Note de l'auteur : Changement de programme (bouuh, je n'aime pas ça!)! J'ai finalement décidé de couper le chapitre trois en deux, il était vraiment trop long, et j'avais peur de tourner en rond à force. Je poste celui-ci plus vite, l'autre arrivera dans quelques jours. Au menu, de l'amitié, des souvenirs et du désespoir. Beaucoup d'entêtement, aussi...
Merci à vous, et bonne lecture!Chapitre 3 : Souffle (partie 1).
Perceval jeta littéralement Merlin au fond de sa cellule. Le cœur n’y était pas. Ses mains parurent brûler lorsque le sorcier lui glissa entre les doigts. Si Arthur n’avait pas été présent, il se serait sûrement excusé avant d’aller aider le jeune homme. A la place, il tenta de lui communiquer toute sa désolation d’un regard lourd de sens. Lancelot resta un moment, les mains serrées sur les barreaux de fer. Il voyait son ami, recroquevillé à côté d’une piètre couverture qui lui servirait à présent de lit. Qu’as-tu fait, Merlin ? Pourquoi avoir craqué à ce moment-là ? Tu devenais tellement puissant, ton avenir s’éclairait de plus en plus vite et Albion te tendait les bras. Que diable a pu faire Arthur pour que ton rêve se brise ?
Une main sur son épaule le rappela à la réalité. Il chassa ses larmes, se retourna et, sans regarder son prince, partit. Un à un, ils s’en allèrent. Gauvain ne se retint pas, il bouscula quelque peu Arthur, tentant de le raisonner et lui faire comprendre qu’il se trompait.
Merlin se redressa à l’aide du mur. Sa tête lui tournait. Tout avait été si vite. Gaïus qui tentait de le défendre en criant qu’il avait besoin de repos, qu’il avait frôlé l’hypothermie, la porte qui claquait, le visage terrifié et inquiet de Guenièvre quand ils l’avaient traîné dans les couloirs du château, la froideur des cachots et le contact des dalles rugueuses tout contre sa joue. Les ombres qui se dérobaient et la lueur émise par une torche enflammée qui l’éclairait au fur et à mesure. Lorsqu’il se retourna, il eut tout juste le temps de voir Arthur, courbé, comme écrasé par le poids des années et des responsabilités, les traits du visage tirés. Son aura qui, habituellement, le rendait imposant, l’avait abandonné, lui donnant l’allure d’un pauvre homme vulnérable et affreusement ordinaire. Le prince le quitta sans avoir pipé mot.
Presque immédiatement, Guenièvre arrivait avec son repas, probablement le seul de la journée. Les gardes lui ouvrirent aussitôt. Elle posa l’assiette et se rua dans les bras de Merlin. Des milliers de questions accoururent, la laissant toutefois muette. Elle serra son ami encore plus fort. Il lui répondit faiblement. Elle s’en contenta. La servante recula de quelques pas.
-Que se passe-t-il ?
-Je doute que tu aimerais le savoir, Guenièvre.
-Je t’en prie Merlin, ne me laisse pas à l’écart de tout cela. Te savoir en prison ne m’enchante guère… Donne-moi au moins la raison…
-Je…
Merlin déglutit. Quelle serait sa réaction ? Le prendrait-elle pour un déchet humain, elle aussi ? L’éviterait-elle ? Le répugnerait-elle ?
-J’ai frappé Arthur. Sans faire exprès ! Déclara-t-il en se forçant à sourire.
-Merlin, pas de ça, pas avec moi…
Il ne pourrait rien lui cacher. Elle ne le connaissait que trop bien.
-Guenièvre… Je… Ce n’est pas si évident.
-Tu peux avoir confiance en moi, tu sais, tu es mon ami.
-Je… Je suis… Arthur sais que… je suis… un…
Il ferma les yeux. Inspira.
-…un sorcier.
Elle s’éloigna. Seulement quelques pas, histoire de bien absorber ce qu’elle venait d’entendre. Merlin ? Un sorcier ? Oui, pourquoi pas. Etrangement, elle n’avait pas peur. De la sorcellerie, si, bien sûr, elle la terrorisait. Elle avait vu Morgane changer du jour au lendemain, et ce, par sa faute. Mais qui pourrait avoir peur du freluquet qu’était Merlin ? Arthur ? Apparemment.
-Combien de temps resteras-tu enfermer ici ? demanda-t-elle finalement.
-Je l’ignore. Mais, Guenièvre, sache qu’une fois sorti, je… Eh bien, je ne serai pas aussi libre que cela.
