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Il faisait froid lorsque Holmes rentra dans son refuge. Froid à l’extérieur et à l’intérieur. Froid partout. Même la fumée de sa pipe qui s’échappait entre ses lèvres frissonnantes paraissait glacée. L’hiver n’épargnait personne cette année-là. Seulement les autres, il s’en fichait, et certainement ceux-ci se fichaient éperdument de lui en retour. Il avait froid. Il aurait pu faire un feu mais ne s’en sentit pas la force et il n’y avait personne d’autre pour le faire à sa place. Ce soir-là Stone était absent, sûrement batifolait-il avec une chatte du quartier. Au moins, lui, il sait comment se réchauffer ! Pensa Holmes avec amertume. Inexplicablement, cette pensée lui faisait mal. Il n’y avait pas d’autre raison à ce qu’il soit dehors par un temps pareil, surtout à cette heure tardive. Le soir, il l’attendait toujours lorsqu’il rentrait, c’était comme ça, le jeune homme se débrouillait toujours pour lui ramener quelque chose à manger bien que lui n’eut déjà pas grand chose pour lui-même, Stone le savait et c’était leur moment à eux, leur moment de complicité malgré la galère qui les unissait tous deux dans ce local abandonné. Stone était du genre solitaire, il ne se battait jamais avec les autres chats, ce qui excluait cette raison là. Et puis, Holmes s’en doutait, l’animal partait certains soir pour aller rejoindre des femelles. Oui, il n’y avait que cette possibilité … Holmes cessa soudain sa réflexion lorsqu’il prit conscience à quel point il était ridicule. En fait, il savait parfaitement pourquoi cela lui faisait mal mais il préféra ignorer cette pensée. Il était seul, et si Stone préférait la compagnie d’une femelle à sa place, s’il l’abandonnait à son tour, alors … Toutes les mêmes, ces sales vipères malfaisantes ! Une semaine s’était écoulée depuis sa rencontre avec le jeune bourgeois, qui n’avait plus remis les pieds dans le quartier. Ce qui aurait pu être, indéniablement, une source de divertissement incontestable. Mais le monde était toujours aussi gris, aussi ennuyeux et dénué de tout intérêt. Même le froid lui pesait moins que cela, ce vide, ce silence, cette monotone uniformité. Il ne supportait plus … Non, même la drogue ne parvenait plus à chasser cette lassitude, cette aversion même pour la vie. Mais Holmes ne se suiciderait pas, car le monde sans lui ne serait plus le même, il ne pouvait pas se suicider. C’était un devoir. Le sommeil ne lui apporterait aucun réconfort, il sentait déjà les griffes de ses cauchemars s’agripper à son esprit somnolent. Et puis, par ce froid, la mort ne rodait jamais loin. Alors il renfila son manteau et sortit affronter l’air glacial de décembre. Instinctivement, les yeux brûlés par la morsure du vent, il se dirigea vers la seule source de lumière, à savoir un bar miteux et assez mal fréquenté, mais où il serait, au moins, au chaud. Le corps grelottant, il s’engouffra à l’intérieur. A peine eu-t-il refermé la porte qu’il n’eut plus qu’envie de s’enfuir. Il ferma les paupières, essayant de faire taire toutes les voix dans sa tête qui s’étaient mises à tout analyser, déduire, classer, dans un vacarme insoutenable qui venait s’ajouter à celui qui régnait sur l’endroit. Rien qui ne soit cependant de nature à le surprendre. Rien que des choses prévisibles, pitoyablement prévisibles. Le mal de tête commençait à le prendre quand il entendit la voix du chef d’une bande de voyou du quartier. Il aurait pu tout aussi bien ne pas s’y intéresser, pourtant … il rouvrit les yeux.
-Tu sais que c’est une très mauvaise idée pour un petit bourge dans ton genre, de traîner dans l’coin ?
