Voilà la 4e chapitre
Chapitre IV: Le renouveau
On voulait lui arracher les cheveux. On lui tirait dessus par à-coups brefs, mais tenaces. Asrial se débattit, mais son agresseur persévéra.
Soudain, un cri perçant et strident lui déchira les oreilles. Le jeune homme se réveilla en sursaut, se relevant si brusquement qu’il failli tomber de son lit, ses mèches brun terne en bataille, les yeux exorbités.
Valfos s’envola de son crâne qu’il avait désigné en premier lieu comme perchoir, pour aller se poser eu sommet de la bibliothèque, sur un pile de livres à l’équilibre précaire.
- Que… ? Valfos ? Mais que fait-tu là… ? Tu parles d’un réveil !
Asrial frissonna et entoura son torse nu de son drap. Il ferma les yeux un instant pour essayer de se rappeler quelques bribes de la bénédiction qu’avait été ce sommeil, un sommeil sans cauchemars, ce qui ne lui était plus arrivé depuis bien des jours. Le cri du faucon s’éleva à nouveau, lui vrillant les oreilles ; il sentit que le rapace n’allait pas le laisser tranquille tant qu’il ne se lèverait pas.
A contrecœur, il repoussa ses draps en maugréant.
A nouveau, l’oiseau hurla, ouvrant et refermant les ailes comme pour lui dire : « plus vite, fainéant ! ».
- C’est bon, j’arrive ! marmonna Asrial. Oiseau de malheur !
Il se leva et se cogna le pied contre la table de nuit, lui arrachant un cri étouffé. Un rire clair retentit. Asrial tourna la tête dans la direction d’où il venait ; le papillon, toujours en armure, se tenait à nouveau dans l’encadrement de la porte, appuyé contre de l’épaule, les bras croisés, et riant. Il riait et souriait comme un enfant, et ses yeux pétillaient.
Asrial, rouge de honte, tira un drap de son lit et s’enveloppa en drapa sa nudité. Il imagina quelle hilarant spectacle il devait donner, les cheveux dans tous les sens, nu, se frappant les orteils contre les meubles et ronchonnant contre un oiseau. Mais il était reconnaissant à Morgan de ne pas user d’un rire méprisant ou dédaigneux. Non, son rire agréable à entendre était vraiment empreint de joie et ne sonnait pas faux aux oreilles d’Asrial, qui, après avoir subit la puissance de voix d’un faucon, savourait ce rire. Il eu lui aussi envie de rire.
Il n’en éprouvait pas moins de gêne par son apparence de saut-de-lit, de pudeur par sa nudité dévoilée un instant devant Morgan, et d’embarras pour la situation ridicule dans laquelle il s’était trouvé.
Le doux rire du jeune général diminua, puis disparu, comme à regret. Toujours avec un petit sourire aux lèvres, le regard braqué sur lui, ce qui ne faisait qu’augmenter la gêne d’Asrial, il dit enfin :
- Asrial…prépare-toi, Sa Majesté t’attend dans la Cour aux Magnolias. Et n’oublie pas de l’amener avec toi ! fit-il en désignant Valfos avec un petit éclat de rire.
Sur ce, il repartit. Asrial s’empressa de fermer la porte derrière lui.
Quelle honte ! Et tout ça à cause de cet oiseau !Jamais je n’ai du rougir plus qu’aujourd’hui !
Rapidement, il enfila ses habits et s’élança dans le couloir, finissant à peine de fermer sa chemise, en lançant à l’adresse du faucon, toujours perché sur sa pile de livres :
- Qu’attend-tu ? Viens !
Le rapace émit un petit couinement et s’élança à la suite d’Asrial, entraînant bien sûr avec lui la pile de livres qui dégringola.
En trombe, le jeune homme descendit les quelques escaliers de marbre et déboula hors d’haleine dans la cour centrale de la citadelle. Près du pied de l’énorme chaîne, il distingua l’impératrice, et les mèches de ses cheveux d’un roux éclatant avec qui jouait la douce brise venue du ciel bleu parcouru de doux nuages blancs qui avait succédé à la pluie pendant la nuit. Asrial la rejoignit rapidement. Elle s’était attaché les cheveux en un catogan lâche, et les quelques mèches qui s’en échappaient jouaient avec le vent frais du matin.
- Tu as eu du mal à te lever, n’est-ce pas ?
Pourquoi ce sourire narquois? On dirait qu’elle va éclater de rire.
- Hum…oui. C’est…
Sous le nouveau cri du faucon, il serra les dents.
- …c’est votre ami qui m’a réveillé…un peu en sursaut…, termina-t-il.
- C’est moi qui lui ai demandé, fit-elle avec un malicieux sourire en coin, recueillant Valfos sur son bras, puis le faisant grimper sur son épaule.
Comme c’est gentil à vous…
Des pas se firent entendre derrière Asrial.
- Ah, notre charmant ami c’est enfin décidé à sortir de ses draps!
Morgan arrivait, ses courts cheveux noirs ébène, qui secs, formaient une bataille naturelle. Asrial se crispa. Ses yeux pétillait toujours et son visage exprimait toujours cette simple joie enfantine.
- Mais ? Il ne s’est même pas coiffé ! fit-il en riant et en lui passant une main dans les cheveux.
Asrial réalisa alors qu’il avait effectivement les cheveux dans le désordre le plus complet. Cette fois, Aurore ne put réprimer elle aussi son rire.
Asrial, marmonnant pour lui-même, essaya tant bien que mal de remettre ses cheveux en place. Leur fou rire terminé, Aurore écouta ce que le général avait à dire, au grand soulagement d’Asrial, plus rouge qu’une pivoine.
- Majesté, votre escorte et les embarcations sont prêtes. Le voyage ne sera guère long, le domaine de Cresca n’est pas loin d’ici, et les condition de vol sont favorables.
- Merci, Vynce.
Pourquoi ne me dites-vous pas que vous savez que je mens, au lieu de jouer avec moi ? Vynce, mon ami, vous avez toujours été ainsi…Malgré tout, je vous suis grée de ne point poser de questions auxquelles je ne pourrait vous répondre…pas encore…
- Soyez vigilant, Vynce. Cette chose rôde peut-être encore dans les parages.
Cette fois, elle ne ment pas…elle est vraiment inquiète
Il doit savoir que je dis la vérité…
Majesté, comme j’aurais aimé que vous me disiez ce que vous avez sur le coeur…
Je me demande pourquoi il n’a pas eu de réaction…
- Ne vous faites point de soucis, Majesté. La saison pluvieuse se termine, les escadrons de dragons impériaux vont réintégrer leurs postes dans la région. Ce sera plus facile pour nous de diriger les recherches par les airs.
- Je compte sur vous, Vynce.
