Me revoici pour quelques temps, pour une fic écrite depuis hier soir pour me changer mes idées noires du moment. Autant vous dire que la fic ne respire pas (toujours) la joie de vivre et qu'elle est assez courte.
J'espère qu'elle vous plaira néanmoins. Pour éviter une déception ou quoi que ce soit, je laisse le sujet sensible "en surprise"
Les sujets restent suffisamment vagues pour être imaginés avec les personnages de la série ou du film. Personnellement, l'écriture ressemblait à un mélange des deux, avec une préférence pour la série.
Bonne lecture !
(Et je ne suis pas actionnaire Kleenex, au cas où.
)
ⱷⱷⱷⱷⱷLa vie n’avait jamais été tendre avec lui. Futé ne connaissait pas son âge ; l’administration l’avait autrefois estimé et le verdict était toujours hésitant : trente-cinq ans, trente-sept peut-être. Toujours, il lui semblait avoir vécu des millions d’années. Les souvenirs malheureux s’entassaient comme des pierres dans sa carcasse qui faisait rêver ses homologues du genre humain. L’humanité était quelque chose qui n’avait jamais eu beaucoup de sens aux yeux de Futé : les oiseaux, eux, par exemple ne déposent pas leur progéniture devant la porte d’un orphelinat austère. Les animaux ne mentent pas à leurs semblables ; pas comme une femme qui répondit, un jour, à cet angelot qui demandait, les yeux humides, si sa mère comptait revenir. Ils vivent, font quelques tours de Terre et s’envolent pour le Grand sommeil. Lorsque la nonne avoua enfin au garçon qu’il resterait ici pour plusieurs années, elle fut horrifiée de la docilité de l’enfant, cet étrange garnement qui lui répondit que si sa mère l’avait décidé, ce devait être la meilleure chose pour lui. Quel pouvait être l’avenir d’un môme qui se mentait à lui-même avec autant de facilité ? Avec un peu de recul, Futé ne percevait toujours pas cette réponse comme un mensonge. Plutôt comme un instinct de survie.
A l’adolescence, il revenait parfois de l’école avec plusieurs ecchymoses ou une arcade ouverte. Une chute dans l’escalier, expliquait-il à la stricte directrice de l’institution. Une excuse parfaitement valable pour couvrir le fait que cinq gars, de deux ou trois ans ses aînés, lui étaient tombés dessus pour dix malheureux dollars et une toupie. Il jouait aisément des poings mais pas assez bien pour s’épargner quelques agrafes et points de suture. Se débattant en beau diable, ne renonçant qu’à la dernière minute, ses blessures n’avaient au moins pas l’amertume de celles des lâches.
Lorsque la rencontre avec un muret lui fractura la mâchoire, l’une des doctoresses ne trouva rien de plus convaincant que ces paroles faussement rassurantes : «
Une fracture, ce n’est rien ! Ton joli minois restera intact, c’est le plus important. » Elle avait peut-être raison. Qu’est-ce qu’un os brisé quand tout à l’intérieur de lui se consumait de rejet et de rage ? Cette pauvre dame ne voyait que la réalité visible : le petit Templeton retrouverait bientôt le sourire timide qui plaisait tant au laitier et à l’épicière du coin. Un garçon poli, gentil, serviable. En réalité, un pensionnaire tourmenté qui lorgnait depuis sa fenêtre sur l’extérieur de l’orphelinat. Cinq mètres plus bas.
Si les oiseaux volent, ce n’étaient pas le cas de Futé. La chute et le choc ne furent pas douloureux ; le réveil et la convalescence, eux, furent insoutenables. Hanche luxée, épaule démise, fractures des côtes et de l’avant-bras. Un aller direct pour le bloc opératoire et une hospitalisation de deux mois. Séjour contraint au terme duquel le médecin lui avait assuré qu’il pouvait s’estimer chanceux. En effet, cet incident aurait pu lui coûter la vie. Las, Futé avait fermé les yeux : définitivement, les médecins ne comprenaient rien.
