Partie 2 : retrouvailles
Alan subit un interrogatoire serré, l’armée voulait savoir ce qu’il faisait là-bas. Il ne put que reconnaître que lui et Billy avait été trompé par les Kirby qui leurs avaient assurés être en droit de survoler l’île, sans leur mentionner la vrai raison du voyage. Il ne parla pas de l’histoire des œufs volés et fit promettre aux Kirby de ne pas le faire non plus. A quoi bon rabâcher cette histoire ? l’armée accablerait le pauvre Billy pour savoir ce qu’il comptait en faire. Il n’avait pas besoin de ça, il était déjà assez mal en point. Il avait compris la leçon, elle avait été suffisamment brutale. Il fut enfin libéré, il put rentrer dans le Montana. Il se rendit tout de suite à l’hôpital de Glasgow où, sur sa propre demande, Billy avait été transporté. Il n’allait pas le laisser tomber, il se devait de le soutenir. Il n’avait aucune idée de comment joindre la famille du jeune homme, il ne savait rien de celle-ci, Billy détournait toujours la conversation quand il s’agissait de parler de ses parents. A l’accueil, on lui dit qu’il était en réanimation. Alan se sentit tout de suite inquiet. Que c’était-il passé pour que le jeune homme soit dans ce service. Il monta à l’étage indiqué. Très vite, il tomba sur une infirmière qui l’interpella : « Professeur Grant ? - Oui ? - Je vous ai reconnu tout de suite. Vous venez voir Mr Brennan ? - Oui, on m’a dit qu’il était ici. - Il a une pneumonie, il est sous respirateur, on a craint un instant une septicémie, mais tout risque est écarté. - Dieu merci… - On l’a mis sous antibiotiques. Vous pouvez aller le voir mais il n’est pas conscient. Elle l’entraîna vers une large vitre derrière laquelle il put voir le jeune homme inconscient, branché par un tube transparent au respirateur artificiel. Cette vue lui serra le cœur. Le Billy souriant, sportif, toujours partant, avait l’air si mal en point que le Dr Grant se sentit ébranlé. Il tenta de cacher son trouble et demanda : « Il va rester comme ça longtemps ? - On devrait le débrancher demain, si tout va bien. Alan cessa de regarder le jeune homme. - Je reviendrai en début d’après-midi. - Oui, il sera sûrement content de vous voir. - Je suppose... »
Billy reprit conscience lentement, presque surpris d’être encore vivant. Il se souvenait s’être réveillé au milieu de la nuit, la poitrine en feu, ne pouvant plus respirer. Il avait perdu connaissance alors qu’on l’emmenait sur sur un chariot. Il se sentait mieux, fatigué, si faible qu’il lui était difficile de remuer. Son corps était encore couvert de bandes et de pansements. Quand il voulait bouger, même très peu, ses côtes le rappelaient à l’ordre ; son avant-bras droit était plâtré. Il donnait vraiment l’impression de s’être battu avec des bêtes sauvages. - « Des bêtes préhistoriques, pensa t-il. Il était encore sous perfusion. Son regard erra sur le plafond, la fenêtre, le téléviseur, le mur en face de lui, la porte, le placard, la porte de la salle d’eau, une chaise près du lit. Il se sentit seul, il aurait voulu qu’Alan fût là. Il se traita d’idiot : le Dr Grant avait bien d’autres choses à faire. Il allait trouver un autre assistant et reprendre ses fouilles. Billy sentit son estomac se serrer, il était jaloux, jaloux qu’un autre puisse prendre sa place auprès du professeur. Il tenta de se redresser, grimaça et se contenta de tourner la tête sur le côté pour regarder par la fenêtre. Il était à Glasgow, on lui avait dit avant qu’il ne finisse en réanimation. Il était tout prêt de Fort Peck et, s’il était là, c’est qu’Alan l’avait demandé. Il viendrait le voir, il devait chasser ses idées noires. C’était difficile, il se sentait horriblement déprimé, il avait peur, peur de ne plus jamais pouvoir travailler avec Alan… Peu après, une infirmière entra dans la chambre. Elle sourit largement : « Et bien, Mr Brennan, vous voilà revenu parmi nous, vous nous avez fait peur… - Vous pouvez me dire l’heure, s’il vous plaît ? - Il est 11h35, on va bientôt vous apporter votre déjeuner. - J’ai pas vraiment faim… - Il va falloir faire un effort, vous devez reprendre des forces. Et puis, vous aller certainement avoir une visite cet après-midi. Il est déjà venu hier, mais vous n’étiez pas en état de le recevoir. - Le professeur Grant ? - Oui, et si vous ne mangez pas, je lui dirais que vous êtes trop faible pour le recevoir. - Je ne suis pas faible. Elle rit en enroulant le brassard du tensiomètre autour de son bras