CHAPITRE I
Dans le silence de cette belle matinée, un vacarme épouvantable se fit entendre derrière la porte de bois, ainsi qu’une série de jurons bien sentis qui portèrent le Chevalier à se redresser, méfiant. Et bientôt la porte s’ouvrit à la volée pour dévoiler un homme à demi nu manifestement au bord de la crise de nerf (comme le prouvait le petit nerf au coin de son œil qui frémissait dangereusement) et armé d’une fourche rouillée qu’il pointa sur Galaad. Ce dernier fut plutôt surpris de voir ce à quoi il avait affaire… La première chose qu’il vit fut la fourche qui se tendait vers lui… Puis, suivant le manche alors qu’une voix d’un calme très, très précaire s’élevait, il découvrit avec un choc la personne à l’autre bout de l’arme improvisée : un homme aux traits renfrognés, durcis par la colère mais malgré tout harmonieux. Un long nez fin, une mâchoire coupée à la serpe et un regard sombre, d’un marron pur. Un homme magnifique… Une carrure particulièrement solide, le torse large et de bonnes épaules. Il était vêtu d’un pantalon, d’une chemise de lin au col échancré et de bottes de cuir enfilées rapidement.
-OK. Ça y est, j’en ai marre.
Déclara l’ex-centurion Caius Camillus d’une voix faussement calme.
-C’est plus possible là. J’en ai plein le cul. Et j’vous annonce que vous aller payer pour les autres. J’vous demanderais donc de vous r’tourner et d’vous pencher pour que j’vous introduise cette fourche dans les fesses jusqu’au gosier. Vous croyez que si j’vous plante devant ma porte façon épouvantail ça va dissuader les autres couillons d’venir frapper à ma porte ?
Demanda-t-il, ponctuant son laïus d’un sourire sardonique. C’était le troisième ce matin. Le TROISIÈME emmerdeur qui venait frapper à sa porte et qui le tirait du lit alors qu’il n’avait pas dormi de la nuit. Il était gavé, mais gavé jusqu’à la moelle, comme jamais il n’avait été gavé. Le mot même était trop faible pour faire honneur à l’intensité de son ras le bol… Tellement qu’il ne remarqua même pas que le mec devant lui qu’il menaçait d’empaler par le fondement n’était pas habillé comme un paysan. Tout ce qui importait à Caius, c’est qu’un autre connard avait osé frapper sur la planche de bois pourrie et bouffée par les mites qui lui servait de porte, le tirant violemment d’un sommeil dans lequel il avait FINALEMENT réussi à tomber après deux jours d’insomnie. Les pulsions de violence qu’il contenait de peine et de misère s’étaient réveillées en même temps que lui et il était à deux doigts d’actualiser ses pulsions sadiques.
Écoutant à demi les paroles du nouveau Seigneur Breton, Galaad se sentit bizarre pendant un instant… Au lieu de le regarder dans les yeux et de se contenter d’essayer de lui expliquer en le coupant pour ne pas le laisser faire son discours pour rien, de lui assurer qu’il venait pour l’aider, il l’observa un moment les lèvres bêtement entrouvertes, les sourcils haussés, le détaillant maladroitement tandis que chaque muscle se bandait et la chair se contractait pour agiter l’outil vers lui… Tout se passait comme au ralentit et il ne comprit absolument pas ce qui était en train d’arriver… Simplement que c’était très agréable et qu’avec tout ça, il avait raté les menaces et devait reprendre à partir de là sans avoir rien compris de ce qui s’était passé avant… Mis à part que le Romain en avait plein le cul… Seulement il ne savait pas de quoi… Sortant de ses pensées soudainement quand le propriétaire des lieux cessa de parler, Galaad tenta difficilement de reprendre sa prestance habituelle, lui qui s’était ridiculement ramolli à la sortie du Romain de sa canfouine…
-J…
Balbutia t-il, tout aussi secoué par le fait qu’il ne trouvait plus ses mots que par cette étrange envie d’abandonner tout ce qu’il était venu faire là pour observer cet être d’une beauté qu’il n’avait jamais remarquée chez qui que ce soit d’autre avant et ne rien lui dire… Juste le regarder bouger, l’écouter parler, le connaître, discuter avec lui et peut-être même plus si affinités… Non mais c’était n’importe quoi. Rosissant sensiblement et secouant la tête violemment, Galaad ouvrit la bouche mais rien n’en sortit pendant quelques secondes… Se remettant de ce qui semblait être un choc nerveux ou peu importait… C’était pas sans lui rappeler la première fois qu’il avait tué quelqu’un à la guerre d’ailleurs… Cette étrange sensation de flottement… Sauf que c’était beaucoup plus agréable cette fois. Comme sur un nuage plutôt que d’avoir l’impression de flotter dans une brume sombre, dans le noir complet, et votre conscience qui vous clame que vous venez d’arracher une vie… Cette fois son subconscient s’alarmait et son corps tout entier y réagissait.
