Voilà voilà! Les choses sérieuses commencent en plus!
Romain savait qu’il s’était énormément attaché à Gabriel mais, au bout de quelques temps il commença à s’inquiéter de certaines de ses réactions. Que dire de ce petit pincement au cœur qu’il ressentait en voyant Gabriel se faire aborder par les filles ? Leurs regards sur son ami, qui au début l’amusaient ,le gênaient à présent. Il lui arrivait souvent de contempler Gabriel, sans lui parler, se contentant de le regarder écrire ou marcher. Et si son ami croisait son regard, il baissait systématiquement les yeux. Il finit par se dire qu’il se montrait possessif car il avait peur que Gabriel n’ait plus de temps à lui consacrer s’il sortait avec une fille. C’était vraiment lamentable comme réaction !
Je suis vraiment le dernier des imbéciles ! pensa t-il.
Peu après la St Valentin, Romain invita Gabriel à une soirée pizzas. Il avait installé un matelas à côté de son lit et ils passèrent leur temps à regarder la télé dans sa chambre, une part de pizza à portée de main. Allongé à plat ventre sur son lit, Gabriel imitait toutes les publicités qu’il trouvait stupides et les deux amis riaient aux éclats. Vers une heure du matin, il devint difficile de trouver quelque chose de bien à regarder et Romain se mit à zapper. Sur le câble, il tapa une chaîne au hasard et se retrouva devant une scène « d’action » de film pornographique :
- Oups ! Ca t’intéresse toi ? demanda-t-il à Gabriel en riant.
- Non, non ! répondit ce dernier en secouant la tête. Tu peux éteindre ce truc !
Romain éteignit la télé. A cette heure-ci, il risquait de n’y avoir que ce genre de programme. Il se rendit compte que Gabriel avait appuyé sa tête dans sa main et qu’il avait l’air de souffrir. Inquiet, Romain se leva pour aller près de lui :
- Gabriel, ça ne va pas ?
- Si …si ça va.
Il était pâle et semblait très fatigué.
- J’ai juste un coup de barre, ça va passer.
- T’es sûr ?
- Oui, oui ne t’en fais pas.
- On ferait mieux de dormir, dit Romain, il est tard, c’est normal que tu sois fatigué.
- Oui…fit Gabriel en se couchant.
Romain éteignit la télé et la lumière puis se coucha à son tour.
Romain flottait doucement dans un vide d’une blancheur immaculée. Il se sentait incroyablement bien. Au fond de son esprit, une petite voix chuchotait :
Qu’est-ce qui se passe ? Je suis en train de rêver ?
- Romain….
Une voix claire résonna dans le vide comme un écho. Juste en face de lui, Romain vit la silhouette de Gabriel apparaître. Il était tout en blanc, son beau visage avait l’air d’irradier mais ses yeux exprimaient la tristesse et la détresse. Sans un mot, il s’avança vers Romain et l’embrassa légèrement sur le front en posant sa main contre sa joue. Ce contact, semblable à de l’eau fraîche, électrisa Romain. C’était une sensation qu’il n’avait jamais connue. A présent, Gabriel s’éloignait de lui avec un sourire triste et doux. Romain fit un geste pour le suivre mais il se retrouva paralysé. Avec une angoisse grandissante, il vit que Gabriel était enveloppé d’une ombre noire qui le recouvrait peu à peu. Il ne disait toujours rien mais la souffrance commençait à s’imprimer sur ses traits. Il s’éloignait encore et encore…Romain voulut crier, le ramener vers lui mais son corps ne lui répondait plus.
Doucement, une larme perla des yeux de Gabriel et roula sur sa joue. Il eut un dernier regard désespéré, l’ombre le recouvrit complètement et il disparut. Le sort qui retenait Romain prit fin .Il sentit quelque chose sur son visage. Il porta la main à sa joue et son cœur s’arrêta de battre : elle était pleine de sang.
