Voilà la suite de
Métro, boulot, dodo? (disponible derrière le voile).
Pas tout à fait dans le même registre (d'où le passage devant le voile), mais toujours sur le même principe: on est dans la tête de Nico et cela se déroule en trois parties. Un triptyque donc, de nouveau.
Je vous laisse savourer.
Mariage, amant, divorce?
I. Mariage
Il fait une chaleur à crever -normal, me direz-vous, pour un premier juillet- et je n'ai qu'une envie: me mettre en short! Et pourtant, je dois porter un foutu pantalon de costume. Noir, en plus! Je vais finir en nage avant la fin de l'après-midi, moi.
Allons, allons, calme-toi Nico, et mets-le, ça en vaut bien le coup. Une jambe, puis l'autre, et on remonte jusqu'à la taille. Tiens? Pourquoi il est trop petit ce con? Je suis passé chez le tailleur y'a même pas deux semaines pour le régler pile à ma taille. Et je peux pas avoir grossi en deux semaines, vu le peu que j'ai mangé. Ah! Je vois, y'a du fil bleu sur les coutures.
-Etienne! T'as mon pantalon et j'ai le tien!
Et mon chéri, mon amour, celui qui partage ma vie depuis, allez, facile plus de huit ans, se retourne et lève son magnifique visage -oui, c'est un superlatif, et alors? J'ai le droit d'en user et même d'en abuser vu que c'est mon amoureux rien qu'à moi!
-Je me disais aussi qu'il était trop grand. Tiens, prends-le.
Il l'enlève sous mes yeux avec cette élégance nonchalante qui me fait craquer à chaque fois. Depuis le temps, j'aurais pu m'habituer, mais non. Ca me fait systématiquement le même effet. Et il s'en rend compte.
-Putain Nico, c'est pas vrai. Tu sais vraiment pas contrôler tes ardeurs.
-Eh... C'est de ta faute!
Je sais, c'est lamentable de rejeter la faute sur lui. Mais bon, c'est vrai aussi que c'est pas de ma faute s'il a un corps de rêve. Ou plutôt un corps que j'adore... donc ouais, au final, c'est peut-être un peu de ma faute aussi. Mais on s'en fout, non?
-Mais bien sûr! répliqua-t-il, avec un petit sourire moqueur avant de s'approcher de moi pour me donner mon pantalon.
Je lui tends le sien et je vais pour attraper le mien, mais il le retire au dernier moment d'un mouvement vif. A la place, avec son autre main, il m'attire à lui et se colle à moi. Et je crois qu'en fait, je ne suis pas le seul à ne pas savoir contrôler mes ardeurs.
La petite remarque que j'ai sur le bout des lèvres y reste sans en sortir puisque presqu'aussitôt il m'embrasse. Pas d'un petit baiser donné à la va-vite. Mais d'un baiser fabuleux, qui laisse entrevoir le paradis sur terre (oui, il s'est sacrément amélioré avec les années, déjà qu'il était plutôt doué à la base). Le genre de baiser qu'on ne peut donner qu'à l'homme qu'on aime. Qu'à l'homme qu'on va épouser dans à peine une heure. Nos langues jouent ensemble quelques instants et avisant l'heure d'un regard sur le réveil de la table de nuit, je me vois obligé de mettre fin à ce merveilleux moment.
-Faut qu'on se grouille si on veut pas être en retard, Etienne. En plus, le samedi, avec les embouteillages, il faut compter facile un quart d'heure de plus en bus pour être à la mairie.
-Franchement, pourquoi on doit aller à notre mariage en bus? C'est pas classe.
-Pas classe ou pas, notre voiture est au garage et pour un bon bout de temps, si tu veux mon avis.
-Pourquoi? T'es pas allé les activer un peu avant-hier soir?
-Ils m'ont dit que c'était un vieux modèle et qu'ils avaient pas les pièces de rechange sur place. Faut qu'ils commandent et tout. Je sens que ça va nous coûter un max.
-Dis, tu veux pas tout simplement la mettre à la casse et on en rachète une d'occas'?
-Hum... Pourquoi pas? ... On devrait faire une annonce ce soir au dîner, genre "Merci d'être venus au mariage, et surtout si par hasard, vous connaissez quelqu'un qui revend une voiture, faîtes-nous signe, on est intéressé!", je rigole.
