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Episode 1 : la cuvette dégoulinante :
C’était les vacances de Pâques. La Halfeline profitait de ces congés gracieusement offerts par Jésus et son soudain come back sur Terre pour baver, l’œil bovin, devant ses 54 photos de Pippin qu’elle possédait dans les fichiers de son ordinateur. Soudain, une fenêtre msn s’ouvrit, envahissant l’écran, où l’on pouvait lire :
Wake up, La Halfeline…
L’intéressée mit quelques secondes à réaliser ce qui se passait. Lorsque les circonvolutions tortueuses de son cerveau malade eurent retrouvé un semblant de fonctionnement normal, elle se mit à geindre :
- Héééé, mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?
Elle tapa rageusement sur son clavier :
Quoi ?
Un autre message s’afficha :
Would you like resuscitating a LOTR’s character for two hours?
La Halfeline, intriguée, regarda le pseudonyme de son mystérieux interlocuteur. C’était un énigmatique : « JR3434 ». Elle écrivit :
Nico, si c’est toi, ça se paiera dans le sang…
Il n’y eu pas de réponse. Après une brève réflexion, la Halfeline répondit :
Well… yes, of course. But, who are you ?
Elle obtint simplement cette réponse :
Follow the white dog…
La Halfeline eut à peine le temps de pousser un « uh ? » interloqué, que déjà on sonnait à la porte.
Lorsque la jeune fille ouvrit, elle regretta aussitôt son geste. Sur le paillasson à l’effigie de Sam se tenait sa grand-mère, celle qui était bigote, raciste et homophobe et avait pour unique passion les mots croisés.
- Salut Titite, j’allais à mon club de mots-croisés et je me disais que tu aurais pu m’accompagner, comme tu fais toujours un malheur quand tu y vas !
La Halfeline, profondément contrariée à la pensée de quitter ses images de Pip pour aller s’asseoir autour d’une table avec des petites vieilles ragotant sur les dernières histoires de coucheries du quartier, cherchait frénétiquement une bonne excuse dans sa tête, quand son regard tomba sur Pépette, le bichon maltais de son ancêtre, qui la regardait avec des yeux de calendrier de la poste. Elle se figea.
- Okay…
- On ne dit pas « okay », on dit « oui, mamy ».
Notre héroïne se morfondait devant sa grille de mots-croisés. Elle ne comprenait pas pourquoi la mystérieuse personne lui avait conseillé de « suivre le chien blanc » si c’était pour cela… Elle commençait à croire à un malheureux hasard et se morigénait d’avoir fait montre d’une telle candeur, ce qui n’était d’ordinaire pas son cas. Elle fouilla dans son sac et en sortit discrètement une pochette de photos de Merry et Pippin, avant de se lever de table en la planquant sous son tee-shirt.
- Excusez-moi, je vais au toilettes.
- Ne tombe pas dans l’trou ! lui cria Marise, une amie de sa grand-mère.
La jeune fille se dirigea vers les WC du club sous les rires caquetants de la dizaine de petites vieilles présentes.
Elle referma la porte derrière elle avec un soupir de soulagement. Mais au moment où elle levait des yeux luisants à l’idée de ce qu’elle tenait contre son cœur, elle eut un sursaut de plusieurs mètres : la cuvette des toilettes débordait paisiblement en une fontaine tranquille qui paraissait s’éteindre au moment où l’eau touchait le sol. Très intriguée, la Halfeline allongea le cou et entendit une voix douce lui souffler :
- Ôte des baskets dédicacées Naheulbeuk, car le carrelage que tu foules est une terre sacrée de l’heroic fantasy…
- Mais… mais… qui êtes-vous ? questionna la Halfeline, affolée.
La voix éthérée répondit :
- Je suis celui qui est…
- Mais, c’est pléonastique ce que vous venez de dire… fit remarquer notre petite Half.
La fontaine se mit à houler dangereusement.
- Bon, tu vas arrêter de faire chier, oui ? Jeune impertinente ! Tu m’enlèves ces godasses sinon je fais exploser la cuvette de toilette devant laquelle tu te tiens !
