Bonjour la compagnie ! A quelques jours de partir à Londres, je foisonne d'idées pour des fictions sur Sherlock BBC. En attendant d'avoir avancé durablement sur la fic de plusieurs chapitres que je prépare, j'ai eu envie d'écrire l'origine de la relation entre Lestrade et Holmes. Une histoire en deux parties, dont le second volet viendra ce week-end ou, dernier délais, lundi. Une dédicace à EbenE qui a visiblement un léger faible pour les Sherlock/Lestrade. J'espère qu'il te plaira !
♣♣♣♣♣1.Installé dans son impeccable bureau, face à la table où pas une seule agrafe ne venait perturber l’ordre établi dans les fournitures, l’inspecteur Lestrade s’affairait à son dossier. D’un œil curieux, il étudiait le jeune homme qui était au centre des dernières conversations de Scotland Yard. Les cheveux bouclés, noirs de jais, il était aussi mince que pâle, aussi intimidant que fascinant. A l’évocation de son nom, le policier sourit, reconnaissant que cette étrange combinaison collait parfaitement au physique particulier de ce garçon.
- Sherlock Holmes, né le 6 janvier 1982. Soit… Vingt-quatre ans, s’étonna légèrement Lestrade en rédigeant les précédentes informations sur son ordinateur.
Aux côtés de l’odieux suspect se tenait un homme au physique ordinaire mais aux manières si élégantes qu’il lui paraissait appartenir à un autre monde. Mycroft Holmes, frère aîné de la bête curieuse du commissariat, fixait d’un œil inquisiteur son cadet. Résolu à s’adresser à celui qui semblait exercer un minimum d’autorité sur le responsable de ce chaos, l’inspecteur hésita longuement sur la formule à adopter :
- Si nous nous trouvons ici… C’est parce que votre frère, Mr. Holmes, s’est introduit illégalement sur une scène de crime ce matin. Après avoir légèrement secoué deux de mes collègues, il s’est exclamé que nous étions sur la mauvaise piste et que nous étions de sombres… idiots.
- Imbéciles, corrigea le jeune homme, agacé de voir ses propos déformés de la sorte. Un coup sec de parapluie sur le pied le fit immédiatement taire.
Au terme d’un regard noir que lui adressa Mycroft, Sherlock reprit une argumentation plus posée :
- Vous étiez totalement à côté de la plaque.
Offusqué, l’inspecteur céda à la familiarité pour gronder l’insolent :
- Dans ce cas, je t’en prie ! Tu as sûrement la solution à notre problème, n’est-ce pas ?
- Ce n’est pas un parent qui a commis ce meurtre. Il aurait eu tout le loisir de trouver un autre souvenir de cette victime !
Les yeux noisette de l’inspecteur s’écarquillèrent, surpris de cette nouveauté :
- Quel souvenir ?
- Le foulard, bon sang ! Il pleuvait à corde ! Son manteau est détrempé ! Quand au col- Le col n’a rien ! Il est sec, parfait ! Elle portait donc un foulard, s’exaspéra-t-il avant d’enchaîner sur de nouvelles justifications. Un parent pourrait réclamer un bien précieux légalement ou se servir lui-même dans l’appartement de la victime.
Suspectant longtemps ce mystérieux jeune homme, Lestrade se vit forcé d’abandonner cette piste lorsque deux membres de son équipe témoignèrent en sa faveur. Ils expliquèrent ainsi que le fameux Sherlock Holmes avait passé la matinée dans les bureaux de Scotland Yard, harcelant le personnel de l’accueil pour apporter ses conclusions sur plusieurs enquêtes. Les dossiers qu’il avait déposés étaient tous adressé «
au responsable de cette parodie grotesque de justice »
S’emparant dans un rire narquois des cahiers à la couverture jaune, il les rangea parmi d’autres papiers dans ses tiroirs, se promettant d’y jeter un œil à l’avenir. Ecroulé sur sa chaise de bureau, Lestrade médita longtemps sur le bienfondé d’un projet qu’il couvait depuis cet après-midi.
2.Nouvelle journée, nouvelle enquête. Enchaînant les affaires comme d’autres enchaîneraient les vacances ou les sorties, Lestrade s’accorda quelques instants de réflexion. Appuyé contre un réverbère de Brick Lane, une cigarette à la bouche, il observait la foule qui se pressait contre les barrières de sécurité. Relevant le col de son manteau, il ne quitta pas la masse de badauds des yeux, attendant désespérément un signe, une venue.
