(je profite des vacs pour avancer fanfics et autres projets. Donc, ce mois -ci, je reprends un peu Désaffection)
En le relisant, j'aime bien ce chapitre, même si c'est pas le plus agréable. Le suivant devrait être plus léger.
Atalanta:Effectivement, j'adore les histoires tragiques. D'ailleurs, mon projet au départ, c'était de n'écrire que des scènes de rupture, et puis bon, j'ai un peu revue ma copie.
(Ils sont toujours à moi)
Chapitre4: Somebody
Dans la salle de bain trop grande, trop blanche, trop vide, le miroir réfléchit tout doucement la lumière vacillante des bougies disposées autour de la baignoire. Une masse de cheveux noirs tachée de bleu crève la surface dans une pénombre oppressant. L'eau est froide depuis longtemps, immobile.
Charles ne la sent pas. Il hésite à sortir. Ca serait tellement plus simple de rester comme ça. Mourir sans le sentir, dans l’eau qui rosit, rougie, l’eau qui s’en fout. Se laisser faire, attendre. Un suicide propre, silencieux, calme, sans cris, sans tâches, sans douleur.
Dehors, la première neige tape contre les fenêtres, avec un bruit de grêle, ne laisse même pas de gouttes d’eau. Il se redresse finalement, regarde la vitre. La neige s’est transformée en orage, le ciel est noir, il fait nuit en plein jour, les éclairs se taisent, l’eau tombe, encore et encore.
Marjola cachée derrière ses jupons, en train de danser sous la pluie, offrant son visage au ciel" Je la laisse pleurer à ma place, t'vois, parce que moi je sais pas faire, on m'a pas appris". Viny en train de chanter sous l'orage, "pas anglaise pour rien" selon Yael, "I'm just singing in the storm" selon elle. Duncan et Tatsu, heureux sous la pluie comme au soleil, même s'ils ne semblaient plus aussi chanceux aujourd'hui. Tacya, encore un peu Harry, le front appuyé contre la vitre, à se plaindre qu'elle veut "Du soleil, merdum et vertuchou." Fei, mort de rire, essayant de la convaincre de sortir sous la tempête. Sa mère lever les yeux, en silence, s'en foutre; lui lancer quand même un regard qui veut dire c'est ta faute. L'Autre, sourire, un peu trop, parce que c'est con mais il pourra pas sortir aujourd'hui.
Pierrick...non, pas Pierrick. Il ne pensera plus à lui, il n'est que son passé, et il a appris trop tôt que le passé ne sert qu'à ouvrir de nouvelles blessures.
Sortir. Bouger. Revenir au présent, au vrai, arrêter de rêver. Autant d'ordres hurlés à lui-même auxquels il a du mal à obéir, même s'il le faut, même s'il le fait - à contre coeur, mais il le fait, c'est l'important. Aujourd'hui, il a rendez-vous avec Marjo, elle doit déjà l'attendre.
Il la voit bien, assise à une table poisseuse du Saloon, une de ses interminables cigarettes au bout des doigts, avec de la fumée qui s'enroule autour d'elle, écrivant nerveusement les drôles de cauchemars qu'elle fera chanter plus tard, à un pauvre gars qui y comprendra pas grand chose.
S'il restait, elle ne se poserait pas de questions. Elle l'appellerait, ils parleraient au long de la nuit, elle referait peut-être venir un peu de sourire sur ses lèvres.
A vrai dire, il n'avait pas envie de la voir. Il n'aimait pas la voir quand il pensait comme ça, parce qu'il ne voulait voir dans les yeux de sa Blanche Neige que des rires quand il était avec elle, égoïste jusqu'au bout, peut-être.
Egoïste jusqu'à laisser son regard caresser la lame grise posée sur son bureau. Ca fait longtemps qu'elle est là.
Deux ans, peut-être moins, juste un peu.
Des mois qu'elle est là, qu'il la voie et qu'il l'oublie.
Elles sont toujours là, elles aussi, les quelques traces brunes sur le métal couleur chrome.
Il la sent entre ses doigts, toujours le même contact froid, la même sensation sur sa peau, le même poids au creux de sa paume.
Il ne devrait pas.
