De l'utilité des Insectes
Sang
Castiel avait dû
dormir. Il leur avait assuré que ce ne serait pas quelque chose d'habituel, mais son corps, son « réceptacle », était usé et lui n'avait pas suffisamment d'énergie pour le sustenter alors il était parti se reposer à l'étage.
Dean aurait probablement dû l'imiter, il ne se souvenait pas depuis combien de temps il avait dormi... pas paisiblement – il n'était pas sûr d'avoir dormi une seule fois
paisiblement depuis la mort de son père – mais plusieurs heures d'affilé. Seulement, il était trop énervé, trop plein d'énergie pour même imaginer s'allonger.
Il rejoignit Bobby dans la cuisine après avoir convaincu son frère d'aller se reposer également – parce que Sammy n'était pas vraiment dans un meilleur état que lui – et leur servit à tous deux une tasse de café.
- Raconte-moi maintenant. Je n'ai pas vraiment suivi les derniers événements...
Il s'interrompit, presque honteux de son comportement. Mais il savait que s'il s'était tenu plus informé, il n'aurait pas pu rester sans rien faire, il serait allé dehors, combattre. Et Cas' ne serait pas revenu.
- Il n'y a pas grand chose à dire. Quelques morts humaines. Par contre, des signes de la présence de démons s'allument un peu partout dans le monde. Les chasseurs s'inquiètent.
- Il va falloir penser à les protéger. Je ne sais pas où aura lieu le premier affrontement entre anges et démons...
- Mais ce sera une hécatombe, finit Bobby, les yeux rouges et fatigués.
oOo
- Par quoi commençons-nous alors? demanda Sam le lendemain matin.
Il venait de s'asseoir à la table de cuisine et regardait son frère préparer le petit déjeuner pendant que Bobby lisait le journal, un café à la main.
- Le petit déjeuner, le repas le plus important de la journée! répondit Dean en souriant moqueusement à son frère.
Puis, plus sérieusement:
- Cas' dort encore?
- Oui.
Quelques instants de silence tout relatif s'installèrent: Dean était aux fourneaux, Sam tentait de se réveiller et Bobby tournait les pages de son journal en ne prêtant aucune attention aux deux frères.
- Voilà, à table!
L'aîné des Winchester déposa une montagne de pancakes à côté de la boîte en carton de jus d'orange et près des toasts qu'il avait fait griller pour Bobby.
Alors que tous s'attaquaient à ce repas gargantuesque, la conversation se résuma à des « Mmmmh, pancakes!! », « tu peux me passer le café? », « et le jus d'orange aussi? », « hééé! Celui-là était à moi! », « je n'en reviens pas que t'aies mangé le dernier comme ça! ».
Puis ce fut Bobby qui mit fin à cette ambiance bonne enfant lorsqu'il reposa finalement son journal.
- Bien, maintenant nous devons décider ce que nous allons faire.
oOo
- Arrête de bouger! ordonna Dean pour ce qui lui semblait être la millième fois.
- Tu es en train de me badigeonner de ton sang, désolé si je ne me sens pas exactement à l'aise, répondit Sam en tentant d'arrêter de se tortiller – en vain.
- J'ai fait la même chose à Bobby et ça m'a pris dix minutes. Ca va en faire vingt qu'on est occupé maintenant, alors tu vas te tenir TRANQUILLE!
Sammy se figea à ces mots et fit son possible pour ne pas bouger, alors même que son frère peignait les même sigles qu'il avait portés presque deux semaines plus tôt lorsqu'il était allé faire face à Zachariah. Il n'empêchait que savoir que c'était du
sang, le
sang de Dean, le mettait mal à l'aise.
Mais son frère s'était abstenu de tout commentaire – à part, bien sûr, ceux servant à l'engueuler copieusement lorsqu'il faisait mine de bouger – et il devait avouer que c'était de sa faute si cela durait aussi longtemps.
Il ferma les yeux et s'obligea à prendre de longues goulées d'air qu'il recracha ensuite doucement.
Il était tellement concentré sur sa respiration que Dean dut poser une main sur son épaule et lui murmurer « C'est bon, c'est fini. » pour qu'il se rende compte qu'il avait arrêté de tracer les sigles de protection.
Sam se leva aussitôt et s'étira tout du long avant de grimacer à la sensation du sang sur sa peau.
- Je sais, lança Dean, comme en réponse à ses pensées. Mais attends que ça sèche avant de remettre tes vêtements, il est hors de question que je recommence!
Le cadet grimaça de nouveau mais resta en boxer – ce n'était pas comme s'il avait énormément le choix.
- Et si tu veux que ça aille plus vite Samantha, tu n'as qu'à utiliser le sèche-cheveux que tu planques dans ton sac de vêtements!