- Venez, Majesté, les barques attendent.
Elles vous emmènerons vers le destin que vous tracez vous-même…Oui, vous le tracez vous-même, mais quelqu’un vous tiens la main pour que vous ne dérapiez pas…
Sous la dernière pluie, les innombrables magnolias de la cour centrale avaient perdu beaucoup de pétales, qui à présent recouvraient le sol comme un tapis délicatement rosé et couvert des petites gouttes d’eau qui brillaient comme des diamants sous les rayons solaires qui se frayaient un passage entre les nuages.
Devant la herse de la porte principale, encore abaissée, deux groupes de chevaliers du Chêne aux armures grises et quatre barques ailées attendaient, leurs membres de plumes repliées sur leurs flancs de bois rose. L’une d’elles, plus longue, plus large, et possédant deux paires d’ailes, était réservée aux chevaux d’Aurore et d’Asrial, allongés au fond, endormis.
- Qu’ont-t-ils ? demanda l’impératrice.
- Nous leur avons donné un sédatif. Les chevaux ne supporte pas bien les voies aériennes, ils deviennent nerveux et s’agitent. Si tout se passe bien, ils dormirons jusqu’à la fin du voyage.
- Bien, dit Aurore en approuvant de la tête. Si tout est en place, Vynce, nous allons partir. Il ne faut pas que je perde de temps.
- A vos ordres, Majesté.
Pourquoi-donc se presse-t-elle ? Majesté, la voie de votre destin est tangible…Si tangible que l’on pourrait aisément…l’entraver…
La jeune femme monta dans la barque centrale et s’assit d’un geste impérialement théâtrale sur le banc recouvert de velours gris. En privé, c’était une femme d’une vingtaine d’année ordinaire. En public, elle redevenait l’actrice qu’elle avait appris à être depuis toute petite. Elle jouait son rôle d’impératrice.
Asrial grimpa à son tour dans l’embarcation. Valfos, comme auparavant, sauta sur la tête d’acier de l’aigle de proue. Sur l’ordre de Morgan, les chevaliers se répartirent dans les deux barques restantes.
S’approchant d’Asrial, il posa sa main gentée de cuir sur sa joue en approchant son visage du sien.
- Faites bien attention à vous, mon charmant ami, lui souffla-t-il avec son beau sourire d’enfant.
Tandis qu’Asrial, ahuri, ne pouvais détacher ses yeux du fascinant regard vert clair qui pétillait, sa main glissa le long de sa joue comme une caresse. Puis il s’éloigna.
- Transmettez mon salut à Maître Jovios, Majesté, dit le général, alors que les quatre embarcations déployaient leurs ailes.
- Bien sûr ! A bientôt, Vynce !
Le jeune général lui répondit d’un signe de la main, alors que leur barque volante s’engouffrait sous la herse d’acier pour plonger dans le ciel de la plaine des Ailes Brisées. Les deux barques transportant l’escorte chevaleresque de l’impératrice l’entourèrent, puis celle transportant les deux chevaux vint à leur suite. Ils étaient partis.
*
Pendant quelques heures, l’impératrice et son compagnon n’avaient échangé un seul mot. La jeune femme était perdue dans ses pensées.
Nous voilà en route pour Cresca…la Cité des Interdits…Cela fait un détour de plus, et un peu plus de temps perdu…Que fait Saeptum en ce moment ? Que dire pour expliquer ma venue à Maître Jovios ? Je suis censée me rendre là-bas pour le rencontrer…Cela fait longtemps que je ne l’ai pas revu…Oh, mais je pourrais peut-être en profiter pour me renseigner sur Alexandryus ! Plus d’informations ne peuvent êtres qu’utiles. Oui, cela me servira d’excuse, mais après…Je ne doit pas attendre avant de me rendre à la Cité de Fer. De là, il faudra sûrement utiliser les dragons pour se rendre à Transcengel. Et…
- Majesté ?
Aurore émergea de sa transe, et réalisa qu’Asrial l’interpellait pour la troisième fois sans qu’elle ne s’en rende compte.
- Oh ! Excuse-moi, je pensait à autre chose…
- Pourquoi avez-vous dit au général Morgan que vous vouliez vous rendre à Cresca pour un affaire personnelle ?
- Je ne pouvait pas lui dire que Saeptum s’était réveillé, tout de même !dit-elle en baissant la voix à cause des chevaliers. Surtout pas alors que c’était ma faute, qui plus est !
- Vous savez bien que ce n’est pas vrai ; il vous a manipulé. Vous n’en aviez pas conscience.
- Peut-être, mais…je culpabilise…Je ne peut m’en empêcher…
L’impératrice regardait vers l’est. D’une main, elle passa quelques-unes de ses mèches de cuivre derrière son oreille. Sous eux, la plaine défilait, et les Monts de Feu commençaient à disparaître à l’horizon.
- Il ne faut pas, Majesté.
Aurore se retourna soudainement vers lui et lui prit les mains, le regardant droit dans les yeux.
- S’il te plait, tutoie-moi, et appelle-moi par mon prénom. Ce sera mieux ainsi.
- Mais je…vous…euh, tu…Je ne peux pas ! Vous êtes l’impératrice !
- Fait ce que je te demande. S’il te plait. Tu verras, c’est une question d’habitude.
- Je…bien, si vous…si tu veux…, se résigna Asrial en disant « tu » comme si il prononçait un mot dans une langue qu’il ne maîtrisait pas du tout.
Aurore hocha la tête de contentement.
Aurais-je l’impératrice pour amie ?
Asrial…j’ai besoin de soutiens…Si tu savais ce que j’ai entrevu de son esprit…
Quelques instants passèrent encore pendant lesquels ils observaient le paysage défilant sous leurs yeux. Vers le sud, toujours vers le sud. Puis Asrial rompis à nouveau de silence :
- Majest…Aurore ?
Elle sourit. Enfin, ils pouvait se parler d’humain à humain, et non plus de valet à actrice.
- Quand v…quand tu disais que le général Morgan était spécial, qu’entendais-tu pas là ?
L’expression d’Aurore se fit songeuse et amusée.
- Eh bien…Mais pourquoi me demande-tu cela ?
- Je…je ne voudrais pas être médisant, mais…
- Je ne lui répéterais pas, ne t’inquiète pas. Qu’y a-t-il ?
- Son regard…Il est…singulier. Quand il m’a regardé, plusieurs fois, j’ai eu une drôle d’impression. Et puis, je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais… Et puis sa façon d’agir avec les gens ! Quel familiarité !
Il lui raconta le moment où Morgan l’avait surpris à se cogner le pied contre sa table de nuit, et la façon dont il avait rit ; sans se moquer, d’une façon vraiment joyeuse. La manière dont il lui avait ébouriffé ses cheveux comme s’il était son fils, ou un petit enfant.
