frère le Cardinal, il se contenta d'une remarque à propos du retard et, à la fin du repas, accorda immédiatement à Filippo l'entretien qu'il demandait.

– Je n'attendais votre rapport hebdomadaire que dans deux jours, s'étonna-t-il quand même dès qu'ils furent seuls. S'est-il passé quelque chose d'important aujourd'hui ?

– En un sens... répondit Filippo tout en refusant d'un geste de s'asseoir devant le bureau de son oncle.

Il ne comptait pas s'attarder, de toute façon.

– Très bien. Dites-moi.

– Non.

Mazarin n'en crut visiblement pas ses oreilles, et en resta coi.

– Ce qui se passe entre Philippe et moi ne vous regarde pas, ajouta Filippo d'une voix ferme.

L'expression du visage de son oncle passa en un clin d'oeil de l'incrédulité à l'indignation.

– Comment ? s'écria-t-il. Je vous ai chargé de...

– Oui, c'est précisément de cela que je voulais vous parler, reprit Filippo sans paraître s'apercevoir qu'il accumulait les impertinences. Ce n'était pas la première fois que vous aviez une telle idée, n'est-ce pas ?

– Que signifie... ?

Une lueur de compréhension passa dans les yeux du Cardinal au moment même où il posait la question, et Filippo décida de ne pas lui laisser le temps de réfléchir à une réponse mensongère.

– Paolo... Lui aussi s'était vu confier une mission ! Vous ne faites que répéter avec moi ce que vous aviez déjà fait. Pourquoi ?

– Qui donc vous a dit... ?

– Personne. J'ai deviné.

C'était presque vrai, après tout. Bien sûr, il n'y aurait jamais pensé si Philippe ne lui avait pas raconté ce qu'il avait appris par le comte de Guiche, mais personne n'avait eu besoin de lui dire que son oncle était responsable de tout.

Pourquoi ? insista-t-il comme Mazarin tentait encore d'éluder la question.

– Vous ne comprendriez pas, répondit dignement (et très dédaigneusement) le Cardinal.

Il avait raison, d'ailleurs. Quelles que soient ses raisons, Filippo ne pourrait jamais les comprendre. Mais il pouvait les deviner :

– Je gagerais que vous cherchiez à contrôler le Roi en vous arrangeant pour que Paolo ait un peu d'influence sur lui. Et Olimpia remplit probablement ce rôle désormais... Oui, je vois cela également !

L'idée venait seulement de lui traverser l'esprit mais, maintenant qu'il y avait pensé, elle lui apparaissait comme une évidence. Olimpia qui, à dix-huit ans, n'était pas encore mariée, ne manquait aucune occasion de jouer les coquettes auprès du souverain. Et celui-ci semblait toujours charmé de sa compagnie. Filippo soupçonnait d'ailleurs Maria d'en être un peu jalouse.

– Je n'ai rien demandé à votre soeur, précisa le Cardinal. C'est elle-même qui s'est prise à rêver de devenir Reine de France. Ses ambitions sont exagérées, mais elle m'est plus utile que vous. A présent, asseyez-vous enfin et dites-moi...

– Non.

Agacé par ce nouveau refus, Mazarin quitta son propre siège et frappa des deux mains sur le bureau.

– Mais de quel droit... ?

– Du droit que toute personne devrait avoir de ne révéler certaines choses que si elle le décide.

Une fois de plus, fureur et stupeur coupèrent momentanément la parole à l'oncle. Et l'expression polie avec laquelle Filippo attendit qu'il soit capable d'émettre autre chose qu'une espèce de grognement exaspéré augmenta encore sa mauvaise humeur.

– Je vous savais indocile, mais cette fois vous dépassez les limites ! hurla-t-il finalement. Je vous ai confié une mission et j'entends que vous...

– Il n'est plus question de mission, déclara Filippo avec un calme apparent que son oncle prit – non sans raisons – comme une insolence supplémentaire. C'est la deuxième chose que je voulais dire. Vous ne m'aimez pas, je le sais, donc je ne prendrai pas la peine de vous demander s'il vous arrive de vous soucier de mes sentiments, mais...

