Merci pour ton commentaire, cela me touche! J'ai toujours peur d'être OOC
Pour le roman, ce n'est pas pour demain. J'ai bien tenté d'en écrire par le passé, mais je n'ai jamais tenu jusqu'au bout.
Voici le chapitre suivant !
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Limoges n’était heureusement plus qu’à deux bonnes heures de route. Porthos, l’épaule endolorie, faisait contre mauvaise fortune bon cœur, refusant d’alimenter l’indignation d’Aramis. L’Espagnol avait vivement déconseillé au capitaine de reprendre la route si tôt après l’attaque : ses blessures comme celles du colosse nécessitaient encore du repos.
Treville lui avait littéralement ri au nez.
- Tu te rends compte ? Nous sommes des soldats, pas des femmelettes. Voilà ses mots exacts !, pestait Aramis, outré.
- Femmelette ? Constance l’aurait giflé pour moins que ça, commenta D’Artagnan, habitué aux opinions fermes de sa compagne.
- Il faudrait peut-être que quelqu’un s’y colle, un jour.
Cette dernière phrase émanait d’Athos, légèrement en retrait du convoi. Ressassant depuis son réveil la conversation qu’ils avaient eue la veille, il ne parvenait pas à rayer le mot « déception » de son esprit. Le mousquetaire continuait également de se tourmenter, échafaudant mille et une théories sur les raisons qui rendaient Treville si soupe au lait.
- Il a une épouse ?
La question abrupte de D’Artagnan le ramena à la réalité. Songeur, il haussa les épaules :
- En douze ans, je ne l’ai jamais vu en galante compagnie, répondit Aramis en fouillant sa mémoire.
- Depuis quand est-il capitaine ?
- Environ une quinzaine d’année, je dirais.
Athos avait donné cette estimation sans grande conviction. Que savait-il réellement de la vie personnelle du capitaine ? Peu de choses. Il n’éprouvait cependant aucune difficulté à l’imaginer à la tête d’une famille de quelques enfants.
- C’est quoi son prénom, d’ailleurs ?, s’étonna D’Artagnan, chevauchant à présent aux côtés d’Athos.
- Jean-Armand. Je l’ai lu, une fois, sur une lettre.
A quelques mètres d’eux, Treville se tenait, raide comme un piquet sur sa jument. Ses mains blessées étaient soigneusement protégées par de vieux gants, trop grands, prêtés par Porthos. Le colosse n’était définitivement pas rancunier.
- En réalité, j’ai l’impression qu’il a toujours été là sans que nous ne nous intéressions vraiment à lui, commenta Athos. Il doit avoir quoi ? Quarante, quarante-cinq ans ? Il est peut-être même grand-père.
A son tour, D’Artagnan semblait pensif. Athos le lui fit remarquer et s’enquit de la raison de cet air soucieux qui accablait parfois le cadet de la troupe.
- Je pensais à Constance. Lorsqu’elle ne m’accompagne pas, j’ai toujours un peu l’esprit à Paris.
- Si je peux me permettre-
Athos considéra d’un œil bienveillant le jeune homme. Aucune cachotterie ne subsistait jamais longtemps entre eux. Peines de cœur, mauvaises nouvelles, dettes de jeu. Leur sixième sens ne faillait jamais lorsqu’il s’agissait de flairer les inquiétudes de l’un d’eux.
- Constance porte votre enfant, n’est-ce pas ?
Les joues du cadet s’empourprèrent. Cette réaction provoqua un éclat de rire chez l’ancien comte.
- Je sais que les enfants ne poussent pas dans les choux. Il n’y a pas de quoi être embarrassé.
- J’attendais notre retour à Paris pour l’annoncer. Je ne comptais pas en faire un secret indéfiniment.
- Toutes mes félicitations, mon cher, insista Athos avec un sourire sincère.
Le sommet de la cathédrale de Limoges devenait visible au loin. Ils seraient bientôt débarrassés de ces bagues et colliers maudits. Cette idée relança le convoi à beau rythme, rendant du baume-au-cœur aux mousquetaires éreintés.
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Ces mêmes mousquetaires avaient éprouvés un soulagement infini lorsque le capitaine arrêta net sa monture devant l’une des auberges locales. Légèrement plus guindée que celles qu’ils visitaient d’ordinaire, elle proposait des chambres au lieu de simples dortoirs, et la propreté semblait pour une fois au rendez-vous. Autrement dit, elle était impayable.