Effrayé, John recula, se cognant le dos contre le bar. Il avala sa salive, les yeux exorbités, sans savoir comment réagir face à la bande de malfrats qui le cernaient. Tandis que l’un lui faisait les poches, s’emparant sans ménagement de son écharpe, chapeau, manteau, argent, le voyou qui lui faisait face se rapprochait de plus en plus près, dangereusement près. Il le dévisageait d’un air profondément méprisant et d’un geste brutal il attrapa son visage, compressant ses joues entre le pouce et l’index. John se dégagea dans un sursaut, tremblant comme une feuille.
- regardez moi ça, comme ça a la trouille ! Railla le voyou, et si je faisais ça, hein ?
John se rétracta tandis qu’il faisait mine de lui donner un coup de poing qui s’arrêta à quelques millimètres seulement de ses cotes. Ils explosèrent de rire et John sentit son visage devenir rouge de colère et de honte mêlées. Il n’osait plus faire un geste … le vrai coup parti sans qu’il ne s’y attende et la douleur l’obligea à se plier en deux. Il suffoqua. Les larmes lui montèrent aux yeux.
- Levez encore la main sur lui, et vous n’aurez plus jamais l’occasion de recommencer.
La voix n’était ni très haute ni particulièrement forte mais elle sonna, grave, claire, par dessus le vacarme. Tous firent volte face et John leva les yeux vers l’intrus. Le choc fut alors tel qu’il en oublia la douleur durant quelques secondes et son cœur manqua un battement. Il se tenait là, droit et fier dans son accoutrement étrange et dépareillé, le regard dans le vague, le visage sombre aussi impénétrable qu’une plaque de marbre. John n’en croyait pas ses yeux. La bouche grande ouverte, il le regarda s’avancer dans la lumière de la salle et s’approcher d'eux.
- Vous le laissez, ordonna-t-il très calmement. »
Mais les voyous, remis de l’intervention, ricanèrent, se moquant peut-être de l’audace du nouveau venu.
- Et pourquoi on l’laisserait, hein ? Va jouer les héros ailleurs, le cinglé ! C’est pas ça qui t’attirera la moindre sympathie, si c’est ça que tu cherches !
Holmes ne tiqua pas, pourtant il garda le silence quelques secondes avant de reprendre :
- Vous le laissez, répéta-t-il, et cette fois, sa voix paraissait plus froide encore que le vent qui sifflait au dehors.
Le chef croisa les bras sur sa poitrine, dévoilant son impressionnante carrure musculeuse, le regardant de haut d‘un air dédaigneux.
- Et qu’est ce que tu pourrais bien nous faire, hein, si on le laisse pas ?
La réponse vint immédiatement, et un craquement se fit entendre alors que le poing du violoniste s’abattait brutalement sur le haut du nez du voyou qui s’affala par terre entre les pieds des chaises et les jambes de ses acolytes qui s’empressèrent de le relever. La main sur son nez ensanglanté, il le dévisageait à présent avec une haine croissante, comme une casserole abandonnée sur le feu. Le couvercle ne tarderait pas à sauter.
-Tu vas me le payer, siffla-t-il d’une voix tremblante de fureur. »
Et avant que John n’est pu dire quoi que ce soit, ils se ruèrent sur lui. Pétrifié, il se mit à hurler des « Arrêtez ! Arrêtez ! » que personne se semblait écouter mais, au bout de quelques instants dérisoires, trois d’entre eux se tordaient de douleur au pieds du violoniste tandis que les deux autres, effrayés, reculaient vers la sortie.
- vaut mieux qu’on se tire d’ici, suggéra l’un.
L’autre acquiesça et, relevant leurs camarades, ils quittèrent les lieux au plus vite. Holmes s’approcha alors du jeune homme immobile toujours adossé au bar, et sans lui prêter attention, alluma sa pipe dont il tira une première bouffée. Il l’examina enfin à travers la fumée.
- je vois que vous avez des problèmes, remarqua-t-il, et le ton avait quelque chose de sévère bien différent de celui de la première fois. - je vois que vous ne venez toujours pas de vous faire des amis, rétorqua John.
Holmes esquissa un drôle de sourire qui ressemblait plus à une grimace et, se détournant de lui de trois quart, souffla juste avant de remettre le manche de la pipe entre ses lèvres :
- je n’ai pas d’amis.