A seize ans, il avait appris à rendre les coups deux fois plus forts. Particulièrement quand le point de départ d’une dispute était une ravissante fille aux longs cheveux bruns. Peu importe si son
boyfriend était un joueur de football Américain : la saison du colosse s’était achevée à l’instant précis où Templeton lui avait tordu le bras d’un geste sec. Suffisamment remonté, il avait accueilli avec un plaisir sadique le craquement qui s’en était suivi. Malheureusement, convoqué devant le directeur, la magnifique demoiselle n’avait jamais osé témoigner en faveur de son prince charmant. Retournant dans les bras –plâtrés- du sportif, elle l’avait laissé devant les grilles de l’établissement dont il venait de se faire renvoyer. Ce jour-là, Templeton grava dans un coin de sa mémoire le principe suivant : plus jamais, Ô grand jamais, il ne tomberait amoureux.
Le visage dans la boue, du sable dans les yeux, la recrue Peck se releva tant bien que mal de ce premier entraînement dans les forces spéciales. Se ruant sur l’instructeur, il se retrouva aussitôt plaqué contre le mur, une odeur de tabac lui emplissant le nez ensanglanté. Lorsque la voix vociféra qu’il était faible, que l’armée ne tirerait rien de lui, Templeton vit rouge : immobilisant à son tour le Colonel, il l’écrasa entre lui et le sol boueux. Victorieux, il vola néanmoins à quelques mètres de là par un simple coup. Fairplay, l’instructeur se releva, époussetant son impeccable uniforme, et tendit une main au jeune homme. Les lèvres collées contre l’oreille de la recrue, dans une étreinte virile, le supérieur déclama sa pensée d’une voix cinglante : Templeton n’avait pas l’âge requis, il le savait. Son talent d’imposteur forçait le respect du militaire mais au premier faux-pas, l’avertit le haut gradé, il retournerait illico dans les ruelles sordides de Los Angeles. Le sourire complice qui suivit cette déclaration provoqua un sentiment étrange chez la jeune recrue : ce simple témoignage d’empathie était la chose la plus humaine qui lui ait jamais été destinée.
Pour sa première mission, Futé avait été envoyé au front pour collecter des renseignements précieux. Pour seules armes, le garçon traînait son bagou, son sourire innocent et une méfiance extrême. Si le Colonel voulait connaître l’heure de décollage d’un vol, sa recrue lui amènerait l’information sur un plateau d’argent. Plus encore, il lui déposerait à ses pieds les bribes accompagnées du nom et du matricule du pilote, de la consommation de l’engin et du nombre de mercenaires à bord. Peut-être même la nature de la drogue qu’ils tenaient si précieusement. A la condition évidente que le Lieutenant parviennent à contenir ses larmes de dégoût, agenouillé devant l’un des ennemis qui pressait un Colt sur sa tempe, le priant de mettre un peu plus de cœur à l’ouvrage. Révulsé, il continuait néanmoins de lécher le sexe de l’odieux personnage, de contenir ses haut-le-cœur qui lui crevaient la poitrine. Futé fermait les yeux pour endurer cette expérience. Il ne voyait alors que le visage du Colonel, son futur contentement et sa main pataude qui lui ébourifferait les cheveux d’un air protecteur. Ce geste anodin signifiait plus que des années d’abandon, de violence ou ces longues minutes de souffrance morale, les genoux écorchés par le béton granuleux de cet entrepôt.
Il sentit l’homme se raidir, ses mains se recroquevillant dans ses boucles blondes, et éructa un cri qui le dégouta encore plus que ces filaments nacrés qui laissèrent un goût horrible sur sa langue. L’homme ne lui livra finalement que la moitié des informations qu’il espérait -les essentielles- avant qu’une balle ne traverse sa boîte crânienne. Le Colonel se tenait de l’autre côté, le pistolet au poing et le regard noir. Balançant Futé à travers la pièce, écrasant son torse de son pied droit, le canon positionné sur le côté gauche de sa poitrine, il aboya sur le jeune homme. Lui jurant qu’il n’aurait jamais dû commettre un acte aussi bas et dégradant, il continua d’hurler, furieux. Défiant, le Lieutenant soutint son regard en lui assurant qu’il faisait ce qu’il voulait, que son propre corps lui appartenait.