Etienne sourit et passe sa main dans mes cheveux, comme à un enfant qui dit que des bêtises mais qui est mignon quand même. C'est vrai que je dis des conneries, mais ça doit être le stress. On ne se marie pas tous les jours, non? Et encore moins à un homme qu'on aime de tout son corps, de tout son cœur? Surtout que ça fait tout juste un peu plus d'un an qu'on a le droit de le faire, légalement j'entends. Avant on avait juste le droit au Pacs, dont on a allègrement profité pendant trois ans. Maintenant, on va se marier, lui et moi, moi et lui, et je suis heureux comme jamais.
Allez hop, c'est pas tout ça de déblatérer des imbécilités et de réfléchir à sa vie, mais on a plutôt intérêt à partir genre... maintenant.
-T'es prêt Etienne?
-Oui, suffit juste que je prenne les deux fleurs à mettre dans nos vestes, et c'est bon.
-Ok. Tu me feras penser à remercier Théo pour ça, ils sont superbes ses origamis.
Parce qu'en fait, Théo, en apprenant qu'on hésitait à décorer nos vestes de costume, de façon tout à fait clichée certes, avec des fleurs, s'est proposé pour nous faire des fleurs en papier. Celle d'Etienne est blanche et bleue, pour s'accorder avec sa chemise rayée de plusieurs bleus, un peu comme ses yeux. La mienne par contre est blanche et rouge, comme mon haut, parce qu'Etienne me trouve super sexy avec cette chemise couleur Grenat, qui est, je le reconnais, beaucoup plus près du corps que mes autres chemises.
-Hmm, je lui dirai sinon, si t'oublies. T'as les alliances?
-Non, c'est Yann.
-Pourquoi?
-Parce que j'avais pas le temps d'aller les chercher et donc c'est lui qui y est allé. Et que vu qu'il est beaucoup moins bordélique que moi, je me suis dit qu'il risquait pas de les perdre, alors autant qu'il les garde. Et puis c'est mon témoin aussi, je te rappelle.
-C'est vrai que vu comment tu perds ton portable trois fois par jour, t'as eu raison de les confier à ton frère, c'est plus sûr, dit-il avec un petit sourire.
Il vient m'embrasser tendrement puis il me prend la main et m'emmène vers le palier. Au passage, il attrape ses clefs et moi les miennes, et dix minutes plus tard, on est dans le bus, direction la mairie.
Oulà! Y'a un de ces mondes devant la mairie. J'ai l'impression que ça va être le parcours du combattant pour arriver jusqu'à la salle de mariage, et nous connaissant, on va laisser quelques cadavres sur les bas-côtés. Nan, je déconne! Mais sérieusement, j'aime pas ça. Y'a trop de monde. Moi qui suis un adepte du calme, je crois que c'est foutu. Heureusement qu'on a pas invité trop de monde à notre mariage. Tellement peu d'ailleurs que j'en vois aucun dans la foule amassée sur le parvis. Ou alors ils sont déjà à l'intérieur.
-Nico? Ca va? T'as pas l'air bien.
Et voilà qu'Etienne s'inquiète, je le vois bien. Surtout qu'il sait que j'aime pas trop les foules compactes et que je supporte pas la chaleur. Et puis aussi, il y a ce petit truc dans les yeux. Cette petite lueur de doute particulière que je connais très bien, pour l'avoir vue régulièrement depuis six mois. Je me souviens encore de la première fois où je l'ai vue.
Un moment unique, le premier janvier de cette année. La veille, on était allé fêter la nouvelle année avec pas mal de copains dans une boîte du Marais. Ils n'avaient pas lésiné sur la décoration, ni sur l'animation. Toute la salle était rouge-argenté, et il y avait des paillettes partout. Jusque sur les verres et dans les boissons. Je me souviens qu'au premier verre, je me suis demandé si c'était comestible, et puis pris dans l'ambiance, j'ai pas réfléchi et j'ai bu comme les autres. Ca devait l'être puisqu'aucun de nous n'a été malade après coup. A part d'avoir trop bu.
Bref, des paillettes partout, sur les verres, sur le bar, sur les tables, sur le sol, et surtout, surtout sur les corps magnifiques des gogo danseurs. Ouais, la boîte avait loué les services d'une petite dizaine de danseurs pour la soirée du nouvel an. Et je dois dire qu'ils avaient bien fait. On a été plusieurs à se régaler les yeux devant eux, Etienne et moi compris. Etonnamment, même si Etienne est plutôt du genre jaloux (bon, moi aussi, il faut bien le dire), il n'a rien dit ce soir-là (et moi non plus). Peut-être parce qu'on était tous les deux ensemble, que ce n'était qu'un plaisir des yeux, et qu'on savait tous les deux qu'on était trop dingues l'un de l'autre pour finir la soirée avec quelqu'un d'autre. On a fini la soirée chez Axel, un ami d'Etienne, en petit comité, à se remémorer l'année passée.