Romain se réveilla en sursaut, le cœur battant .Il était profondément troublé. Il sentait encore le baiser de Gabriel sur son front. Il vérifia qu’il n’y avait pas de sang sur son visage pour bien s’assurer qu’il avait rêvé. Mais quel rêve étrange, si intense, si angoissant… Dans le silence feutré de la chambre, Romain perçut la respiration régulière de Gabriel qui indiquait que celui-ci dormait profondément. Avec précaution, Romain se pencha au-dessus de son lit pour le regarder.
Le jeune homme était sur le dos, la tête légèrement tournée vers la fenêtre. Une de ses mains était posée près de son visage que la Lune, qui était pleine cette nuit-là, éclairait de sa lueur argentée. Quelques mèches de ses cheveux d’ébène retombant sur son front, une expression de paix absolue dans les traits, Gabriel dégageait un charme presque irréel sublimé par la lumière. .
Romain fut complètement hypnotisé par cette vision magique. Le temps s’arrêta pour lui. Un sentiment inconnu le submergea avec la violence d’une vague. D’un geste dont il n’avait pas vraiment conscience, il effleura doucement de ses doigts la chevelure soyeuse de l’ange endormi. Soudain, il se rendit compte de ce qu’il était en train de faire et redescendit brutalement sur Terre. Il se détourna vivement et enfouit sa tête sous sa couverture.
Mais qu’est-ce qui m’arrive ?
Il ne comprenait plus rien, il n’avait jamais été comme cela. Une flamme venait soudain de s’allumer, là dans sa poitrine et sa chaleur se diffusait dans tout son corps. Il se sentait à la fois effrayé, euphorique, perdu et cette avalanche d’émotions contradictoires lui donnait le tournis. Il fallait qu’il dorme. Peut -être que cela irait mieux le lendemain, qu’il y verrait plus claire. Il ferma les yeux en essayant de retrouver son calme mais il lui fallut près de deux heures avant qu’il ne parvienne à se rendormir.
Lorsqu’il ouvrit les yeux le lendemain, il avait l’impression de n’avoir dormi que dix minutes tellement il se sentait fatigué. Pourtant, il faisait jour et la première chose qu’il vit fut le regard bleu de Gabriel, penché sur lui :
- Salut ! dit joyeusement ce dernier, tu sais quelle heure il est, espèce de flemmard ?
Il portait un simple jean noir avec un chandail rouge à col roulé et il avait l’air d’être debout depuis longtemps. Encore dans les vapes, les cheveux en bataille, Romain se redressa dans son lit et regarda sa montre : il était dix heures et demie.
- Allez lève- toi, dit Gabriel, on va manger. Le petit déjeuner et encore sur la table
- Tu m’as attendu ? Fallait pas.
- Mais si ! Allez debout !
Gabriel attrapa Romain par le bras et essaya de le tirer hors de son lit mais ce dernier faisait de la résistance.
- J’veux pas me lever !
- Si tu vas te lever, gros paresseux !
Un joyeux bras de fer s’engagea alors entre les deux amis. Au bout d’un moment, Romain tira d’un coup sec et Gabriel, déséquilibré, tomba sur lui. Romain sentit son cœur s’accélérer, le nez chatouillé par les cheveux de Gabriel qui riait comme un enfant. Lorsque ce dernier se releva, Romain tenta de dissimuler sa gêne :
- Bon d’accord je me lève, dit -il comme si de rien n’était.
- T’as pas le choix ! dit Gabriel en souriant.
Romain sortit de son lit et le suivit dans la salle à manger. Sur la table il y avait deux bols, du lait et des toasts mais la pièce était vide, les parents de Romain étant déjà partis travailler.
Romain ne mangea pratiquement rien car il avait l’esprit trop occupé par les pensées qui l’assaillaient depuis qu’il avait fait ce rêve si étrange. Assis en face de Gabriel, la tête dans sa main, il écoutait à peine ce que son ami lui racontait en se contentant de le fixer, les yeux dans le vague. Il était vraiment beau……
- Romain !
La voix de Gabriel finit par le sortir de ses pensées.
- Hein ? Qu’est- ce qu’il y a ?