-Non, Merlin, tu ne vas pas mourir, si c’est ce que tu insinues. Je vais parler à Arthur et je… Je…
La réalité la frappa de plein fouet. Sa respiration fut laborieuse pendant une minute ou deux. Le bûcher. C’était ce que devait subir tous les sorciers, pour les purger, et, de ce fait, éviter qu’ils envahissent Camelot. Arthur appliquait les lois, pour faire plaisir à son père, sans aucun doute. Les sorciers et leurs dons étaient, aux yeux des Pendragon, des vipères chargées d’envenimer leur royaume. Elle avait cru, un instant, que tout ceci n’était qu’une farce, qu’Arthur voulait simplement faire peur à Merlin, puis tout reviendrait comme avant. Ils vivraient en paix.
-Je me battrai pour toi, Merlin.
-Cela ne sert à rien. Ne risque pas ta vie pour quelqu’un qui ne le mérite pas.
-Ne te flagelle pas ainsi ! Tu es bien meilleur que tu ne le penses. Arthur ne le voit pas, c’est tout. Regarde-moi, qui aurait cru qu’un jour il pourrait tomber amoureux d’une servante ?
-L’amour… C’est ce qui t’a sauvé, Guenièvre. Il n’y a aucune échappatoire pour moi. C’est ainsi.
Les gardes frappèrent brutalement contre la porte, ordonnant à la servante de se retirer. Elle étreignit une fois encore Merlin.
-Gardes ! Appela-t-il en se tenant aux barreaux de la prison. J’aimerais voir le prince Arthur.
-Le prince Arthur ne veut être dérangé sous aucun prétexte, encore moins par un prisonnier.
-C’est important.
-Il n’en a cure.
-Dans ce cas, je veux voir Gaïus.
-Gaïus a interdiction de venir te voir.
-Pourquoi ?
-Tais-toi et mange, tu en auras besoin.
Merlin eut beau s’égosiller, les gardes, tels des statues de marbre, ne lui répondirent plus. Ils n’esquissèrent aucun mouvement jusqu’à ce que leur tour soit achevé et que d’autres vinrent prendre leur place. Ils étaient des automates, exécutant simplement ce qu'on leur disait de faire sans se poser de question. Ils étaient nés ainsi, il trouvait cela banal. D'ailleurs, ils n'avaient aucun rôle très important, dans l'histoire. Ils servaient simplement de mur entre la tragédie et le drame, entre l'espoir et le désespoir. La nuit tombait sur Camelot, mais aucune étoile ne parvenait à trouer les nuages sardoniques. Merlin avait attendu qu’il ait réellement faim pour manger, puis il s’était assoupi. Il ne chercha pas à renouveler sa demande. En effet, un peu plus tôt dans l’après-midi, les deux gardes en avaient eu assez d’entendre les jérémiades de leur détenu. Ils avaient donc demandé à Arthur, non sans précautions, d’aller voir le jeune sorcier. Le prince avait envoyé un chevalier lui faire comprendre de la pire façon qu’il soit qu’il ne voulait pas lui parler, et qu’il ne lui parlerait plus jamais.
Merlin en était manifestement affecté. Il voulait lui expliquer, lui parler de ce destin si prometteur, de cette peur constante qui lui faisait vivre un cauchemar : le peur qu’Arthur ne meure subitement. Il désirait ardemment lui faire part de tout ce qu’il avait fait pour lui, lui prouver qu’il n’avait rien contre Camelot et, qu’au contraire, il ne voulait que la prospérité, la paix et « longue vie au roi ». Il s’allongea sur la maigre couverture jaunâtre. Il repensa à ce qu’il avait confié à Guenièvre.
«
L’amour… C’est ce qui t’a sauvé, Guenièvre. »
Il n’osait y songer. Il devait garder cela pour lui, comme étant le seul secret qui mourrait avec lui. Les espoirs qu’il avait nourrit durant ces deux dernières années venaient de s’évaporer, ses rêves les plus fous brûleraient avec lui et il ne pourrait que les regarder disparaître. Peut-être le lui dirait-il, peut-être pas. Après tout, ça n’avait plus d’importance.