Sam lui lança un coussin pour faire bonne mesure avant de s'approcher de lui, un peu inquiet de la longue estafilade que Dean s'était fait le long de son avant-bras pour avoir suffisamment d' « encre ».
- Et toi, comment tu vas faire?
- Comme la dernière fois Sammy, soupira le chasseur.
- Tu vas d'abord venir manger un morceau. Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais tu as besoin de sucre Dean.
Il vit son frère hésiter longuement avant d'acquiescer. Ses traits étaient tirés et il n'avait visiblement que peu dormi cette nuit.
Et il savait que cela n'allait faire qu'empirer...
Il le fit presque aussitôt asseoir et attrapa un bandage – chose qui traînait dans toutes les pièces de la maison de Bobby – et entreprit de l'enrouler autour de la plaie de Dean avant de lui servir un verre de jus de fruits et une part de tarte à la pomme.
- Si c'est tout ce que je dois faire pour avoir de la tarte, je veux bien te badigeonner de mon sang tous les jours, Sammy, lança soudainement Dean.
- Mange la bouche fermée, ne fit-il que répondre en roulant les yeux.
Son frère acquiesça – ce qui n'était pas nécessaire – et entreprit de faire exactement ce qu'il avait dit –
manger.
Quelques minutes plus tard à peine, Dean se laissa aller contre le dossier de la chaise et poussa un soupir de contentement.
Castiel entra dans la pièce à ce moment-là – par la porte – et s'arrêta en les voyant tous les deux assis.
- Dean. Sam.
- Bonjour Cas', répondit joyeusement Dean – encore sous les effets relaxants de la tarte.
Sam se contenta d'un signe de main dans la direction de l'ange accompagné d'un sourire.
Ok, peut-être était-il un peu gêné... honteux...
Puis Castiel leur tourna le dos et repartit dans la même direction que celle par laquelle il était venu. Il stoppa au bout de quelques pas après avoir franchi l'encadrement de la porte et se retourna vers eux, les sourcils froncés.
- Dean, je t'attends.
Sans un mot – sans une
explication – il continua sa route jusqu'à l'escalier où il se rendit à l'étage.
Sam se tourna vers son frère et échangea un regard incrédule avec lui. Ce dernier commença alors à jurer copieusement - « saleté d'emplumés » « handicapé des mots » et autres joyeusetés – avant de se lever et de suivre l'ange – tout en continuant de râler bien sûr.
Le cadet resta tranquillement assis sur sa chaise tout en le regardant agir.
Il était content d'avoir retrouvé
son Dean.
oOo
- Enlève ton pantalon et ton t-shirt.
L'insulte que Dean avait sur le bout de la langue se coinça dans sa gorge alors qu'il sentait ses yeux s'arrondir sous le choc.
- Quoi?
Castiel se retourna finalement vers lui – et merde, il avait oublié de râler du coup – et leva un sourcil interrogatif.
- Je ne peux pas apposer les sigles de protection sur ta peau si je ne peux pas la toucher.
Dean détourna le regard à ces mots et se retourna pour se déshabiller tout en se traitant d'imbécile.
Bien sûr que c'était pour cela, et il aurait dû s'en rendre compte immédiatement. Il ne savait pas où il avait la tête en ce moment... Il ne dormait probablement pas suffisamment... Enfin, ce n'était pas comme si la situation allait changer dans les jours – semaines... mois... - qui allaient suivre.
Il se retrouva finalement en boxer et se retourna vers Castiel qui lui fit signe de s'approcher de lui.
Une dague dans la main – et il n'avait pas la moindre idée d'où il avait pu la sortir... ce qui était un peu effrayant – l'ange s'entailla profondément l'avant-bras, comme il l'avait deux semaines plus tôt.
La gorge de Dean se serra à cette vue.
Parce que, même si Cas' était là, devant lui, il avait dû tout sacrifier pour lui. Sa famille, sa vie, sa place parmi les anges.
Et il avait été prêt à y laisser la vie.
La sensation des doigts de l'ange sur sa poitrine le sortit aussitôt de ses pensées et il leva les yeux jusqu'au visage de son vis-à-vis pour pouvoir observer son expression. Qui ne trahissait rien. Il paraissait concentré, et rien de plus...
- Merci Cas'.
La main toujours son torse s'immobilisa alors qu'elle traçait un arc de cercle avant de reprendre son mouvement, plus lentement.
Et Dean hésita à préciser.
Merci de m'avoir sorti de l'Enfer.
Merci d'avoir veillé sur moi.
Merci d'avoir cru en moi.
Merci de m'avoir écouté.
Merci de m'avoir sauvé.
Merci d'avoir foi en l'humanité.
- Tourne-toi.
