CHAPITRE 3
Tony était parti, il était tard, l’hôpital s’était endormi. La fièvre faisait trembler Buck, il claquait des dents. Bourré de paracétamol, il aurait fallu qu’il dorme. Seulement, il s’obstinait à garder les yeux ouverts, rivés au mur. Steve, lui, était fatigué. Il parlait dans le vide, l’autre ne répondait pas. Assis sur la chaise, près du lit, il luttait pour ne pas s’endormir. Un moment, il somnola quelques minutes, s’éveilla en sursaut. Son regard tomba sur son ami qui n’avait pas bougé d’un pouce. Il avait les joues rouges, il respirait rapidement, sa bouche tremblait. Steve s’attarda sur la lèvre supérieure, vulnérable et boudeuse. Il eut brusquement envie de l’attraper de le secouer, ou, peut-être tout simplement de le prendre dans ses bras, comme quand ils étaient gamins et que Buck craquait sous les coups de son père. Steve souffla : - Ça va, Bucky ? Celui-ci continua à l’ignorer. Steve hésita, réprimant l’élan de tendresse qui le tenaillait toujours. - Bucky ? Continua t-il, tu ne veux plus me parler ? » L’autre serra les dents. Il parut résister de longues secondes, puis des larmes envahirent son regard. Sans quitter le mur des yeux, il fut secoué de longs sanglots qu’il tentait dans des efforts désespérés de retenir. C’était poignant, il y avait tant de douleurs encaissées depuis des années qui ressurgissaient dans ce sanglot que Steve se leva d’un coup. Il tomba, plus qu’il s’assit sur le lit, le saisissant par les épaules pour tenter de l’obliger à le regarder. Têtu, l’autre garda la tête tournée vers le mur. Steve saisit la mâchoire butée entre ses doigts et tourna le visage vers lui. - Bucky ! Je suis là, Bucky, regarde-moi ! Bucky ! Le regard bleu très pur le regardait, à présent, les larmes contenues le faisait scintiller, elles s’échappèrent en silence, glissèrent sur les joues. Il murmura : - Si je ferme les yeux, je vais les voir… - Qui ça, Bucky ? - Tous les gens que j’ai tué, froidement, en les regardant dans les yeux… Ce fut au tour de Steve de craquer. - Oh, Bucky… soupira t-il. Il le saisit avec vigueur dans ses bras et l’y serra avec force. L’autre tomba contre lui, brûlant, réticent, mais incapable de résister. Ses mains finirent même par entourer son ami dans une étreinte farouche. Steve le pressa plus fort, Buck enfouit son visage dans son épaule, Steve lui caressa les cheveux. Des cheveux sombres, épais, redevenus courts. - Je vais rester là, promit-il, le temps qu’il faut… Buck rit dans son épaule en remarquant : - Ça risque de durer longtemps… - Tant pis, ça prendra le temps qu’il faut. Disant cela, il s’installa contre la tête du lit, le serrant et le gardant dans ses bras. Buck se laissa faire, la fièvre lui vrillait le crâne, il n’avait plus la force de se rebeller. - Tu te rappelles ?... Commença Steve. - Oui, fit l’autre. - Tu t’endormais contre moi quand on était gosses… - Tu étais le seul remède à mes cauchemars… - Déjà… soupira Steve. - C’était mon père, mes cauchemars… - Il te cognait tellement fort… Je me sentais tellement inutile… - Tu n’étais pas inutile. - Merci, ça me fait plaisir. Et maintenant, je pourrais être utile à quelque chose ? Il y eut un court silence, Buck finit par avouer : - Oui, Steve, je n’ai que toi… Ce dernier sourit, content. - Bucky, reprit-il, il y a un truc que je ne comprend pas, ça fait plus de deux ans maintenant que je t’ai retrouvé. Tu paraissais tenir le coup… Et là, depuis que tu es rentré du Wakanda, tout va mal, qu’est ce qui s’est passé ? - Mes émotions m’ont rattrapées… HYDRA m’avait programmé à ne plus rien ressentir… bien sûr, mes sentiments sont revenus par bribe quand je me suis retrouvé, quand je t’ai retrouvé… Toutefois, je restais froid, hermétique… Au Wakanda, ils m’ont déprogrammé… c’est une bonne chose et je les en remercie, plus personne ne pourra prendre le petit livre rouge et me faire faire tout ce qu’il veut… Malheureusement, il y a un bémol, je suis redevenu sensible… sensible à ce que j’ai fait, à toutes ces horreurs… et à toi, aussi… Steve sourit et plaisanta : - Oui, mais moi, ça ne te fait pas faire de cauchemars… Comme l’autre restait silencieux, il s’inquiéta : - Ça te fait faire des cauchemars ? - Non… souffla très bas Bucky. Steve curieux, vaguement amusé par la tournure des choses, continua : - Eh ! Ne me dit pas que tu rêves de moi ? - Je préfère rêver de toi que de certaines autres choses… Steve eut un rire bref. - Oui, j’imagine... Il hésita avant d’ajouter : - Je fais quoi, dans tes rêves ? Buck ne répondit pas, il se contenta de le serrer de toutes ses forces. Steve sourit. - C’est ça que je fais ? Interrogea t-il. Il sentit la tête sur son épaule dire oui, il poursuivit : - Donc, c’est des rêves agréables ? - Oui… fit encore la tête. - Alors fais-les, Bucky, ça ne me dérange pas. Rêve de moi tant que tu veux.. et essaies d’oublier le reste… si c’est possible. Buck revint sur la soirée de la veille : - Tu avais l’air si furieux… - Ne reviens plus là-dessus… - Je m’en voulais tellement, je me suis dit que si je mourais, tout ça serait enfin fini… - Je ne veux pas que tu meurs, idiot. - Je m’attendais à ce que tu me fasses plein de reproches, que tu me dises que j’étais répugnant… - N’importe quoi ! - Pardon, Steve… Celui-ci sentit que les bras de son ami se