Au fur et à mesure qu’Asrial parlait, l’expression d’Aurore se fit amusée. Quand il eu terminé, elle se contenta de le regarder, tout sourire.
Vynce…Vous n’avez pas pu rester en place… Mais…pourtant, il est vrai que ces dernières années, vous avez changé…
- Il est juste un petit peu…original, c’est tout…, se contenta-t-elle de répondre.
Elle ce fut tout. Asrial se contenta de cette réponse, sachant qu’il ne pourrait rien en tirer de plus.
*
Comme à son habitude, Julia s’était habillé « comme un homme », comme disaient les gens. Elle avait passé un pantalon moulant de velours noir, et avait enfilé par-dessus de longues cuissardes de cuir noir à talons carrés. Une chemise de soie blanche à manches amples, resserrées au poignet, lui couvrait le haut du corps. Autour de son col, un de ces aux cols étroits qu’elle affectionnait, était nouée une cravate lavallière de satin noir.
Oui, elle s’habillait peut-être comme un homme, mais cela avait au moins le mérite d’être bien plus pratique, plus fonctionnel. Et elle choisissaient ses vêtement avec soin ; même vêtue à la mode masculine, elle restait élégante, et les hommes la désiraient autant, sinon plus. Elle attisait chez eux les fantasmes les plus fous.
Sa belle-mère voulait toujours la forcer à porter ces énormes robes à crinoline, ces nombres incalculables de jupons, ces décolletés taillés tels des puits. Elle lui répétait jour après jour qu’elle devait avoir la coiffure, la langage, les manières, les occupations d’une vraie dame. Mais Julia n’en faisait qu’à sa tête. Pas question de porter ces affreuses robes gonflées comme des ballons et lourdes comme des enclumes, ces coiffures architecturales, ces maquillages qui vous recouvraient comme une seconde peau, ces parfums plus forts et plus entêtants les uns que les autres. Pas question non plus de parler comme ces précieuses de la haute société que personne ne finissaient plus par comprendre, de pratiquer les activités « d’une dame » – la couture, la broderie, les promenades dans les jardins, les discussion sans fins sur les ragots du coin et les hommes,… – , de glousser comme une dinde dès qu’un jeune Don Juan trop sûr de lui passait par là.
- Ma fille, tenez-vous comme-ci ; ma fille, il vous faut parler ainsi ; ma fille, il faut se vêtir dans l’air du temps, comme cela ; ma fille, soyez plus féminine ! railla-t-elle devant sa propre image, imitant en pouffant la voix aigrelette et théâtralement lassée de sa belle-mère.
Ses parents se désespérait de la voir un jour mariée et mère. Mais Julia avait d’autre projets que de devenir dépendante d’un homme qu’on aurait assurément choisit pour elle, d’être une gentille femme comme on est un bon chien, de passer ses journées à la maison entourée de marmots et d’amies dans le même cas désespéré qu’elle. Déprimant.
Ses journées ? Elles les passaient à travailler son escrime, à faire des balades à cheval dans les bois ou sur les plaines au triple galop, à lire seule dans la forêt ou à faire des longues promenades en compagnie de ses amis.
En pensant à tout cela, elle s’observait dans la glace de l’impressionnante coiffeuse de sa chambre, véritable monstre de tiroirs et de fioritures rococo, croulant sous les bijoux, les produits de maquillage et les parfums. Elle ne l’utilisait quasiment jamais, ni elle, ni ce qu’il y avait dessus et à l’intérieur.
Elle se trouvait bien plus mieux au naturel que déguisée en courtisane. La jeune femme le faisait rarement, mais cette fois-ci, elle s’observa.
Son superbe visage ovale d’une grande finesse de trait -dont elle n’avait conscience-, d’une beauté si peu commune qu’elle s’en était fait de nombreuses ennemies ainsi que des troupeaux entiers de soupirants. Sa peau satinée, plus que veloutée, si lisse et sans la moindre minuscule imperfection détectable, avait une teinte douce, fraîche et claire.
Un sourire avait toujours tendance à flotter sur ses lèvres parfaitement dessinées, d’un délicat rose pourpré, son air toujours agréable et souriant, ou songeuse et pensive. Ces expressions laissaient rarement leur place à de la tristesse. Mais les seules fois où celle-ci assombrissait son beau visage, elle la rendait encore plus belle, plus désirable par les hommes.
Ses yeux fins, bordés par de longs cils et surmontés de longs, fins et délicats sourcils, avaient une délicate couleur vert-de-gris, rehaussée par la couleur d’or pur dont elle était finement mouchetée. Les stries d’or de ses iris étaient ce qui les rendaient si exceptionnelles, si magnifiques. Quand elle était heureuse, ses yeux devenaient presque brillants tant leur or renvoyaient les rayons du soleil. Quand le chagrin la pesait, ses yeux voilés de lumière pâle et froide semblaient venir de fond des premiers âges, avoir traversés toutes les époques et d’en avoir rapporté toute la tristesse.
Son épaisse et longue chevelure, parfaitement raide et lisse, étaient un autre élément d’elle-même, qui, si rares, la rendait sublime : naturellement d’un blanc de neige depuis sa naissance, ils lui descendaient jusqu’aux mollets et leur dégradé finissait en pointe. Leur texture était incroyablement fine et soyeuse, et coulait dans les mains tel de l’eau. Comme une rivière de neige ou d’albâtre, ils retombaient librement dans son dos et sur ses épaules. Quelques mèches, plus courtes, lui encadraient le visage comme un écrin de nacre.
Mais elle ne ressemblait quasiment en rien à son père et devait tout à sa défunte mère ; la femme, avant sa mort, avait des cheveux d’un blond platine étincelant et des membres et un visage d’une finesse hors du commun. De son père, elle n’avait hérité que l’incroyable couleur d’yeux. Et encore, chez son géniteur, l’or n’était qu’une variante du brun.
Ses vêtements moulaient admirablement son corps ni trop petit, ni trop grand, ses jambes longues et fuselées, sa taille de guêpe que toutes les femmes lui enviaient, ses seins d’une taille parfaite, sans être trop plats ni ressembler à des ballonnets, ses épaules étroites mais affirmées, ses longues mains d’une remarquable finesse, d’une intense délicatesse, qui savaient néanmoins se transformer en poignes de fer quand elles serraient un sabre ou une épée.
Le fait qu’elle se vêtisse comme un homme ne les affriolaient que plus, par son toupet et sa singularité.
Elle n’avait aucun besoin de bijoux, de maquillages divers ou de vêtements d’une incroyable richesse pour être superbe.