~*****~
Cela faisait quatre jours que Merlin était enfermé. Quatre longs jours sombres, cloîtré telle une bête dans son étroite cellule. Quatre jours… Cela semblait court… Et pourtant, il n’avait plus qu’un vague souvenir des rayons du soleil. La joie et l’envie de vivre, de se battre, avait déserté son âme. Il ne restait rien de l’ancien Merlin, celui dont le sourire illuminait ses traits, Merlin le sage, Merlin l’unique ami d’Arthur. Les trois derniers jours, il n’avait rien mangé, se contentant de l’eau douteuse qu’on lui balançait à travers la grille. Il pensait être devenu un déchet humain, une molécule toxique qui contaminerait toute une population si on le laissait sortir. On l’observait avec peur, on le craignait, mais, malgré tout, on jouissait de le voir impuissant. Ça se lisait dans les sourires, dans les regards. Qui était-il ? Il ne savait plus très bien. Merlin ? Emrys ? Un monstre ? Qu’était-il venu faire sur Terre ? Le bien, le mal ? Les deux ?
Merlin avait également perdu la notion du temps. Il ne dormait plus. Il ne pouvait plus. Ses pensées le torturaient, il s’imaginait le souffle des flammes sur sa peau, il se voyait se déchirer, hurler à la mort, il ressentait la souffrance, l’injustice de ce traître de monde. Une douleur lancinante qui lui perforait le crâne. A quoi bon tenter de se reposer, il ne ferait qu’accélérer sa mort.
Chaque jour, il recommençait, avec néanmoins moins de verve, à voir le prince Arthur. Il disait que sa vie en dépendait, et les gardes lui rétorquaient que sa vie n’était plus rien. Elle ne tenait qu’à un fil, et c’était Arthur qui le tenait. Il reculait et l’amènait toujours de plus en plus loin. Cherchat-il à tester ses limites ? Mais le fil n’était pas indestructible, il finirait par se tendre, par se tendre tant et si fort qu’il se briserait en deux. Et plus personne ne pourrait recoller les morceaux. Merlin ne désespèrait pas, pas encore. Il connaissait Arthur. Il viendrait. Au mieux il se rendrait compte de son erreur, au pire il viendrait pour l’enfoncer davantage. Peu lui importait, il voulait simplement le voir. Observer, sûrement pour la dernière fois, le visage pâle et fier, comme taillé dans le marbre, du futur roi. Se répéter, encore une fois, qu’il est magnifique et qu’il fera un bon roi. Tenter de lui envoyer un message, de percer sa carapace, toucher le cœur sensible. Echouer. Encore. Toujours.
C’est ainsi. Ca a toujours été ainsi. Lorsqu’une pierre est lancée, même chargée d’espoir, elle retombe sur le sol. Certaines rebondissent, et s’offrent une meilleure fin, mais les autres n’ont pas cette chance ; elles s’éteignent dès le premier choc. C’est ainsi. Dans une tragédie, il n’y a rien à faire, simplement regarder la trame défiler en priant intérieurement pour qu’elle ne vous désigne pas du doigt. Arthur et Merlin avaient été désignés, ils étaient pris dans les mailles du filet. Plus ils se débattaient, plus ils étaient retenus. C’était un piège étouffant dont la seule issue possible était la mort.
Arthur avait envoyé Gauvain. Il ne pouvait en être autrement. Merlin faisait pression sur lui, il pouvait presque l’entendre implorer son pardon, et il se voyait hésiter. Un futur souverain n’hésitait jamais, il prenait le temps nécessaire pour réfléchir, mais jamais il ne revenait sur sa décision. C’était honteux de le faire. Il fut un temps ou Merlin était sa force, l’épaule sur laquelle il pouvait pleurer sans qu’on ne se moquât de lui. Cependant, à ce moment, il le sentait, et, au fond de lui, il l’avait toujours su, le jeune sorcier serait sa faiblesse. Il n’était ni son épouse, ni un chevalier, ni même son père, mais il avait besoin de lui. Arthur devait s’éloigner s’il voulait appliquer les lois.
Alors il avait envoyé Gauvain.
Le chevalier s’était incliné, l’avait amèrement remercié, avait refermé la porte derrière lui. Puis, il s’était élancé dans les couloirs, il avait couru, comme si la faucheuse était à ses trousses, ou que la lumière se trouvait à l’autre bout. C’était trop facile. La lumière ne se laisserait jamais attraper, dès qu’on la frôle, elle recule en gloussant, et ses yeux rieurs vous incite à poursuivre, elle vous entraîne plus profond dans les limbes de l’incompréhension. Pourtant, sa présence vous rassure, alors vous la suivez, aveuglément… Jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Elle vous abandonne avec votre culpabilité, perdu et incroyablement seul. Elle vous laisse-là, dans le noir. Et elle ne revient pas.