Il hésita un instant, et le cardinal en profita pour glisser un commentaire sarcastique :

– Des sentiments, voyez-vous cela ! A vous entendre, on pourrait presque penser que vous êtes amoureux.

– Je le suis, en effet.

L'air profondément sérieux de son neveu empêcha Mazarin de croire à une plaisanterie, mais il ne s'en autorisa pas moins à répliquer ironiquement :

– Vraiment ? Et que voulez-vous donc ? Que j'aille voir la Reine et lui demande pour vous la main de son second fils ?

Évoquée par Maria en manière de taquinerie, l'image d'un Philippe en robe de mariée aurait pu être amusante. Mais cette question-là n'avait vraiment rien de drôle : elle était bien trop pleine de mépris et constituait même pratiquement une insulte au prince. Aussi Filippo dut-il faire un effort pour ne pas balancer à la figure de son oncle le premier objet qui lui tomberait sous la main.

– Je pense que vous pouvez vous contenter de cesser de m'interroger à son sujet, répondit-il d'un ton aussi posé que possible.

Puis il prit congé et sortit rapidement.

~ * ~

– Que se passe-t-il donc ? s'étonna Alfonso en voyant son aîné rentrer dans leur chambre avec un air pour le moins agacé.

– Rien.

Filippo s'assit sur son lit et tendit la main pour prendre un livre qui traînait sur sa table de chevet. Mais son petit frère ne sembla pas comprendre le message.

– C'est faux, insista-t-il. Vous ne seriez pas fâché pour rien ! Zio Giulio vous a-t-il reproché votre retard de tantôt ? Ou est-ce au sujet de votre ami le prince ?

Espérant que le "petit" se lasserait de lui parler s'il ne répondait pas, Filippo avait ouvert le livre et faisait mine de ne pas entendre, mais il lui fut impossible d'ignorer la deuxième question.

– Philippe ? Pourquoi pensez-vous qu'il m'aurait parlé de Philippe ? demanda-t-il, soudain inquiet, en levant les yeux pour les fixer sur ceux de son frère... qui pétillaient de malice.

Il ne pouvait pas savoir, tout de même !

– Vous êtes toujours avec lui ! Imaginiez-vous que personne ne l'avait remarqué ?

– Non, reconnut Filippo, à moitié rassuré seulement (même venant d'un enfant, ce petit sourire avait bien l'air de cacher quelque chose). Maria m'en a parlé aussi. Mais vous, vous ne pouvez pas comprendre.

Il s'attendait à des protestations du style "Je ne suis pas un bébé, j'ai douze ans ; je peux comprendre si vous m'expliquez". L'éclat de rire qu'il reçut en réponse à la place le prit donc totalement au dépourvu. Ainsi que le message que lui tendit Alfonso en répliquant d'un air mystérieux "N'en soyez pas si sûr".

Philippe aurait-il commis l'imprudence de lui écrire des mots d'amour ? Ou était-ce Pierre-Emmanuel qui, ayant lu entre les lignes de sa dernière lettre, y répondait moins subtilement ?

En fait, c'était presque pire : une invitation du comte de Guiche.

Mon cher Mancini, écrivait Armand. La jalousie (sans doute en partie justifiée) du Petit Monsieur nous ayant empêchés de terminer notre conversation, j'ai pensé que...

– Avez-vous lu ce billet ? interrogea Filippo, les sourcils froncés, sans même finir de le lire lui-même.

Nullement impressionné par cette expression qui se voulait sévère mais ne l'était que bien peu en comparaison de celle, franchement menaçante, que pouvait prendre leur oncle, Alfonso hocha simplement la tête en déclarant avec une innocence étudiée que le messager n'avait pas précisé s'il s'agissait d'une lettre à caractère privé.

Filippo soupira mais ne dit rien, même quand il constata, en reprenant sa lecture, que le comte avait fait d'autres allusions, plus claires que celles de la première phrase, à la nature très particulière des sentiments du prince et de son "ami" italien. Même Marianna qui, à six ans, écrivait déjà des vers comme son frère, aurait été capable de comprendre aussi...