Un silence passa. John ne savait pas trop s’il devait le remercier. C’était la moindre des choses, et c’est ce qu’il aurait fait avec n’importe qui d’autre. Pourquoi alors avait-il cette inexplicable envie de le gifler ? Sans lui, pourtant, il ne s’en serait à l’évidence pas sorti indemne, si jamais il s’en était sorti …
- Merci, murmura-t-il d’un ton presque interrogatif répondant à son questionnement intérieur. - C’est tout naturel, répondit le violoniste - et l’air crâneur qu’il abordait évoquait l’exact contraire.
John fronça les sourcils, essayant en vain de le cerner. Malgré cette apparence, il paraissait préoccupé et des rides fendaient son front. Ses yeux, marqués de cernes violacées, trahissaient son épuisement.
- Il ne vous ont pas blessé, au moins ? S’enquit le fumeur.
Ce n’était pas une simple question de politesse. A l’évidence, il n’était pas le genre de personne à poser une question simplement par politesse. Ce terme paraissait banni de son vocabulaire.
- Est-ce que vous allez bien ? Le pressa-t-il, légèrement énervé.
Son nez se mit à saigner et, éteignant la pipe qu’il rangea dans sa poche, il crachota le sang qui coulait sur ses lèvres.
- Euh … je m’en remettrais, répondit John, les paupières papillonnantes, les yeux rivés sur l’épais liquide vermeil. Est-ce que vous … ? - Bon, alors, allons dehors, vous voulez bien, le coupa-t-il.
Ce n’était pas une requête, mais un ordre et John, ramassant ses affaires que les voyous avaient laissé, s’empressa de le suivre alors que le violoniste traversait la salle d’un pas vif pour atteindre la sortie, ses paumes de main appuyées sur ses narines.
Le brouhaha infernal du bar, les odeurs de fumée et d’alcool, s’évanouirent aussitôt que la porte se fut refermée, vite remplacés par le froid hivernal de la place déserte. A ses côtés, l’étrange jeune homme, le bas du visage couvert de sang, jura tandis que des taches pourpres souillaient la neige. Les mains gourdes, John chercha un mouchoir propre dans ses poches. Le fait qu’il se soit blessé pour lui, même si la blessure était minime, le dérangeait.
- Attendez.
Il se mit en face de lui et renversant la tête du jeune homme en arrière en le tenant par le front, pressa sans hésitation le tissus sur ses narines d‘une main experte. C’est alors qu’il réalisa la familiarité de son geste et son regard attentif se troubla quelque peu, mais il n’abandonna pas sa tâche. En tant qu’étudiant en médecine, c’était un réflexe. Holmes ne s’y était pas attendu le moins du monde et il avait très légèrement frémi quand les mains de l’étudiant étaient rentrées en contact avec sa peau. Déstabilisé, les bras encore en suspend, il le dévisagea tandis qu‘une chaleur étrange se répandait dans sa poitrine. Le joli rupin semblait embarrassé, mais attentif à ce qu’il faisait.
- je suis étudiant en médecine, se justifia John dans un murmure, comme pour troubler le moins possible le silence. Il faut attendre un peu, ça devrait passer.
Sans répondre de vive voix Holmes acquiesça. Puis le jeune étudiant retira le mouchoir et en reniflant d'un air géné, Holmes s'écria soudain :
- Mais enfin, que faisiez vous, à traîner par ici ?!
Moins la question que la sévérité soudaine de la réprimande prit John au dépourvu.
- Et bien, je voulais ... m'amuser un peu.
Son air désolé et contrit amusa beaucoup Holmes. Il esquissa un demi sourire qui ne présageait rien de bon.
- Ah, vous vouliez vous amuser ? Et bien, moi, je vais vous montrer comment on s'amuse.
Il commença à partir, s'arrêta, fit demi tour et lui tendit la main.
- Au fait. Holmes. Sherlock, Holmes.
John lui rendit sa poignée de main et sourit à son tour.