-Merlin !
Gauvain avait sauté dans la cage, de ses bras puissants, il avait soulevé le petit être maigrelet qui était assis en tailleur, dos au mur en pierre, et l’avait serré fort. Peut-être lui avait-il brisé quelques côtes, tous deux s’en fichaient de toute façon. Il le reposa et, comme les autres, s’éloigna pour voir ce qu’il en retournait. Alors il fut sous le choc. Non, ce n’était pas possible. Il s’était trompé de cellule, ce ne pouvait pas être… Merlin… Où était passé
son Merlin ?
-En quoi Arthur est-il en train de te transformer ?
Il dégagea lentement une mèche de cheveux noir corbeau des yeux de Merlin. La peau sur les os. Une fine pellicule pâle qui cachait le squelette du jeune homme. Ses pommettes ressortaient en pointe, elles semblaient coupantes, dangereuses. Ses épaules croulaient sous le poids des événements, amplifiant sa maigreur. Gauvain aurait pu le faire tomber d’un coup de main. Ce qui le frappa par la suite, ce fut ses yeux. C’est ce qui l’avait auparavant fasciné chez Merlin, tout passait dans son regard. On pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert, il suffisait d’intercepter ces magnifiques iris bleus et de savoir y lire tout ce qui y coulait. Là, les bougies avaient été soufflées, et tout s’était creusé. Tout en lui était mort, c’était l’hiver, sauf qu’il ne neigeait pas. Il n’y avait aucune trace de vie, pas de chants, pas de rires, seulement un silence glacé qui faisait frémir les arbres dénudés.
-Merlin qu’est-ce qu’il se passe ? murmure Gauvain, terrifié.
Merlin aurait aimé lui répondre. Lui dire que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, qu’il sortirait sous peu, le temps qu’Arthur se calme et revienne à la raison. Il aurait tant voulu lui dire qu’il n’était pas un sorcier, qu’il ne possèdait aucun pouvoir, que c’était une simple plaisanterie. Lui sourire, comme avant, le prendre dans ses bras, le rassurer, c’est tout.
-Je t’en prie, parle-moi !
Gauvain le saisit par les épaules, le secoua doucement et éclata en sanglot. C’était tellement ridicule. Pleurer, on ne le faisait pas quand on était chevalier, quand on était un homme et qu’on représentait un royaume. Mais pouvait-on réellement y résister lorsqu’on tenait dans ses bras la dépouille d’un ami, un corps inhabité ? N’aurait-il pas été inhumain de ne pas se laisser aller ?
-Merlin…
Il n’y eut aucune réaction. Outre la petite vague de tristesse qui était apparue dans ses prunelles. Alors Gauvain se rendit à l’évidence : Merlin lui échappait, et il ne pouvait plus le retenir. Seul Arthur le pouvait. Il fallait qu’il essaie.
~*****~
-Mais il se meurt !
-Et alors ? Qu’est-ce que cela peut me faire, Gauvain ?
-Il était votre ami !
-Et il m’a trahi !
-Ayez pitié de lui…
-Avez-vous pleuré ?
-Je vous en supplie.
-Gauvain !
Le chevalier lui avait décrit l’état alarmant de Merlin. Les mains qui tremblaient, la voix qui se taisaient toute seule, en plein milieu d’une phrase, le souffle court, les sanglots… Rien n’avait été inventé, il en découlait une sincérité pure. Il n’avait omit aucun détail ni erroné la description. Un instant, il avait fermé les yeux, se forçant à reprendre le dessus. Mais, elle revenait toujours, au fond de lui, cette petite voix qui lui chantonnait, perfide : il va mourir, il va mourir, il va mourir. C’était dur. C’était injuste. Il voulait se battre, foncer tête baissée dans le mur, sauver son ami. Il va mourir, il va mourir.
-Je lui ai déjà accordé deux semaines, Gauvain, je ne peux en faire davantage.
-Evidemment que vous le pouvez !
-Ecoutez, vous êtes accablé par le chagrin, reprenez-vous et revenez me voir quand tout sera clair.
-VOUS NE POUVEZ L’IGNORER ! VOUS LA SENTEZ, VOUS L’ENTENDEZ, VOUS AUSSI !
Le regard du prince se fit douloureux.
