Les personnages de la série ne m’appartiennent pas. Ils sont la propriété exclusive de : Russel T Davies. Je ne tire aucun bénéfice de leur mise en situation dans cette fiction.
Danser encore
Ianto se regardait dans le miroir : il y remarquait les premières rides, les premières atteintes de l’âge. Vieillir….
Quelques années auparavant, il attendait sereinement ce phénomène naturel. On naît, on grandit, on vieillit, on meurt et la ronde recommence éternellement pour un autre. C’était l’ordre des choses et c’était ce qui l’attendait : pourquoi s’en inquiéter ou s’en rendre malheureux puisque rien n’y changerait rien ?
Mais aujourd’hui il avait peur… Il avait peur parce qu’il y avait cet homme dans sa vie. Cet homme qui, bien que tellement plus âgé que lui, semblerait un jour plus jeune. Combien de temps le garderait-il lorsqu’il ressemblerait à une vieille pomme ridée ? Combien de jours, combien d’heures lorsqu’il ne pourrait plus répondre à ces élans du corps qui étaient si importants pour l’homme qu’il aimait ?
Une ride dans la glace,
Je me fais vieux.
Dans le lit j'ai de la place pour deux.
Avant que la vie ne passe,
Je veux garder l'envie.
Le temps qui s’allonge et pèse comme une chape de plomb. Les gestes mille fois répétés qui deviennent plus lents, plus difficiles. Les réflexes qui s’émoussent, qui s’étiolent. Le corps qui se plisse, qui se tasse, qui se fragilise. La parole qui se raréfie, qui déraille, qui se perd. Les pensées qui s’attardent sur hier, qui s’embarrassent, qui s’emmêlent parfois. Il serait un jour l’un de ceux-là, assis sur un banc le long de la Taff, si vieux qu’on se demande comment ils peuvent encore être en vie.
Et Jack à ce moment-là : où serait-il ? Qui se tiendrait à ses côtés pour continuer la lutte ? Serait-il seulement encore ici, dans cette cité, sur cette planète ou serait-il reparti vers d’autres univers ? Aurait-il rejoint le Docteur ? Aurait-il repris son existence de chevalier errant ? Se souviendrait-il même encore d’avoir aimé un homme quelque part au XXIème siècle sur une petite planète bleue ?
Une ride à la surface,
Somme nous heureux ?
La lumière s'éteint peu à peu.
Avant d'être dans le noir,
Je veux garder l'espoir.
Déjà il lui semblait que Jack s’éloignait, qu’il le perdait.
D’ici quelques années, quelques mois, quelques jours… dans ce qui lui semblait presque une poignée de secondes, il semblerait être son père, puis son grand-père.
Comment pourrait-il alors garder son fougueux amant près de lui ? Lorsqu’il ne pourrait plus faire ces gestes qu’il aimait tant ? Lorsque son corps usé, fatigué, ne serait plus capable de se donner, de faire naître le désir, d’initier le plaisir, où son Capitaine irait-il chercher ce dont il aurait besoin ? Qui saurait, comme lui, l’amener à la volupté ? Qui lui soutirerait les gémissements et les cris qu’il savait faire naître chez lui ? Qui tout simplement dormirait contre lui, leurs membres enchevêtrés, se rassurant dans son étreinte ?
Y avait-il un moyen d’échapper à l’inéluctable ? Un moyen d’empêcher les années de venir peser sur lui et de grignoter, petit à petit, tout ce qu’il avait construit ? Ne pouvait-il pas, comme son compagnon, atteindre à l’immortalité qui lui permettrait de rester à ses côtés pour l’éternité ?
Et danser encore.
Avancer toute voile dehors.
Et danser encore.
Envoyer valser la mort,
Dans le décor.
L’immortalité… Fardeau ou cadeau ?
Parfois il se posait la question : comment réagirait-il si, comme Jack, il devenait un point fixe sur la ligne du temps ? Cadeau à l’aune de ses pensées précédentes mais fardeau de penser que jamais on ne pourrait se soustraire à tout ce qui rend le monde laid, à la violence, à l’envie, à la méchanceté. Calvaire de voir la mort qui certes vous dédaignait mais faisait sa moisson parmi ceux que vous aimez. Terreur de cette solitude inéluctable à laquelle vous étiez condamné….
Un bout de chemin, même s’il était court au regard de l’éternité, c’était toujours un moment de grâce, un moment où enfin vous aviez quelqu’un à vos côtés, où, peut-être, vous pouviez oublier, l’espace de quelques étreintes, qu’un jour il ne serait plus là. Quelle devait-être votre désespoir que de savoir qu’un jour celui que vous aimez ne tiendrait plus votre main ! Combien de fois faudrait-il ressentir cette douleur durant cette vie qui n’en finirait jamais ?