On est rentré chez nous au petit matin, en métro, pas trop bourrés mais complètement out, alors on est allé se coucher direct. On a tout juste eu la force de se déshabiller. J'ai pioncé jusque vers huit heures du soir, et je me suis réveillé avec une délicieuse odeur de croissants, de pains au chocolat, et de thé des Moines. Etienne s'était réveillé plus tôt que moi et avait réussi à trouver une boulangerie ouverte en ce premier janvier. On a fait petit déjeuner au lit, alors que la nuit était déjà tombée. Quand j'y repense, c'était bien comique, mais à l'époque, j'ai trouvé ça charmant.
Sur le plateau, il y avait aussi deux enveloppes, une pour Etienne, de ma main, et une pour moi, de la part d'Etienne. C'étaient nos résolutions pour l'année à venir. L'autre devait les lire et nous aider à respecter nos engagements. On avait pris cette habitude à notre deuxième nouvel an ensemble, je crois, après qu'on ait failli se séparer à cause d'une incompréhension mutuelle. On avait alors décidé de se parler plus, et cette idée de mettre nos résolutions du nouvel an par écrit et de demander à l'autre de veiller à ce qu'on les respecte, c'était un moyen assez drôle de mettre cette décision en application. Depuis, on a gardé l'habitude, parce qu'on aime bien, et que ça marche aussi un petit peu.
Donc ce jour-là, c'est Etienne qui le premier a ouvert son enveloppe. Je me souviens que j'avais d'abord mis des trucs assez banals: préparer mes cours en avance, ne pas mettre une chaussette d'une paire, et une autre d'une autre paire, aller chez le coiffeur au moins une fois l'an. Et aussi quelques petites choses un peu plus sérieuses, comme réussir à publier plus d'articles, dans de meilleurs journaux, ou me réconcilier avec mes parents. Et bien sûr, des petites attentions pour lui: lui préparer un petit déjeuner au lit le dimanche au moins une semaine sur deux, arrêter de l'engueuler quand je suis de mauvaise humeur, ou l'embrasser plus souvent (oui, il se plaignait que je ne l'embrassais pas assez, allez savoir pourquoi). Il a fait quelques petits commentaires, et on a bien rigolé.
Ensuite, ça a été mon tour d'ouvrir mon enveloppe. Bizarrement, il avait écrit chacune de ses résolutions sur une carte différente, et il n'y en avait pas beaucoup, au vu de la grosseur du paquet que je tenais entre les mains. Sa première résolution, c'était de faire plus d'efforts en cuisine (avec les années, il avait un peu abandonné les fourneaux, à mon plus grand regret parce qu'il cuisine très bien). La deuxième était aussi de préparer ses TD en avance, la troisième de prendre plus souvent des initiatives dans notre couple (là, j'ai approuvé avec force devant son petit sourire timide) et la quatrième de réussir à dire non à son frère quand il nous demandait de garder son petit garçon qui venait de naître (on avait annulé plusieurs de nos soirées à deux et passé des nuits blanches à cause de ce môme criard). Et quand j'ai lu le cinquième et dernier carton, les larmes sont venues toutes seules.
C'est à ce moment-là que j'ai vu pour la première ce regard, avec ce doute si particulier. Il sait déjà ce que je pense, il sait déjà ce que je vais dire, mais il ne peut s'empêcher de douter. Parce que c'est tellement important pour lui qu'il se sent incertain, quoi que je fasse. Et c'est aussi à ce moment-là que j'ai décidé de mettre immédiatement en pratique une de mes résolutions, donc je l'ai embrassé, d'un baiser tendre, chaste, plein d'amour. Parce que c'était la seule chose que je pouvais faire après avoir lu sa dernière résolution: "Me marier avec toi". Juste après ce baiser, j'ai dit oui, il a un peu pleuré, relâchant son stress par ses larmes, on a déposé le plateau du petit déjeuner par terre, et on a fait l'amour. On s'est aimé comme jamais, atteignant un état d'extase rare.
Alors forcément, face à tout ça, face à tout l'amour qu'il me porte, toute la tendresse dont il peut faire preuve avec moi, face à lui tout simplement, cette foule et cette chaleur ne sont rien, rien du tout. Donc...
-Oui, je vais bien, ne t'en fais pas, je le rassure d'un sourire.
