L’Âne redressa la tête, surpris par ce qu’il venait d’entendre. Voyant le chat retiré derrière la porte ouverte, il se remit sur ses pieds et entra. Le chat potté referma derrière lui et se dirigea vers sa petite cuisine, sur la droite en entrant.
- Alols, si jé complads bien, ta gonzesse t’a foutou dehols ?
- Ben disons qu’elle est un peu à cran, en ce moment, et je préfère pas trop la contrarier, dans ces cas-là… répondit l’Âne en le suivant. Il remarqua que Potté avait immédiatement regagné ses petites boobootes lorsqu’il l’avait fait entrer. Le chat commença à mettre une casserole sur le feu.
- Bah, les nanas… Ca a des péliodes, faut pas t’en faile…
- Je sais pas… J’ai l’impression que ça marche pas entre elle et moi.
- Ah ? Attads, l’ami… Jé vais té faile oune bonne velveine, et tou vas mé laconter tout ça…
L’Âne eut un soupir amer.
- T’es gentil, toi… Je suis désolée de te déranger, toi aussi… J’ai l’impression de toujours jouer les parasites…
Le chat versa l’eau dans un bol.
- Naaaa, pas dé soucis avé les amis… les amis, c’ést saclé ! Moi jé laissélais jamais un ami dans la paella si jé pos faile quélque chosse… Tiens, laisses pas tlop infuser longtemps, ça plend vite…
Les deux compères allèrent s’asseoir dans le panier géant posé dans la partie gauche de la maisonnée. Potté ôta sa serviette, libérant de courtes mèches rousses qui rebiquaient sur le haut de son crâne. L’Âne ne put s’empêcher de remarquer à quel point son pelage était chatoyant.
- T’as un beau poil ! Tu le laves à quoi ?
- Au Hobbit Pal, c’ést tlès bon poul la santé dé ta fouloule…
- Ah, d’accord…
L’Âne but une première gorgée de son infusion. Pendant ce temps, Potté sortait un petit sachet de l’intérieur de sa robe de chambre et proposa :
- Un p’tit, ça té tente ?
- Heu… Qu’est-ce que c’est ?
- Ah, ça, l’ami, c’ést la valéliane… Si tou connaît pas la valéliane, t’as lien vou dans ta vie…
- Ah, c’est gentil mais je crois que je vais m’en tenir à la tisane, pour ce soir… Je dois déjà être assez pitoyable comme ça…
Le chat rangea son herbe et mit son fidèle chapeau sur sa tête.
- Coumme tou voudlas… Et pouis, tou fais aussi bien… Quand on n’a pas commencé, vaut mieux pas s’y mettle…
Il but à son tour une gorgée.
- Alols, et ta gonzesse ?
La déprime rendait, il est vrai, l’Âne étrangement peu loquace.
- Ben… soupira-t-il. Je sais plus trop où j’en suis… D’un côté il y a les gosses et tout… J’adore mes gosses, mais tu peux pas imaginer ! Ils sont tout pour moi, je peux pas les abandonner comme ça ! Mais à-côté de ça avec Dragonne… Ca roule vraiment plus comme avant… J’aurais jamais dû lui céder… Et ce qu’il y a de pire, tu sais ce qu’il y a de pire dans cette histoire ? C’est que ça, je l’ai fait pour Shrek ! J’ai sacrifié ma vie pour ce vieux relent d’ogre, et j’ai l’impression qu’il en a à peine conscience ! Non mais ça te tuerais pas, ça, toi ?
Potté regardait son hôte. Au fur et à mesure qu’il laissait sortir, les mots s’alignaient les uns après les autres pour retrouver ce débit inégalable d’antan. Le désespoir lui faisait boire régulièrement sa verveine pour empêcher sa gorge de se serrer.
- C’est vrai quoi : j’ai fait don de ma personne à Dragonne, j’ai permis à Shrek de se marier avec son grand amour, j’ai évité à Fiona de devenir une greluche soumise à son mari et à tout Duloc d’être sous le joug d’un roi aussi pingre que ce petit merdeux de Farquad ! J’ai libéré tout une population, en fait ! Mais tout ça n’a pas pu se faire comme ça tout seul, oh-ho… C’aurait été trop facile ! C’est Bibi qui a trinqué, comme d’habitude ! Et après ça dit « Dehors, l’Âne ! », « On aimerait bien être TOUT SEULS, l’Âne ! », « Tu n’es qu’un bon à rien, l’Âne ! » J’en ai assez…
La voix enthousiaste de l’Âne se brisa, et son bol de tisane tomba de ses sabots. Le chat potté le fixait toujours, fasciné par la verve d’une existence vouée aux autres trop longtemps contenue. La colère faisait à présent place à l’anéantissement.
- Et après tout ça… On se retrouve encore tout seul, dehors, à se réconforter dehors, tout seul, dehors… tout seul… Sans personne pour faire un câliiiiin…
Potté réalisa alors que, pour une fois, c’était lui qui allait se bouger un peu le popotin pour aider son entourage… Malgré ses beaux discours, les seuls gens auxquels il était attaché était ceux qui lui lâchaient des espèces sonnantes et trébuchantes pour avoir refroidi un quelconque quidam, coupable ou innocent…
Il entoura l’Âne de ses maigres papattes, rentrant les griffes, et enfouit son museau dans le poil court du poitrail.
- Allons, allons, allête, l’ami… tou va finil pal lessembler à Boulliquet…
_________________ La Halfeline
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Le sachet de thé c'est la santé!
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