Son caractère enjoué, puissant, heureux et agréable, sa grande et vive intelligence, ses prédispositions pour quelle que soit la tâche, ses innombrables qualités, autant physique que morales, sa quasi-absence de défauts, sa gaieté, sa façon de consoler, d’aider, de rire ; tout en elle était idyllique, incomparable.
Parfaite. C’est comme cela que les gens la désignaient, que ce soit avec jalousie ou avec admiration. Aucun homme n’avait jamais su ni pu lui résister. Nombre de jeunes hommes avaient eu le privilège de partager son lit. Mais jamais elle ne gardait un amant très longtemps. Une nuit, parfois deux ou trois, une semaine, mais jamais plus. Elle ne voulait pas qu’ils s’attachent trop à elle. Elle voulait rester libre. C’était avant tout pour son plaisir personnel. Certaines femmes, par jalousie, ou certains amants qui en voulaient plus que ce qu’elle avait décidé de leur donner la désignait parfois comme une femme de mœurs légères, une demi-mondaine, une catin. Une libertine.
Julia le savait, mais elle ne s’en offusquait pas. Qu’ils parlent, se disait-elle, si cela leur fait tant plaisir. Sa belle-mère se désolait ; elle en riait. Libertine.
La jeune femme de rendit compte qu’elle commençait à rêvasser devant son miroir et secoua la tête pour se débarrasser de ses dernières pensées. Elle saisit un ruban de velours noir et noua sa longue et neigeuse chevelure en catogan, laissant échapper les quelques mèches autour de son visage.
Se levant d’un bond, elle se baissa et promena son bras sous son grand lit à baldaquin, dont les nombreux coussins et couvertures étaient éparpillés sur le lit, véritable champs de bataille. Elle se releva, tenant à la main un long objet enveloppé dans une toile noire. Elle le débarrassa de sa gangue pour saisir la poignée recouverte de cuir d’une longue épée d’acier, dont l’étroite lame reluisait.
Julia saisit le fourreau, rangé à côté, par le cordon de cuir auquel il était rattaché. Elle le passa en travers de son torse, passa l’épée par-dessus son épaule et la laissa glisser dans étui.
- C’est parti ! de dit-elle à elle-même. Baptiste, Asrial et Eloïse m’attendent sûrement déjà…
Ouvrant les épaisses portes de bois sculptées de sa chambre, Julia en jaillit et traversa le couloir comme une flèche. Dévalant le grand escaliers de marbre du hall d’entrée du manoir, elle croisa son père, le marquis d’Alfrevilay, un homme de cinquante-six ans encore robuste, aux cheveux gris coupés courts, à la grande gentillesse et d’une tendresse sans égale envers sa fille unique.
- Julia ! Mais où vas-tu comme cela ? On dirait qu’un dragon est à ta poursuite ! Tu as encore mis un pantalon…Ta belle-mère va encore être furieuse ! fit-il avec un petit sourire amusé. Tu la fait tourner en bourrique, la pauvre !
- Ce n’est pas de ma faute si les robes ne sont pas pratiques ! Et puis tu ne lui dira rien, n’est-ce pas ?
- Je lui dirait tout…
- Merci, Papa ! A plus tard !
Elle embrassa sa joue recouverte d’une courte barbe poivre et sel, manquant de faire tomber son monocle. Puis elle termina de descendre les escaliers et s’élança vers la double porte d’entrée.
- Julia ! Mais où vas-tu ?! s’exclama son père.
- Avec mes amis ! fut sa seule réponse alors qu’elle s’en allait au-dehors en courant.
- Ma fille…Fait attention à toi…, murmura-t-il.
*
- Majesté, la Cité des Interdits est en vue !
Aurore fit un signe de main au chevalier pour lui signifier qu’elle avait comprit, et sauta sur ses pieds pour avoir un vision d’ensemble.
A une centaine de toise de là, Cresca, la Cité des Interdits, dressait ses cinq imposantes tours vers le ciel. Quatre des cinq tours de grès rose, les tours extérieures, d’environ une centaine de pieds chacune, se tenaient comme quatre sentinelles aux quatre coins d’un grand terrain carré entouré de hautes grilles de métal doré, luisantes de milles éclats dans le soleil couchant. Au centre du terrain, la cinquième tour dépassait de peu les autres de sa hauteur. Quatre ponts de pierre, érigés entre les tours extérieurs, assuraient la communication entre elles, un peu au-dessous des toits. Quatre autres, partant de chacune d’elles, traversait l’espace du domaine en diagonale et rejoignaient la tour centrale.
Le squelette de métal de leurs cinq toits de pierre coniques étincelait au soleil, et dressait leurs pointes vers les nuages. Juste en dessous, quatre grands miroirs ovales et cerclés d’or finement forgé et ciselé, attachés aux murs de chacune des tours.
Au sol, des sentiers pavés de dalles de pierre rosée, images même au sol des ponts, reliaient entre eux les cinq bâtiments et étaient entourés de ces mêmes grilles de fer surmontées de pointes aiguisées, scindant ainsi le terrain en quatre parties triangulaires. Seul une de ces allée ne reproduisaient pas le dessin exécuté par les ponts, allant de la tour centrale en ligne droite pour rejoindre un haut portail, le seul de la grille qui entourait Cresca.
Sur ces quatre terrains, le sol avait été laissé sec et plane comme dans chaque recoins de la plaine des Ailes Brisées. Quelques arbres dépourvu de feuillage et de ramifications, se réduisant à leur épais tronc tortueux, leurs énormes racines entremêlées jaillissant du sol, et leurs branches les plus consistantes, y allongeaient leurs ombres sur le sol dans la lumière du jour déclinant.
Ces quatre zones étaient parsemées des décombres de constructions anciennes, de ruines, qui saillaient de la terre tels des os blancs : bouts de colonnes, sommets de toits, pans de murs, débuts d’escaliers, encadrements de portes à moitié enfoncé dans le sol, restes de grilles rouillées, fragments de fontaines et autres décombres enserrés dans les bras de ronces noires… comme des restes épars de rêves oubliés ou de vies effondrées…
Tous ces vestiges du passé portaient les stigmates apparents de nombreuses batailles. Certains portaient les marques noires de suie d’explosions, d’autres étaient lacérés comme si un couteau de géant les avaient tailladés, d’autres encore gisaient éclatés comme si un poing d’une extraordinaire force s’était abattu dessus…
Quelques rares personnes s’y promenaient encore, et commençaient à rentrer à l’intérieur des tours.
A droite de la Cité des Interdits s’avançaient la partie sud des Monts de Papier, comme d’immenses géants sombres surmontés de nuages gris teintés de lumière vespérale.
- Je ne suis jamais venu, mais j’ai beaucoup entendu parler de cet endroit…, dit Asrial.