En tout cas, Filippo se voyait mal blâmer Alfonso de s'être montré un peu indiscret alors que leur propre oncle était connu pour avoir des espions partout. Aussi décida-t-il de ne commenter que le bon côté des choses :

– Apparemment, cela ne vous a pas choqué...

– Pas même surpris, en vérité, répondit le "petit" avec un large sourire. Je vous avais vu avec Pierre-Emmanuel l'été dernier, quand vous pensiez être seuls.

Filippo préféra éviter de demander ce qu'il avait vu exactement. Un simple baiser, sans doute... Sinon, il le prendrait sûrement moins bien.

– Évitez d'en parler devant Philippe, surtout. Il est très jaloux.

– Je sais.

Ah oui : la lettre du comte.

– Bien... Et promettez-moi aussi de ne rien dire à personne au sujet de ce que vous avez lu.

Alfonso hocha la tête.

– Promis. Mais pourquoi ? C'est chose tellement courante, ici...

Décidément, rien n'échappait à cet enfant !

– Je ne suis pas sot... et ils ne se cachent guère, remarqua ledit enfant d'un ton égal quand son frère s'étonna de le voir encore si bien informé.

– C'est vrai. A propos, j'avais justement l'intention de vous mettre en garde... pour quand vous irez à Clermont, commença Filippo sans trop savoir comment poursuivre.

– En garde ? répéta Alfonso dans un éclat de rire. Contre quoi ? Un monstre qui se cacherait dans l'école ?

Malgré le sérieux du sujet qu'il voulait aborder, Filippo ne put s'empêcher de sourire.

– Non, à ma connaissance, aucun monstre ne hante les couloirs du collège. Mais certaines gens pourraient penser... parce que vous êtes italien et peut-être aussi parce que vous êtes mon frère... que vous seriez susceptible d'accepter... certaines choses.

– Je vois, dit simplement Alfonso (et Filippo espéra qu'il ne voyait pas réellement). Mais, si c'est le cas, je leur dirai que moi, je n'aime que les filles. D'ailleurs, je sais déjà qui je veux épouser.

– Vraiment ? Qui donc ?

Il est extrêmement difficile de prendre au sérieux un gamin de douze ans parlant de son futur mariage mais, pour ne pas vexer son petit frère, Filippo s'efforça de cacher qu'il avait terriblement envie de rire.

– Mademoiselle de Tonnay-Charente. [1]

Ne pas rire, ne pas rire...

– La soeur de Vivonne ? Elle a au moins trois ans de plus que vous !

Alfonso haussa les épaules et répliqua tranquillement :

– Elle a votre âge, oui, mais qu'importe ? Elle me plaît. Et vous, vous ne voudrez pas l'épouser, n'est-ce pas ?

Cette fois, Filippo laissa libre court à son hilarité.

– Non non, soyez sans crainte ! Je ne serai jamais votre rival. Et, si vous le souhaitez, je tâcherai d'apprendre par son frère ce que cette demoiselle pense de vous.

– Non ! s'écria le "petit", soudain très rouge.

– Ah ? Mais pourquoi ? questionna Filippo en feignant la surprise. J'aurai pourtant une occasion parfaite demain soir, puisque Guiche m'invite chez lui et que Vivonne y sera également...

– Vous n'irez pas chez Guiche, répliqua gravement Alfonso, maintenant certain que son frère ne dirait rien. Philippe est jaloux.

Évidemment, il avait encore tout compris.

___________________________

[1] Il s'agit de la future Madame de Montespan, grande favorite de Louis XIV. Elle ne vivait pas encore à la cour, mais pouvait passer voir son frère...