-Je…
-JE ferais mieux de faire TRÈS attention à c’que j’vais dire !
Gronda Caius qui n’entendait pas du tout à rire. Il attendait avec impatience que l’individu devant lui lui offre une occasion d’utiliser sa fourche.
-Vous êtes bien le Seigneur Caius ?
Finit par demander Galaad, toujours tendu mais un peu plus cohérent. Puis sans attendre de réponse étant donné l’humeur du mec :
-Je suis le Seigneur Galaad. Chevalier de la Table Ronde. Le Roi Arthur m’envoie… Je ne sais pas si le Roi vous avait fait part de ma venue… ?
Expliqua Galaad, clairement, sans bégayer… Malgré qu’a l’intérieur, tout se bousculait, il avait réussit à reprendre le contrôle et semblait soudainement beaucoup plus calme qu’il avait pu l’être dans les secondes précédentes… Et puis c’était pas bien difficile d’apparenter cette réaction bizarre de tension à un stress vu l’accueil… Mais tout le monde aurait un autre nom pour cette tension effrayée…
Un coup de foudre.
Caius lui avait troqué son air hargneux pour une moue méfiante à l’entente de son nom. Moue qui finit par s’effacer totalement au dévoilement de l’identité de l’homme qui se tenait devant lui : un Chevalier de la Table Ronde… Merde… Il venait de menacer un Chevalier de l’embrocher par le cul ! Évidemment il abaissa sa fourche, mais la tension qu’avait fait naître la colère se voyait toujours dans ses traits légèrement crispés. Il était vraiment au bout du rouleau et même s’il avait renoncé à ses projets de meurtre (du moins sur ce visiteur-là), le Romain s’était déjà retenu d’exploser trop longtemps pour se calmer et offrir ne serait-ce que l’ébauche d’un sourire au Seigneur Galaad.
-Le Roi ? Euh…. Pas souvenir non…
Répondit-il, cherchant dans sa mémoire une discussion pendant laquelle le Roi lui aurait parlé d’une aide quelconque…
-Oh, je suis désolé de me présenter comme ça sans avertissement alors.
S’excusa le Chevalier qui souffla de soulagement à la vue de la fourche qui s’abaissait tandis que le nouveau Seigneur Breton semblait réfléchir profondément. Jetant un vague coup d’œil à l’intérieur de la cabane, réussissant enfin à s’arracher à sa contemplation, ignorant de son mieux les sentiments qui surgissaient et les pulsions étranges qui le perturbaient un peu, il vit quelle sorte de merde Arthur lui avait refilé… C’était vieux, moche, tout moisi, à peine meublé, ça sentait l’étable… Non, la bergerie en fait. Nuance. La paille était vieillotte, elle se tenait à peine, avait du prendre l’humidité vu la couleur, il n’y avait même pas de table ni de chaises...Enfin, si, une, mais on n’avait pas envie de s’y assoir, même exténué. Le seul endroit potable pour poser ses miches était le lit…
-Ah mais la lettre qu’les clodos m’ont apporté ça devait être ça ! J’suis désolé hein j’l’ai même pas lue encore…
Avoua Caius, se souvenant soudainement. Il se précipita à l’intérieur à la recherche de la dite lettre. Elle traînait sur une chaise à trois pattes qu’il utilisait comme table de nuit. Il l’avait complètement zappée ! Brisant le sceau officiel de Kaamelott, il déroula le parchemin et se lança dans une lecture rapide. Effectivement, c’était une lettre du Roi qui l’informait qu’un Chevalier allait venir pour lui donner un coup de main… Un certain Galaad… Du coup bah c’était ce type là il semblerait…
-Entrez, entrez…
Fit-il sans regarder Galaad.