-Tant mieux. Allez, on y va?
Il me tend la main et je la prends. On traverse la foule en jouant un peu beaucoup des coudes, comme dans un concert, mais en moins violent. On arrive enfin, toujours main dans la main, au bas des quelques marches qui mène à la porte d'entrée. On les grimpe rapidement, et une fois passée la porte, on se retrouve face à un énorme escalier, majestueux de par sa taille et sa couleur de marbre beige et son tapis rouge sang au centre, maintenu par des barres dorées. Un style ancien, qu'on peut trouver kitsch, mais là, je suis totalement sous le charme. Je m'imagine déjà le descendre lentement, au bras d'Etienne, après la cérémonie.
Lui, par contre, n'a pas l'air d'avoir la tête dans les nuages vu qu'il me tire un peu pour me signifier que la salle de mariage est au second étage. Et qu'il nous reste moins deux minutes pour y être. On grimpe les marches deux par deux et on est rapidement dans le couloir qu'il faut. Par contre, la salle, ça c'est une autre affaire. Toutes les portes se ressemblent. Et y'a pas grand chose de marqué dessus. Je crois qu'il va falloir toutes les faire. A moins que... Etienne vient de sortir son portable: apparemment, y'a quelqu'un qui l'appelle. Et ce quelqu'un a l'air furieux, mais Etienne répond avec calme tout en expliquant à son interlocuteur notre situation.
-On est dans le couloir, on sait pas quelle porte c'est. Et c'est juste que y'a eu des embouteillages et que ça a pris beaucoup plus de temps que prévu avec le bus.
Il raccroche et me dit dans un petit rire.
-Je viens de me faire engueuler par ton frère, parce que "Non mais c'est vraiment pas possible d'être en retard à son propre mariage. Qu'est-ce que vous avez dans le crâne mon frère et toi? Des petits pois?!"
Je rigole face à l'imitation et je lui colle un petit bisou au coin des lèvres. Puis je lui glisse à l'oreille que je ferai payer à mon frère de s'en être pris à mon futur mari. Il n'a pas le temps de répondre que j'entends la voix de Yann à quelques mètres de nous.
-C'est ça Etienne, moque-toi de moi! Parce que sans moi, vous trouviez pas la salle, lance-t-il, crâneur.
-Mais bien sûr! On aurait ouvert chaque salle et on aurait fini par tomber sur la bonne, hein Nico?
-Exactement! Bon, c'est pas tout ça, on y va? Ca serait con qu'on soit vraiment en retard alors qu'on est juste à côté.
-Tout juste! m'approuve Etienne.
Il m'attrape la main et on se dirige tous les deux vers Yann pour qu'il nous indique quelle porte c'est. Mais il n'ouvre pas la bouche et à la place, il pose une main sur mon épaule et me regarde droit dans les yeux.
-Nico, Papa et Maman ont répondu à la carte d'invitation que tu leur avais envoyé. Ils sont là, au dernier rang.
Oh putain! Si je m'y attendais! Ca fait des années que j'ai coupé les ponts avec eux. Depuis que je leur avais dit que j'étais homosexuel et que je sortais avec Etienne, en fait. J'avais bien tenté de renouer contact de temps en temps, mais vu les vents violents que je me prenais à chaque fois, j'avais renoncé.
Ma résolution du nouvel an m'avait donné une nouvelle envie de réparer les pots cassés entre nous, mais le fait de m'être fait copieusement insulté par téléphone pour avoir osé envoyer une carte d'anniversaire et un petit cadeau par la poste à ma mère pour ses 65 ans, ça m'avait un peu beaucoup refroidi. Et le carton d'invitation, c'est Etienne qui le leur a envoyé en douce. Il me l'a dit juste après être l'avoir mise dans une boîte aux lettres.
Oula! J'ai l'impression que ça tourne. Je me sens pas super bien. Tiens, je crois que y'a Etienne qui vient de me prendre dans ses bras. Heureusement, parce que je suis pas sûr que mes jambes puissent vraiment me porter.
-Yann, va leur dire que Nico ne se sent pas très bien à cause de la chaleur et qu'on arrive dans cinq minutes. Et ce n'est pas la peine qu'ils viennent. Juste Théo et Robin, et qu'ils ramènent de l'eau et du sucre. Ou quelque chose de sucré.
Ah! J'adore mon homme quand il prend les choses en main comme ça. Il dirige tout, donne des ordres à tout le monde -bon, là y'a que Yann, mais je parle d'expérience-, et en plus, il fait les choses bien.