-La vie qui le quitte, son silence, ses larmes qui ne coulent plus. Son appétit, sa rage de vivre, son combat ! Vous détruisez tout, vous le réduisez en miette ! Je n’ai qu’une chose à vous dire, prince Arthur, une chose… Aurez-vous seulement le courage et la force de vous pencher pour ramasser ses cendres ? Vous êtes plus faible que vous ne le laissez croire, Arthur Pendragon.
Normalement, il l’aurait sûrement fait enfermer. Mais il s’agissait de Gauvain. Gauvain était comme un enfant, tout ce qu’il disait, c’était la vérité.
Gauvain se retourna, son armure émettant de petits cliquetis.
-J’irai le voir, après-demain…
-Demain, il sera déjà trop tard.
~*****~
Arthur était resté au bord de la fenêtre des heures durant, un genou replié sur le rebord, l’autre jambe pendante, touchant parfois le sol. Il observait le paysage exténué qu’il avait laissé ces derniers jours. Camelot était en train de mourir. Qu’adviendrait-il du royaume s’il faisait exécuter Merlin ? Renaîtrait-il de ses cendres ? Ou mourrait-il plus encore ? Tant de doutes qui l’assaillaient et le tourmentaient, il ne parvenait pas à s’en défaire.
Quand il y repensait, il ne pouvait s’imaginer que Merlin était un sorcier. Cela relevait de l’impossible, il semblait si gracile, comme un agneau lâché au milieu des loups, un peu perdu et innocent. Arthur ferma les yeux. Alors, dans son esprit, se dessinèrent de fines lèvres. Elles étaient closes, muettes, et sans expression. Soudainement, elles s’étirèrent, lentement, puis découvrirent deux rangées de dents blanches et bien alignées. Avec ce sourire étincelant apparut un visage, enfantin et plutôt laid. C’était bien ça, la candeur en personne qui revenait, avec ses cheveux noir et ses yeux bleus. Elle venait le narguer. Arthur aurait tant aimé pouvoir toucher ce visage d’ange, le sentir glisser sous ses doigts, se convaincre qu’il existait encore, et pour longtemps. Il rouvrit les yeux. L’illusion s’envola. Les champs enflammés reparurent.
Les souvenirs le hantaient, en une seconde, il perçut la voix chantante de Merlin lui ordonner de se réveiller, il devina le ragoût de rat couler dans sa gorge, il entendit un rire clair raisonner, il sentit, comme tant de fois lorsqu’il était en présence de son valet, une agréable chaleur l’envahir. Tout se dissipa lorsqu’il ouvrit les yeux.
Arthur ne pouvait passer outre tous ces détails de sa vie qui l’avaient marqué. Mais Merlin était un traître. Et il devait payer pour cela.
~*****~
Arthur se dirigeait vers les cachots, l’estomac tordu et compressé, le front trempé, les mains moites. Son cœur battait fort, il était certain que les gardes à côté desquels il passait pouvaient les percevoir. Il lui semblait que les couloirs dans lesquels il déambulait étaient interminables, tel un long serpent ondulant, et qu’il s’enfonçait peu à peu dans ses entrailles d’où il ne ressortirait pas indemne. Il courait à sa propre destruction. Rendre visite à Merlin lui avait demandé beaucoup de courage. Il avait à présent peur de ne pas aller jusqu’au bout. Il sentit ses jambes se dérober. Arthur s’agrippa à un pan de mur qu’il serra si fort que les jointures de ses doigts en devinrent blanches. Son souffle était saccadé, les pierres se rapprochaient inévitablement de lui. Elles allaient l’étouffer ! Et personne pour venir l’aider ! Il ouvrit la bouche, mais rien n’en sortit. Seulement un petit soupir qui se transforma en une plainte rauque. Il ferma les yeux à s’en fendre les paupières et laissa les minutes couler le long de son corps. Il les sentit, froides et importantes, glisser çà et là sur ses habits froissés, mourant lentement et disparaissant au niveau de ses chevilles. Elles étaient nombreuses et il ne put les compter. Calmé, il reprit son chemin. Dans la bonne direction. Il n’avait pas flanché. Il irait voir Merlin, peu importe le prix à payer. Il voulait des explications. Cependant, arriverait-il à garder son sang-froid ? Il n’en était pas sûr.