- Quatre chambres, demanda Treville, la main sur sa bourse.
- Il ne nous reste que trois chambres libres, Monsieur.
- Trois, dans ce cas, répondit le capitaine en déposant une poignée de pièces dans la main de la tenancière. Nous avons tous besoin de repos.
- Vous n’aviez pas à payer pour nous, le reprit Porthos, dépité.
- Vous l’avez bien mérité.
Les mousquetaires se répartirent les chambres, D’Artagan et Athos dans l’une, Aramis et Porthos dans l’autre. Le capitaine prit logiquement la troisième, voisine des autres. Sur le pas de sa porte, il surprit une conversation entre Athos et D’Artagnan qui le fit sourire.
- Il souhaitait sûrement se racheter pour son comportement depuis Paris, non ?
- Peu importe le motif, c’est attentionné de sa part, répondit Athos.
Rangeant diverses affaires dans les placards, Athos et D’Artagnan couvrirent un temps le bruit de leurs conversations. Treville, loin d’être gêné d’écouter aux portes, s’empêcha de rire en entendant le ton préoccupé de D’Artagnan.
- Pourquoi a-t-il demandé quatre chambres et pas cinq ? Tu penses qu’il sait pour-
- Je ne pense pas. Peut-être. Qui sait ce qu’il sait vraiment, après tout.
L’occasion tombait à point nommé. Entrant dans la chambre en tapotant sur la porte pour annoncer son arrivée, le capitaine dévisagea ses deux mousquetaires :
- J’ai entendu des bruits étranges en passant devant la chambre d’Aramis et Porthos. Si l’un d’entre vous pouvait s’assurer qu’ils ne se battent pas ou, au moins, n’endommagent pas le mobilier… J’ai payé pour vos chambres mais je ne paierai pas les réparations.
Les deux hommes se regardèrent, incertains de la conduite à adopter.
- Je pense- Porthos bouge énormément en dormant, non ?, avança D’Artagnan en cherchant un quelconque soutien chez son camarade.
Athos, lui, fit signe à Treville de fermer la porte de la chambre derrière lui :
- Ils sont un peu plus que de simples frères d’armes. Si vous me comprenez.
- Je comprends tout-à-fait. Mais quoiqu’il en soit, je ne paierai pas pour leurs dégâts.
D’Artagnan semblait pétrifié sur place, écarquillant les yeux en dévisageant Athos. Quelle mouche l’avait piqué ?, songea-t-il. Cette confidence, tombée dans une oreille malintentionnée, aurait pu nouer une corde autour du cou d’Aramis et Porthos.
Treville s’était cependant éclipsé sans un seul commentaire menaçant ou désobligeant. Le capitaine était certes un homme bon mais rien ne les assurait qu’il ferait preuve d’autant de compréhension vis-à-vis de ce qui était toujours considéré comme un crime.
- Je pense que le choix de quatre chambres au lieu de cinq n’était pas aussi innocent que nous ne le pensions, commenta Athos en se rafraîchissant pour le dîner. Je suppose que certaines choses n’échappent pas à un homme de son âge.
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Lorsqu’ils descendirent dans la taverne, Treville les attendait déjà sur l’une des tables les plus en retrait, un pichet de vin et cinq gobelets en fer posés devant lui. Vagabondant dans ses pensées, Treville lissait sa moustache entre son index et son pouce. Il reconnecta enfin avec la réalité lorsque les deux mousquetaires s’installèrent devant lui. Athos excusa ses deux autres camarades :
- Aramis et Porthos se reposent. Son épaule le fait toujours souffrir.
Treville dissimula assez mal son sourire derrière sa manche :
- Ce que nous ignorons ne peut pas nous faire de tord.
La jeune serveuse interrompit leur conversation en venant déposer une volaille rôtie sur leur table. Elle resservit la coupe d’Athos en lui tremblant légèrement. Treville éclata de rire :
- Je pense que ton apparence de vagabond impressionne la jeune fille.
Les dents plantées dans une cuisse de poulet, D’Artagnan suivit le capitaine :
- Tu dois mourir de chaud avec une barbe pareille. J’ai un rasoir avec moi, si tu le souhaites.
- Sommes-nous ici pour discuter de mon apparence ou pour profiter d’un vrai bon repas avant notre retour à la caserne ?
Treville leva les yeux au ciel.