- Enchanté, Holmes. John Watson.
La musique irlandaise tonnait jusque dans les rues lorsque les deux jeunes hommes s'aventurèrent dans les vieux quartiers de Londres. John eut un peu de mal à déterminer l'endroit. Une lumière chaude éclairait les pavés de la route où quelques clients étaient venus s'aérer un moment, fumant et discutant joyeusement entre eux. Alors que Holmes, et que ce nouveau nom sonnait étrangement dans sa tête, accélérait l'allure, John s'arrêta.
– Êtes-vous sur que... ?
Il se retourna de demi vers lui.
- Vous vouliez vous amusez, n'est-ce pas, Watson ? Et bien, il me semble que c'est l'endroit idéal pour cela !
Sur ce, il continua son chemin d'un air joyeux. John s'immobilisa un instant, presque choqué de l'entendre le nommer ainsi, comme s 'il lui avait non pas révélé son identité mais dévoilé une partie secrète et inexplorée de lui-même. Dans la bouche du violoniste, son nom prenait une allure sensuelle, presque dangereuse, prononcé en un murmure légèrement exigeant. Et cela lui plaisait, faisant écho en lui à quelque chose de l'ordre du fantasme. Jamais personne n'avait su lire ainsi en lui au delà des apparences, même s'il se répugnait à s'avouer ces travers là de sa personnalité, qui pourraient bien se révéler en être le centre. Avec un petit sourire aux lèvres, il rejoignit Holmes. L’ambiance festive de l'endroit les gagna instantanément et ils commandèrent deux bières tout en explorant les lieux du regard, adossés au bar. La plupart des clients dansaient, les autres, installés aux tables, riaient bruyamment. Saisi d'une délicieuse extravagance, Holmes s'avança dans l'espace libre entre la porte d'entrée et le fond du bar. Il battit le rythme en claquant des doigts et commença à danser à son tour, en solo, d'une danse étrange et séductrice, bien à lui, légèrement en décalage avec la musique. Il lui tournait le dos, se déhanchant sensuellement dans ses vêtements trop larges, accompagné de mouvements de jambes et de bras parfaitement accordés. Soudain il fit volte face et se dirigeant vers lui en dansant, lui présenta sa main. Les lèvres de John s'entrouvrirent et il dévisagea Holmes comme si celui-ci venait de lui demander la lune. Sa main, presque par automatisme, se posa dans celle de son compagnon et, comme il tardait à réagir, Holmes l'attira avec lui sur la piste improvisée. Momentanément plaqué contre son torse, John s'empressa de murmurer, paniqué :
- Mais je ne sais pas... ! - Alors, laissez-vous aller, le coupa Holmes, comme s'il n'y avait rien de plus naturel que de danser ainsi devant tout le monde quand on a jamais dansé de sa vie... accompagné, si plus est, d'un si bon cavalier, laissez-vous aller, je vais vous guider, et puis ne vous en faites pas, l'alcool vous aidera...