Les gardes ouvrirent la porte -qui ressemblait davantage à une grille. Elle grinça, se tut, et gémit une fois encore lorsqu’on la referma. Merlin leva sa tête squelettique vers le prince qui eut un mouvement de recul. Son ancien serviteur était méconnaissable, l’ombre de lui-même, le contraire quasiment mort de ce qu’il avait pu être par le passé. Quand il le vit ainsi, Arthur ne put s’empêcher d’être en colère contre lui-même, il se demandait quelle ordure pourrait séquestrer un humain de la sorte ? Cela avant de songer au « pourquoi » était-il ici. Sa colère rebondit alors contre son cœur de pierre et ce fut Merlin qui entra dans sa ligne de mire. Ses yeux se baissèrent automatiquement. Il ne pouvait plus le regarder en face. Il l’avait humilié, trahi, sali. Et puis, qui sait, il aurait toujours pu l’envoûter.
-Arthur, dit Merlin pour briser le silence.
-Je te donne quinze minutes, pas une de plus, répondit son vis-à-vis d’une voix tranchante.
Le sorcier ne savait par où commencer. Des bribes de phrases qu’il n’avait cessé de répéter se mêlaient et formaient des justifications insensées. Il se perdait dans son esprit trop ouvert, où était son axe ? Il le chercha des yeux. Il le vit, mais il persévérait à rester planté vers le sol.
-Arthur, implora le magicien, s’il vous plaît… Regardez-moi…
Le futur souverain entendit les mots se cogner en lui, s’entrechoquer et raisonner en un écho infini. A chaque coup qu’ils lui portaient, sa colère se décuplait, elle envenimait son esprit à la vitesse de l’éclair. Son visage se contracta, ses poings se serrèrent, ses muscles durcirent dangereusement. Ses yeux exorbités s’étaient finalement levés. Merlin vit son fameux axe, brisé en deux et gisant au cœur de ces prunelles devenues brasier destructeur. Il aurait préféré ne jamais vivre cela, ne jamais le voir, ni même en entendre parler. Cette haine sourde qui bourdonnait partout dans l’air. Il frémit.
-Comment… ? Siffla le prince. COMMENT ? (Merlin sursauta). Pardon, mon ouïe a dû me faire défaut. Tu me demandes de te regarder dans les yeux ? Eh bien voilà, je le fais ! Mais c’est toi qui, maintenant, m’évite. Quoi ? Je t’effraie ? C’est cela ? PARCE QUE TU PENSES QUE JE N’AI PAS PEUR DE TOI ? Tu penses que tu es une victime, mais non, tu es un assassin, un tueur ! La sorcellerie n’inspire que le mal, je ne vois pas pourquoi tu serais une exception ! La question, maintenant, traître, c’est comment ai-je pu vivre aux côtés d’un tel monstre, quel fou ai-je été pour te demander conseil et t’accorder ma confiance aussi facilement ? J’espère que tu ne me jugeras pas trop sévère, n’est-ce pas ? C’est la juste sentence pour les hommes de ton espèce, pour les animaux que vous êtes !
-Vous ne le pensez pas…, hoqueta Merlin, la voix brisée.
-C’est la deuxième fois que j’entends cela… Ne pense certainement pas que parce que c’est toi, je passerai outre les lois ! Tu n’es plus rien à mes yeux, rien, si ce n’est un traître, un menteur, un lâche et un pauvre fou ! Ta mort est amplement méritée…
-Vous tenez le discours d’Uther…
Le coup partit. Plus vite, plus fort qu’Arthur ne l’aurait imaginé. Son poing vola loin avant d’atteindre la joue de Merlin dans un craquement sinistre. Merlin ne se plaignit pas, il accusa le coup. Son estomac avait vacillé un instant puis était tombé, traversant le sol, la Terre et tout ce qui pouvait s’y trouver après. Il avait ressenti une vague douleur qui n’avait pu égaler celle de son cœur.
Arthur eut honte de son geste. Cela ne lui ressemblait pas. Perdre le contrôle de ses émotions. Se laisser submerger. Céder à la tentation. Frapper une personne démunie, dépourvue de toute défense. Il fuit. Echapper au regard meurtri de son prisonnier, espérer que rien de tout cela ne se soit passé, qu’il y ait encore ce fichu espoir.
Merlin s'assit sur le sol froid, Arthur se jeta dans les corridors pour emplir ses poumons d’un air nouveau. Le cœur du sorcier se serra violemment, au point de lui faire mal, celui du roi saigna. Leurs larmes coulèrent ensemble, comme un salut, une dernière preuve de leur lien unique. Puis elles se turent, disparurent dans les manches ou éclatèrent sur le sol en une pluie de tourments.
Merci d'avoir lu, en espérant que cela vous plaise toujours autant, j'ai la mauvaise impression de me répéter.