Ce dernier entra, lui donnant l’occasion au Chevalier d’observer plus attentivement les lieux. Comment le Roi avait-il pu donner à un ami un trou à rat pareil ? Puis lui vint un parfum discret… Un parfum sucré, acidulé… Camouflé par bien d’autres, mais quelque chose de différent qu’il n’avait presque jamais senti. Quelque chose de… citronné. Quelle odeur merveilleuse… En cherchant la provenance, il étira légèrement le cou, l’air de rien, discrètement…
Caius grimaça légèrement. Ce mec venait pour l’aider et lui l’avait pratiquement menacé de mort… Bonjour l’accueil quand même ! Relevant un regard noisette le plus doux possible vers son visiteur, il arriva même à lui sourire, enfin ça devait plutôt ressembler à un espèce de rictus mais en tout cas y’avait de la bonne volonté ça c’était certain.
-Désolé pour euh l’accueil un peu… un peu froid… J’vous avoue que j’suis un tout petit peu à cran ces temps-ci…
Et c’était pas peu dire…
-Je comprends… Il faut admettre que le Roi ne vous a pas confié quelque chose de tellement… prestigieux.
Remarqua Galaad, évitant de son mieux de paraître désobligeant. Mais bon, il ne trouvait pas de compliment pour décrire cet endroit très différent de ce à quoi Caius devait être habitué. Le pauvre... Dire que Rome était tellement grandiose. Même les camps qui existaient en Bretagne étaient quelque chose à voir. Cette cabane à côté était très médiocre…
Carrément pourrie même.
-Pas vraiment non…
Confirma le Romain avec un soupir affligé.
-Hem… J’vous propose pas d’vous asseoir hein vu que bah… j’ai pas de chaises… Enfin sauf si celle à trois pattes vous fait peur ! Par contre une coupette de rouquin p’têtre que ça pourrait vous intéresser… ? Du bon hein, du Romain, directement importé des vignobles de Ravenne !
Proposa Caius, n’attendant pas la réponse et s’affairant déjà pour trouver la bouteille de picrate et deux coupes, idéalement propres, ce qui n’était pas gagné.
-Oh ne vous donnez pas cette peine !
Fit le Chevalier, souriant, un peu mal à l’aise de lui de lui enlever un peu de la seule agréable qui devait lui rester de son petit coin de pays… Mais le Romain n’avait pas attendu pris en compte sa réponse et s’était déjà mis à la recherche de sa bouteille, passant vivement à côté du Chevalier, lui faisant réaliser d’où provenait ce parfum exquis… C’était lui ! C’était du Seigneur Caius que provenait cet effluve exotique qui l’avait délicieusement enivré…
-On s’est jamais rencontrés, non ? J’connais bien les Seigneurs Léodagan, Lancelot, Perceval et Yvain mais vous j’me souviens pas avoir déjà vu votre tronche…
Fit Caius, retournant son bordel pour trouver une bouteille. Putain mais c’était vraiment le foutoir là dedans pour qu’il égare un si bon vin…
-Non… Non je…
Commença Galaad, secouant la tête vivement, se sortant de ses pensées, lui-même étonné de voir à quel point il se laissait aller. Il se renfrogna et grimaça légèrement, ne comprenant pas ce qui lui prenait, ni ce qui lui arrivait… Parce que Galaad n’avait jamais été amoureux. Et ce n’était pas donné à tout le monde d’avoir un coup de foudre pareil. Du coup, tout le monde n’aurait pas compris et lui encore moins… Il en vint même à se fixer un objectif et se défier lui-même de l’atteindre pour se concentrer. Il se dit donc qu’aujourd’hui, il devait au moins lui expliquer ce qu’il était venu faire là. Ce serait déjà un bon point. ET répondre à ses questions. Il ne fallait pas oublier ça…
-Le Roi Arthur m’envoie régulièrement hors du pays pour les missions un peu plus complexes… Mes compagnons, que je tiens en haute estime, je tiens à le préciser, se prêtent difficilement aux missions à l’étranger et je crains que notre bon Souverain préfère les garder près de lui, là où il peut garder un œil sur eux, du coup, je suis un peu toujours parti…