détendaient. Il regarda le visage sur son épaule, il dormait : les joues en feu, la bouche entrouverte. Comme ça, avec ses cheveux courts, il avait l’impression de retrouver le Bucky de 15 ans, avec, il est vrai, un peu de barbe en plus. Il sourit et murmura en fermant les yeux à son tour : - Tu es mon ami, idiot... » Tony avait passée une mauvaise nuit, tout le ramenait à Barnes au fait qu’il avait voulu le tuer. Assis devant sa tasse de café, il passa sa main sur son visage : « A quoi bon casser le fusil qui a tué… C’est pas lui le coupable, c’est celui qui le tient » Il se reprochait d’avoir réagit sans discernement… Le jour se levait à peine dehors, pourtant, il finit d’avaler son café et décida d’aller voir comment ça allait à l’hôpital. Les couloirs étaient déserts, il regarda sa montre, remonta le sac à dos qu’il portait sur une épaule : il n’était pas encore sept heures. Il croisa une infirmière qui lui sourit largement en remarquant : « Vous êtes matinal Mr Stark, on n’a pas encore servi les petits-déjeuners ! - Vous inquiétez pas ! Je me ferais tout petit ! » Il s’arrêta devant la porte, frappa, personne ne répondit. Il ouvrit sans bruit, entra dans la pièce : son regard tomba sur le lit. Il resta la bouche ouverte quelques secondes puis la referma en levant un sourcil étonné. Les deux autres qui s’étaient endormis à plus de quatre heures du matin, n’avaient pas bougés. Steve était toujours assis contre l’oreiller, le nez en l’air : il ronflait. Contre lui, entre ses bras, jambes repliées, le nez dans son cou, Buck l’enlaçait, endormi lui aussi. Tony alla s’asseoir près de la fenêtre. Cependant, ce ne fut pas par le vitre qu’il regarda. Il laissa errer son regard un peu amusé sur les deux hommes endormis. Il se demanda s’il ferait ça avec Rodey, si celui-ci était très très malheureux… non, décidément, non… il ne le prendrait pas dans ses bras… du moins pas de cette façon. Il y avait un truc bizarre avec ces deux là. Buck l’avait bien compris… mais Steve, lui, où en était-il avec tout ça… La porte s’ouvrit, une jeune fille apportait le petit-déjeuner sur un plateau. Tout comme l’avait fait Stark, elle s’arrêta net, observa les deux dormeurs puis posa son regard sur Tony. Il lui fit « chut... » en appuyant un doigt sur ses lèvres. Elle sourit en posant le plateau sur la table avant de s’éloigner en remarquant tout bas : « Ils sont trop mignons... La porte se referma doucement, Stark rectifia : - Ils sont trop bizarres... » Une demi-heure s’écoula. Ce fut Steve qui s’éveilla le premier. Il ouvrit les yeux, regarda le plafond, baissa la tête : son regard tomba sur les cheveux de Buck. Il évita de bouger pour ne pas le réveiller. Il se contenta de lever le bras pour se frotter les yeux puis regarder l’heure à son poignet. Ceci fait, il reposa doucement sa main sur le bras de son ami. Il tourna la tête, apercevant Tony, il sursauta : «Tony, qu’est ce que vous foutez là ? L’autre sourit. - Je vous retourne la question : et vous ? qu’est ce que vous foutez là ? - Je dormais… bougonna Steve. - C’est ce que j’ai vu… Il observa Buck avant d’ajouter : - Il va mieux ? - Je ne sais pas, avoua t-il, il a craqué en tout cas… - C’est pour ça que vous êtes là ? - A votre avis ? Tony le dévisagea, les sourcils froncées, songeur. Steve sourit puis poursuivit visiblement amusé : - J’ai l’impression d’avoir de nouveau quatorze ans… - Vous faisiez ça, à quatorze ans ? - Je vous ai dit que son père le tabassait… - Oui. - Quand il craquait, ça finissait souvent comme ça… - Votre mère, elle ne disait rien ?! - Non, elle disait que tout grand et fort qu’était Buck il avait besoin du petit Steve. - Et le « petit Steve » il était content de lui ?! - Oui, j’étais fier de pouvoir l’aider… - Et vous avez joué à ça longtemps !? - Jusqu’à ce que son père cesse de le cogner, il avait quinze ans… - Les chagrins d’amour ne le menaient pas dans votre lit, eux ? - Non, quand même pas… il pleurait sur mon épaule, c’est tout… il ne venait plus passé la nuit chez moi. Il a juste voulu le refaire le jour… - Hum ? Interrogea Tony. - Le jour de l’enterrement de ma mère… j’avais dix-huit ans… J’ai préféré rester seul. - Vous êtes bizarres tous les deux... Steve allait répliquer or, au même moment, son ami sursauta contre lui, il l’entendit marmonner : - Non, je ne veux pas… Il le secoua doucement. - Bucky ! Réveille-toi ! L’autre releva brusquement la tête, ses yeux tombèrent sur Steve: - Steve… fit-il, comme s’il voyait un revenant. Steve sourit avant de s’extirper du lit et remarquant : - Bah oui, qui veux-tu que ce soit ! Il s’étira de tout son long. Tony vit le regard encore embué de sommeil de Buck s’attarder sur le long corps élégant. Il se troubla soudain et détourna le regard rapidement. Steve, qui décidément ne voyait rien, lui ébouriffa les cheveux en plaisantant : - Ne compte pas me faire dormir dans ton lit toutes les nuits ! Bucky se recroquevilla dans un coin du lit avec un air de chien battu. Steve regretta ses paroles, il lui secoua l’épaule : - Mais s’il le faut vraiment, je le ferais… - Non, ça vaut mieux pas… bougonna Buck. Steve passa encore sa mains dans les cheveux courts. Ensuite, il disparut dans la salle de bain. Le regard de Buck tomba sur Tony : - Vous êtes là, vous… - Ça t’embête ? - J’m’en fous… Tony sourit. - Charmant, moi qui pensait te faire plaisir. Buck le scruta d’un regard sombre, Stark continua : - Tu ne m’aimes pas, hein ? - Vous avez voulu me tuer… - Rancunier ? - Non, pas vraiment. - Alors fais pas cette tête là ! À chaque fois que tu me regardes on croirait que tes yeux lancent des éclairs ! Il eut un petit mouvement amusé de la tête et ajouta : - Pas comme quand tu regardes Steve… - Vous n’êtes pas Steve ! - Non, le seul point en commun que j’ai avec lui c’est que je veux t’aider aussi. - Pourquoi vous voulez m’aider ? - Parce que je t’aime bien. Buck avait l’air de ne pas trop y croire. Tony s’énerva : - Bon, j’ai essayé de te tuer ! Ok ! Je regrette, je te l’ai déjà dit, alors on n’en parle plus… Buck resta silencieux. - Buck, fit Tony en rapprochant sa chaise du lit, il t’aime le grand imbécile dans la salle de bain, et pas comme il le croit. L’autre fixait le mur d’en face silencieux. Tony s’écria en lui tapant sur la tête : - Mais arrête de fixer ce mur ! Quand il l’eut obligé à se tourner vers lui, il continua : - Il t’aime bien plus qu’il ne le croit, il faudrait juste qu’il en prenne conscience. - Je ne suis pas certain de vous croire… - C’est ce qu’on verra… Steve ressortit de la salle de bain, il s’était rafraîchi le visage, ses cheveux étaient un peu mouillés. De nouveau, le regard de Buck s’attarda sur lui. Il prit le plateau et vint se rasseoir sur le lit en le posant sur ses genoux : - Alors, dit-il, qu’est ce qu’on a là ? Des œufs, du bacon, un yaourt, une banane et un jus d’orange… C’est bon tout ça… allez assis et mange. L’autre obéit sans conviction et s’empara de la banane. Steve lui arracha des mains : - Non, pas ça en premier ! Il poussa les œufs aux plat sous le nez de son ami qui bougonna comme une évidence : - Steve ! - T’aime toujours pas ça ! Bon, en plus il sont froids. Donne, moi ça ne me dérange pas. Mange le bacon… Il engouffra les œufs pendant que Buck mangeait le bacon avec beaucoup moins d’appétit. Alors dit Steve en s’adressant à Tony : - Qu’est que qui nous vaut votre visite si tôt le matin ? - Rien de particulier, je n’arrivais pas à dormir… - Vous avez déjeuner ? - J’ai pris un café… Steve avala une dernière bouchée. - Pourquoi vous n’arriviez pas à dormir ? - Je pensais à Barnes. - Hum ? s’étonna Steve, pourquoi ? - Je ne sais pas… peut-être parce que j’ai essayé de le tuer et que je me le reproche un peu. - C’est gentil ça… Il ouvrit le yaourt pour le poser devant Buck. - Tiens, mange ça, je crois me souvenir que t’aime bien. Il enfonça la cuiller dans le pot puis se tourna de nouveau vers Stark : - Je vais devoir m’absenter dans la matinée, vous pourrez rester un peu avec lui. - Je peux rester seul, s’indigna Buck. - Non, j’aurais trop peur qu’il te prenne l’idée de passer à travers la vitre. - Mais non, Steve… - Je resterais avec lui, accepta Tony. Buck lui jeta l’un de ses regards noirs. Stark remarqua : - Steve, si votre ami avait des poignards à la place des yeux je serais mort plusieurs fois en 24 heures… Steve se leva pour prendre son blouson. - J’ai rendez-vous à 9 heures à l’autre bout de la ville, je file… Bucky… Il le regarda longuement, ouvrit la porte puis lança avant de disparaître : - Sois sage, je reviens ! » Buck mangea la banane, avala le jus d’orange puis, poussant résolument les couvertures, il s’assit sur le bord du lit. Il portait une longue chemise bleue d’hôpital, il avait toujours son regard sombre et ses lèvres boudeuses. Tony prit le sac qu’il avait posé à ses pieds et le fit glisser jusqu’au lit : « Tiens, dit-il, Steve m’avait demandé de te ramener des fringues, les tiens étaient un peu tachés… L’autre bougonna un merci puis s’empara du sac avant de disparaître dans la salle de bain. Tony se dit que s’il comptait s’en faire un ami, c’était pas gagné. Il se leva enfonça ses mains dans ses poches et observa le soleil qui éclairait la ville. Les grands immeubles miroitaient sous le ciel bleu, un gros oiseau passa devant la fenêtre. Les minutes défilèrent, il demeurait dans ses pensées. Ce fut le bruit d’une chute dans la salle de bain qui le tira de ses réflexions. Il se dépêcha d’aller ouvrir la porte. Buck était pieds nus, habillé du jean sombre et du tee shirt noir à manches longues qu’il lui avait apporté, seulement il était tombé sur les fesses entre le lavabo et les toilettes. Tony éclata de rire devant son air furieux. Il lui tendit la main en remarquant : « Pas encore la grande forme à ce que je vois… allez viens… » Il l’aida à se remettre sur ses pieds. Buck avait le visage et les cheveux mouillés, le robinet coulait. Tony stoppa l’eau et lui tendit une serviette. Il s’essuya le visage, jeta la serviette sur le lavabo, passa une main dans ses cheveux humides, puis au moment de faire un pas en direction de la chambre, il s’accrocha à l’épaule de Stark, celui-ci observa : « Bon, je crois qu’il vaut mieux que tu retournes au lit ! Buck s’allongea à nouveau sur le lit, par dessus les couvertures cette fois : Là, il fixa les yeux sur le plafond blanc. Stark soupira : - Ça t’arrive de sourire, d’arrêter de faire la gueule ! - Non. - Bon, ça va, j’en ai marre, lança Tony. Il se dirigea vers la sortie avec un mouvement d’impatience. - Je me casse ! Continua t-il, jette-toi