A cette menace, la Halfeline se dépêcha de retirer ses baskets.
- Que voulez-vous de moi ? Je vous préviens, si c’est plus, vous pouvez aller vous faire voir, enfin si tant est que ce soit possible, vieux pervers !
La voix reprit son ton doucereux :
- Aimerais-tu ressusciter un personnage du LOTR pour deux heures ?
- Oui ! On m’a déjà posé la question ce matin ! Ca veut dire quoi, tout ça ?
- Qui voudrais-tu ressusciter ? interrogea la voix, éludant sa question.
La Halfeline réfléchit intensément, ne voulant pas répondre de travers. Finalement, nerveuse, elle demanda :
- Mais, à quoi cela vous servira-t-il de le savoir ? Ne me dites pas que vous pouvez ramener des personnages à la vie quand l’envie vous prend ?
La cuvette se mit alors à bouillonner. Un jet d’eau monumental en jaillit soudain sous les hurlements de la Halfeline, et la voix s’éleva alors sur un ton rugissant.
- QUI A DOTE LE HOBBIT DE PIEDS POILUS ?! QUI REND MORTEL OU MAGICIEN GUERRIER OU PAYSAN ?! N’EST-CE PAS MOI ?! MAINTENANT PARLE !
- Ca va, ça va… Pas la peine de vous mettre dans des états pareils… Comment j’aurais pu le d’viner, vous avez pas voulu me dire qui vous étiez, alors…
- Ces jeunes… soupira le siège de toilette d’un ton passablement las.
La Halfeline prit encore quelques instants de réflexion, tiraillée entre ses pulsions libidineuses et ses inclinations spirituelles, puis elle dit enfin :
- Sméagol. Je ressusciterais Sméagol d’amûr!!!
- Bien. Je devine un esprit pur et miséricordieux sous cette enveloppe contrefaite…
- Hé ! Mais j’vous permets pas !
- … c’est pourquoi je vais t’accorder ton vœux. Puisse-t-il te faire mieux comprendre la notion de bonheur véritable.
- Quoi ?
- A présent, formule ton souhait d’une voix forte et tu seras exaucée.
C’est alors que la cuvette blanche se mit à nouveau à bouillonner, et un grand vent se leva dans la pièce exiguë. La Halfeline se mit à déclamer d’un cri passionné :
- JE SOUHAITE QUE SMEAGOL REVIENNE A LA VIE POUR LES DEUX PROCHAINES HEURES !
L’ouragan devint bientôt d’une telle violence que la frêle jeune fille fut contrainte de fermer les yeux en hurlant. Puis, progressivement, la tornade s’adoucit jusqu’à se calmer tout à fait. Et sur le siège de toilette, assis à la manière d’une grenouille, se trouvait Sméagol, la fixant de ses grands yeux hagards.
Il y eut un silence, les quatre yeux écarquillés se scrutaient l’un l’autre, clignant de temps à autre. Et soudain, une voix éraillée se fit entendre derrière la porte :
- Titite, voudrais-tu bien sortir d’ici, s’il te plait ? Croie pas que j’ai pas vu ce que tu as emmené en douce, et sais-tu bien que ce que tu es probablement en train de faire avec peut rendre sourde et aveugle ?!
Le nouveau venu, terrorisé, se ramassa contre le réservoir du toilette. La Halfeline se dépêcha de le prendre dans ses bras et se mit à regarder frénétiquement dans toutes les directions. Que faire ? Que faire ? Que faire ? Finalement, voyant qu’ils étaient complètement piégés, elle tenta le tout pour le tout.
Elle sauta dans ses chaussures dédicacées Naheulbeuk et, sortant en trombe des waters avec Sméagol contre elle, hurla :
- Y A L’FANTÔME DE CLAUDE FRANCOIS DANS LES TOILETTES !!!
Et elle s’enfuit en courant, laissant aux membres du club de mots-croisés le soin de s’entrétriper pour rentrer dans la cabine des WC.
_________________ La Halfeline
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