Tenta d’expliquer avec autant de tact et de gentillesse que possible le Chevalier. C’était plutôt ardu de dire que les autres étaient trop cons pour se débrouiller à l’étranger sans les traiter de cons justement… Il les aimait lui, les « cons » que Lancelot détestait tant. Il aimait leur naïveté qui lui rappelait la sienne, leur innocence, le fait qu’on avait l’impression que chaque fois qu’on levait le petit doigt on leur apprenait quelque chose… Sans compter qu’ils étaient, pour la plupart, gentils et d’une honnêteté frappante. Ils ne mentaient jamais, ne disaient jamais quelque chose qu’ils ne pensaient pas. C’était extrêmement rafraîchissant et il se sentait mal de devoir parler en mal de ses compagnons…
-Ah ouais je vois…
Répondit Caius avec un sourire en coin. Il avait compris les sous-entendus… Fallait dire que les Chevaliers d’Arthur ils n’étaient pas exactement ce qu’on pourrait appeler des flèches ! Et selon ce que lui racontait son visiteur, il était un peu l’exception dans le tas. C’était ballot quand même, un des seuls Chevaliers qui tenaient debout à Kaamelott et il y était jamais ! Ah ! Voilà une bouteille ! Ignorant à moitié Galaad, un grand sourire sur la tronche, Caius se mit à la recherche de deux coupes. La perspective de s’envoyer une petite coupette lui remontait le moral. D’ailleurs, avec sa vie de merde dans cette cabane pourrie, sa seule joie c’était de retrouver un peu de Rome dans la saveur capiteuse d’un bon vin… C’était une chance qu’il ait un peu de contrôle sur sa personne (malgré ce que ses réactions pouvaient faire supposer), parce qu’il passerait ses journées à tout descendre…
-Écoutez Seigneur Caius, je sais que vous voulez bien faire mais je me sentirais mal de vous enlever un si bon vin alors que je crois savoir que, et c’est ce qui m’amène à expliquer ce que je fabrique ici, que vous n’êtes pas… particulièrement à l’aise ici, est-ce que je me trompe ?
Demanda doucement Galaad, aussi délicat que possible.
-Non mais vous en faites pas, quand j’ai déserté j’ai tout chouré ce qu’y restait de vin au camp… Ah voilà des coupes… J’peux bien en ouvrir une pour vous, c’est pas souvent que j’ai de la visite !
Hormis les habituels clodos… Et puis un vin comme ça il fallait en faire profiter les Bretons, leur faire goûter à un vrai bon picrate ! Il tendit une coupe à Galaad et la remplit généreusement avant de faire pareil dans la sienne.
Galaad tiqua : jamais de visite ? Bah, et le Roi ? Il ne venait jamais le voir le Roi ? Une moue un peu déçue vint déformer les traits du Chevalier qui se trouva bien triste de savoir que non seulement Caius vivait dans une cabane toute pourrie mais qu’en plus, il ne pouvait pas y être plus seul… Le Romain remplit les deux coupes malgré les protestations de Galaad qui avait finit par le laisser faire, d’ailleurs la quantité était assez généreuse. En général, le Chevalier buvait énormément de flotte, trouvant que le Maître d’Armes avait un régime très sain et que c’était plutôt bon pour le corps, il ne touchait pratiquement jamais au vin… Il trouva donc la coupe très chargée lorsqu’il la prit, faisant bien attention de ne pas en mettre partout ou d’en échapper une goûte. Quelque chose qui est offert avec cœur doit être accepté de la même façon… Il leva donc son verre.
-Santé…
Fit Caius, finissant sa coupe cul sec avant même que Galaad touche à la sienne. Et il ne tarda pas à s’en verser une autre bonne quantité…
-Santé.
Lui répondit le Chevalier qui en avala une première gorgée prudemment. Il n’était pas spécialement féru du vin, mais celui là était spécialement bon. Dégustant doucement l’arôme du fruit, un peu triste que l’odeur très agréable du Romain soit camouflée par le raisin, il leva les yeux juste à temps pour le voir se verser une autre coupe alors que lui avait tout juste pris une gorgée de la sienne ! Ben dites donc, il l’enfilait le picrate ! Si ça se trouvait, d’ici dix minutes, Caius allait être rond comme une boule. Haussant discrètement les sourcils en éloignant la coupe de ses lèvres, Galaad n’osa pas commenter. Ça n’aurait pas été très poli de toute façon, ce n’était pas ses affaires non plus… Il suivit donc le geste du Romain qui posa la bouteille plus loin, gardant sa coupe à la main.