par le fenêtre si ça t’amuse, j’m’en tape ! Il espérait que cela fisse réagir le boudeur, malheureusement, ce fut un coup d’épée dans l’eau. Il soupira, referma la porte qu’il avait commencé à ouvrir puis vint s’asseoir sur le bord du lit. - Non, dit-il, j’ai promis de rester, je reste. On va parler tous les deux. - J’ai pas envie. - Je m’en fous, mon p’tit gars… - Je ne suis pas votre petit gars ! Tony haussa les épaules : - Je trouvait ça mignon, mais bon, si ça te plaît pas, on oublie… L’autre le foudroya du regard. - Ah non ! Ça suffit, tu arrêtes de me regarder comme ça ! Il observa le regard bleu qui fixait de nouveau le plafond et continua : - Oui, c’est mieux comme ça, regarde le plafond et répond juste à mes questions. Buck poussa un gros soupir, Tony poursuivit : - Tu comptes faire quoi quand tu auras repris des forces. - M’en aller. - T’en aller où ? - J’en sais rien. - Tu comptes te planquer dans des endroits peu fréquentables et finir ta vie comme ça ? - Ça ne vous regarde pas. - Je m’intéresse à toi, donc, ça me regarde. Comme l’autre lui lançait un nouveau regard assassin, il secoua la tête en montrant le plafond : - Non, non, non, pas de ça avec moi, tu regardes le plafond. Buck obéit en haussant les épaules. Stark reprit : - Et Steve, tu le laisses tomber, comme ça ?! - C’est mieux pour lui. - Ça c’est toi qui le dit ! Je ne suis pas d’accord, il a tout fait pour te tirer de la mélasse dans laquelle t’étais englué. Et, comme ça, tu voudrais le laisser tomber ! - Il n’a pas besoin de moi, c’est moi qui aie besoin de lui… - C’est pour te rassurer que tu dis ça ? - J’en sais rien. - Quand tu sais pas quoi répondre tu dis « j’en sais rien », c’est peut-être pratique pour toi mais agaçant pour les autres. Buck poussa de nouveau un profond soupir. Tony s’impatienta : - Allez, j’en ai marre de tourner en rond, on va aller droit au but. Tu veux te le faire oui ou non ? Son interlocuteur sursauta, fixa sur lui des yeux écarquillés et s’offusqua : - Mais vous êtes un grand malade ! Tony rit. - C’est marrant, remarqua t-il, quand on parle de ça clairement, tu prends toujours cet air choqué, comme si tu étais un saint ! j’ai vu la façon que tu as de le regarder, me prend pas pour un imbécile, ta passion pour lui n’a rien de platonique ! - Merde. - Charmante conversation. On ne dit pas de gros, ordre du Captain, ensuite, sois un peu franc avec toi-même, tu n’as pas du tout envie de partir loin de lui, ce que tu voudrais, c’est le mettre dans ton lit. - Je me dégoûte… - Revoilà les grands mots. T’es chiant Barnes ! Tu m’emmerdes ! - Pas de gros mots. - Tiens, tu fais de l’humour maintenant ! Buck se redressa brusquement. Il s’assit face à Tony et répliqua : - Avoir envie de faire certaines choses ne veut pas dire qu’on est obligé de les faire ! je ne sais pas pourquoi Steve me fait cet effet là, j’ai toujours essayé de me battre contre ça. Il m’a toujours attiré mais, en plus, il a fallu qu’il devienne beau comme un dieu ! c’était de plus en plus difficile de me débattre avec ça ! Merde ! Stark ! Steve aime les filles ! Tony eut un sourire bizarre, il posa juste une courte question qui laissa l’autre un peu embarrassé : - Et toi ? t’aime les garçons ? Buck mit quelques secondes avant de répondre : - Non, à part Steve… - Réfléchis, pour te changer les idées, avec qui tu couchais, avec des filles ou des garçons ? - Des filles… - Pourquoi ? Question de facilité ou question de goût ? - J’en sais rien. - Ah ! La fameuse réponse… Buck s’allongea de nouveau contre l’oreiller : - Lâchez-moi, j’ai mal au crâne. Tony tendit la main pour toucher le front, l’autre écarta les doigts avec mauvaise humeur. Stark remarqua : - Pas de fièvre. C’est juste la rage qui te monte au cerveau. Buck haussa les épaules, Tony continua plus sérieusement : - Tu es amoureux, Buck, ça n’a rien de dégoûtant. Et, ce qui est le plus beau dans tout ça, c’est que depuis toutes ces années, tu as toujours aimé la même personne, moi, perso, je trouve ça admirable. Il y eut une lueur triste au fond des yeux bleus : - HYDRA avait réussi à me le faire oublier, j’ai même essayé de le tuer… - Ça c’est un autre problème, tu le sais… - Oui… Je l’ai reconnu pourtant je frappais quand même, il a failli se noyer à cause de moi… Il y avait des larmes dans les yeux bleus. - Tu l’as sauvé parce que tu l’as reconnu, donc tu ne l’avais pas vraiment oublié. - Non, je n’ai jamais rien oublié. HYDRA n’a jamais réussi à effacer ma mémoire, il l’a juste noyée sous un tas d’horreur et de souffrances… dès qu’ils ne m’ont plus passé le cerveau dans leur horrible machine, mes souvenirs sont revenus, il m’a suffi d’une balade au musée pour me souvenir de tout… - Et s’il t’aimait aussi ? - Il m’aime à sa façon. - Tu ne préférerais pas qu’il t’aime à ta façon à toi. - C’est impossible, c’est Steve. - Essaie au moins ! - Non ! c’est mon seul ami ! Je ne veux pas le perdre ! - Si tu t’en va, tu le perdras de toute manière. - Il sera toujours mon ami, même loin de moi. - Il y a un moyen de tester ses sentiments. Buck haussa les épaules encore une fois : - J’ai déjà essayé, j’ai sorti avec toutes les filles possibles et imaginables, il s’en fichait… - Oui, parce que c’était des filles, il restait ton seul ami. Essaie avec un mec. - Pardon ? Vous n’allez pas bien ! - Reste un peu avec nous, laisse-moi te tourner autour et on verra comment il réagi. - Stark vous êtes un grand détraqué ! - Je préviendrai juste Pepper, évidemment, je ne voudrais pas qu’elle croit… enfin tu vois ce que je veux dire… - C’est n’importe quoi ! - Non, c’est le seul moyen de décrotter ton Steve. Pour la première fois, Tony vit un début de sourire sur le visage qui se tourna vers lui. - Tony, vous êtes vraiment sérieux là ? - Oui, si tu joues le jeu, je joue le jeu. Le sourire hésita, s’accentua, Finalement, Buck lui tendit la main droite. - Ok, dit-il, ça marche... Tony serra les doigts entre les siens, Buck ajouta : - Si ça rate, je partirai… - On est amis alors ? - Oui, on est amis... » Steve revint vers midi. Il trouva les deux autres en train de parler, Buck souriait. Il remarqua : « Eh bien, ça a l’air d’aller mieux ! Tony ébouriffa les cheveux sombres. - On a fini par s’entendre… Steve parut satisfait. Il reprit : - J’ai une bonne nouvelle, le médecin t’autorise à sortir… - Tout de suite ? - Après mangé. - Tu feras gaffe, prévint Tony, tout à l’heure il s’est étalé dans la salle de bain. J’ai dû le porter comme un bébé jusqu’au lit. - Tu n’exagérerais pas un peu là ? Douta Steve. - Juste un peu, fit Tony en se dirigeant vers la porte. Il lui tapa sur l’épaule, puis lança à Buck avec un petit signe de la main : - Au fait, j’ai pensé à faire nettoyer le carrelage de ta salle de bain, salut p’tite tête ! Buck le suivit des yeux, pensif, un vague sourire sur les lèvres. Steve s’assit près de lui : - Eh bien, remarqua t-il, vous vous entendez bien finalement… Tu t’es vraiment évanoui dans la salle de bain ? - Non, c’est juste mes jambes qui ne faisaient pas ce que je voulais, il m’a aidé à revenir jusqu’ici, c’est tout. - Bon, je ferai gaffe de ne pas te perdre en route en allant à la voiture… Il poussa une mèche qui tombait sur le front de son ami avant de continuer : - En tout cas, je vois qu’il a réussi à te faire sourire. - Oui, je l’aime bien, finalement. Steve lui souriait doucement. Le regard de Buck se troubla, il tourna la tête vers la fenêtre pour y perdre ses yeux bleus. L’autre ramena le menton vers lui en disant : - Tu peux me regarder en face, Bucky, même si je ne pense pas pouvoir répondre à tes sentiments, je tiens à toi à ma façon, je serais toujours ton ami. - Tu ne penses pas… répéta tristement Buck. - Non, je ne pense pas. - Je le sais bien, Steve, c’est pour ça que je ne voulais pas t’imposer ma présence après tout ça… - Après tout ça quoi !? Rien a changé pour moi, Bucky… - Tu es bien resté le gentil petit gars de Brooklyn. - Tu pourras toujours appuyer ta tête sur mon épaule si ça ne va pas, je te le promets. Buck renifla et fronça le nez. - Arrête, lui reprocha t-il, tu vas me faire pleurer… Steve rit. - Non, c’est pas le but, t’as assez versé de larmes comme ça. Tiens regarde ce que j’ai pris au distributeur pour toi ! Il mit la main dans la poche de son blouson pour en sortir une barre chocolaté. Il la posa sur la table de chevet avant d’ajouter : - Un peu de sucre ne te fera pas de mal… Je me souviens d’un Bucky qui aimait bien le chocolat. - Ça ne m’a pas quitté… - Il y en avait sur ton frigo quand je t’ai retrouvé à Bucarest… il y avait aussi une photo de moi dans ton agenda. - Je l’avais eue au musée… J’ai eu souvent envie de te revoir… - Je t’ai cherché avec Wilson… - Je changeais de place régulièrement, c’était plus sûr. - Tu n’avais pas confiance en moi ? - Je me méfiais de tout et, quand on voit ce qui c’est passé, je me dis que j’avais raison. - Je ne t’ai pas laissé tombé à Bucarest, Bucky, je ne te laisserai pas tomber aujourd’hui. Buck détourna de nouveau son regard. Steve laissa courir ses yeux sur le profil fin et la lippe de la lèvre supérieure. Il continua : - Tu te souviens de ce gros baraqué qui m’avait pris en grippe ? - Oui, Terry.. - C’est ça… Combien de raclé t’as pris en voulant me défendre ? - J’ai pas compté… Il était plus fort que moi, mais je me défendais bien. - Mieux que moi, ça c’est sûr… - Il faisait une tête de plus que toi, Steve, et cinquante kilos de plus ! - Oui, c’était un sacré gabarit. On avait quoi, seize ans ? - A peu près… - Chaque fois que je sortais de chez moi, reprit Steve, j’avais l’impression qu’il était là à m’attendre… - Quel abruti… il n’avait rien d’autre à faire qu’à s’en prendre à plus petit que lui… c’est toi qui l’a eu finalement... - Je lui ai écrasé une brique sur la tête pour qu’il te lâche, il t’étranglait… - Oui, reconnu Buck, j’en ai encore mal à la pomme d’Adam. Il rit, Steve ajouta plus sérieusement : - J’aurais pu le tuer… - Lui aussi aurait pu me tuer, je n’arrivais plus à respirer ! - Quand même, une brique, j’y étais allé un peu fort ! - Penses-tu ! Il n’est pas mort ! il a juste disparu de la circulation. - Tu l’as revu après ça ? - Non. - Il est peut-être mort, on s’est sauvé, on l’a laissé sur le pavé. - Quelle idée ! s’il était mort ça aurait fait suffisamment de bruit dans le quartier pour qu’on le sache ! - T’as sûrement raison, de toute façon, aujourd’hui, il est mort, ça c’est certain. Ils restèrent à se regarder longtemps, retrouvant probablement les traits des gamins qu’il étaient alors. Buck baissa les yeux le premier, Steve remarqua : - Tu n’as pas changé, Bucky, depuis que tu as coupé tes cheveux j’ai l’impression de te retrouvé comme avant. L’autre releva la tête avec un sourire vague : - Toi, tu as changé, dit-il, physiquement, tu as beaucoup changé… Steve sentit un malaise bizarre l’envahir. Une pression dans l’estomac, un coup de chaleur. Était-ce les yeux bleus de Buck qui lui faisaient cet effet là ? Était-ce le son de sa voix, la mèche rebelle qui glissait sur son front ? Il se leva brusquement puis se dirigea vers la fenêtre afin d’aller regarder dehors. Buck demanda : - Ça va Steve ? j’ai dit un truc qui fallait pas ? - Non, pourquoi ? Répondit-il l’air faussement dégagé, je me suis juste un peu empêtrer les pieds dans mes souvenirs… - C’est loin, tout ça… - Pour moi, c’est comme si c’était hier. - Steve… ? - Oui ? - Je déteste ce que j’ai vécu en Sibérie et pourtant c’est ce qui m’a permis d’être là, avec toi… - Je déteste que tu sois tombé du train… et pourtant… Il n’avait pas vraiment besoin de finir sa phrase : Buck avait compris. Ils ne parlèrent plus, une jeune fille apporta le repas de midi. Steve en profita pour sortir dans le couloir en décrétant : - Je vais me chercher un sandwich, j’ai faim... » Il n’avait pas faim, il avait besoin de prendre l’air… Le soir, Bucky avait retrouvé sa chambre. Il resta un moment dans la salle de bain. Le carrelage était de nouveau blanc, le lavabo impeccable, le miroir entier. Il croisa son visage dans le reflet de la glace : il ne savait plus vraiment qui il était. Maintenant qu’il avait coupé ses cheveux était-il redevenu Bucky Barnes ? Où, au fond de lui, était-il encore le soldat de l’hiver ? Ses yeux tombèrent sur son bras bionique, il n’y avait plus d’étoile sur ce bras là… Au Wakanda, on l’avait nommé le loup blanc, mais ici, ce surnom lui paraissait inapproprié. Il ne voulait plus être ni l’un, ni l’autre : il voulait redevenir, Bucky. Ne plus être ni loup, ni soldat. Vivre, ou tenter de vivre, malgré les images, les souvenirs qui hantaient son esprit. Était-ce possible après tant d’horreur ? Rien n’était moins certains, car en redevenant Bucky Barnes il retrouvait la sensibilité du jeune homme qu’il était. Courageux, généreux, un peu tendre aussi… Et malheureusement, très amoureux… Il secoua la tête, pourquoi venait-il de penser ça ? Ça n’avait rien à foutre là ! Pourtant, en y songeant, c’était à sa place : c’était revenu avec le reste, rendant son existence insupportable, et, toutefois, lui donnant un but. Mais quel but ? Tony Stark avait beau dire, Steve était trop bien, trop parfait pour pouvoir espérer le voir répondre à ses sentiments. Il savait qu’il lui faudrait partir bientôt, même si cela lui arrachait le cœur… Il alla s’asseoir sur son lit. Il avait passé la soirée avec Tony et Steve. Tous les autres étaient partis de leur côté. Baner était partit avec Natasha, Clint avait rejoint sa femme et ses enfants, emmenant Wanda avec lui. Peter vivait toujours chez sa tante, Sam avait retrouvé son appartement. Rodey était à New-York. Thor avait disparu sans adresse et Pepper serait absente plusieurs semaine. Le quartier général était calme, juste peuplé de son petit personnel habituel. Tony, lui, avait du travail. Il avait toujours un tas d’idées, de nouvelles inventions à mettre au point. En l’absence de Pepper, il allait certainement passer beaucoup de temps dans son atelier. Steve attendait un coup de fil de Nick Fury pour savoir ce qu’il ferait ces prochains jours. Bucky, lui, n’attendait rien. Il ne savait ni quoi faire, ni où aller, il était perdu, sans point de repère. Plus d’ordre, plus de mission, plus besoin de se cacher. Il lui restait juste l’envie de s’échapper, de fuir loin de ce qui le torturait. Seulement, fuir toujours, était-ce une solution ? Non, peut-être pas… Cependant, il n’avait trouvé que celle-là… Il sortit dans le couloir. Dans la chambre, il étouffait. Il appuya son dos au mur, près de la porte voisine qui le séparait de Steve. Il était monté se coucher en même temps que lui, donc il était là, juste derrière ce mur : Buck l’entendait parler, au téléphone certainement. Il tendit l’oreille : avec qui parlait-il ? Nick Fury… non pas à cette heure-ci. Sharon probablement, c’était d’ailleurs ce qu’indiquait le ton de la conversation. Il ne saisissait pas ce qu’ils disaient, juste la voix indistincte de son ami : grave, étouffée par l’épaisseur du mur. Il soupira, une douleur lui serrait la poitrine : il était jaloux. Cette fille, c’était la fille, celle qui comme Peggy Carter risquait de prendre toute la place dans le cœur de son ami. Il partirait, ce serait mieux pour lui, pour Steve aussi, afin qu’il fasse sa vie tranquille. Il avait le droit d’avoir une femme, des enfants, tout ce que l’existence lui avait refusé jusqu’alors. Lui s’enterrerait quelque part… Décidément, il aurait mieux valu qu’il meure. Il se laissa glisser le long du mur pour tomber assis sur la moquette du couloir. Il fourra sa tête dans ses genoux relevés, les entoura de ses bras et, le visage ainsi caché, il laissa la douleur qui lui tenaillait la poitrine l’envahir tout entier. Sa gorge se serra, résista, tenta de ravaler toute cette douleur monstrueuse avant de s’abandonner au chagrin. Il pleura dans ses genoux, entre ses bras nerveux, il