Son pari stupide porta finalement ses fruits : le visage qu’il espérait voir se distingua parmi les autres individus, avides de détails croustillants. Les mêmes boucles noires, le même regard perçant juché par-dessus la laine d’une écharpe gris perle. Lestrade écrasa son mégot avant de céder à la tentation et de se rapprocher de l’énergumène :
- Encore vous ?
- Vous m’attendiez, déclara le garçon, sûr de lui.
- Présomptueux !, railla Lestrade en recoiffant sa tignasse soumise au vent de septembre. Disons que je m’attendais à vous voir ici.
Ce regard clair et inqualifiable se planta dans le sien, coupant court à toute possibilité de fuite ou de retraite.
- Je veux travailler avec vous, lui avoua Sherlock. J’ai besoin de résoudre ces affaires.
Audacieux, le jeune homme se glissa sous les banderoles et se planta face à Lestrade, légèrement déstabilisé par le pouvoir de persuasion du jeune homme. Il voulait un signe ? Il le recevait en ce moment même. Soupirant à l’idée de commettre la plus belle erreur de sa carrière, il fit signe au garçon de le suivre.
Victorieux, Sherlock afficha un mince sourire sur son visage, précédant Lestrade jusqu’à la scène de crime. En toute légalité, cette fois, se permit-il d’ajouter.
Sur place, Lestrade lui laissa cinq minutes pour faire ses preuves. Arpentant la pièce, grattant le parquet, fouillant les poches de la victime, Holmes se releva à quelques secondes de l’ultimatum. D’un geste de la main, il époussetât son long manteau noir.
- Vous tenez la clé de cette affaire, je présume ?, se moqua doucement l’inspecteur en attendant la démonstration ou l’échec de son nouveau protégé.
Secouant ses boucles noirs, Sherlock haussa les épaules :
- Evidemment.
Holmes, sûr de lui, entreprit l’explication précise et détaillée de son raisonnement. Soufflé par la maîtrise du jeune homme, Lestrade insista pour disposer de son numéro de téléphone. Sherlock s’exécuta avec plaisir et arrogance. « Au cas où », modéra l’inspecteur en rangeant son portable tout en sachant très bien que la prochaine rencontre ne traînerait pas. Incapable d’expliquer la raison de cet instinct, Lestrade ressentit un curieux pressentiment : celui qui lui annonçait le début d’une fructueuse collaboration.
3.Par un hasard qu’il aurait qualifié d’amusant si les circonstances n’étaient pas si dramatiques, Lestrade contacta Holmes un mois exactement après le meurtre de Brick Lane. Celui-ci répondit avec l’enthousiasme et la ferveur d’un artiste sur le point d’exécuter un nouveau numéro.
Arrivé sur les lieux en chemise, les cheveux en broussailles, Lestrade l’interrogea sur cet accoutrement si léger pour les températures actuelles. Le jeune homme secoua sa main pour le faire taire, repérant sûrement quelques infimes détails planqués sous les lambeaux de plâtre tombés du mur ou dans la boucle d’oreille droite légèrement patinée.
Adossé à la porte de ce taudis, Lestrade l’observa sous un jour nouveau. Arpentant le bois de ses longs doigts fin, le garçon semblait évoluer dans un monde différent du sien. Remarquant certains tics du jeune homme, Lestrade laissa échapper un petit rire lorsque Sherlock se mordit la lèvre, pris d’un doute. Un sourire revint immédiatement sur ce visage concentré tandis qu’il récupérait, à l’aide d’une pince à épiler dénichée dans sa poche, une fibre beige et torsadée.
Lentement, l’inspecteur l’applaudit. Malheureusement pour eux, les réjouissances allaient être de courtes durées.
***Au moins aussi déçu qu’agacé, Lestrade tâchait de calmer un Sherlock aussi survolté que lui. Furieux, le jeune homme faisait les cents pas dans la ruelle qui jouxtait la scène. A leur plus grand désarroi, la fibre débusquée sur les lieux n’appartenait pas à un suspect mais bien à Anderson, le médecin légiste de l’équipe. Holmes le prit immédiatement en grippe, dénigrant la formation du professionnel :
- Il n’a jamais appris à ne pas contaminer une scène ?
Assis sur l’une des marches de l’escalier de secours, l’inspecteur capitula et porta une nouvelle cigarette à ses lèvres. Il tendit finalement le paquet à son jeune comparse. Assis, ils cessèrent de discuter, retrouvant peu à peu le calme qui leur manquait.
- Ce qu’il faut retenir, c’est que vous êtes le seul à avoir repéré cette foutue fibre. Si je vous laisse le droit de venir vous ingérer dans mes affaires, c’est que je vous considère comme quelqu’un de compétent.