-Allez viens Nico, on va s'asseoir un peu. T'es tout pâle.
Il m'oblige tout doucement à m'asseoir sur le tapis et m'ouvre un peu la cravate et la chemise, pour que je puisse mieux respirer.
-Ca va? T'es tout pâle.
Je hoche la tête, un peu incertain quand même, et il passe une main douce sur ma joue.
-C'est parce que tes parents sont là? Je suis désolé, j'aurais pas dû les inviter.
-Non, non... T'as bien fait. C'est juste que ça m'a... disons surpris qu'ils soient là. T'y rajoutes le stress, la chaleur, et ça te donne moi en ce moment, j'essaie de plaisanter.
Mais je sens que ça tombe lamentablement à l'eau. Heureusement, Robin, mon meilleur ami, et Théo, mon futur beau-frère, arrivent pour faire diversion. L'un a une bouteille d'eau d'un litre cinq avec lui, l'autre des petits bonbons de tous les goûts, et chacun me tend ce qu'il a.
-Depuis quand tu te balades avec des bonbons sur toi Théo? fait, un peu incrédule, mon amoureux.
-Depuis que je les ai piqués à l'accueil de la mairie, lui répond son frère avec un grand sourire.
J'en avale quelques-uns, sous leurs yeux attentifs, je m'étouffe un peu en buvant de l'eau. Et puis Etienne renvoie les deux autres dans la salle. Quand on est de nouveau seuls, il me rassure sur son amour, et me dit que si mes parents se sont déplacés de leur retraite de la Côte d'Azur pour venir à mon mariage, ce n'est certainement pas pour le gâcher. Parce qu'il leur aurait suffi d'un coup de fil pour le faire. S'ils sont là, c'est sûrement parce qu'ils ne veulent pas rater le plus beau jour de la vie de leur fils cadet, et que s'ils sont au dernier rang, c'est qu'ils ne se sentent peut-être pas le droit d'être au premier, après avoir déserté ma vie pendant si longtemps.
J'essaie de le croire, je me raccroche à ses paroles et grâce à ça, je réussis à me relever. On entremêle nos mains, avançant vers la fameuse porte. Juste avant de la pousser, il me dépose un dernier baiser près de l'oreille et me glisse une nouvelle fois qu'il m'aime. Je lui souris et je lui dis que moi aussi, je l'aime. Puis on entre.
Je vois toutes ces personnes assises sur des bancs qui d'un coup se retournent vers nous. J'ai l'impression de pas être à ma place et je n'ai qu'une seule envie: me retourner et rentrer directement à la maison, parce que c'est encore pire que de se retrouver face à un amphi de six cents personnes. Mais Etienne, qui a dû sentir mes légers tremblements, resserre ses doigts sur ma main. Il a le regard fixé sur l'adjoint au maire qui va officier la cérémonie.
Alors je décide de l'imiter et on se dirige vers lui d'un même pas. Celui-ci me demande si je vais mieux, et je lui murmure un petit oui. Parce que là, je me sens juste au bord de la syncope, et que ce n'est que la main d'Etienne qui me maintient dans le monde réel. Mais apparemment, ça lui suffit comme réponse, puisqu'il commence à faire tout son petit discours sur les engagements qu'on prend l'un envers l'autre lorsqu'on se marie. J'écoute que dalle, ça m'intéresse pas des masses: c'est pas un contrat de mariage qui va dicter ma vie de couple. Etienne, lui, est concentré et boit limite les paroles de l'adjoint. Et je me plais à l'admirer, partant dans mon petit monde où l'on est que tous les deux. Je ne remets pieds sur terre que lorsque j'entends.
-Monsieur Etienne Barriel, voulez-vous prendre pour époux Monsieur Nicolas Adrien Austier ici présent?
-Oui.
-Et vous, Monsieur Nicolas Adrien Austier, voulez-vous prendre pour époux Monsieur Etienne Barriel ici présent?
-Oui.
-Au nom de la loi et par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare unis par les liens du mariage.
Yann apporte les alliances, on se les enfile mutuellement, puis on s'embrasse sous les applaudissements de la salle. Ensuite, on signe le registre tendu par le maire adjoint, qui en profite pour nous féliciter, et il nous donne notre livret de famille. Tout ça se passe comme dans un rêve. Je suis pas très sûr que c'est moi qui viens de vivre ce mariage. Jusqu'au moment où Etienne m'embrasse langoureusement à la sortie de la mairie et me murmure en me regardant dans les yeux: "Félicitations, Monsieur Austier-Barriel".