Vivre à deux l’éternité était-il moins difficile ? Auraient-ils l’éternité à deux d’ailleurs quand tant de personnes ne se supportent plus au bout de quelques années de vie commune ?
Dernier avis de tempête,
Dernier refrain.
Vivre sans penser au lendemain.
Danser que tourne la terre,
Descente et l'air de rien.
Alors oui, il était mortel, il allait vieillir et un jour ce miroir reflèterait le corps d’un parfait étranger.
Il sourit à cette pensée saugrenue : bien sûr que non il ne serait pas étranger. Ce ne serait pas en l’espace d’un clignement de paupière. Il verrait son corps changer petit à petit : une ride, puis une autre, la peau qui se détend, peut-être un petit ventre rond et des poignées d’amour, un cheveu blanc, puis un autre jusqu’à ce qu’il arbore une crinière de neige, à moins qu’il ne voie ses cheveux tomber un à un ?
A quoi bon se torturer ? A quoi bon se lamenter sur ce qui serait peut-être un jour ? A quoi bon se projeter dans un avenir que la destinée ne lui accorderait peut-être même pas tant la vie qu’ils menaient pouvait les emmener bien plus tôt qu’ils ne le pensaient dans les bras de la Camarde ?
Pourquoi ne pas simplement profiter des moments qui leur étaient offerts et cesser de se poser des questions auxquelles il n’aurait jamais de réponse ?
Une dernière cigarette,
Un verre de vin,
Ramasser les miettes du festin.
Faire avant que tout s'arrête,
La fête jusqu'à la fin.
La vie lui avait fait un fabuleux cadeau : Jack… Jack qu’il aimait plus que tout et qui l’aimait en retour. Cela durerait le temps que ça durerait… une heure, un jour, un mois, un an ou une éternité… Cela se finirait dans les larmes ou dans le sang peut-être… Il y aurait sans doute des hauts et des bas, des moments de pur bonheur et des moments de colère, d’inquiétude, de chagrin…
Mais c’était la vie… La vie avec ses aléas, avec ses cadeaux et ses pièges… La vie, tout simplement.
La vie qu’il voulait mener auprès de son amant pour le temps qui leur serait imparti, sans perdre une minute à se demander ce que serait demain, ni à se projeter dans un hypothétique avenir.
Il vieillirait et il mourrait, laissant Jack derrière lui, si tant est que celui-ci reste à ses côtés durant ces années où son corps petit à petit le trahirait et déclinerait, si tant est d’ailleurs qu’il vive assez longtemps pour devenir vieux un jour.
Alors pourquoi se torturer pour quelque chose sur lequel il n’avait de toute façon aucune prise ? Autant profiter de ce qu’il avait tant qu’il en était temps. Profiter du bonheur d’avoir Jack à ses côtés, profiter de son sourire ravageur, de son corps parfait, s’émerveiller de lui appartenir, même si ça ne paraissait que le temps d’un battement d’ailes, s’enthousiasmer de sa douceur, se repaître de ses caresses, le souler d’amour, lui faire oublier, à lui aussi, que demain viendrait prendre sa revanche.
Danser encore.
Avancer toute voile dehors.
Et danser encore.
Envoyer valser la mort,
Dans le décor.
- Ian ? Pourquoi es-tu si long ?
La voix de Jack le fit sursauter. Déjà le visage de l’Immortel apparaissait dans le miroir aux côtés du sien, comme une image de ce qu’ils étaient en ce moment précis : deux hommes amoureux, en pleine force de l’âge.
- Je pensais, dit-il en posant sa main sur celle de son compagnon qui l’enlaçait.
- Tu pensais à quoi ?
- A toi… A nous…
- Des pensées agréables j’espère, susurra le Capitaine à son oreille, tandis que ses mains commençaient de lentes caresses qui firent aussitôt courir son sang plus vite dans ses veines.
- Très agréables Monsieur…, murmura-t-il en se retournant pour se lover dans les bras de son amour, lui offrant sa bouche.
A quoi bon lui rappeler qu’un jour il ne serait plus là ? A quoi bon le questionner sur ce qu’il ferait lorsque lui serait trop vieux pour le contenter ? A quoi bon se torturer pour rien ?
Carpe Diem, se dit-il en fondant dans l’étreinte du Capitaine.
Mortel ou immortel ? Leur amour, lui, serait éternel.
FIN
Chanson de Calogero