- Plus compétent que certains de votre équipe, assurément, médit Sherlock en tirant une bouffée supplémentaire. Ceci dit, je pense que ce n’est pas l’unique raison pour laquelle j’ai, selon vos propos, le droit de « traîner dans vos pattes »
Lorsque les yeux clairs fixèrent les siens, Lestrade détourna la tête. Exposé, il comprit que Sherlock ne se contentait pas de décortiquer les affaires criminelles mais prenait également un malin plaisir à déchiffrer les gens. Refusant d’être étudié comme une souris écartelée dans un laboratoire, l’inspecteur se releva d’un bond et conseilla à Sherlock de prendre quelques jours de congés.
4.La méfiance ayant prit le pas sur l’admiration, Lestrade rechigna à contacter Sherlock. Se contentant de travailler à l’ancienne, Lestrade et son équipe parvinrent à résoudre chacune des affaires qui furent confiés à Scotland Yard. Peut-être plus lentement que si Sherlock était intervenu. Lestrade s’en fichait bien : ce type était dangereux pour lui, pour sa carrière, pour son intégrité et son statut au sein de son équipe.
Trois jours s’étaient écoulés depuis le dernier message de Sherlock. Le détective s’était alors contenté de lui demander si un dossier l’attendait, priant presque Lestrade de lui soumettre une affaire, même la plus futile.
L’inspecteur n’avait jamais répondu, rangeant aussitôt son portable dans la poche de sa veste. Pris d’un frisson, il éprouva un mauvais pressentiment : il avait, sans s’en rendre compte, fait sortir le fauve de sa cage.
***
Lestrade s’attendait à recevoir d’autres messages de l’apprenti détective. Il l’imaginait difficilement lâcher prise après un seul et unique essai infructueux. Il supposait même que l’indifférence dont il avait fait preuve à son égard finirait par raviver l’acharnement du jeune homme.
Les nouvelles qu’il lui parvint finalement en cette fin d’octobre lui ôtèrent toute envie de jouer au chat et à la souris avec Sherlock. Lorsque son écran s’anima, Lestrade décrocha machinalement. Surpris de l’identité de son interlocuteur, il s’écroula finalement sur le siège de sa voiture.
Jetant le téléphone sur le siège passager, il démarra en trombe et fila vers l’hôpital de Great Ormond. Dans l’une des chambres du quatrième étage, il retrouva l’auteur du coup de fil. Toujours aussi élégant en dépit des circonstances, Mycroft Holmes patientait, raide comme un piquet, aux côtés de l’unique lit de la pièce.
- Je ne m’attendais pas à vous voir si vite.
- J’ai grillé… quelques feux, répondit maladroitement Lestrade en s’approchant craintivement du patient, distinguant finalement les boucles noires qui contrastaient avec la blancheur des draps. Il va- Il ira bien, n’est-ce pas ?
- Il n’y aucune séquelle physique à craindre, précisa Mycroft en consultant sa montre. Il dort depuis deux heures à présent.
Avachi sur l’une des chaises, l’inspecteur soupira de soulagement. Observant la poche de perfusion qui s’écoulait à un rythme régulier et apaisant, il entreprit de trouver les réponses aux questions qui le taraudaient :
- Vous m’avez parlé d’une overdose… Mais de quoi ? Somnifères ?
- Cocaïne, encore et toujours.
Les yeux ronds, le regard de Lestrade oscillait entre le malade alité et son frère déclarant avec un sang-froid perturbant que son cadet était un junkie.
- Lorsqu’il demeure inactif, mon frère a quelques vieux démons qui reviennent à la charge…
Incertain de la conduite à adopter, l’inspecteur se figea sur la main frêle et pâle qui, autrefois, s’agitait sur une scène de crime pour réclamer un peu de calme.
- Et dire que j’ai presque intégré un addict à mon équipe… Encore une belle boulette !
Le profil bourgeois de Mycroft demeura impassible. Après quelques secondes de silence, il se décida à prendre la parole :
- Vous n’avez commis aucune erreur, répliqua le curieux personnage. Vous détenez en revanche un bien précieux et unique. La possibilité de sauver un brillant esprit d’une mort prématurée.
Silencieux, Lestrade ne se prononça pas dans l’immédiat. Il répertoria un à un les arguments qui le poussaient à tendre la main à cet étrange garçon. L’esprit aiguisé de ce dernier était un avantage inestimable pour une équipe qui, il fallait le reconnaître, pataugeait parfois dans la criminalité londonienne qui ne cessait de s’accroître.