Dean s'exécuta sans un mot et en profita qu'il était dos à l'ange pour tenter de reprendre le contrôle de ses émotions. Il n'était pas sûr d'avoir été conscient de tous les sacrifices que Cas' avait consentis à cause de lui.
- Je vais essayer d'être rapide. Je sais que les humains en règle générale n'aiment pas le sang.
Alors il accueillit le sujet de conversation – cette distraction – avec enthousiasme.
- Ce n'est pas tellement le sang en règle générale, c'est plutôt à cause de ce qu'il représente. Des mauvais souvenirs la plupart du temps.
- Hmm. Je suppose.
- Tu n'es pas d'accord.
Dean ne pouvait pas le voir et pourtant, il était sûr que l'ange avait la tête penchée sur le côté et une expression pensive sur le visage.
- Je ne sais pas. Le sang représente beaucoup de choses positives. La Vie tout d'abord. La solidarité d'une certaine manière avec ce que vous appelez les dons du sang. La protection... celle liée au sang est souvent la plus forte d'entre toutes. Les liens... la famille.
Et comment était-il parvenu à ce que la conversation sur laquelle il s'était jeté parce que ses pensées devenaient dérangeantes devienne aussi lourde?
Pourtant,
pourtant, Cas' s'était confié à lui, s'était ouvert d'une certaine manière, alors il considéra avec attention tout ce qu'il venait de lui dire.
- Je suppose, oui.
Puis:
- Je n'étais pas censé être celui qui te redonnait la foi dans l'humanité, et pas le contraire?
Il tourna la tête légèrement sur le côté et il put revoir une chose à laquelle il n'avait pas pensé assister une seule fois. Alors deux.
Parce que Castiel souriait, un peu pensivement, comme s'il ne s'en rendait pas vraiment compte.
Et, d'accord, la première fois qu'il l'avait fait, cela ne l'avait probablement pas autant choqué que cela aurait dû, parce qu'il se sentait encore un peu sous le choc – euphorique – de l'avoir récupéré, d'avoir entubé Zachariah.
Mais il supposait qu'il aurait pu s'y attendre, d'une certaine manière. Cas' avait eu des expressions de plus en plus humaines au fil de leurs rencontres – si on excluait le moment où ses supérieurs lui avaient fait la leçon – et il l'avait vu en colère, confus, déterminé.
Il supposait qu'il n'avait pas vraiment eu l'occasion d'être « heureux » lors de leurs précédentes rencontres.
Il refocalisa son attention sur le mur en face de lui, sans prêter attention, sans vraiment se rendre compte, qu'un sourire étirait ses lèvres également.
...
Castiel avait fini. L'entaille qu'il s'était fait avait déjà disparue mais il était toujours aussi près de lui. Ses mains n'étaient plus sur sa peau mais Dean pouvait encore ressentir sa chaleur corporelle, deviner où il se trouvait les yeux fermés.
Et l'ange l'observait, sans avoir – comme toujours – le moindre concept de ce qu'était l'espace personnel.
Alors il lança la première chose qui lui passa par la tête.
- Merci pour... tu sais, les sigles. J'aurais pu le faire moi-même mais... Enfin, merci.
L'ange fronça les sourcils, tout en continuant à le fixer.
- Il valait mieux que ce soit moi qui les fasse. La protection est plus forte ainsi.
Hu?
- Ha...? Alors, Sam et Bobby...
- Ce n'est pas une bonne idée que je fasse la même chose pour eux.
Dean sentit aussitôt la colère l'envahir et il serra la mâchoire à s'en faire grincer les dents. Pas une bonne idée, hein? Qu'est-ce que c'était supposé vouloir dire? Le « Pourquoi? » qu'il lança fut dit dans une voix qu'il contrôlait difficilement.
Castiel ne fit que froncer les sourcils un peu plus, l'incompréhension se faisant plus visible sur son visage.
- Tu ne comprends pas. Si j'utilisais mon sang sur Sam et Bobby, cela en ferait des cibles plus visibles pour les anges comme pour les démons.
- ... Je ne comprends toujours pas.
- Le sang d'ange. Les anges comme les démons peuvent le sentir. Ce serait contre-productif pour moi d'agir ainsi.
- Et moi alors...?
Les sourcils de Castiel – qui étaient peu à peu revenus à leur place habituelle alors qu'ils parlaient – se froncèrent de nouveau.
- Tu portes déjà ma marque. Tu es déjà facilement repérable.
- ...?
Cas' posa sa main sur l'empreinte qu'il avait laissée sur lui de manière indélébile et le contact de sa peau sur la sienne le fit frissonner. Ou peut-être était-ce le fait qu'ils reproduisaient le mouvement qui avait laissé cette marque.
- Ils peuvent tous sentir que j'ai touché ton âme. Alors tu dois être protégé au mieux.