Il ne doit pas, vraiment pas, les longues traces blanches sur sa peau plus très sombre le lui disent; toutes ces cicatrices qu'il ne voit jamais, qu'il ne regarde pas, qu'il cache toujours derrière de longues manches, avec l'excuse bancale des questions, le lui répètent avec des voix grondantes du sang qu'elles ont versé.
La lame légère et fraîche se pose sur sa peau, un contact plume sur une des longues veines bleues qui courent sur son poignet. Un nouveau passage, et la peau qui s'ouvre lentement.
Son bras tressaille, il crispe légèrement les mâchoires. Quelques gouttes de sang ont perlé, pour sécher aussitôt; c'est même pas encore douloureux, juste une brûlure insistante.
Le téléphone sonne au loin. Mais, là, à cet instant, tout ce qui n'est ni son bras ni sa lame n'existe plus. Le répondeur déclenché, la voix sur la machine est enfouie au fond de sa mémoire, très loin, il ne s'en souvient pas.
Il appuie plus fort, très calme. Il voudrait que des larmes brouillent sa vue, mais rien; il voit tout le sang qui s'écoule sur son bras, les première tâche au sol de liquide sombre. Il se dit qu'il a vraiment une couleur sale, que c'est bien laid tout ça.
Encore un peu et ça sera fini. C'est pas la première fois qu'il se dit ça, ça n'est que l'écho d'un vieux souvenir, d'une promesse lointaine à un garçon à la voix de chant et au rire de soleil; à celui dont la voix résonne toujours sur l'appareil. Le temps de se jeter sur le téléphone, il revient au passé, la lame s'enfonce dans sa paume crispée, le sang se pose sur le plastique usé; ça ne compte plus.
"Elian..."
Il souffle juste son prénom comme il murmurait ses prières il y a trop longtemps, sans vraiment y croire. La conversation est irréelle, les minutes qui suivent aussi, les geste reviennent tout seuls: la bande blanche qui rougit trop vite, les bracelets de cuir, les manches trop longues, le trajet de métro et les regards gluants, la cathédrale, l'attente sur les marches.
Il s'efforce de ne pas regarder les tours trop hautes, désertées. La pluie s'écrase sur les pavés, ils ne sont que quelques uns à passer, même les touristes ont déserté. Il attend. Comme toujours.
Il attend, le regard sur le bout de ses chaussures, sur les pavés qui s’assombrissent, sur le béton noir et sale assis sur les marches, sans prendre garde aux gouttes qui trempent petit à petit sa chevelure, ses vêtements, qui s’écrasent autour de lui sur le sol, sur les pierres, sur lui… Non, plus sur lui.
Une voix, basse, chaude, profonde, lui murmure quelques bêtises sorties comme elle d’un passé approximatif au creux de l’oreille.
Le morceau d’étoffe qui arrête la pluie au dessus de son crâne a son odeur, ce parfum qui lui fait perdre le fil de la réalité quand il le sent dans la rue.
La voix qui rit autour de lui, c’est celle qu’il n’a cessé de rêver au fond de ses nuits blanches.
Le visage, enfin, dont il ne peut détacher les yeux, c’est celui qu’il a passé des heures à redessiner derrière ses paupières qui se sont décidément baissées de nombreuses fois en deux ans.
Et pourtant, il a quelque chose de différent. C’est comme si lui parler risquait de le faire disparaître, comme un mirage. C’est pourtant toujours les mêmes yeux sombres, le même sourire qui, lentement s’efface pour laisser place aux questions dans les prunelles noires.
Charles s’en veut. Il voudrait réussir à le regarder dans les yeux, lui dire qu’il lui a manqué, lui demander s’il a réalisés ses rêves, tout là-bas derrière l’océan, et puis comment c’est New York, ce qu’il a vu, découvert, ce qui l’a changé, mais il n’arrive pas à parler. Alors quitte à ne rien dire, il se laisse tomber contre son torse, le visage dans son cou, les yeux fermés. A cet instant, il se sent bien, enfin. A cet instant il l’aime, mais ne lui dira pas.
« Comment tu fais… pour débarquer toujours au bon moment ? »
Une main glisse dans ses cheveux, sur sa nuque, la caresse déclenche une myriade. De quoi? D'étoiles, de frissons, de sensatons, allez savoir.