____________________________

Le chapitre 10 est centré sur Philippe, pour équilibrer un peu... Et le 11 est écrit aussi (là, ils y sont tous les deux). Cybelia, comme il n'y a plus que toi qui lis (ou, en tout cas, plus que toi qui commentes), tu as le droit de me dire quand ça t'arrangerait que je poste la suite - quand tu sais que tu auras le temps de lire, quoi ! ^^

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Dernière édition par Cybèle Adam le 29 Avr 2010 14:04, édité 3 fois.

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MessagePosté: 25 Avr 2007 19:02 
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C'est très agréable de voir Filippo se rebeller contre son oncle ! ^^ Et le petit Alfonso est trop mimi !

Pour la suite, c'est quand tu veux ! Je trouve toujours un moment pour lire cette fic ! ^^

:suite:

Cybelia.


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MessagePosté: 25 Avr 2007 19:39 
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Mais euh... kesk'ils font ces deux-là ?
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J'ai adoré écrire ces passages.
La rébellion a bien fait rire ma soeur, aussi.
Et je me suis attachée à ce petit frère qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. (Pourquoi il est mort à 14 ans, celui-là ? :cry: ) On le revoit un peu dans le chapitre 11.

D'accord, alors, la suite très bientôt. Bisous.

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MessagePosté: 25 Avr 2007 20:36 
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Pas encore atteint(e)... mais presque
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j'aime beaucoup cette histoire :D
et je suis contente que Filippo se rebelle enfin contre son oncle. mais j'espere que sa va pas trop leur retombé dessus :?

:bravo:
vivement la suite :D

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i will let you go with longing
and the hope that you will be fine"
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MessagePosté: 25 Avr 2007 23:38 
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:shock: Oooh, y a quand même quelqu'un d'autre qui lit, en fait !

Image pour ce commentaire inattendu. :)

Il était temps que quelqu'un se décide à dire à Mazarin de se mêler de ses affaires, hein ? lol
Sinon, eh bien... je serai obligée de finir l'histoire comme elle s'est finie en réalité (bien que je n'en sache pas grand-chose), mais j'envisage d'ajouter une "fin alternative" pour compenser. :wink:

A bientôt pour la suite !

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MessagePosté: 29 Avr 2007 13:43 
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Chapitre 10

Ce même soir, Philippe eut l'esprit tellement absent qu'il ne prit presque aucune part aux conversations, et ce quasi-mutisme lui était si peu ordinaire que le Roi lui-même finit par s'en inquiéter. Il commença par demander à leur mère si elle connaissait la cause de cette humeur étrange puis, comme la Reine s'avouait également perplexe, il décida d'interroger directement son cadet.

– Que vous arrive-t-il, mon frère ? s'enquit-il dès qu'il l'eut entraîné à part pour lui parler loin de toute oreille indiscrète. Nous vous avons à peine entendu de toute la soirée... C'est à tel point que, si je ne vous avais eu sous les yeux, j'aurais douté de votre présence. Cela ne vous ressemble guère... Auriez-vous quelque souci, pour être ainsi replié sur vos pensées ?

Philippe, ne sachant que dire, assura simplement Louis qu'il allait très bien, mais le Roi continuait à le regarder en fronçant les sourcils, certain qu'il lui cachait quelque chose.

– Vous ne semblez pas malade, mais il doit bien exister une raison... insista-t-il.

– Tout va bien, répéta Philippe, sincère. Je rêvais seulement.

Et, comme ces seuls mots suffisaient à lui remémorer encore d'agréables souvenirs de son après-midi, il sourit de telle manière que son frère devina plus ou moins de quoi il retournait.

– Oh, je vois ! Point d'ennuis, mais plutôt le contraire, commenta le Roi d'un ton amusé. Depuis combien de temps rencontrez-vous cette personne en secret ? Maintenant que j'y pense, cela fait plusieurs semaines que vous paraissez souvent distrait. J'aurais dû comprendre bien plus tôt !