-Qu’est-ce qui vous fait croire que j’suis pas à l’aise ici… ?
Demanda le Romain après un bref moment passé en silence.
-Eh bien je me fie aux dires du Roi.
Caius releva un regard sceptique vers Galaad. Le Roi… Qu’est-ce qu’il en avait à fichtre le Roi… Il habitait dans un château, le Roi. Il avait des larbins, le Roi. Il dormait dans un vrai lit sans punaises, le Roi ! Ouais, Caius était amer. Ce n’était pas du tout ce qu’il avait imaginé quand Arthur lui avait dit qu’il serait Seigneur et qu’il aurait des terres… Avoir su qu’il se retrouverait dans une cabane bouffée par les mites avec une bande de clodos à son service qui savaient pas mettre un pied devant l’autre, il y aurait pensé à deux fois avant de déserter… Avoir su que sa femme le plaquerait pour un connard en toge, il n’aurait pas demandé de venir en Bretagne en fait ! C’était vraiment une année pourrie… Ah non, correction, c’était une décennie pourrie !
-Il m’a confié qu’il s’inquiétait pour vous.
-Tiens donc… J’croyais qu’il m’avait oublié moi…
Balança Caius, s’assoyant avec précaution sur son lit. Ça cognait le vin quand c’était avalé cul sec…
-...Et De la situation de vos gens…
-…Avec raison…
Il était au bord du génocide, c’était pas compliqué….
-…Et surtout de la vôtre. Pour votre santé, votre bien être. Il m’a aussi dit que vous n’aviez aucunes connaissances en agriculture et qu’il était probable que vous ne sachiez ni quoi faire ni quoi dire de faire à vos gens… Du coup, il a jugé bon de m’envoyer pour vous aider à remettre tout ça en ordre. Si vous êtes d’accord évidemment. Loin de moi l’idée de vous forcer mais… Je crois franchement que si vous acceptez mon aide, vous avez des chances d’améliorer votre mode de vie.
Expliqua le Chevalier, toujours avec le plus de délicatesse que possible, essayant de rester dans le domaine de la supposition, ne confirmant rien que Caius risquerait de contredire. Après tout, il débarquait comme une fleur pour lui imposer de l’aide qu’il n’avait jamais demandé. Il avait intérêt à y aller doucement s’il ne voulait pas se la prendre quand même cette fourche. Il n’osa pas non plus commenter la consommation d’alcool du Romain… Bien que ce n’était pas l’envie qui lui manquait. S’il avait eu moins de tact, il lui aurait carrément dit que pour tout remettre en ordre, mieux valait commencer par ne pas se beurrer la gueule dès le matin…
Caius hocha la tête, pensif.
-Alors je résume : après m’avoir largué dans c’taudis sans m’expliquer en quoi ça consistait un Seigneur Breton, il m’oublie…
-…Il ne vous a pas oublié…
Enfin, s’il s’était chargé de lui envoyer un message et de lui refiler Galaad comme aide, c’est que forcément il pensait à lui de temps en temps, non ?
-…Et là soudainement il se rappelle que j’existe et il décide d’envoyer un de ses meilleurs Chevaliers pour m’aider. C’est bien ça ? Ben dites donc… Si il a fini par envoyer quelqu’un c’est qu’il a dû comprendre à quel point la situation était merdique… Et je sais pas ce que vous avez fait pour mériter ça, mais j’vous plains…
C’était dommage quand même, il avait l’air très sympa ce Galaad… Un peu bizarre mais sympa. Une chose était sûre, quoiqu’il ait pu faire, il ne méritait pas une punition comme celle là… Parce que c’en était une assurément…
-Me plaindre ?
Pourquoi le plaindre ? Il ne comprenait pas pourquoi il ressentait toutes ces choses par rapport à Caius mais il n’était pas à plaindre ! C’était tellement agréable ! Étrange, mais très sympa ! Se renfrognant, Galaad écouta la suite, se retournant vers lui qui s’était assis sur le lit, un peu chancelant… Le vin le claquait déjà ? C’était rapide…
Soupirant à s’en fendre l’âme, le Romain se pencha vers le Chevalier.