- Cresca est très écarté du monde, répondit Aurore. Les mages qui s’y retirent pour apprendre l’art complexe du Garvija n’en sortent quasiment jamais, et s’interdisent tout contact avec le monde extérieur, du moins jusqu’à ce que leur entraînement soit achevé ou qu’ils abandonnent tout.
- Le Garvija est-il un art si difficile à pratiquer que cela ?
- Plus que tu ne semble le penser…
Les quatre barques descendirent doucement, flottants parmis les chauds courants aériens du crépuscule couleur de phénix, se dirigeant vers le grand et unique portail de Cresca. Plus personne ne parcourait le domaine de la Cité des Interdits, à présent. Mais un petit groupe s’avançait sur le chemin pavé qui venait de la tour centrale, à leur rencontre.
Les embarcations stationnèrent un instant au-dessus des barreaux aiguisés, puis atterrirent devant le portail. Dès qu’Aurore et Asrial descendirent, l’escorte offerte par le général Morgan les entourèrent. Valfos, d’un saut, vint se percher sur l’épaule de sa maîtresse.
- Mais ? C’est Maître Jovios ! s’exclama Aurore.
Il ne descend presque jamais de sa tour, même quand il a des visites…Il ne l’a jamais fait que pour moi…Oh, mon cher vieux précepteur, je suis si heureuse de vous revoir ! C’est en fin de compte une bonne chose que nous soyons venus…
L’impératrice, sans attendre, poussa d’un geste uniforme les deux grand battants du portail, qui s’ouvrirent en glissant lentement, produisant un son qui, aux oreilles d’Asrial, rappelait le son d’un violon dans le lointain.
- Petite Majesté ? Est-ce vraiment vous ?
- Maître Jovios ! Je suis contente de vous revoir !
L’homme, de forte carrure et habillé d’un long manteau, entouré de deux autres hommes et d’une femme, s’inclina brièvement devant son impératrice. Ses trois compagnons firent de même. Sa tête barbue de quadragénaire était enfoncée dans un grand col blanc dépassant d’une épaisse cape écarlate, rattaché sur sa poitrine par une épingle de fer d’où retombaient deux longs rubans blancs. Sa longue robe, alternance de couleur de crème et de terre, couvrait ses pieds.
Son regard noisette, encadré de longs cheveux bruns aux reflets roux qui coulaient sur ses épaules, détailla longuement Aurore. Un sourire se dessina sur son visage.
- Petite Majesté…Cela fait longtemps…La dernière fois que je vous ai vu remonte à huit ans dans le passé…Vous aviez treize ans…Et Valfos est avec vous !
Petite Majesté…Il m’appelait toujours ainsi quand j’était enfant…Il n’y a que lui que lui qui me désignait comme cela…Vous n’avez donc pas oublié l’enfant capricieuse et curieuse que j’était à l’époque, Maître ?
- Oui cela fait longtemps…Vous étiez mon précepteur, à cette époque…Cela me fait plaisir de vous revoir ! J’aurais pu venir bien avant ce jour, mais les responsabilités et les devoirs d’une impératrice sont bien plus importants que ce que j’avait imaginé…Je ne suis sur le trône de l’Empire que depuis que Père est mort, il y a trois ans.
L’expression de Jovios s’assombrit.
- Oui, je me souviens…Cela a été une bien triste nouvelle. J’aurais de tout cœur voulu pouvoir être à vos côtés dans ce moment, d’autant plus que j’ai entendu dire que le Prêtre Majeur s’était opposé à votre accession au trône à un si jeune âge…Mais mes obligations me retenaient d’abord ici…
- Je comprend très bien, Maître…Le Prêtre Majeur et une grande partie de l’Assemblée sont, d’une manière atténuée, toujours opposé à mon règne…Mais il n’ont aucun pouvoir sur moi ; j’ai le soutien d’Evralon, de la Cité de Fer et de l’Académie de la Grande Tour.
Jovios la regarda encore, son sourire un peu incrédule toujours en place. En l’impératrice qu’il avait devant lui, il revoyait encore l’enfant qu’elle avait été. Il lui avait appris, il l’avait aidée, il l’avait secondée pendant tant d’année de sa jeunesse…
- Oh, excusez-moi, jeune homme ! s’exclama Jovios. J’était si ému de retrouver notre Petite Majesté que j’ai totalement oublié de vous demander votre nom !
- Mon nom…Asrial Aquendi, répondit-il en esquissant une courbette. Je suis…
Le regard éloquent d’Aurore lui fit terminer rapidement sa phrase :
- …un ami de Sa Majesté.
- Ah, bien. Vous me connaissez, je suppose ?
Asrial opina du chef.
- Alors tout va pour le mieux. Rentrons, dit-il. La nuit va tomber. Mes assistants…
Il regarda les deux hommes et la femme qui se tenait derrière lui. Ils acquiescèrent.
- Mes assistants montreront à vos chevaliers où ils peuvent passer la nuit…Les embarcations de Caedos rentreront seules. Venez.
Sous les directives des auxiliaires du Maître de Cresca, les chevaliers s’éloignèrent en direction de la tour de gauche. Jovios, quand à lui, conduisit Aurore et Asrial vers la tour centrale.
Ils montèrent au sommet de celle-ci, là où se trouvait la pièce qui servait à la fois de bibliothèque personnelle, de laboratoire et de bureau à Jovios. Les escaliers, semblant interminables à Asrial, s’achevait devant une haute et épaisse porte de bois de cerisier finement sculpté, figurant les différentes aptitudes du Garvija, au centre de laquelle se trouvait une serrure dorée de la taille d’un poing d’homme adulte, qui représentait une gueule de démon, avec de petites dents pointues et deux défenses qui lui sortaient de la mâchoire inférieure, remontant au-dessus de la lèvre supérieure.
Jovios plongea la main dans les replis de sa robe et en sorti un trousseau de massives clés d’acier. Une seule, parmis elle, d’une brillante couleur dorée, était fine et longue. Jovios s’en saisit, et la plongea dans la bouche dorée…qui la recracha aussitôt avec un bruit d’étouffement.
- A l’aide ! On m’assassine ! On veut m’étrangler ! hurla la serrure d’une voix éraillée et rauque en s’animant et se tortillant en tous sens.
- Mais tait-toi donc ! lui intima Jovios alors que l’objet doré ne cessait de s’égosiller. C’est moi !
Les cris de gorets de la serrure se turent, laissant place à un silence soupçonneux qui dura quelques instants.
- Maître ? fit alors timidement la gueule dorée. Ah, mais je vous y prend à essayer d’étouffer les gens pendant leur sommeil ! fit-elle en reprenant de l’assurance et un ton suspicieux. Et puis, qui me dit que vous êtes lui ?
- Qui cela, lui ?
- Vous.
- Moi ?
- Oui, vous.
- Mais je suis moi et je ne te permet pas d’en douter, sale petite horreur dorée !