- Une bonne potée de choux en plein été, il n’y a rien de tel, pas vrai ?, commenta Athos, déridé par l’ambiance bon-enfant qui régnait autour de la table. Tu ne sais pas à quoi tu échappes, D’Artagnan.
- Oh, si vous saviez- Constance n’est pas réellement une très bonne cuisinière mais bon… L’intention est là.
Ils éclatèrent de rire en sauçant le plat, se réservant généreusement en vin. Athos, qui ne donnait pourtant pas sa part au chien, remarqua que Treville vidait sa coupe à une vitesse inhabituelle.
Profitant d’un silence dans leurs conversations, le capitaine embraya sur ce qu’il souhaitait aborder depuis le début du repas.
- Je vous ai entendu discuter à mon sujet tout à l’heure.
Les deux mousquetaires se sentirent subitement bien mal à l’aise.
- Je n’ai ni femme ni enfant. J’avais, mais je n’ai plus.
Athos aurait préféré être subitement aspiré loin de cette table. Il ne s’était jamais senti à l’aise face à de telles histoires délicates. Réaction injuste mais compréhensible d’un homme qui avait lui-même connu trop de drames.
Heureusement pour lui, D’Artagnan arborait son éternel air de chien battu, compatissant, détournant l’attention de son brusque trouble. Le pauvre garçon se sentait probablement coupable de s’être enquit de la vie privée de son capitaine et d’avoir été surpris.
- Elle s’appelait Louise. Elle était la deuxième fille d’un ami de mon père. Il s’agissait d’un mariage de convenance mais notre union était heureuse. Elle est morte en couche. L’un des garçons était mort-né. Le deuxième l’a suivi quelques heures plus tard. Nous avions vingt-et-un ans.
Athos releva la tête, atterré de découvrir que la réalité était encore plus triste que ce qu’il avait envisagé jusqu’ici. D’Artagnan, blafard, restait silencieux. Contrarié de l’apitoiement qu’il suscitait, Treville ressentit le besoin de mettre immédiatement les choses au clair :
- Je suis un vieil homme avec de vieilles histoires. Je ne veux pas de votre pitié. En revanche, je reprendrai bien un peu de vin.
Athos s’exécuta, remplissant généreusement la coupe du capitaine sous ses yeux désapprobateurs.
- Dites-vous que c’est autant que je ne boirai pas, lui fit remarquer le jeune homme, pragmatique.
Satisfait, Treville prit une gorgée du vin et poursuivit son récit.
- Je n’ai pas souhaité me remarier. J’ai abandonné ma vie en province pour rejoindre l’infanterie. J’ai enchaîné les campagnes jusqu’à La Rochelle qui a bien failli être la dernière. Le Roi m’a proposé quelques terres et un titre en contrepartie de mes services. Le seul honneur dont j’ai bien voulu est cette nomination à la tête des mousquetaires.
Piqué de curiosité, Athos se permit une question indiscrète. Nullement offusqué, Treville lui répondit honnêtement.
- Vous ne l’avez jamais regretté ?
- Regretter quoi ? Mes parents morts, personne ne m’attendait plus en province. La caserne et la cour me sont moins étrangères que les terres familiales.
D’Artagnan, visiblement peu dans son assiette, présenta ses excuses à ses camarades et rejoignit sa chambre. Inquiet, Treville s’enquit de son état auprès d’Athos.
- J’espère ne pas l’avoir ennuyé avec mes vieilles histoires.
- Au contraire. De vous à moi, Constance est enceinte. Je pense que votre histoire l’a particulièrement touché.
- Il ne devrait pas s’inquiéter. Les femmes font des enfants depuis la nuit des temps, cela se passe bien dans la majorité des cas. Je suis sincèrement heureux pour eux.
- Nous n’en attendions pas moins de vous.
En silence, ils terminèrent ensemble la bouteille de vin. Pour la première fois du séjour, le capitaine ne lui fit aucune remarque sur sa consommation. Sans être saoul, Athos se sentait détendu.
Lorsque vint l’heure de rejoindre les chambres, Treville l’interpella :
- Laisse donc D’Artagnan dormir. Mon lit est suffisamment grand.
- Je ne voudrais pas vous déranger, tempéra Athos, la main toujours posée sur la poignée de porte.
- Je ne te le proposerais pas si c’était le cas.
Esseulé en compagnie de Treville dans cette chambre beaucoup plus spacieuse que son propre domicile à Paris, Athos tournait en rond autour du lit. Attendant une phrase, un signal, il s’efforçait de paraître détendu en dépit des conversations de la soirée.