pleura pour essayer d’avoir moins mal. Malheureusement, tout ça était sans fin, sans solutions. Et puis, au fond de lui, une petite voix soufflait : « Tu mérites de souffrir, assassin… assassin… De plus en plus fort, la voix criait à présent : assassin ! Il revoyait tous ces gens qu’il avait tué. Les surprenant dans leur sommeil, pendant un repas, en voiture, en promenade avec leur famille. Il avait tué des hommes et des femmes sans défense, des enfants. Il les avait tué sans remords, froidement, comme s’il c’était agi d’objets à faire disparaître, de choses sans importance. Il leur avait tiré une balle dans la tête, les avait étranglés, assommés, torturés, noyés, jetés d’une fenêtre, d’une voiture, d’un pont. Leurs regards effarés le poursuivait, pendant plus de cinquante ans il avait été une machine à tuer. Une main d’acier, sans cœur, sans âme. Il devait vivre avec ça, dormir avec ça. Partager ses nuits avec toutes ses pauvres victimes qui hurlaient autour de lui. Son crâne ne supportaient plus leurs hurlements. Il se boucha les oreilles à deux mains, il avait l’impression qu’ils le serraient, l’étouffaient. Sa tête lui sembla prête à exploser, il voulait qu’ils partent, qu’on le laisse enfin tranquille, pourquoi lui avait-on fait faire tout ça ? il n’avait rien demandé, rien demandé à personne… Il sortit la tête de ses bras, l’appuya contre le mur puis cogna l’arrière de crâne contre la paroi. Oublier, oublier… le visage couvert de larmes, il voulait les chasser. Chasser tous ces visages assassinés, trucidés… Il avait besoin d’aide, il n’y arrivait pas tout seul, c’était trop difficile. Il cogna encore sa tête contre le mur et appela : « Steve ! Sa voix lui parut lointaine et discordante. Cependant, la porte s’ouvrit rapidement devant son ami qui regarda à droite, à gauche, le vit et vint s’agenouiller près de lui. Il posa ses mains sur ses épaules : « Bucky ! s’inquiéta t-il, qu’est ce que tu fais là… Qu’est ce qui t’arrive ? - Steve ! Pourquoi on m’a fait faire ça ! Hein ? On ne m’a pas laisser le choix. On m’a dit « tue ! » et moi j’ai tué, assassiné, torturé ! Steve ! Tout ces gens que j’ai tué, ils me poursuivront toujours, ils sont dans ma tête, ils hurlent… Le visage ravagé par les larmes, il avait l’air d’un petit garçon désespéré : le Bucky que son père frappait n’était pas si loin, Steve le retrouvait dans ce regard affolé qui cherchait un peu de réconfort. Il l’aida à se relever : - Viens, Bucky, ne restons pas dans le couloir, viens, ça va aller… Il le fit entrer dans sa chambre, claqua la porte du pied puis l’amena jusqu’au lit où il le fit asseoir. Il s’installa près de lui, l’entoura d’un bras. L’autre avait de nouveau enfouit son visage dans ses mains. - Bucky, fit Steve, pourquoi t’étais dans le couloir ? - Je ne sais plus… - Oui, tu sais. - Je crois que je voulais me rapprocher de toi… - Ok… et après, qu’est ce qui t’as mis dans cet état là ? - C’est comme quand je m’endors… je crois que j’ai commencé à m’endormir… Je ne veux plus dormir, Steve… chaque fois c’est pareil. J’ai fais des choses, Steve… des choses tellement moches… je vois tout ça quand je ferme les yeux. Il y a une petite fille qui me dit « Pitié Monsieur... » Je lui écrase la figure avec mon poing, Steve ! Elle avait de grands yeux bleus qui suppliaient et moi, je lui écrase la figure avec mon poing ! - Arrête Bucky, je t’en prie… - Steve ! Tu t’imagines pendant cinquante ans toutes les horreurs qu’ils m’ont fait exécuter ! Une maman m’a supplié d’épargner son bébé… je les ai massacrés tous les deux… j’entends leurs cris… j’entends leurs cris dans ma tête tout le temps et, quand je ferme les yeux, c’est pire… Il y a eux, tous les autres… des dizaines ! Steve ! Il n’aurait finalement pas fallu me déprogrammer ! Un être humain ne peut pas supporter de vivre avec ça ! j’y arriverai pas, Steve ! j’y arriverai pas ! Steve le prit dans ses bras, qu’aurait-il pu faire d’autre ? Le laisser seul avec ces monstrueux souvenirs qui le hantait ? Non. Il le serra contre sa poitrine l’enveloppant entre ses bras. L’autre fourra son nez contre sa chemise en pleurant. Steve posa sa joue sur les cheveux sombres. Ils lui chatouillaient la joue, ils sentait le gel douche. - Bucky, souffla t-il, à cause de moi, des gens sont morts aussi… - C’est pas pareil ! Tu ne les as pas tués de tes propres mains en les regardant dans les yeux ! - Non… c’est vrai. Mais ce n’était pas toi, Bucky, tu le sais… - Oui c’était moi… - Non, HYDRA t’as torturé pour t’obliger à faire toutes ces choses, c’est HYDRA qui a tué tous ces gens, pas toi. - Va le dire à leur famille, à ceux qui les aimaient ! - Tony a fini par le comprendre. - J’ai tué ses parents. - HYDRA a tué ses parents, rectifia Steve. - Je travaillais pour eux, je faisais le sale boulot ! - Tu ne savais même plus qui tu étais ! Ils avaient effacé ta mémoire… Bucky ! Seul HYDRA est coupable ! - J’aimerais pouvoir le croire… - Tu étais une arme, Bucky, ils se sont servis de toi, si ça n’avait pas été toi, ça aurait été un autre… tu étais l’arme d’HYDRA … tu n’es pas un tueur, Bucky, tu es une victime. La façon dont tu réagis le prouve d’ailleurs. - Mais comment vivre avec ça, Steve… - Je ne sais pas, Bucky, je ne sais pas comment t’aider. Je me sens inutile comme au temps