- Dites-donc, pas la peine de m’insulter ! continua la serrure. Ce n’est quand même pas de ma faute si vous ne savez plus si c’est lui qui êtes vous ou vous qui êtes lui ! Qui est ce lui, d’abord ?
Asrial et Aurore suivait ce dialogue avec des expression effarées. Même Valfos avait l’air perdu. Jovios respira profondément pour se calmer, et reprit d’une voie mielleuse :
- Lui et moi ne faisons qu’une seule et même personne, alors je te prierait de me laisser ouvrir cette porte.
- Alors c’est cela, hein ? Vous vous dédoublez pour égarer les gens ? Enfin, cela vous regarde, après tout, que vous soyez à la fois lui et moi, enfin vous, enfin cet autre lui que le premier lui qui était vous avec ce moi !
Jaonos se prit le visage dans les mains.
- Bon, écoute, reprit-il. Je suis le Maître de ce domaine, et par conséquent, ton maître ! Alors laisse-moi ouvrir cette porte ou je te fait exploser avec !
- Ah, mais ça ne va pas ?! brailla la serrure. C’est que vous êtes violent, en plus ! Elle ne vous a rien fait, cette porte ! Vous ne pouvez pas vous expliquer calmement, comme une personne civilisée ? Et puis pourquoi tenez-vous tant que cela à l’ouvrir, cette porte ? C’est louche !
Voyant que Jovios était prêt à sauter sur elle pour la démonter morceaux par morceaux, Aurore s’approcha de la gueule dorée et s’accroupit devant elle.
- Allons, ne vous énervez pas, ce n’est qu’un malentendu, dit-elle en lui grattant le menton. Nous voudrions ouvrir cette porte. Maître Jovios est là, avec la clé.
La voix de la serrure se fit plus douce, plus calme :
- Ah, voilà enfin quelqu’un qui s’exprime correctement ! Pourquoi n’avoir dit que c’était vous, Maître Jovios ? Je ne suis qu’une pauvre serrure aveugle ; un peu de compassion, serait-ce trop demander ?
Les mains du Maître de Cresca se crispèrent sur les replis de son manteau.
- C’est comme cela régulièrement, expliqua-t-il. A croire que cela l’amuse ! Et elle se prend pour une victime, en plus !
- Je
suis victime de maltraitance ! s’exclama la serrure.
- Pourquoi ne la changez-vous pas ? demanda Asrial.
- Quoi ?! hurla la gueule d’or. Dites-donc, jeune homme, un peu de respect ! Je suis vieille, mais pas encore sénile ou bonne à jeter par la fenêtre !
Aurore rit. Puis elle ramassa la clé dorée et demanda :
- Pourriez-vous…ouvrir la bouche, s’il vous plaît ?
- Bien sûr, il suffit de le demander !
La gueule d’or s’exécuta. Aurore fit pénétrer sa clé à l’intérieur et tourna. Il y eu un petit couinement, un bruit de loquet et la porte s’entrouvrit tendis que la serrure poussait un hoquet.
- Voilà ! fit Aurore, redonnant la clé à Jovios.
Le quadragénaire les fit entrer dans une grande salle ronde. Deux fenêtres à l’opposé l’une de l’autre, donnait chacune sur une des deux tours extérieures. Le fond de la pièce était remplis d’étagères débordantes de feuilles et de livres, de bibliothèques, de petites bureaux et de placards. Sur leur droite, quelques fauteuils étaient rassemblés près de la fenêtre. Au centre de la pièce, une grande tenture d’un bleu profond était accrochée au plafond par un anneau d’argent, et retombait jusqu’au sol.
- Qu’y a-t-il là-dessous ? demanda Aurore.
- Oh, c’est…hum…un dispositif de défense expérimental…N’y touchez surtout pas, il est très fragile et trop sensible ! Cela peut-être dangereux.
- Ah…Maître Jovios, J’était venue à Cresca…
La jeune femme parut réfléchir à ce qu’elle allait dire. Puis :
- …pour savoir si quelque chose concernant la prophétie de l’Andémange ne serait pas conservé ici.
- Cette vieille légende ? Etes-vous venue de Lamarielle pour cela ? N’aurait-il pas suffit d’envoyer un messager ?
- Non, je…c’est d’ordre personnel.
- Je vois…Mais…N’y a-t-il rien à Lamarielle ?
Une lueur espiègle s’alluma dans le regard de Jovios.
- Euh…si, bien sûr, mais ces archives n’étaient pas assez complètes. Ne seriez-vous pas en possession d’ouvrage qui apporterait des précisions ?
- Hum…je ne sais pas…Peut-être que…Attendez !
Il se dirigea vers le fond de la salle, vers un empilement de placards plus ou moins ordonnés, et commença à les fouiller l’un après l’autre, feuilletant livres après livres, les entassant près de lui au fur et à mesure.
Il est toujours aussi désordonné…
En attendant qu’il ai terminé, Aurore se mit à parcourir la pièce des yeux, mais retomba bien vite sur l’intrigante tenture du centre de la pièce. Que pouvait-il y avoir de dangereux là-dessous ?
La jeune femme se rapprocha et souleva un pans du drap bleu nuit. Avant même d’avoir pu esquisser un geste ou d’avoir pu voir ce qui se cachait dessous, il y eu comme un grand coup de vent, sortant de sous le drap. Aurore eu juste le temps de se retirer de la trajectoire d’un rayon lumineux d’un blanc tirant légèrement sur le mauve, qui fusa droit à travers la fenêtre. La tenture retomba, interrompant le faisceau.
- Petite Majesté !
Aurore se releva et épousseta ses vêtements.
- Tout va bien, Maître. Qu’était-ce ?
- Je vous avait prévenus ! Cela peut-être très dangereux ! Vite, couchez-vous à terre ! Il va arriver !
- Mais qui donc ?
- Faites ce que je vous dits si vous tenez à rester en vie !
Le ton impératif de Jovios les convainquit et ils se plaquèrent à terre. Il y eu alors un nouveau coup de vent, mais d’une puissance de loin supérieure au précédent. La pièce trembla ; tous les volumes , les feuilles de papiers, et tout le contenu des étagères et des placard vola dans la pièce. Puis tout redevint calme. Les trois humains se relevèrent.
- Où est Valfos ? s’exclama Aurore.
Un petit couinement s’éleva d’une pile de livre, dans un recoin de la pièce. Aurore les souleva un à un, libérant enfin le pauvre rapace affolé qui étouffait.
L’expression inquiète de Jovios laissa place à un sourire soulagé.
- Vous êtes toujours aussi curieuse !
- Que s’est-il passé ? demanda Asrial, encore abasourdi.