gauche. - Bah tiens, on va voir ça tout suite ! C’était une femme dans la quarantaine, bien proportionnée, assez grande, des cheveux blonds attachés dans sa nuque, un visage agréable. Le genre de femme qu’aurait regardé Alan. Billy chassa l’homme de ses pensées, enfin, il tenta de l’en chasser. Après quelques secondes, l’infirmière défit le brassard en remarquant : - Oui, vous êtes en pleine forme. Le pouls est parfait mais vous avez 8/5 de tension, je ne suis pas certainement que vous soyez prêt pour le marathon. - J’ai pas l’intention d’y participer demain. - Allez, faîtes pas la mauvaise tête. Essayez de manger un peu, ça vous fera du bien. Je vous débarrasse de ça. Elle ôta la canule du creux du bras avant d’y coller un pansement : un de plus… Billy la regarda faire puis demanda soudain : - Je vais pouvoir me lever ? - Il va falloir, en faisant bien attention… - Et mon genou ? - Il va bien. Quelques petits morceaux de cartilages en moins, mais on les a enlevés. En appuyant pas trop dessus, ça devrait aller. Je vous ai amené une béquille. Elle l’avait posée près du lit en entrant. Billy la regarda avant d’ajouter plein d’espoir : - Alors vous pourrez aussi me débarrasser de ce que j’ai là. Il montrait du doigts son entre-jambe. Elle sourit gentiment. - Oui, ce n’est pas agréable, je vous enlève ça tout de suite. » Billy soupira d’aise. Si Alan venait, il ne serait plus branché par tous les bouts.
Il avait mangé. Un peu de purée, une tranche de jambon, un yaourt. Maintenant, il attendait. Il avait réussi à se lever pour aller faire un brin de toilette. Il s’était très vite sentit mal, il n’avait pas été debout plus de cinq minutes. Il avait mal partout, il avait l’impression qu’il lui manquait des morceaux : les ptéranodons avait commencé à le dévorer vivant. Il s’était recouché et avait secoué la tête pour chasser l’horrible vision. Il se sentait un peu plus propre, rafraîchi, les cheveux remis en ordre, il était plus présentable, même s’il avait l’air piteux dans l’humiliante chemise d’hôpital. Il la dissimula en se glissant entre les draps. Il aurait voulu savoir l’heure, seulement, il n’avait plus de montre. On lui avait enlevé, de toute façon, elle était certainement cassée. Il ferma les yeux, il était fatigué. Ses pensées revinrent vers Alan, cet homme exceptionnel qu’il avait la chance d’avoir pour ami. Pourvu qu’il n’ait pas tout gâché, fichue idée que d’avoir volé ces œufs. Il fallait être un abruti fini. Pourtant, ça partait d’un bon sentiment, il avait juste voulu financer le projet d’Alan. S’il avait pu savoir… il ne pensait pas prendre grand risque, sans soin, les embryons serait morts. Il aurait vendu les œufs à un collectionneur, aucun animal n’en serait jamais sorti. Mais voilà, les vélociraptors n’étaient pas de cet avis, ils avaient failli s’en prendre à Alan à cause de lui. Et pire, ils avaient tuer Udesky sous ses yeux, il était responsable de sa mort. Brusquement, il se sentit nauséeux, l’horrible scène lui revenait. Il était responsable de la mort de cet homme. Il serra les dents et sentit sa gorge se serrer, des larmes couler sur ses joues. Il les essuya du revers de la main, rageur, il n’était pas du genre à pleurer. Il y avait longtemps qu’il ne pleurait plus. Il renifla, son regard se posa sur le fenêtre, sur le ciel plutôt gris. Alan lui pardonnerait pour les œufs, mais pour la mort d’un homme… Il avait fini par s’endormir, ce fut la sensation d’une présence qui l’éveilla. Il ouvrit les yeux et le vit, là, assis sur la chaise, près du lit. Il avait ôté son chapeau, l’avait posé au bout du lit. Il était beau, Billy aimait ses traits, même si c’étaient ceux d’un homme de cinquante ans. Il aimait ses yeux bleus, les petites rides dans leurs coins, son sourire léger, son air un peu farouche, un peu gauche, parfois. Son intelligence vive, sa perspicacité dès qu’on entrait dans son domaine : la paléontologie. Ils avaient ça en commun, ça les avait tout de suite rapprochés. Alan avait même accepté son goût pour les technologies nouvelles, il était curieux même, parfois, comme un gamin qui découvre quelque chose. Il se souvenait de l’imprimante 3D, de la chambre de résonance de vélociraptor, comme il avait soufflé dedans en le regardant. Il avait apprécié son sourire, son regard sur lui… Les secondes s’étaient écoulées, Alan l’observait silencieux. Billy se décida à parler, stupidement, il marmonna : « Vous êtes là… Le sourire de l’homme s’étira