-Écoutez… C’est très gentil de la part du Roi et d’votre part de vouloir m’aider mais… Honnêtement, j’crois que vous allez perdre votre temps plus qu’autre chose. Même si j’arrivais à reprendre tout c’bordel en main, j’serai jamais heureux ici.
-…Ah bon ?
Fit Galaad, le ton exagérément triste, ignorant pourquoi il se sentait aussi déçu à cette annonce…
-J’me donne pas deux semaines pour me pendre avec ma jupe de latte. Je l’aurais déjà fait mais j’fais pas confiance aux fondations de ce clapier pour pas s’effondrer sur moi…
Expliqua Caius sérieusement, regardant son visiteur dans les yeux pour bien lui faire comprendre l’ampleur de sa tâche. Pour lui sauver une crise de nerf à ce pauvre Chevalier il valait mieux le renvoyer chez le Roi avec une tape sur le cul, ça serait mieux pour sa santé mentale.
Une soudaine panique s’empara de Galaad et il haussa les sourcils, les lèvres entrouvertes, incapable de trouver des mots à mettre sur son expression. Il ne savait pas plus la raison qui l’amenait à avoir aussi peur que Caius s’exécute, mais il avait les foins… Royalement à part ça. Le regard affolé, il commença à chercher des mots pour l’encourager…
-Mais qu’est-ce que vous racontez ! Vous étiez Centurion dans l’armée Romaine et vous croyez ne pas être capable de reprendre en main une terre ?
-Ouais ben dans l’armée on fait pas du jardinage j’vous rappelle !
Grommela Caius, buvant une longue lampée. Il avait juste envie de se bourrer la gueule, sans même prendre le temps de déguster… Ah ouais mais non, c’était exactement ce qu’il était en train de faire en fait !
-Avec les connaissances, je suis certain que vous arriverez à de grandes choses ! Et puis vous êtes un dirigeant non ? Vous savez donner des ordres, en quoi ça changerait de les donner à des paysans plutôt qu’à des soldats ?
-Les soldats y comprennent ce que je leur dis déjà, ça ça change beaucoup…
Grommela Caius.
Sans compter qu’ils puaient pas la vache moisie…
-Croyez-moi, je suis certain qu’il y a quelque chose à faire avec cet endroit pour que vous y soyez bien !
Fit Galaad, souriant… Bon, faudrait bosser la patience aussi… Mais s’il était avec lui, peut- être que ça changerait des choses ? Et puis… Il tenait beaucoup à ce que Caius accepte… Il avait envie de passer du temps avec lui. Il ne savait pas pourquoi… Pas du tout. Mais il avait follement envie de passer des journées à le regarder, à en apprendre sur lui, à le découvrir… Se faisant aussi encourageant que possible, Galaad posa une main sur l’épaule du Romain et le secoua très légèrement. Comme une petite poussée, une tape dans le dos…
Le sourire du Chevalier avait surpris Caius. La vache les quenottes ! Il ne devait pas passer inaperçu avec un sourire pareil ! Au premier abord ça foutait un peu la trouille mais c’était tellement sincère et… tellement lumineux… Comme un baume sur le cœur… C’était la première fois que le sourire de quelqu’un lui faisait ce genre d’effet là et stupidement, il pensa un instant à l’une de ces créatures dont les Chrétiens parlaient tout le temps, les anges, les messagers de leur dieu qui venaient pour aider les hommes… Un peu déstabilisé et secoué, le Romain marmonna un « mouais… »
-Allez ! Je ferai débloquer des fonds et on rénovera tout ça, on vous donnera des meubles et on engagera quelqu’un pour redonner bonne à vos champs, un vrai connaisseur qui pourra en apprendre à vos gens et moi je me chargerai de vous aider à les rendre un peu plus vaillants, à gérer tout ça. Ça vous dit ?
Demanda le Chevalier joyeusement… Comme si ça allait être amusant. Le ton de Galaad était optimiste, encourageant… On ignorait que derrière tout ça il y avait la motivation du mec qui vient d’être frappé par un coup de foudre. Même lui ne se rendait pas vraiment compte… Attendant une réponse, Galaad ne douta même pas une seconde de celle de Caius. Il avait confiance en ce ton qu’il utilisait. Chaque fois qu’il en faisait usage, sauf en cas de désespoir extrême, ça marchait toujours… Et il le savait ! Il ne s’inquiétait même pas. Ça donnait toujours envie d’essayer… Au moins essayer !