- L’énergie que vous avez libérée en soulevant ce drap, Petite Majesté, s’est réfléchie sur les miroirs des autres tours, et a suivit un trajet qui l’a fait revenir à son point de départ.
- Excusez-moi…Je n’ai pas pu m’en empêcher…, dit Aurore.
- Ce n’est pas grave. Il n’y a pas eu de blessés. Ne refaite plus cela, c’est tout.
- Je m’en souviendrais.
- Bien. Mais il va falloir que je range tout cela avant de retrouver ce que vous recherchiez, Petite Majesté.
Il désigna la mer d’ouvrages, d’objets, de feuillets et de notes qui s’étendait autour d’eux.
- Excusez-moi, dit encore Aurore en rougissant. C’est de ma faute. Nous allons vous aidez à ranger.
Asrial lui lança un regard noir. « Ce n’est pas à cause de moi, tout ce chaos ! ». Mais elle lui répondit par un grand sourire.
Tout à coup, une intense déflagration retentit et la tour vacilla sur ses fondations comme sur le passage d’une tornade.
- Que se passe-t-il ?
Valfos partit d’un cri strident et se mit à voler dans la pièce comme un fou. Aurore se précipita à la fenêtre, tendit qu’au dehors retentissaient des échos de combats ; fracas métalliques, des explosions, des cris, des rugissements. C’était le chaos.
Les combattants de la Cité des Interdits étaient tous sortis, à présent, et luttaient contre les ennemis qui arrivaient toujours en nombre. Des créatures volantes passaient au dessus du champs de bataille qu’était devenu le domaine de Cresca, attaquant au passage des mages combattants, qui s’évertuaient à les repousser. Les grilles avaient été renversées. Des cavaliers en armure rouge sang et leurs chevaux noirs nuit passaient dans les rangs des mages de Cresca en semant la mort. D’imposants guerriers, aux multiples têtes de serpents, se déversaient de tous les côtés.
Un vacarme infernal couvrait tout ; des boules de feu ou de lumière parcouraient les airs, des éclairs foudroyaient et carbonisaient, les épées, les sabres, les lances s’entrechoquaient, les masses d’arme broyaient, les marteaux écrasaient, des rayons meurtriers transperçaient, des cris horribles fusaient, des ondes de chocs projetaient des créatures dans les airs, le sang coulait.
La Cité des Interdits ne pouvait être attaquée. Elle ne l’avait jamais été !
Jovios et Asrial rejoignirent l’impératrice.
- Mais…c’est impossible ! s’écria le Maître.
- Quelle horreur ! Je…
- Attention !
Suivant des yeux ce qui avait arraché à Asrial cette exclamation, Aurore et Jovios s’écartèrent précipitamment. Une boule de lumière passa par la fenêtre et s’écrasa contre le plafond, détachant quelques morceaux qui tombèrent au sol.
Soudain, la porte de la salle s’ouvrit et se referma violemment. Un des assistants de Jovios s’avança vers lui. C’était la jeune femme, en tenue de combat.
- Maître ! s’exclama-t-elle.
- Evi ! Que ce passe-t-il ? D’où viennent ces monstres ?
- Nous ne savons rien ! Tous les guerriers des quatre tours extérieurs sont descendu combattre, y comprit les chevaliers du Chêne, mais nous ne savons rien sur nos agresseurs. Mais il y a un dragon rouge qui stationne non loin de Cresca ! Il est beaucoup plus grand et impressionnant que n’importe quel dragon ; il doit faire cinq fois la taille d’une bête normale ! Certains des nôtres parlent de Vathar-Loki en personne ! Personne ne sait qui sont ni ce que sont nos ennemis. Mais il y en a qui connaissent la magie ; ceux-là sont plus faciles à contrer, mais ils usent de magie taboue.
Une nouvelle explosion retentit. En regardant par la fenêtre, il purent voir l’un des ponts qui s’effondrait dans un nuage de fumée noire et de poussière, entraînant dans sa chute nombre de mages et de créatures.
- Oh non ! se désola Jovios.
- Maître ! Ils essayent de pénétrer ici ! s’exclama Evi. Endymion est en bas, il les repousse. Mais il faut faire quelque chose !
- Endymion ? Alors nous avons encore du temps. Il faut…
- Maître, utilisez le Qhinkalh ! C’est la seule chose qui peut les repousser !
- Mais je ne peux pas ! Cela risquerait d’endommager Cresca ! Il est incomplet !
- Oui, mais c’est le seul espoir ! Ils nous surpassent en nombre ! nous serons bientôt submergés !
Jovios se retourna. Est si la jeune femme disait vrai ? Peut-être qu’effectivement c’était leur seul espoir de les repousser.
- Bon. Je vais essayer. Mais il faut impérativement que tout le monde soit prévenu ! Tout le monde doit se barricader à l’intérieur des tours, et y rester jusqu’à la fin ! Est-ce clair ? Tout ce qui sera au-dehors sera touché, alors tout le monde à l’intérieur ! Envoie un signal lumineux dans les airs, quand ce sera bon.
- Bien, Maître. J’y vais.
Sur ces mots, Evi salua s’en retourna comme elle était venue.
- Bien, dépêchons-nous.
Jovios fouilla dans ses poches et en sortit un long ruban de velours noir. Il s’approcha de la tenture bleu sombre, et, précautionneusement, disparut en-dessous. Un instant après, il revint à la lumière. Il s’éloigna et fit un geste de la main ; le drap bleu se releva d’un coup sec et se plaqua contre le plafond, révélant un étrange objet biscornu et entortillé sur lui-même. Mais cette fois, rien ne se passa.
Il fit signe à Aurore et à Asrial de s’approcher. Valfos avait finit par se calmer et s’était posé sur une étagère renversée.
L’objet se présentait comme un espèce de tentacule de pierre et de métaux divers – marbre noir, grès, granite, cuivre, acier, laiton,… – qui, ancré dans le sol à sa base, remontait en ligne droite, formait un anneau, remontait à nouveau vers le plafond, toujours en rétrécissant son diamètre, puis redescendait à nouveau pour se terminer en une sorte de petite pyramide de marbre rose, pointe vers le bas, dont les arêtes étaient renforcées de bronze.
Le ruban de velours noir cachait entièrement quatre formes sphériques aux arêtes de la pyramide.
- Ces quatre petits globes réagissent à la lumière, expliqua Jovios. Vous comprenez pourquoi je vous avez demandé de ne pas soulever ce drap, tout à l’heure ? C’est de la science magique.
Les deux jeunes gens acquiescèrent.