- Tu étais dans la Lune on dirait ?
- Je n’ai pas assez dormi je crois, excuse–moi. Qu’est- ce que tu me disais ?
- Lundi, c’est mon anniversaire mais je vais le fêter le week-end prochain chez moi Ce sera quelque chose de très simple mais toute ma famille sera là et je voudrais que tu viennes aussi.
- Tu es sûr que je ne serais pas de trop ? Tu auras peut-être envie de rester un peu avec tes proches puisque tu ne les as pas vu depuis ton déménagement.
- C’est vrai que je suis vraiment heureux qu’ils viennent ! dit Gabriel en souriant. Surtout mes grands- parents, je les adore. Mais sans toi, ce ne sera pas pareil. Tu sais, tu es mon meilleur ami et il me manquera quelque chose si tu ne viens pas.
Cette dernière phrase toucha beaucoup Romain. Gabriel ne lui avait jamais dit avant qu’il était son meilleur ami et il venait de le faire si simplement, comme si c’était évident. Comment aurait-il pu refuser son invitation ?
- D’accord je viendrais, promis.
- Génial ! s’exclama Gabriel.
- La montre se mit alors à sonner :
- Ouh là ! Il faut que je te laisse ! Mon père voulait qu’on aille faire un tour du côté de Locronan aujourd’hui. Lui aussi visite la région quand son travail lui laisse un peu temps et il adore les vieilles pierres !
Les garçons se levèrent de table et Gabriel alla chercher son sac dans la chambre de Romain. Mais tandis qu’il l’accompagnait jusqu’au portail, Romain ne voulut pas le laisser partir sans lui dire ce qu’il ne lui avait pas dit franchement jusqu’à présent :
- Au fait Gabriel … toi aussi, tu es mon meilleur ami.
Il avait dit cela d’une voix pas très assurée comme s’il avait peur d’être ridicule. Mais Gabriel lui fit un sourire rayonnant qui fut pour lui la meilleur des réponses. Puis son ami passa le portail en lui faisant un signe de la main :
- On se voit demain au lycée. A demain !
- Oui, à demain !
Romain le regarda s’éloigner puis rentra chez lui avec la sensation qu’il avait vraiment besoin de faire le point. Une idée qu’il s’était efforcé de repousser, parce qu’elle lui faisait peur, commençait à s’imposer de plus en plus dans son esprit. Et s’il était en train de tomber amoureux ? Il fallait regarder les choses en face : il ne voyait plus Gabriel de la même façon depuis déjà quelques temps et ce qui s’était passé cette nuit confirmait bien cette idée. Ce qu’il avait ressenti lorsque ce dernier était tombé sur lui ou encore lorsqu’il avait posé la main sur son épaule, n’était pas d’ordre amical. Quant à sa « déclaration » de tout à l’heure, pourquoi avait-il eu la sensation de ne pas dire exactement ce qu’il ressentait ? Il avait dû repousser la tentation de le serrer contre lui et lui montrer qu’il était bien plus qu’un ami à ses yeux. Non seulement il était en train de tomber amoureux, ce qui était déjà beaucoup, mais en plus c’était d’un garçon et qui se trouvait être son meilleur ami !
Et merde ! fit Romain en se laissant tomber sur le canapé du salon.
Non ! Ce n’était pas possible ! Il ne pouvait pas être homosexuel ! Pourtant cela expliquait pourquoi à dix-sept ans, il n’avait jamais été attiré par une fille. Mais c’était trop difficile à accepter. Comment allait-il faire ? Personnellement, il n’avait rien contre les homosexuels. L’homo phobie comptait parmi les formes d’intolérances qu’il détestait. Mais se découvrir soi-même gay était quand même une autre histoire ! Il essaya d’imaginer la tête de ses parents s’ils l’apprenaient et il ne su pas s’il devait en rire ou en pleurer. Il se sentait complètement perdu. Il essaya de se raccrocher à l’idée qu’il n’était pas amoureux, que cette attirance pour Gabriel lui passerait. Il allait tenter de la chasser de son esprit.