Caius jeta un œil à sa la main du Chevalier sur son épaule avant de croiser son regard vert. Normalement il aurait dit non. Il aurait dit non, se serait levé, attrapé son bazar et foutu le feu à la cabane. Mais Galaad semblait tellement… enthousiaste… Le Romain eut l’impression que s’il refusait, il insulterait ou peinerait profondément le Chevalier… Il ne se sentait pas du tout de dire non…
-On… on peut essayer…
Répondit Caius après un instant de silence pensif.
Le sourire du Chevalier s’élargit un peu plus.
-Parfait !
S’exclama joyeusement Galaad.
L’enthousiasme du Chevalier étourdissait un peu Caius qui avait passé les dernières semaines dans un état de dépression permanent. Mais il ne pouvait pas dire que c’était désagréable d’être en présence de quelqu’un de positif. À part les clodos qui venaient frapper à sa porte à toute heure du jour et de la nuit, il n’avait pas discuté avec qui que ce soit de façon civilisée depuis la dernière visite du Roi. Ça faisait du bien… Ses envies de violences diminuaient tranquillement…
-Donc… Si vous voulez-bien, l’idéal serait de commencer par mettre un peu d’ordre ici. La bonne tenue d’un domaine commence par l’entretient et la propreté du domicile. Un peu d’ordre, un coup de balais et vous verrez, ce sera comme neuf! On commencera par là, vous allez voir, ça va changer la vision que vous en aurez.
Le Romain promena son regard sur le bordel ambiant. C’est vrai que ça avait besoin d’un bon ménage… Il avait essayé, il avait honnêtement essayé, mais la cabane était tellement décrépie et l’ampleur du travail tellement énorme qu’il avait finit par abandonner. Il s’était fait une idée de vivre dans la crasse, ce qui était une bonne preuve du mauvais état de son moral quand on connaissait bien Caius…
-Et ensuite on fera le tour pour voir lesquels sont vos gens, ceux qui ont un minimum de volonté à travailler pour leur pitance… Et ceux qui… Ben les autres.
…C’est à dire la majorité. Caius anticipait déjà cette partie-là. Si il y avait quelque chose dont il n’avait pas envie, c’était bien de revoir leurs tronches à ces emmerdeurs… Mais avec Galaad avec lui peut-être qu’il aurait moins envie d’assassiner tout le monde… ?
-Et moi, en rentrant, je m’occupe du reste. De faire une demande au Roi pour débloquer quelques fonds, trouver un marchand pour vos meubles et quelqu’un pour enseigner un peu à vos paysans comment entretenir les terres et y faire pousser quelque chose et tout ça…
Déballa le Chevalier, exposant son plan pour avoir l’accord du Romain, toujours souriant, se promenant un peu dans la cabane, de long en large pour voir ce qu’il y avait à faire… Il y avait des tas de bidules qui trainaient… Ranger tout ça ne ferait pas de mal…
Caius se retint de faire remarquer qu’il faudrait carrément faire retaper la cabane aussi avant qu’elle leur tombe sur la tête… Mais tout de même des meubles ça ne ferait pas de tort. Une table pour pouvoir manger ça ne serait pas du luxe… Et si quelqu’un pouvait enseigner aux clodos à travailler, encore mieux !
-Très bien… Bon bah… faisons ça.
Fit le Romain.