John blêmit mais n'eut pas le temps de protester que déjà Holmes l'entraînait dans une chorégraphie rappelant les danses populaires du moyen age. Et sans savoir pourquoi, il sourit. Il dansait certainement aussi mal qu'un canard boiteux, les clients attroupés autour d'eux les dévisageaient, et il souriait. La musique emplissait chaque pore de sa peau et il ne lui semblait plus voir que le corps enfiévré de son cavalier se découpant sur la masse sombre et floue que formaient désormais la foule. Au détour d'un énième demi tour, il attrapa sa... bref, une chope de bière qui n'était pas la première et trinqua gaiement avec son compagnon. En total décalage, ils entamèrent un tango. John renversa la tête en arrière, éclata de rire alors que la main experte d'Holmes venait se caler au creux de ses reins cambrés. Tout se floutait autour de lui. Il avait l'impression de flotter quelque part où plus rien n'avait d'importance, ne plus rien contrôler, voler peut-être, ou tomber en chute libre mais toujours rattrapé, à la dernière seconde, sans que jamais son corps ne s'abîme dans le délicieux tourbillon. John ne savait pas mentir. Lorsqu'il rentra dans la nuit, ses parents l'attendaient et lorsqu'ils le questionnèrent, il leur répondit, légèrement instable et euphorique, le plus simplement du monde qu'il avait dansé dans un bar Irlandais. En guise de punition, ils le consignèrent dans sa chambre en lui interdisant toute autre sortit jusqu'à nouvel ordre. Mais la tête ailleurs, John ne protesta pas et monta s'enfermer de lui-même dans sa chambre, l'oeil hagard, un léger sourire aux lèvres, n'entendant qu'à peine les remontrances de ses parents, couverts par la musique Irlandaise qui flottait encore à ses oreilles. Un mois durant il ne retourna plus voir Holmes ni ne se rendit dans le quartier où il l'avait rencontré. Il pensa beaucoup à lui cependant, et plus encore ce que cela éveillait en lui. John avait toujours su qu'il n'était, au fond, pas quelqu'un de très sain sans savoir exactement pourquoi. En tout cas, même s'il ne commettait jamais d'erreur, et représentait le modèle parfait du fils que tout parent rêverait d'avoir, de part sa politesse, ses bonnes manières et sa réussite scolaire, il n'avait jamais pu supporter qu'on s'extasie sur sa soi disant sagesse et droiture. Cela lui évoquait, à chaque fois, une sourde et contenue colère. Non, il n'était pas quelqu'un de " sage, et peut-être plus malsain encore parce que justement, c'était l'image qu'il donnait voir de lui. Or, qu'il le déteste ou l'admire, il ne restait pas insensible à ce Holmes. Il représentait tout ce qu'il ne pourrait jamais être et bien que sa manière même de respirer ne l'agaçât profondément, il devait bien avouer que ce n'était rien de plus que de l'empathie déguisée. John travaillait à un devoir important quand il entendit des cris venant de la rue. Il ne se produisait jamais rien ici, aucune agression de toute sorte, et l'étudiant, surpris, leva la tête de son livre pour se précipiter à la fenêtre. Juste en bas de chez eux, une troupe de gamin plus ou moins vieux venait de tabasser un homme en grand manteau noir et chapeau haut de forme, et galopaient déjà, une bourse volée en main, vers l'angle d'une rue. La pauvre victime venait visiblement de descendre de voiture et peina à se redresser. Derrière les carreaux, John cru l'entendre gémir dans le silence, avant que le côcher, qui n'avait pas seulement esquissé la moindre tentative pour lui venir en aide, ne donna un coup de sangle aux bêtes qui obéirent instantanément. L'homme se redressa, courbé en avant. Il semblait se tenir le visage. John entendit alors la porte d'entrée s'ouvrir et de la fenêtre, il vit ses parents sortir à la rue pour aller à la rencontre de l'infortuné. Ils le soutinrent et le menèrent lentement vers l'intérieur. Alors, sans hésiter une seconde, John se rua à son tour hors de la chambre pour se précipiter à l'étage inférieur. Ils atteignaient à peine le seuil lorsque le jeune homme arrivait à mi chemin des escaliers. Et c'est alors qu'il surprit le visage de l'homme qui venait de se faire agresser, au bras compatissant de sa bourgeoise de mère, qui n'aurait certainement pas eu la même charité sans les beaux vêtements de l'invité improvisé - ne pouvant ainsi vêtu que faire partie que de la bonne société. Celui-ci dû d'aillleurs sentir le regard de John posé sur lui, qui venait de dévaler à toute vitesse les escaliers. Sous son chapeau, sa fausse moustache et son costume impécable, Holmes leva les yeux vers lui, redressant les sourcils en une mimique innocente. Un instant, alors que les parents le plaignaient sans interruption en une ridicule litanie, ils se dévisagèrent, et un silence se forma entre eux deux. Comment osez-vous ? disait le regard outré de John. Et avant qu'il ne reprenne son insupportable rôle et le panache qui va avec, Holmes lui adressa un petit sourire mi-désolé mi-amusé.