où ton vieux te cognait… - J’étais un gamin, et pourtant le mauvais sort s’en prenait déjà à moi… Si je t’avais pas eu à cette époque j’aurais sans doute fini par me jeter d’un pont… - Ne dis pas ça… je t’ai toujours pris pour un mec solide… - Ça casse le mythe. - Non, Bucky, Tu avais bon cœur… J’imagine bien que ce que tu vis est particulièrement difficile… Buck repoussa doucement Steve. - Ça va aller, dit-il, je vais retourner dans ma chambre. Steve le retint. - Reste, ça ne me gêne pas… Ne pars pas avec ces idées là dans la tête… tu peux dormir dans mon lit, je me contenterai du fauteuil… Buck se dit qu’il préférerait qu’il partage le lit avec lui. Il secoua la tête pour chasser l’idée : - Non, Steve, décréta t-il, ce serait idiot… Il voulut se lever. Steve l’attrapa, le jeta à plat dos sur le lit puis, une main sur sa poitrine, il le retint en décidant : - Non, tu restes là ! Sous ses doigts, il sentit le cœur de son ami battre plus vite, il se rendait bien compte de l’effet qu’il produisait sur lui. Il ôta rapidement sa main et prit ses distances : - Ok, fit-il en s’asseyant sur le bord du lit, tu restes là. Je vais mettre un film, on va le regarder ensemble. Ensuite, si ça va mieux, tu pourras retourner dans ta chambre. On est d’accord ? Buck maîtrisa sa respiration qui s’emballait, ravala la boule qui s’était formée dans sa gorge et accepta d’une voix qui lui parut bizarre : - Ok, Steve, comme tu veux… Celui-ci laissa quelques secondes ses yeux errer sur son ami. Il le vit rougir, regarder ailleurs : il devinait du désir dans ce regard. C’était troublant, électrisant de l’avoir touché, poussé sur le lit. Steve se rendait compte qu’il n’était pas indifférent à Buck, la lueur sensuelle au fond des yeux bleus venait de le troubler plus qu’il n’aurait voulu, même le précédent contact de ses doigts sur la poitrine, le cœur battant sous sa paume, lui laissait une sensation bien plus déconcertante que prévu… Buck s’installa contre l’oreiller d’un côté du lit. Steve glissa un DVD dans le lecteur puis lança la boite vide à son ami en disant : « J’aime bien ce film, tu connais ? L’autre attrapa la boite de Forrest Gump et fit signe que non. - Un chouette film… continua Steve. Il hésita entre le fauteuil et la place libre près de Buck. Finalement, il ramassa le second oreiller, le posa contre la tête de lit et s’installa près de son compagnon. Il n’allait pas le laisser tomber parce que, tout à coup, il lui prenait des pincements d’estomac bizarres. De toute façon Buck garda ses distances. Il avait retrouvé son calme. La présence de Steve à ses côtés lui suffisait. De plus, il avait senti son trouble après qu’il l’eut forcé à rester en l’étalant sur le lit. Sans qu’il le sache, le regard de Steve en avait dit très long : pendant un bref instant, Buck avait eu l’impression d’être une proie sous le regard d’un prédateur. Les yeux clairs s’étaient vite enfuis, toutefois, Buck n’était plus aussi sûr que Stark se trompait… Quand le film fut terminé, Steve laissa longuement traîner ses yeux sur le profil somnolent près lui. La fatigue accumulée, la faiblesse due à la perte de sang l’avait emportée avant la fin du film. Steve sourit en le regardant, il ne ronflait pas, mais dormait la bouche ouverte, la tête légèrement sur le côté. Il s’était rasé de près, c’était le même Bucky qu’avant guerre. Pourtant, tant de choses s’étaient passées depuis… Il se pencha vers lui pour lui souffler dans l’oreille, l’autre sursauta. - Alors ? Fit Steve, on s’endort avant la fin ? Buck le regarda longuement sans répondre, Steve s’inquiéta : - Quoi ? Un truc ne va pas ? Son ami paru sortir d’un rêve, il secoua la tête en répondant : - Non, rien… faut que je parte… - Dors là, si tu veux. - Oh non, surtout pas… Comme il était déjà debout, Steve comprit son embarras : sa présence auprès de lui avait de bons et mauvais côtés, Il valait mieux ne pas insister et l’embarrasser davantage : il semblait aller mieux, autant le laisser partir. Avant qu’il sorte, Steve lui lança gentiment : - Si ça va mal, ne reste pas dans le couloir, rentre… je serais toujours là pour toi... Buck lui sourit. - Merci, bonne nuit, Steve... » La porte se referma. Steve se tourna sur le côté et posa ses doigts sur l’oreiller encore chaud… Buck se jeta à plat ventre sur son lit. Il voulait garder Steve près de lui pour oublier le reste. Ne pas penser aux horreurs, ne penser qu’à Steve, à ce regard qu’il avait posé sur lui. Il le sentait encore le caresser, une caresse lointaine qui aiguisait encore ses sens. Il ferma les yeux pour imaginer ce qui aurait pu se passer si Steve ne s’était brusquement éloigné. S’il avait continué son geste l’avait retenu plus vigoureusement. Il sentait les doigts sur sa poitrine, ils restaient, cette fois, caressants. Le regard clair se penchait vers lui, disant clairement « Tu es moi. - Oh oui, Steve, je suis à toi... » Il s’abandonna à l’idée, jeta tous ses tabous au feu. Il préférait s’abandonner à cette douce souffrance qu’à l’horreur de son passé. Les bras de Steve c’était doux et protecteur, enivrant, déroutant, embarrassant certainement aussi. Mais tant pis. Il était bien, il choisit de se laisser emporter par ce rêve là plutôt que par un autre…
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