Valait-il la peine de nier ? Les yeux baissés, Philippe laissait parler son frère et ne disait toujours rien, mais le moment où il serait obligé de répondre arriverait forcément, et cette perspective l'effrayait. Que pensait Louis, exactement ? S'il avait compris, sa réaction était bien surprenante. Beaucoup trop de détachement, pas une once d'embarras... Non, décidément, ce n'était pas normal. L'identité de la personne dont il parlait devait lui échapper complètement. Et, bien entendu, Philippe ne tenait pas du tout à l'informer de son erreur – erreur qui se vit d'ailleurs bientôt confirmée par une question hélas inévitable :

– Dites-moi donc, mon frère : qui est cette jeune fille qui occupe vos pensées ?

Bien qu'il s'y fût un peu attendu, Philippe n'en fixa pas moins son aîné d'un regard incrédule. Louis le connaissait-il donc si peu ? Etait-il vraiment incapable de voir l'évidence ? Incapable d'imaginer que son frère puisse avoir des goûts différents des siens ? (Quoique, pas tant que cela, d'une certaine façon...) Ou refusait-il seulement d'envisager une éventualité qui le choquait ?

– Louis... commença Philippe d'une voix faible, comme s'il le suppliait de comprendre.

Il aurait voulu pouvoir dire la vérité clairement et sans honte, mais c'était tout simplement impossible. Même quand on ne considère pas soi-même qu'il y ait lieu de mal juger ce que l'on fait, ce que l'on pense, voire, dans le cas présent, ce que l'on est sans l'avoir décidé, on ne peut que craindre de s'exprimer devant ceux dont on sait qu'ils ont un point de vue différent sur la question.

– Je ne pense pas que vous vouliez le savoir, finit par déclarer Philippe, reprenant de l'assurance avec la résolution de se taire.

– Est-ce parce qu'il ne s'agit pas d'une personne que vous pourriez épouser ? l'interrogea encore Louis, et Philippe se demanda si le retour au mot "personne" signifiait que le Roi n'était pas si sûr, finalement, qu'il s'agît bien d'une demoiselle.

– C'est cela... dit-il très bas.

Après tout, ce n'était pas mentir.

~ * ~

Louis avait renoncé à questionner son frère, mais Philippe était convaincu qu'il trouverait un moyen de savoir tôt ou tard. Peut-être même avait-il déjà des soupçons. Peut-être aussi en avait-il parlé à leur mère. Ou pire : aux personnes les plus susceptibles de pouvoir le renseigner, c'est-à-dire leurs amis. Dont Armand, qui savait tout.

Au bout d'une semaine, n'y tenant plus, Philippe se fit de nouveau annoncer chez Armand – seul, cette fois.

– Que vous arrive-t-il, Philippe ? s'étonna le comte (exactement comme Louis). Vous voici bien agité !

Puis, comme le prince exprimait sa crainte que son frère soupçonne quelque chose :

– A quel propos ? Mancini ?

– Oui... Rassurez-moi : vous n'avez rien dit ?

Armand jura que non, avec un tel accent de sincérité que Philippe ne songea pas à en douter.

– Et il ne vous a posé aucune question ? demanda-t-il encore.

– Aucune, répondit Armand, surpris. Pourquoi l'aurait-il fait ?

Philippe soupira.

– Parce qu'il m'en a posé, à moi, dit-il d'un air ennuyé. Et parce qu'il se demande pourquoi je refuse de lui révéler le nom de la personne que j'aime.

Il attendait un commentaire sur la naïveté – au moins apparente – du Roi qui prêtait à son frère le même genre de goûts qu'il avait lui-même, mais Armand s'intéressa plus à un autre des détails sous-entendus dans la phrase.

– Dois-je comprendre que vous aimez Mancini comme vous pourriez aimer une femme ?

Philippe trouva cette question complètement ridicule. Il n'en répondit pas moins tout à fait sérieusement, par un simple non qu'Armand accueillit avec un étonnement poli. Visiblement, il allait falloir se montrer plus clair.

– Je ne pourrais certainement jamais aimer une femme de cette façon, précisa-t-il.

Cette fois, Armand éclata de rire.

– Oh ! Bien sûr... Mais... Ainsi, vous êtes réellement amoureux ?

– N'est-ce pas évident ? répliqua Philippe, légèrement agacé.