- John ! s'écria la mère, veuillez donc ne point restez aussi inerte et nous aidez à menez ce pauvre homme au salon !
Ce fut comme une décharge électrique qui contraignit leur regard à se séparer. John dévala les quelques marches qui restaient et obéit à sa mère. Il se saisit brusquement du bras de Holmes et le mena de force, à cadence rapide, au salon.
- John, faites donc plus attention ! se fâcha la mère. - Oui, veuillez faire attention, jeune homme, confirma Holmes d'une voix autoritaire et maniéré qui ne lui allait pas du tout.
John se mordit les lèvres, résistant à l'envie de lui jeter son point à la figure.
- Mais bien sur, monsieur, répliqua-t-il, et seul Holmes put percevoir l'accent ironique de sa répartie, je vous pris de m'excuser !
Il le posa sur un fauteuil et s'assit, bras et jambes étroitement croisés, rongeant son frein.
-Monsieur, s'enquit poliment sa mère, accepteriez-vous un petit remontant ?
Holmes opina du chef, comme si parler lui demandait un trop grand effort. Il se serait trouvé aux portes de la mort que ça n'aurait pas été différent.
-Oooh, soupira-t-il, ce serait avec grand plaisir, Madame ... vous êtes si bons avec moi, je ne pourrais jamais vous remercier assez ...
Il en faisait beaucoup trop. Le couple gloussa d'un air contenu et aimable. Les louanges, ils aimaient ça. Sur son canapé John enfonça ses dents dans sa lèvre inférieure.
-John ! S'écria sa mère en le sortant de ses pensées, allons, John ! Portez donc un remontant à notre invité! Dépêchez-vous ! Il rougit. -Mais ...
Elle afficha une mine choquée.
-John, mais que vous arrive-t-il donc ?! Chuchota-t-elle, comme si l'invité ne pouvait ainsi pas les entendre, Enfin ! Vous vous êtes toujours montré très obéissant et bien élevé jusqu'à aujourd'hui, ressaisissez-vous !
John ouvrit la bouche, ne sut quoi répondre. Il sentait le regard d'Holmes scruter les lieux, analysant, décryptant, chaque détail de sa vie et de son éducation, chaque sentiment qui le traversaient à l'instant. Cela le blessait en un lieu secret de son être où personne n'aurait dû avoir accès. L'humiliation qu'il ressentait à jouer ce rôle de fils parfait et bien propre sur lui le concernait seulement, et quoi qu'il puisse en ressentir, le dégoût de lui-même d'obéir et de trouver, au fond, cette situation confortable dominant tout le reste, il ne supportait pas que quelqu'un puisse en être témoin. Ses yeux le piquèrent et il se troubla. Finalement, sans rien dire il se leva et leur tourna le dos pour aller s'occuper des boissons. Les yeux voilés, il se concentra de toutes ses forces pour ne pas trembler et renverser l'alcool, ou pire, que ses parents se rendent compte de son malaise. Pour Holmes, son cas était déjà classé, inutile de remuer un peu plus le couteau dans la plaie. Heureusement, la conversation avait repris derrière lui. Il inspira un grand coup, afficha sur son visage l'éternel masque poli, serviable et effacé par lequel ses parents le connaissaient et fit volte face, le plateau en main. Il traversa la pièce la tête haute, déposa le plateau sur la table après avoir fait le tour en commençant par “l'invité” en prenant garde à ne pas les déranger dans leur conversation, et s'assit délicatement sur le canapé, aux côtés de Holmes qui lui lança un discret coup d'oeil. Quand la conversation se calma enfin et que les verres furent vides, sa mère annonça fièrement :
-Notre fils, est étudiant en médecine, je suis certaine qu'il se fera un plaisir de soigner un peu les vilaines plaies que vous avez là. N'est ce pas, John ?
John leva les yeux vers sa mère, horrifié. Il déglutit et parvint à hocher la tête d'un coup sec, un large sourire de façade étirant ses lèvres.
-Mais bien sur !