« J’en sais rien… un sixième sens, quelque chose comme ça. Si ça se trouve, chuis ton ange gardien, qui sait ? »
Charles essaye de rire. Vraiment, sincèrement, mais il n’arrive pas. Dans ces moments là, il n’y arrive jamais. Il faudra attendre un peu plus longtemps, que son cœur arrête de battre un rythme fou dans sa poitrine.
Dans un autre cas, peut-être, il aurait arrêté de réfléchir et posé un baiser sur ses lèvres. Juste un baiser, rapide, pour dire tous ces mots qu’il n’arrive pas à exprimer, pour le remercier à la fois pour tout et pour rien.
Mais pas après tant de temps- oh, juste deux ans, à des milliers de kilomètres d’eau l’un de l’autre. Deux ans de silence tenace, opaque, qui les a obligés à grandir sur deux voies différentes, qui a séparés leurs deux histoires.
Puis, de toute façons, rien ne disait qu’Elian comprendrait son geste et jusqu'à nouvel ordre, le danseur n’était attiré que par la gente féminine. Alors il se retient, s’écarte, redescend ses manches sur ses mains et compose un sourire un peu tremblant en murmurant un semblant d’excuses.
« Dis, ‘tit frère, tu m’en veux ? »
La question tombe au milieu du silence, un peu sans prévenir, dans un blanc de la conversation. Ils ont marché, longtemps, au hasard des rues, comme avant, en parlant un peu de tout et de rien, parce qu’ils aiment bien Paris dans le froid, avant de se trouver la plus petite brasserie possible pour s’effacer au vent.
Dans le petit café à la lumière tendre, ils sont presque seuls et entourés par le sourire du serveur qui a bien vu les mains d’Eli enfermant les siennes. Charles se dit qu’elles sont toujours aussi douces, et que ses doigts sont faits pour être noués à ceux d’une jolie fille, pas aux siens. Il se trouve un peu stupide, à observer ses longs doigts noueux sans rien trouver à dire pour faire taire l’inquiétude de l’autre.
Et la question attend une réponse, sauf que Charles sait plus trop, sur l’instant, ou peut être qu’il n’a jamais su au fond, alors il se contente d’un « Un peu, je crois », en fixant sa tasse vide.
La question est étrange, la réponse est étrange, la situation est étrange, tout est étrange, et Charles n’y comprend plus grand chose. Il devine qu’Eli ne sourit plus, et c’est peut-être la seule partie normale de la scène.
« …C’est normal. J’t’avais promis de pas te laisser tomber, et j’t’abandonne à la première occasion, comme un lâche. »
Passé le choc, Charles doit faire le pire des efforts pour ne pas hausser la voix en lui affirmant que si il n’était pas parti, c’est lui même qui l’aurait collé dans l’avion à coups de pieds bien placés. Eli rit, un peu, et caresse ses doigts en les lâchant-il ne doit même pas en avoir pris conscience.
Charles se perd dans ses yeux sombres, l’espace de quelques secondes, et se dit qu’ils doivent avoir l’air d’un couple. Il l’espère un peu, au fond, parce que ca serait pas la première fois, parce que ca serait drôle de voir les regards des clients qui viennent d’entrer se remplir de reproches. Exister dans l’imaginaire des autres avait quelque chose de déroutant, cette victoire sur une réalité pas si écrasante que ça lui faisait du bien, d’habitude.
Ils ressortent, choisissent de se taire, parce que le silence fait du bien quand il y aurait trop à dire. En fait, c’est Charles qui sort et qui se tait, Elian ne fait que le rattraper. Il attrape son poignet, l’attire contre lui et le serre dans ses bras. Charles hésite, résiste un peu, mais l’étreinte lui fait trop de bien, il l’a tellement attendue cette chaleur qui l’entoure que, juste pour cette fois, il baisse les armes et s’accorde le droit de se laisser aller.
Mais comme deux bras ne peuvent pas tout effacer, comme le temps ne s’arrête pas pour des battements de cœur, comme la chaleur ne peut pas tout pardonner, il s’enfuit.
Sur la place noire de monde, c’est simple pour lui si minuscule de disparaître jusqu'à s’enfoncer sous terre, dans la station la plus proche.
***
Pendant que le métro se vide, puis le RER, Charles est dans un joli monde où il a le droit d’aimer, où, peut-être, il est heureux.
Mais son corps reste ancré dans la réalité d’une station crasseuse, où il n’est pas si seul que ça, où il n’entend pas les pas derrière lui, les os qui craquent, les ricanements.