Dean frissonna de nouveau.
oOo
Dean rentra dans la maison de Bobby et envoya son blouson de cuir sur le dossier de la chaise la plus proche où il atterrit, à moitié chiffonné.
Sans y prêter la moindre attention, il se rendit jusqu'au réfrigérateur et en sortit une bière qu'il décapsula aussitôt. Après une longue goulée du liquide ambré, il s'appuya contre le plan de travail et soupira, la lassitude laissant la place à la colère.
Imbéciles, pensa-t-il avec amertume.
- Je suppose que ça s'est mal passé, lança Bobby en entrant dans la pièce.
Dean sortit une deuxième bière qu'il lui lança avant de répondre.
- Jill a été perplexe. Je ne suis pas sûr de l'avoir convaincue du retour de Lucifer, mais elle s'est rendue compte que quelque chose de terrible était en train d'arriver et elle m'a laissé protéger sa maison. Même chose pour Luke et Zoé. Daniel avait l'air d'être déjà au courant. Et Bryan... Bryan m'a à peine laissé m'expliquer avant de me foutre dehors.
Ils essayaient de mettre au courant et à l'abri le plus de chasseurs possibles. Leur nombre avait tellement diminué ces dernières années – l'explosion au Roadhouse, le retour des morts – que s'ils voulaient avoir une chance de protéger les gens, ils allaient devoir commencer par protéger les soldats.
« Rassembler leurs forces », ainsi que Sam l'avait tourné.
Des mains se posèrent sur lui et il fut le premier surpris lorsqu'il ne sursauta pas, ne réagit même pas. Parce qu'il n'avait pas entendu Castiel arriver.
Refusant de se poser plus de questions pour l'instant, il se tourna légèrement vers lui et l'interrogea du regard.
Sans se dégager.
- Tu as utilisé beaucoup de sang aujourd'hui pour mettre en place toutes les protections. Je regénère le sang que tu as perdu.
Il acquiesça et le laissa faire, les yeux mi-clos.
oOo
- Cas'? Tu étais où? demanda Dean en voyant l'ange dans le salon.
Il s'était réveillé vers trois heures du matin et n'avait pas réussi à se rendormir depuis. Au lieu de perdre du temps à se retourner dans son lit sans retrouver le sommeil, il s'était levé et avait entrepris de téléphoner au reste des contacts de Bobby pour les prévenir de ce qui se passait, pour leur proposer de les aider – de les protéger.
- J'essaie de faire entendre raison à mes frères, répondit-il en s'asseyant sur le canapé.
Dean l'y rejoignit.
- Comment ça se passe?
- Mal, mais moins mal que ce à quoi je m'étais attendu.
Et, cette fois-ci, Cas' avait l'air fatigué. Peut-être même las.
Il imagina ce qu'il aurait ressenti si Sam l'avait envoyé balader, ne l'avait pas cru. Il se rendit compte que c'était un peu trop proche de leur réalité et coupa court à ce cheminement de pensée.
- Je peux aider?
- Oui. Tu as réussi à me convaincre. Tu pourrais réussir à les convaincre aussi.
L'expression de Castiel s'était détendue et s'était faite un peu plus lumineuse, aussi Dean lui sourit-il en réponse.
Puis il réalisa.
Il venait de proposer d'aider à convaincre des anges de ne pas écouter leurs ordres et, d'une certaine manière, de désobéir à Dieu.
Merde.
oOo
- Bilan? demanda Bobby, deux jours plus tard.
- Mitigé, répondit Sam en soupirant.
Et les cernes en dessous de ses yeux s'étaient noircies. Dean avait remarqué que, ces derniers temps, il était rare de voir son petit frère sans une tasse de café à la main – non pas qu'il était beaucoup mieux...
- Les chasseurs ont du mal à croire que Lucifer puisse être là, et que rien ne se passe, précisa Dean, la même pointe d'amertume dans la voix.
- Castiel?
Bobby se tourna poliment vers l'ange qui était assis avec eux autour de la table de la cuisine – en « conseil de guerre ».
- Certains commencent à douter. Plusieurs ont accepté de servir de... d' « informateurs ».
- Ils ne prennent pas partie, alors, traduisit Dean.
Et Cas' acquiesça.
Etait-il nécessaire de préciser qu'ils étaient en sous-effectifs?
oOo
Deux heures plus tard, la ville de Washington fut rasée de la surface de la Terre. Trente-trois minutes plus tard, ce fut le tour de Shangai. Une heure et onze minutes après, Rio de Janeiro explosa. Cinq minutes après cela, Paris se retrouva en feu et en sang.
Ensuite, un calme tout relatif s'installa.
L'Apocalypse venait de commencer.
oOo
Votre avis...? Je continue encore...?