C'était à moitié ironique, mais seul Holmes le devina. Satisfaite, elle alla vers l'invité et l'aida à se relever, en incitant d'un geste son fils à lui venir en aide.
- Le matériel se trouve à l'étage, vous pourrez y parvenir ?
Holmes acquiéça d'un air douloureux.
- Je pense, oui. - Vous avez, cela lui fera le plus grand bien, rajouta-t-elle tandis qu'ils se dirigeaient vers les escaliers, il est tellement distrait, ces derniers temps ! A croire que son coeur le tourmente ! J'espère qu'elle est de bonne famille, au moins... - Je crois que je pourrais trouver le chemin tout seul, mère, coupa John au bord de l'évanouissement et qui se demandait ce que ferai Holmes s'il défaillait étant donné que c'était lui qui était sensé le soutenir.
A son grand soulagement, elle les abandonna enfin et John continua de jouer la comédie jusqu'en haut des escaliers. Une fois parvenu à l'étage et désormais hors de vue, il planta là Holmes sans même le regarder et alla rejoindre sa chambre d'un pas énergique, hors de lui. S'il avait pu, il aurait claqué la porte derrière lui mais étant donné la présence de ses parents, il estima que ce n'était pas la meilleure chose à faire. Lorsque Holmes poussa la porte, il était debout devant la fenêtre, tremblant de tous ses membres et se mordant le poing pour ne pas hurler de fureur. Il entendait les pas lents et sur d'eux d'Holmes qui arpentait la pièce.
-Alors comme ça, votre coeur vous tourmente, glissa-t-il d'un ton tout à fait différent, qui se voulait léger sous des accents ironiques, puis-je savoir de quelle... “jeune fille de bonne famille” vous êtes-vous entiché, très cher ?
John fit volte face et le fusilla d'un oeil noir.
- Je vous préviens, le scalpel n'est pas loin, menaça-t-il, Mais ... bon sang ! Que faites-vous ici ?!
Holmes haussa les épaules en regardant ailleurs et en se balançant sur ses pieds, les mains dans les poches, sourcils haussés.
- Je ne vous voyais plus, alors comme vous ne sembliez pas disposé à prendre des initiatives et que je m'ennuyais... - Que vous vous ennuyiez ?! répéta Watson qui allait exploser d'un instant à l'autre, je vous signale que je suis consigné ici comme un enfant par votre faute !
Il n'en pouvait plus. Il se mit à faire les cents pas dans la pièce. Ses joues le brûlaient, il avait besoin de frapper, de hurler, de...
-Vous avez envie de pleurer, constata Holmes d'un ton très neutre sans aucune trace d'ironie dans sa voix, et John s'arrêta instantanément. Je vous ai blessé en jouant cette comédie, n'est ce pas ? Ne répondez pas, je demande uniquement par politesse. J'ai violé quelque chose de vous que vous ne vouliez pas mettre à jour, en venant ici chez vous dans votre... famille. Vous jouez un rôle qui ne vous correspond pas et dont vous avez honte mais vous trouvez cela confortable parce que ça vous évite de regarder plus profondément en vous ce que vous voulez vraiment...
Tout en parlant, il s'approcha lentement, jusqu'à lui faire face.
- Vous avez peur de vous-même, car ce que vous désirez le plus, c'est partir d'ici et vivre des choses dangereuses... des choses qui vous effrayent, mais par lesquelles vous vous sentez... vivant. John le dévisageait, terrorisé.
- Je ne vous permet pas de... - Oh, vous ne me permettez pas ! Comme c'est charmant, le coupa Holmes – et son petit sourire ironique de génie supérieur refit surface – c'est parfait, j'aime les choses interdites, ça donne plus de piquant.
John déglutit difficilement, sa main traînant sur le bureau derrière lui. Ils étaient trop proches, beaucoup trop, et il ne pouvait regarder autre chose que les lèvres pulpeuses entrouvertes et tachées de sang, ne pouvait ressentir autre chose que leur proximité... sans bouger les pieds, il recula, et Holmes s'avança.