un peu plus. - Oui, comme tu le vois. C’était bête, maintenant, Billy ne savait plus quoi dire. Heureusement, Alan poursuivit : - Comment tu vas ? Le jeune homme eut une longue hésitation avant de répondre. - Aussi bien que possible. Il se passa une chose curieuse, depuis que le professeur était entré, Billy avait envie de hurler : « Je suis désolé, Alan ! » et, bizarrement, ce fut celui-ci qui dit : - Je suis désolé, Billy… Stupéfait, celui-ci resta d’abord sans voix, puis il protesta : - Désolé ? Désolé de quoi ?! - De t’avoir abandonné dans cette rivière, je n’aurais pas dû m’en aller, j’ai été lâche. - Non ! Alan, il fallait que vous partiez ! Ces monstres vous auraient attaqués, vous aussi, je voulais que vous vous sauviez ! - Il y avait tant de sang dans l’eau, j’ai vraiment cru que t’étais mort, Billy… - Je me suis cru mort aussi… - J’ai regretté mes dernières paroles, je les regrette encore… - Vos dernières paroles ont été « Ne fais pas ça, Billy ! » - Oui, c’est vrai, je ne voulais pas que tu risques ta vie… - Il fallait sauver Eric, c’était le seul moyen. Je devais le faire. - Tu voulais me montrer que tu étais quelqu’un de bien. - J’espère que j’y suis parvenu… - Oui… on fait tous des erreurs… - La mienne a eu des conséquences graves, vous auriez raison de me détester… - Billy… Le jeune homme sentit sa gorge se serrer, les larmes envahirent ses yeux, il lança la voix tremblante : - Udesky est mort à cause de moi ! Alan se rapprocha posa sa main sur une épaule. - Non, Billy, les vélociraptors l’ont tué, pas toi… - C’était ma faute, Alan, c’était ma faute ! Vous auriez pu tous mourir à cause de moi ! A présent, il pleurait, il ne parvenait plus à se contrôler, il continua : - J’ai mérité ma punition, je n’ai pas encore assez souffert pour expier ce que j’ai fait ! Je devrais être mort ! Alan, vous devriez me détester ! Alors, avec des gestes un peu gauches, le Dr Grant s’assit sur le lit pour prendre le jeune homme dans ses bras. Billy laissa couler ses larmes sur l’épaule rassurante. Alan lui pardonnait presque trop facilement du coup, il se faisait lui-même les reproches. Il resta là, échoué, à bout de souffrances et de remords. Alan laissa errer ses doigts dans les courts cheveux ondulés que le soleil avait décoloré. Il aimait Billy comme un fils, il aurait facilement pu l’être. Le voir souffrir lui faisait plus mal qu’il l’aurait cru. Il dit doucement : « Tu as fait une grosse bêtise, Billy, une très grosse bêtise, mais tu n’as tué personne. Tu m’as déçu, je t’en ai voulu, mais je ne t’ai jamais détesté, je ne te détesterai jamais. Tu es jeune, les jeunes font des erreurs, les vieux aussi, tu sais. Tu es comme un fils pour moi, un père ne déteste pas son enfant parce qu’il a fait une bêtise… Billy renifla contre le coton de la chemise, il bougonna : - Vous n’êtes pas mon père… - J’aurais été fier de l’être. Billy avait beau détester l’idée, il murmura quand même : - Merci, Alan… Le jeune homme serait bien resté là des heures, perdu dans la chaleur et l’odeur d’Alan. Mais celui-ci le repoussa doucement pour le remettre contre l’oreiller. - Ça va mieux ? En disant cela, il retourna sur sa chaise : Billy se sentit abandonné. Il essuya ses yeux avant de répondre. - Ça va aller… - Tant mieux, je ne suis pas très doué pour les câlins. - Dommage, pensa Billy, c’était un bon début… Comme il se taisait, le Dr Grant poursuivit : - Je t’ai ramener des affaires… Il montra un sac qu’il avait posé près du lit. - Vous êtes passé à Fort Peck Lake ? - Oui, tu y avais laissé quelques affaires… - Vous comptez reprendre le travail bientôt ? - Pas avant que tu ailles mieux, on fera ça ensemble. - C’est vrai ?! Billy souriait à pleines dents. - Bien sûr que c’est vrai, je ne peux pas me passer de mon meilleur assistant. Ah, s’il avait osé, s’il en avait eu la force, il l’aurait embrassé. Il promit : - Je vais me rétablir vite, Alan, je vous le promets. - Rien ne presse, les fossiles ne se sauveront pas… Comme le jeune homme le regardait avec cet air d’adoration qu’il avait toujours bien du mal à dissimuler, le professeur ajouta : - Dis-moi, Billy, comment t’es arrivé dans cet hélicoptère ? - Si vous avez un peu temps, je peux vous raconter ce dont je me souviens. - J’ai tout l’après-midi, Billy, si ça ne te rappelle pas de trop mauvais souvenirs ? - Non… c’est comme un long cauchemar, je suis réveillé maintenant… »
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