«
Non, il est à moi. Et à aucun autre. Certainement pas à l’un de ces chiens de trafiquants. »
Futé en était resté sidéré, hagard. Il n’avait lu aucune clause, aucune phrase ne lui indiquant qu’il cédait sa carcasse à l’armée et à son supérieur. Le contrat n’était nullement un acte de propriété. Rejetant cette idée infâme, il démentit les propos de son supérieur. Assis à cheval sur son bassin, l’homme se pencha en avant, déposant l’arme et saisissant le visage apeuré entre ses mains, lui révélant la vérité qui unissait les humains de tous mondes, de toutes les époques : chaque personne appartient à une autre. Le baiser qui s’en suivit était, dans les souvenirs de Futé, le plus brutal, douloureux et désespéré qu’il n’ait jamais offert dans sa misérable vie. Ce soir-là, le tenace Colonel entraîna le garnement dans l’intimité de sa chambre, créant sur le lit de camp une réalité qui devrait être dissimulée des yeux indiscrets. Gémissant, geignant, les larmes aux yeux, Futé referma sa bouche entrouverte sur la plaque métallique qui pendait au cou de son supérieur. Le plaisir vint finalement, au moment même où il posa ses yeux sur le nom de baptême du dénommé Hannibal : John Smith, le premier et unique homme qui materait l’impétueux Templeton. Ce-dernier le jura sur son propre honneur, retraçant les souvenirs de ses premiers mois dans l’armée, tâchant en vain de se souvenir de l’instant où il avait oublié de ne pas tomber amoureux.
Les deux gars qui les accompagnaient dans leurs missions avaient amadoué avec une facilité déconcertante le fougueux arnaqueur, compagnon de route privilégié d’Hannibal et compagnon tout court. Dans leur cavale, ils n’avaient rien gagnés sinon le droit de s’aimer au grand jour, bien que discrètement pour ménager l’image virile et Domjuesque des deux hommes. A côté du romantisme sommaire et un peu rude d’Hannibal, Futé trouvait son lot de tendresse et de câlins auprès de Looping, indéfectible compagnon soiffard d’attention et d’étreintes. De l’autre côté, Barracuda possédait cette force tranquille qui contraignait au respect et un vécu tel qu’il semblait parfois, aux yeux de Futé, le seul capable de comprendre qu’une semaine de nourriture justifiait parfois de perdre son innocence.
Cette équipe cabossée, composée d’éléments aussi différents qu’attachés les uns aux autres, avançait tant bien que mal entre les pièges de l’armée. Ils prenaient de face les peines de tous, enduraient les blessures et les convalescences parfois difficiles. Ils s’aimaient, s’appréciaient ou se respectaient à des degrés différents. Futé ressentait l’heureuse impression d’appartenir à un clan, une famille. Hannibal assistait avec plaisir aux chamailleries et réconciliations de ses trois petits gars. Looping et Barracuda étaient, eux, les témoins privilégiés d’une histoire plus que particulière entre un éphèbe instable et un homme aux cheveux gris qui jouaient faussement les durs.
Jouant des coudes entre les mauvais esprits et les gros bras, Futé avait finalement gagné sa place au soleil. Après autant d’année à galérer, à souffrir et à espérer qu’un jour enfin tout s’arrête, il ne pouvait recevoir cette existence nouvelle que comme un cadeau, la récompense d’une lutte acharnée. Les lâches coulaient sûrement plus de jours heureux que lui ; mais, se laissant vivre, prenaient-ils vraiment conscience de la saveur, du goût de la vie ? Ou peut-être fallait-il attendre de la perdre pour la savourer pleinement, pensa Futé.
Allongé sur le sol, le sable imbibé d’une tâche carmin sombre, Futé roula sur le flanc avant de s’immobiliser sur le dos, renversé par trois paires de mains tremblantes. Dehors, la température avoisinait les quarante degrés. Or il grelottait, impuissant, les yeux fermés. Il aurait aimé les ouvrir, estimer la gravité de ses blessures. Fort heureusement, ses paupières trop lourdes lui dictèrent de se fier aux voix paniquées de ses camarades et de ne pas céder à l’envie de constater les dégâts qu’une balle de semi-automatique pouvait infliger à un corps humain. Il distingua la voix d’Hannibal, le priant de revenir à lui, les sanglots muets de Looping qui, s’il le devinait correctement, secouait son épaule frénétiquement. Barracuda le frappa d’une douleur immonde en tentant de contenir l’hémorragie, le pouce appuyé contre l’artère sectionnée. Les lèvres soudées par la fatigue, Futé s’engourdissait peu à peu tandis qu’il renonçait définitivement à les rassurer. Il n’aimait pas les mensonges inutiles et ce-dernier aurait été le plus effronté que sa bouche n’aurait jamais prononcé. Au revoir les belles promesses et les yeux attendris d’Hannibal, la complicité et les câlins de Looping, les éclats de rire et les longues discussions de Barracuda. Futé s’apprêtait à se retirer sur la pointe des pieds, fatigué des mil années de vie remplies et tourmentées que sa date de naissance floue cachait.