- Deux des sphères sont orientées vers les fenêtres, vous voyez ? Les deux autres ne sont là que pour absorber le surplus d’énergie qui pourrait s’emmagasiner dans les autres et les faire exploser. Quand je vais enlever ce cache, ces deux sphères réagiront à la lumière du soleil, enfin, ce qu’il en reste, et vont libérer l’énergie magique qu’elles possèdent, sous forme de deux rayons. Ces deux rayons partiront les directions opposées, suivant une trajectoire rectiligne avant de percuter chacun un miroir. Là, les deux rayons vont se diviser chacun en deux ; les quatre rayons ainsi créés fuseront vers les deux miroirs restants, et les percuteront exactement à la même seconde, produisant des décharges d’énergie d’une grande puissance. Peut-être trop grande.
Un deuxième pont s’écroula dans un grondement de tonnerre.
- Pressons ! Prenez Valfos avec vous et asseyez-vous contre un mur, loin des fenêtres.
Aurore appela son oiseau et le prit dans ses bras. Rejoignant Asrial, elle se terra contre un grand placard de bois. Jovios observa la fenêtre. Quelques secondes plus tard, une boule de lumière orangée monta dans les airs et explosa à hauteur de fenêtre. Jovios hocha la tête et alla les retrouver. Sur un de ses geste, le ruban de velours se détacha. Aurore serra encore plus fort son compagnon de plumes et ferma les yeux.
Les rafales de vent se déclenchèrent, faisant une nouvelle fois voler des centaines d’objets dans les airs et annonçant la sortie des rayons d’énergie.
Aurore sentait ses cheveux voler autour de sa tête, et Valfos s’agiter entre ses bras. Elle entendit des cris, au-dehors. Soudain, elle pensa à quelque chose. Criant pour couvrir le vacarme, elle demanda à Jovios :
- Que se passerait-il si une de ces créatures volantes passaient devant un rayons ?
L’homme eu un rire nerveux.
- Elle le sentirait passer.
Soudain, un bruit cristallin mais déchirant –c’était comme si un énorme château de cristal s’était soudain effondré- couvrit tout le brouhaha qui sévissait au-dehors ; les rayons s’étaient rejoints. Une intense lumière se déversa par les fenêtre, aveuglante. Asrial se couvrit les yeux du bras. Une violente vague de froid les submergea, n’étant rien à côté de l’horreur que subissaient les monstres du dehors.
*
A l’extérieur, la confusion s’intensifiaient. On voyait, des deux endroits, des deux miroirs où les rayons s’étaient percutés, d’immenses ondes, d’immenses cercles de lumière aux reflets mauves, incertains, indistincts, mais pourtant bien réels
Des centaines et des centaines d’ondes lumineuses jaillissaient des miroirs, semblant ne pas vouloir s’arrêter. Les monstres et les créatures couraient, volaient dans tout les sens pour échapper à la brûlure mordante de ce froid qui les tuaient presque en un seul coup. Cela les gelaient de l’intérieur, rendaient leurs muscles rigides comme de la pierre, inutilisables, leur sang devenait plus dur que de la glace dans leurs artères, leur cœur s’arrêtait. Si la lumière de gel ne les tuaient pas, elle les laissaient agonisant, condamnés à mourir en proie à une mordante souffrance. Soit ils fuyaient, soit ils mourraient. C’était aussi simple que cela.
Les monstres volants tombaient comme des oiseaux abattus en plein vol, comme de la neige. Les cavaliers s’effondraient dans leur course. Les montures les désarçonnaient, foudroyés par le froid intense.
L’hécatombe ne dura pas longtemps ; au bout de quelques instants, il ne restait plus un seul ennemi vivant dans les parages. Tous étaient morts ou avaient fuit. La lumière faiblit, puis finit par s’éteindre, ainsi que les rayons d’énergie.
*
- Quelle défaite cuisante, lâcha le monstre en repliant ses ailes, du dédain dans la voix.
Celle-ci était grondante, chaude, grave et gutturale. Profonde et rauque comme le tonnerre qui gronde, la terre qui tremble. Derrière lui, le cratère propulsa une colonne de feu, de roches incandescentes, de fumée noire et de cendres. Il grogna de plaisir sous la caresse de la pluie de braises brûlantes et sous la chaleur qui se dégageait du volcan.
A côté de lui, son compagnon, tout petit à côté de sa masse plus qu’imposante, n’eu aucune réaction, passant étrangement outre les débris volcaniques brûlants, la fumée sombre l’enlaçant comme un amant.
- Oui. Mais ils ne sont pas hors de danger. Je n’ai pas encore eu le temps de m’organiser suffisamment…Elle veut se diriger vers la Cité de Fer. C’était un avant-goût…Une façon de se faire la main.
Sa voix à lui était étrange. Elle était grave, encore plus grave que celle de son énorme compagnon, sombre et profonde comme un puit sans fond, sans âge, vieille comme le monde. Vide. Elle faisait penser, quand on l’entendait, au son funèbre d’un orgue, un orgue spectral et ténébreux. C’était une voix qui figeait, une voix qui hypnotisait, qui attirait. Elle exerçait, par ses accent suaves et sensuels, une attraction mystérieuse sur ceux qui l’entendait, un attraction qui appelait à la débauche et la luxure, à la passion charnelle. Mais de même façon, elle repoussait, elle inspirait un dégoût profond, une terreur abjecte, une aversion pour une chose immonde et innommable. C’était une sensation profondément troublante que d’entendre cette voix. Troublante.
- Alors rattrapons-les.
- Non. Il ne faut pas les tuer. Si je veux parvenir à mes fins, il faut qu’ils restent envie. L’un a besoin de l’autre pour continuer, et pas forcément de la manière dont leurs esprits pourraient leur faire croire. Laissons-les faire encore un peu de chemin, de toutes façons, dans les deux cas, j’aurais ce que je veux. Et puis nous ne pourrons pas venir à bout des défenses de la Cité de Fer, pas maintenant. Même toi ne le pourrait pas seul.
- Hum…
Le monstre tourna son énorme tête vers l’horizon. Sa vue très développée lui permettaient de voir la Cité des Interdits. Un minuscule point encore fumant, tout là-bas.
- Il faut retrouver Aserah, dit l’ombre noire, plus noire encore que celle de l’énorme monstre. Puis les autres.
- Aserah…, gronda l’autre comme si il se souvenait d’un lointain passé. Le vent…Cherchons du côté des Monts du Vent…
- Bien. Je n’ai aucune connaissance de ce qu’il s’est passé pendant cette époque…votre chute m’est inconnue…Je te suis, répondit la petite ombre.
Elle se retourna, faisait voler les immenses pans de sa cape noire aux extrémités déchirées, comme les ailes d’une chauve-souris, et plongea dans les fumées méphitiques produites par les volcans. Le monstre le regarda passer de ses grands yeux d’or, puis se leva pour le suivre.
Vaaalààààà!!
Alors, qu'est-ce que vous pensez de Julia, le nouveau personnage?