Leurs semelles lourdes martèlent le sol collant, mais eux ils s’en foutent d’être entendus, et puis ils rient trop fort pour réaliser.
Charles, lui, les entend, plus ou moins. Il sent chacune des parties de son corps, même celles qu’il ne connaissait pas, même celles dont il ignorait qu’on pouvait les atteindre. Il n’est plus que douleur et sang. Le sol est sali - plus encore que d’habitude, ça fera bientôt une tâche brune supplémentaire sur le revêtement de plastique –et quand il prend appui sur ses paumes pour se redresser elles se retrouvent poisseuses de liquide noirâtre. Détail inutile.
L’important c’est de partir, vite, avant qu’ils ne reviennent finir le boulot.
Il en connaît trop qui n’ont pas eu la chance de pouvoir se traîner jusqu'à la rue.
***
Quand la main se pose que son épaule, il ne tremble pas mais ferme les yeux. Cet inexorable destin s’acharnerait donc bien sur son pauvre petit être. Mais téméraire, ou peut-être juste stupide, jusqu’au bout il se retourne et regarde en face ce qu’il pense être le poing lui étant destiné. Enfin, il essaye de le regarder, la douleur et le voile de sang posé sur ses paupières réduisant encore sa vue approximative.
Il reconnaît le visage, en tout cas en a l'impression; le garçon ressemble au –beau- chanteur du groupe de Marjo: un grand brun à la peau mate, aux yeux de shooté. Comme Charles, le grand en moins.
Il -Dan?- lui parle mais Charles ne comprend rien, juste le mot hosto, et ça, pas question. Il achève de se redresser et s'éloigne de quelques pas histoire de lui prouver que c'est Vraiment pas la peine. Mais fort heureusement, Dan est têtu, très, et l'a suivi, et -donc- le rattrape quand il tombe.
"Ok, si tu veux pas aller à l'hosto c'est toi qui voit, mais tu va venir chez moi parce que si Marjo apprend que j't'ai laissé là elle me fera la peau."
Le trajet fut chaotique-un blessé sur une moto, ça souffre-mais Charles l'a déjà oublié. Il n'a conscience que du lit dans lequel Dan l'a sûrement largué après des soins pas si sommaires que ça. Un peu comme s'il avait l'habitude de ramasser les pauvres gars qui se faisaient tabasser dans les stations du coin.
Il l'entend au loin qui murmure. Il se redresse histoire de savoir où il a atterri. L'endroit ressemble plus à un squat qu'autre chose, mais l'impression n'est peut-être due qu'au bordel environnant. Il referme les yeux, bascule en arrière.
Le matelas s'affaisse à côté de lui. La main de Dan se pose sur son épaule, son cou puis son front. Il rouvre les yeux en sentant la peau fraîche lui échapper.
"Pas trop tôt. Ca fait des heures que tu comates, j'allais appeler une ambulance."
Dan avait le même ton sifflant que Marjo. De quoi flipper.
"J'ai l'impression d'entendre l'autre serpent"
Sa voix a du mal à sortir. Il se demande si elle redeviendra jamais normale. Dan rit.
"Non, Marjo n'est pas là, tu m'as demandé de pas l'appeler, t'te rappelle?"
Vaguement.
"Va prendre une douche, je te ramène tes fringues."
Le blessé acquiesce, et met tout son honneur en jeu pour ne pas hurler de douleur en se traînant vers la cabine, vaguement dissimulée derrière un paravent.
L'eau chaude ne dégonfla certes pas son poignet-ayant atteint un volume impressionnant-, mais lui permit de se faire une idée de l'étendue des dégâts. Rien à signaler en somme, quelques bleus en plus. La pensée lui vint que Dan avait dû voir les cicatrices qui tâchaient son bras, puis celle, insistante, qu'il n'en avait rien à foutre. Et une troisième, plus douloureuse, lui disant qu'il allait devoir repartir, le plus vite possible. Il savait de toute façon ce qui l'attendrait, alors autant ne pas aggraver son cas, hein?
Il nota qu'une entaille avait atteint la chaîne tatouée sur sa taille, juste au dessous d'une patte d'oiseau. Le hasard existait alors?
***
A plus^
_________________ You make me sick, because I adore you so.
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