Pour lui, cela ne faisait aucun doute, et il lui semblait que tout le monde aurait dû s'en apercevoir – même s'il préférait que ce ne soit pas le cas, bien entendu.

– Eh bien... oui, je suppose que c'est assez visible. Cette jalousie... Mais tout de même, c'est étrange.

– Pourquoi ? questionna encore le prince, de plus en plus perdu. Je pensais que vous, vous pourriez comprendre...

– Comprendre votre intérêt pour lui, oui, répondit tranquillement le comte. Et plus encore le sien pour vous, ajouta-t-il après une brève pause, accompagnant les mots d'un sourire et d'un coup d'oeil très éloquents.

Philippe détourna les yeux et attendit quelques instants, en vain, une explication qu'il finit par réclamer :

– Alors ?

– Alors, reprit Armand en s'approchant comme pour l'empêcher de se dérober encore à son regard, cela ne change rien à l'étrangeté du fait que vous affirmiez en être amoureux. Les femmes sont amoureuses, Philippe – et elles attendent de nous que nous prétendions les aimer en retour, même si ce n'est pas toujours vrai. Mais les hommes... (Il avança encore, et arrêta d'un geste Philippe qui s'apprêtait à reculer.) Les hommes entre eux ont-ils besoin de s'embarrasser de tout cet embrouillement sentimental ? Non, et c'est là tout l'intérêt... Voyez, si je fais ceci...

Il se pencha et, bien qu'ayant tout de suite deviné son intention, Philippe n'eut aucune réaction jusqu'à ce que leurs lèvres se touchent. Avec une seconde de retard supplémentaire, il bondit alors en arrière et, ne trouvant rien à dire, se contenta de prononcer le prénom du comte du ton le plus choqué qu'il ait jamais employé.

Un éclat de rire lui répondit.

– Vous réagissez comme une fille !

– C'est faux ! protesta le prince, bien qu'il ait lui-même cette impression.

– C'est vrai, insista Armand avec son habituel sourire effronté. Mais je dois reconnaître que cela fait partie de votre charme. Peut-être est-ce ce qui plaît à Mancini.

Soudain pris d'un horrible doute, Philippe ne put s'empêcher de formuler à voix haute une question qu'il aurait probablement mieux fait de garder pour lui :

– Pensez-vous que... qu'il prétend seulement m'aimer, comme vous le feriez pour qu'une femme vous accorde un baiser... ou plus ?

Le célèbre sourire apparut de nouveau sur le trop beau visage que Philippe aurait voulu s'interdire d'admirer.

– Puisque vous l'aimez tant, je suis certain que vous... commença le comte en fixant sur lui un regard qui semblait vouloir lire directement dans l'esprit du prince la confirmation de ce qu'il imaginait.

Mais, voyant surtout les yeux noirs flamboyer d'indignation, il jugea finalement plus prudent de convenir que, si Philippe avait accordé plus que des baisers à son très cher ami italien, cela ne le regardait en rien.

– Hélas, je ne sais que répondre à votre question, poursuivit-il d'un air désolé. Je connais à peine Mancini. Votre jalousie m'oblige à m'en tenir éloigné... Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que lui ait été élevé comme une fille...

Trop triste pour relever l'allusion à la manière dont sa propre mère l'avait toujours traité, Philippe ne put qu'énoncer d'une voix éteinte la conclusion qui s'imposait :

– Il ne peut donc que partager votre point de vue.

Il n'arrivait pas vraiment à y croire, pourtant. Comment Filippo aurait-il pu mentir, et pourquoi, d'ailleurs, s'en serait-il donné la peine ? Il lui aurait été plus simple d'aller voir ou de faire inviter son fameux ami Pierre-Emmanuel d'Isigny...

Arrivé à ce point de ses réflexions, le prince laissa la jalousie l'égarer et se remit à concevoir les pires soupçons au sujet de cette amitié dont Filippo évitait de parler.

– Il ne m'aime pas, alors ? gémit-il, toute raison balayée par l'image insupportable de celui qu'il aimait embrassant quelqu'un d'autre (et bien pire).