Leurs coupes de vin terminées, ils décidèrent de se mettre à la tâche. Ils se débarrassèrent d’abord de la paille défraîchie qui traînait partout et passèrent un bon coup de balais. Caius retrouva avec surprise des machins qu’il avait perdus dans son bordel : une vingtaine de bouteilles de vin romain éparpillées un peu partout dans la cabane, des petites caisses de nourriture sèche (dont une bonne quantité de pâte d’amande et d’autres sucreries), son ancien uniforme, quelques parties d’un uniforme de chef de guerre, des armes et une boîte contenant des objets qu’on s’attendait plus à trouver dans la chambre d’une femme que dans les affaires d’un centurion, comme des huiles parfumées, des crèmes spéciales, tout un assortiment de poudres colorées pour le maquillage, tout le nécessaire pour l’épilation, etc.… Caius fit son possible pour éviter que Galaad voie le bazar, gêné. À Rome c’aurait pas été bien vu qu’un mec s’intéresse à tous ces machins-là, mais en Bretagne, les sobriquets style « pédé » ou « tarlouze » auraient volé encore plus rapidement… Heureusement qu’il cachait bien son jeu tout de même… Il avait toujours su prendre soin de sa personne et trouver un subtil équilibre entre beauté et virilité. Selon sa sœur, il avait un talent pour ça… N’empêche qu’à choisir, il aurait préféré être doué pour quelque chose de plus utile et de plus masculin… Mais bon, ça avait sûrement aidé à conquérir sa femme qu’il ait ce « talent » là… Elle aimait son parfum. Celui-là même qui avait enivré Galaad d’ailleurs. Des citrons et des oranges macérés dans l’huile, c’était ça son secret ! C’était la seule chose qu’il continuait à faire depuis qu’il avait emménagé là dedans, se parfumer. Ça aidait à endurer l’odeur de merde qui régnait en permanence. Qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour avoir un bain dans cette baraque de merde… Enfin bref, il rangea sa petite trousse avec précaution sous son lit et continua le ménage avec Galaad.
Voyant que le Romain semblait motivé à au moins tenter le coup, Galaad n’en fut que plus heureux et les quelques heures, même moins, passèrent trop rapidement à son goût. Il n’était pas lui-même très féru de ménage. Sa piaule était propre… Mais ça traînait un peu tout de même. Il restait un mec quand même… Droit, propre, beau, parfait en tout points… Mais jamais personne n’était entré dans sa chambre et… bon, c’était un peu bordélique. Mais pas sale ! Ils firent donc un brin de ménage, rangeant ce qui traînait, retournant les coins, Caius découvrant de petites cachoteries qu’il avait apparemment oublié, faisant sourire Galaad… Il était définitivement adorable cet homme. Le voir dans un état moins pitoyable qu’à son arrivée lui faisait un bien fou… Et le Chevalier remarqua également que pendant un moment, Caius s’était tenu silencieux et avait rangé quelque chose pendant plusieurs minutes sans parler… Galaad n’avait pas posé de questions mais s’en était posé mentalement. Qu’est-ce qu’il pouvait bien fabriquer ? Une chose était certaine, il ne voulait pas que le Chevalier le remarque parce qu’il avait caché ce qu’il rangeait sous son lit… Ne faisant aucune remarque, Galaad continua de tranquillement passer le balai et se dit que demain, il reviendrait avec une charrette pleine de paille propre pour remplacer la saloperie qui servait de lit à Caius. Dormir là-dedans, c’était vraiment dégueu quand même… En fait, il aurait fallu détruire tout le gourbi et le reconstruire en entier… C’était bien simple, plus rien ne tenait. Le bois était pourri, les fenêtres tellement crasseuses que c’était impossible de les nettoyer, même avec un linge trempé et beaucoup de pression il n’avait pas été capable de laisser entrer la lumière du jour sans risquer de casser le verre… Quelle idée de refiler pareil trou à rat à un ami… Le Roi n’avait pas dû avoir bien le temps de réfléchir et lui avait filé le premier truc du coin abandonné… En plus, à la base, ce n’était même pas une maison ! C’était une bergerie vu les crottes de mouton trouvées un peu partout… Sans être dédaigneux, Galaad grimaça malgré tout. Depuis combien de temps il vivait là-dedans le Romain ? En tout cas une chose était certaine, il était tolérant ! Ou orgueilleux… Au bout d’une heure et demie qui avait passé plutôt vite, ils finirent enfin par rendre l’endroit un peu plus présentable. Ça avait un peu plus de gueule tout de même ! Admirant le boulot qu’ils avaient fait, Galaad ne retint pas son sourire alors que tous les deux s’effondraient sur le lit.
-C’est sympa de m’aider hein, j’aurais jamais pu faire tout ça sans vous… Merci Seigneur Galaad, ça m’donne un peu moins envie d’me buter maintenant quand j’regarde la cabane !
Fit le Romain avec un vrai sourire sincère.