- Pour Porthos et Aramis-
- Je n’en parlerai bien entendu à personne. Je ne suis pas familier de ces choses mais je ne suis pas outré pour autant.
Athos n’avait jamais douté de la fiabilité de leur mentor. Mais un secret aussi délicat méritait quelques précautions supplémentaires. Treville se permit d’expliciter sa pensée :
- Ils sont chanceux. Tout le monde ne peut pas prétendre avoir trouvé la personne avec laquelle partager le reste de son existence. Alors peu importe s’il s’agit d’un homme ou d’une femme.
Athos se sentit sur la même longueur d’ondes que lui.
- Aramis n’a jamais privilégié les histoires faciles. Quant à Porthos, c’est un vrai romantique.
Les deux hommes éclatèrent de rire. Embrayant sur un autre sujet, le jeune homme s’enquit de l’état de forme du propriétaire de la chambre :
- Comment va votre main ?
Le capitaine le regarda, étonné, avant de baisser les yeux sur sa paume, toujours soigneusement bandée. Il haussa les épaules :
- Bien, je suppose. Je n’ai pas regardé.
- C’était très courageux de votre part. Je veux dire- Saisir une épée à main nue…
- Si j’avais dû la prendre dans le ventre, je l’aurais tout de même fait.
La chemise passée par-dessus sa tête, les bras emmêlés dans les manches bouffantes du vêtement, Athos fit mine de se débattre pour se ménager un temps de réflexion.
- Heureusement pour nous, vous n’avez pas dû le faire.
Légèrement voûté, débarrassé de ses atours de capitaine, Treville lui semblait bien las et fatigué. La suite de ses propos ne le fit guère changer d’avis :
- Bon Dieu… Si tu partais avant moi, cela me tuerait.
Prêt à se mettre au lit, Athos releva brusquement la tête. Le capitaine le considérait d’un œil sévère, s’attendant visiblement à une quelconque réaction de sa part. Peu loquace, il se contenta d’un simple remerciement. Réponse qui convainquit moyennement Treville, subitement renfrogné.
- Je suppose qu’un jour… Tu comprendras que j’aspirais à d’autres choses que de te voir mourir d’une cirrhose avant tes trente-cinq ans.
- Je suis flatté d’entendre que vous aviez des projets pour moi. Je suis cependant désolé de vous apprendre que je déçois régulièrement les gens.
Athos entendit son capitaine s’asseoir sur le rebord du lit, souffler sur la bougie qui les éclairait jusqu’ici. Il devina les bruissements d’une chemise qu’on enlève avant que la couverture ne se rebatte sur lui et son camarade de chambrée. Entièrement plongés dans l’obscurité, les langues se délièrent.
- J’ai ce problème depuis très longtemps, commenta Athos en songeant à son alcoolisme. Je pourrais vous dire que si vous aviez vécu ce que j’ai vécu, vous comprendriez mais- Nous nous ressemblons plus que je ne l’aurais cru.
Le mousquetaire se mordit l’intérieur des joues. Était-ce réellement quelque chose à dire à un veuf, père de deux enfants mort-né ? Lui comme le capitaine avait abandonné titres, fortunes, routines pour une vie précaire, loin de leurs familles. Treville, dans un de ses rares moments de délicatesse, ne le reprit pas.
- Certaines choses ne peuvent vous rendre que craintif, insensible ou solitaire, avança simplement le capitaine sans nommer les évènements dramatiques de sa vie.
- Je pense que je suis devenu une combinaison des trois. A des degrés divers, répondit Athos, approuvant la vision de son mentor.
- Tu as encore le temps de changer. Ce n’est malheureusement pas mon cas.
Somnolant, l’esprit légèrement embué par la fatigue et le vin, Athos se fendit d’un sourire :
- Le capitaine que je connais n’est ni craintif ni insensible.
- Suis-je solitaire ?
- Je l’ignore, admit le mousquetaire que le sommeil gagnait petit à petit.
Ce fut au tour de Treville de rompre le silence.
- Je me souviens d’un garçon, il y a quelques années, qui m’a intrigué. Je ne souhaite que le meilleur à l’homme qu’il est devenu.
Alors qu’il luttait pour comprendre la teneur des propos de son capitaine, Athos sentit une main s’abattre sur ses cheveux, secouant brièvement la tignasse déjà ébouriffée.
- Ne t’avise pas d’être malade dans mon lit. Bonne nuit, Athos.