Le goût du sang dans sa bouche ne lui rappela étrangement pas les bagarres de rue, les années de guerre ou les entraînements insoutenables. C’était autre chose ; plus heureux, plus doux, les souvenirs vifs se rappelaient à lui comme un chapelet, des bulles qui crevaient les unes après les autres. La plaque d’Hannibal qu’il aimait toucher, mordre, chipoter, lui laissant une sensation ferreuse similaire à celui qu’il goûtait en ce moment même. Cette plaque lui rappelait sans cesse qu’il ne rêvait pas, que l’homme endormi dans ses bras était le sien. Qu’il lui appartenait, et réciproquement. Les mains douces et hésitantes, les regards lourds de sens et cette langue, celle qui aimait valser avec sa jumelle, l’amenant à penser que les baisers qui suivaient le cigare du soir étaient les plus savoureux.
Il ressentit une nouvelle fois l’odeur du sang sur sa propre joue, cette plaie que Looping épongeait avec la douceur d’une mère, bâtissant autour de lui un hôpital de fortune et jouant les infirmières dévouées à l’éphèbe qui se plaignait puérilement de ses égratignures. La spécialité de la médecine du pilote était ce bisou gêné, furtif, qu’il déposait sous la blessure pour accélérer la guérison. Mais aussi et enfin, le rouge était la couleur des jantes du van qui tournaient, filant sous la conduite nerveuse de Barracuda. C’était simplement la teinte que prenait le ciel vers six, sept ou huit heures quand le soleil s’écrasait comme une orange sanguine sur la ligne d’horizon. Les dramatiques et brûlants couchers de soleil californien qu’il ne verrait plus.
Le cœur plus douloureux que le reste du corps lacéré, il imagina la gueule du prochain lever de soleil. Ces moments de la journée au moins aussi beaux mais qu’on ne se surprend jamais à contempler. Mentalité injuste qui consiste à soigner les fins et à ne pas saisir les aubes prometteuses. Les paupières lourdes, Futé vécu les jours de coma comme des années de réflexion.
Heureusement, Templeton n’était pas un lâche ; pas depuis qu’il avait appris à rendre les coups, non plus au double mais au centuple. La vie était dure, c’était une certitude, mais lui l’était deux fois plus. Pour les larmes d’Hannibal, les éclats de joie de Looping et le sourire timide de Barracuda, il battit des cils, repoussant la fatigue pour retrouver son clan, la seule famille qu’il avait gagnée. Si le bonheur était une lutte de chaque instant, Futé espérait bien que la vie lui soit reconnaissante et lui tende la main pour de longues années.
Dehors, l’aube s’annonçait, dorée, bleutée et pleines de promesses. Le médecin entretint longtemps les trois acolytes sur l’état de santé de Futé : la veille seulement, tout semblait indiquer que le jeune homme avait capitulé, se résignant à partir et à abandonner ses dernières forces. Ce réveil n’était ni plus ni moins qu’un miracle. Amusé, confiant, Futé détourna son regard de cet incapable professionnel : les médecins avaient toujours eu tord. Ce n’était pas un miracle, juste l’
instinct de survie.
ⱷⱷⱷⱷⱷPourquoi un silence sur le sujet sensible ? Clairement pour ménager un peu de suspense. Si j'avais annoncé que ce n'était pas une deathfic, je pense que l'ambiance générale aurait été différente. Puis, je pense que le texte en réclame clairement certains pour son caractère noir et dur.
Enfin, le titre de cette fic aurait dû être "Instinct de survie" ; pour un soucis, là aussi, de discrétion, j'ai préféré l'intituler "The sun will rise for you" en opposition avec une phrase pêchée dans Shadow of the Day de Linkin Park, the sun will set for you, pour rappeler les pensées de Futé. Hey ouais, je réfléchis parfois à mes fics...
Et j'espère que le résultat est là.
Je voudrais vous remercier pour vos gentils commentaires sur les autres fics. En ce moment, cela me fait beaucoup de bien.