Ce n’était cependant pas l’unique qualité que Lestrade prêtait à Sherlock. Jusqu’ici, il avait été soufflé par l’enthousiasme du flamboyant apprenti détective. Il succombait presque à sa fraîcheur et sa curiosité. La vision pâle et fatiguée de cette personnalité surprenante, sa fragilité soigneusement dissimulée, achevèrent de lui attirer la sympathie de Lestrade.
Acceptant le marché proposé par Mycroft, les derniers doutes de l’inspecteur s’envolèrent lorsque l’aîné déposa sa carte au creux de sa main.
- Gouvernement britannique ?
- Rien de très important, mentit le fonctionnaire en consultant machinalement les constantes de son frère. Je vous remercie en son nom.
- Que devrais-je faire ?
- Compliquez-lui la vie. Ne lui laissez pas une seule minute de répit. Il vous détestera peut-être… Mais vous lui rendrez service.
Lestrade acquiesça, impatient d’assister au réveil du jeune homme. L’esprit perdu entre la contemplation du ciel nuageux de Londres et le visage paisible de son futur comparse, Lestrade s’accorda une remarque douce-amère :
- Et dire que je pensais m’ennuyer durant ma malheureuse journée de repos…
***Au terme de trois heures d’attente, les yeux de Sherlock s’ouvrirent timidement. Tentant de reconnaître les deux silhouettes perchées au-dessus de son lit, il grimaça :
- Ce doit être un cauchemar…
Lestrade éclata de rire, s’adressant au convalescent d’une voix plus douce qu’ordinaire :
- Tu nous as fait peur, p’tit.
- Je pense que les onze années qui nous séparent ne sont pas un motif suffisant pour me baptiser « p’tit », inspecteur, gémit Sherlock en levant les yeux au ciel. Nous devons être… Jeudi. Quelle heure ?
- Dix-sept heures trente, répliqua Mycroft en consultant sa montre hors de prix. A présent que je suis rassuré sur ton état, je peux enfin retourner à des occupations plus importantes que les caprices d’un cocaïnomane. Je reviendrai demain dans la matinée, Sherlock.
Avant que la porte de la chambre ne se referme, Holmes grimaça, adressant un grinçant au revoir à son frère aîné :
- Tu peux t’abstenir ! Et remets mes amitiés à la Reine !
Traînant une chaise jusqu’au lit, Lestrade s’accouda aux barrières sans dire un mot. Intrigué, Sherlock haussa un sourcil et lui pria d’expliquer sa présence.
- Ton frère m’a appelé ce matin. J’ai rappliqué ici.
- Fantastique… J’aurais encore préféré qu’il me laisse moisir dans mon loft.
Maladroit, l’inspecteur balaya la chambre des yeux avant d’oser affronter le regard du jeune homme.
- Cocaïne, donc ?
- Avant de nous engager sur ce terrain, je vous prie d’abandonner ce regard affectueux et ce ton paternaliste. Ca dégouline de bons sentiments et je suis suffisamment nauséeux ainsi. Quant au tutoiement… Ca sous-entend un «
pauvre petite chose fragile » à la fin de chacune de vos phrases.
Vexé, Lestrade contre-attaqua avec un argument de poids :
- Il faudra t’y habituer si on collabore ensemble.
- Vous vous êtes enfin aperçu de l’inaptitude de votre équipe ?
- Je me reconvertis dans les programmes de réinsertion des junkies, lui asséna sèchement l’inspecteur. Tu ne mets plus le pied sur l’une de mes enquêtes tant que tu n’es pas clean. Contrôles à la clé.
Trop fier pour saisir cette main tendue, Sherlock lui répondit qu’il réfléchirait à cette option. Quant à Lestrade, il lui intima d’une voix autoritaire de reprendre sa sieste et de se retaper aussi vite que possible.
Epuisé, il renonça à se ressasser cette journée éprouvante. Quelques heures plutôt, durant le coup de téléphone de Mycroft, il l’avait imaginé mort. Disparu, froid, lointain. A son plus grand soulagement, Sherlock était finalement bien là, suffisamment fort pour paraître arrogant et sarcastique.
Lorsque ce dernier fut enfin endormi, l’inspecteur regagna le hall et l’ascenseur, les mains dans les poches et un sourire sur les lèvres. Il fit la route jusqu’à son appartement à pieds, la tête dans les nuages du ciel gris et dépourvu d’étoiles.
A l’heure de rejoindre son bon vieux lit, Lestrade ne ressentit nullement le besoin de descendre un verre de whisky ou de cognac pour gagner un sommeil réparateur. Submergé par les émotions de la journée, il s’entortilla dans les draps. Il n’était plus question de s’inquiéter : dorénavant, il veillerait de près sur Sherlock.