Sa détresse était telle qu'il remarqua à peine les bras qui l'enveloppèrent doucement tandis qu'Armand répondait, compatissant ou feignant de l'être :

– Je ne saurais le dire, Philippe.

Le prince se laissait consoler sans réfléchir, et peut-être aurait-il accepté un second baiser si le comte n'avait commis l'erreur de proposer d'aller soumettre Filippo Mancini à une sorte de test dont il était aisé de deviner la nature.

– Non ! s'écria Philippe en s'écartant de nouveau d'un bond. Je vous interdis de vous approcher de lui !

Puis, plus bas, il ajouta comme après réflexion :

– Et de moi aussi.

L'incertitude du ton n'échappa cependant pas à Armand, qui remarqua en souriant :

– Cela ne semblait pas vraiment vous déplaire, pourtant...

Philippe hésita un instant. Il s'en voulait de le penser mais, pour être honnête, il devait bien admettre que non, bien sûr, ça ne lui déplaisait pas. En fait, ce qui le dérangeait, c'était même plutôt que ça lui plaisait beaucoup trop.

– Là n'est pas la question, dit-il finalement.

L'aveux indirect amusa très visiblement Armand, mais le prince ne lui laissa pas le temps de parler :

– Et cessez de sourire ainsi ! ordonna-t-il en tournant les talons pour prendre la porte, ignorant les excuses précipitées du comte, qui ne comprenait pas comment ce sourire jusque là toujours toléré avait soudain pu mettre le prince en colère.

~ * ~

En réalité, Philippe n'était que vaguement fâché contre Armand et beaucoup contre lui-même, parce qu'il ne pouvait s'empêcher d'aimer ce maudit sourire. Alors même qu'il croyait Filippo partagé entre lui et son ami de collège, il se reprochait de ne pouvoir rester complètement insensible au charme insolent (c'était vraiment le mot !) du bel Armand de Gramont.

Perturbé au plus haut point, allant même jusqu'à douter de l'authenticité de ses propres sentiments – est-il possible, quand on aime quelqu'un, de résister si mal aux galanteries d'un autre ? –, il finit par décider d'aller voir Filippo, ne serait-ce que pour chasser de son esprit l'image du fameux sourire et le son de la voix moqueuse. Oubliant toute discrétion, il se dirigea donc d'un pas résolu vers les appartements de la famille Mancini.

Il croisa d'abord Marianna qui, ayant apparemment échappé à la surveillance de sa gouvernante, le bouscula dans sa fuite et, s'étant arrêtée dans l'intention de présenter des excuses hâtives, devint cramoisie quand elle le reconnut.

Amusé par l'incident, Philippe la laissa partir rapidement en l'assurant que ce n'était rien. Il souriait toujours quand il croisa Ortensia, qui cherchait sa petite soeur et le salua d'une gracieuse révérence avant de demander s'il avait vu la fugitive.

Elle aussi rougit d'embarras en l'entendant évoquer sa rencontre quelque peu violente avec Marianna, mais il coupa court aux excuses et lui fit promettre de ne pas réprimander sa cadette. Il la retint encore le temps de la complimenter sur sa robe, qui était véritablement très jolie (peut-être trop, d'ailleurs, pour une enfant de dix ans) puis, comme elle s'en allait, ravie, après une nouvelle révérence, il poursuivit son chemin jusqu'à la porte de Filippo, où il frappa en se félicitant d'avoir au moins échappé au reste de la famille.

Il avait, toutefois, oublié un détail : la chambre de Filippo était aussi celle de son petit frère. Et ce fut celui-ci qui l'accueillit, avec un large sourire assez déconcertant.

– Bonjour, Monseigneur. Mon frère sera enchanté de votre visite. Il vous aime beaucoup, savez-vous ?

* * *

J'ai coupé là parce que le chapitre devenait trop long, mais vous aurez la suite bientôt, promis !

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Dernière édition par Cybèle Adam le 29 Avr 2010 14:10, édité 2 fois.

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