- Vous sentez-vous vivant, en cet instant, Watson ? Susura-t-il tout bas, lentement, son souffle caressant ses lèvres et le titillant insupportablement, suis-je assez ... dangereux ?
Son coeur battait à un rythme infernal et il dût s'appuyer contre le bureau.
-Vous... vous... ! Je vous interdit de... ! S'offusqua-t-il, je ne sais pas comment vous avez pu savoir où je... ni comment vous avez fait pour... mais c'est... vraiment... incroyable, je veux dire... ! Inconcevable ! Et vraiment... vraiment...
Il crut perdre la raison. Sa voix partait dans les aigus. Le sourire d'Holmes s'élargit, diabolique, tentateur, sublimement interdit. Il se rapprocha encore, se pencha, se... Puis, soudain, il recula complètement et le contourna, guilleret comme un pantin désarticulé, pour aller s'asseoir dans le siège du bureau, derrière lui. Lorsque John se retourna, sonné, complètement déconnecté et en proie à des foules d'émotions contradictoires, l'intrus le regardait bien en face, parfaitement sérieux, presque grave, les bras sagement croisés.
- Nous étions là pour me soigner, vous vous souvenez, Watson ? Que diront vos parents si je reviens dans le même état lamentable ? la mâchoire de l'apprenti médecin sembla se décrocher. - Dites-moi, s’enquit-il, horrifié, comment avez-vous fait, pour... l'agression ? - Des enfants des rues auxquels je rends service, et qui me rendent services.
John eu envie de s'enfuir, de plonger entier sous l'eau glacée pour se remettre les idées en places mais au lieu de ça, il obéit calmement et alla chercher son matériel de médecin, qu'il posa sur le bureau, en face d'Holmes.
- Ma parole, s'exclama celui-ci, votre mère a raison ! Vous êtes d'une obéissance stupéfiante, Watson !
Celui-ci ne réagit pas. Il imbiba d'eau oxygénée un linge propre et le passa sur le visage d'Holmes, qui le fixait droit dans les yeux. Il nettoya, désinfecta, pansa, puis rangea sérieusement tout le matériel.
- C'est fait, maintenant que vous êtes remis, monsieur, vous allez pouvoir repartir.
Accoudé au bureau, Holmes souriait.
- Vous y croyez vraiment, n'est-ce pas ?
Il se leva, lui présenta son bras, que Watson saisi par automatisme.
- Que voulez-vous dire ?
Ils franchisèrent les portes de la chambre, traversèrent le couloir et tous deux reprirent leurs rôles respectifs. Alors qu'ils descendaient le grand escalier, Holmes lui murmura :
- Continuez à me soutenir, pour le reste laissez-moi faire, surtout n'intervenez pas.
Il accentua son boitement, une grimace de souffrance déformant ses traits, et John, paniqué, le coeur battant, se demanda malgré tout où était la limite entre la comédie et la réalité. la mère vint à leur rencontre.
- Comment vous sentez-vous ? S'enquit-elle poliment, est-ce que... ? - Votre fils deviendra un très bon médecin, madame, répondit calmement Holmes en fermant brièvement les yeux alors qu'il parlait, comme ci cela lui coûtait un trop grand effort, je n'oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi, croyez-moi bien que notre bon seigneur vous le rendra !
Et tout en parlant, il hochait la tête pour appuyer ses propos. Elle rougit, minauda un peu.
- Cependant permettez-moi de vous demander une dernière faveur...
Il la dévisagea, baissa soudain la tête et bafouilla.
- Je suis tellement gêné... - Mais non, ne le soyez pas, voyons, ce n'est rien, demandez...
Il inspira un grand coup, posa sa main sur celle de la femme, lâcha enfin d'une voix basse et grave :
- Accepteriez-vous que votre fils me raccompagne jusqu'à chez moi ? - John fit de grand effort pour rester sobre et conserver son sourire poli, seule sa main se crispa autour du bras d'Holmes - C'est un peu loin, et je ne sais dans quel état je vais pouvoir... Seul... Mon Dieu, je suis horriblement gêné, je... je... ne sais comment m'excuser d'avance de cette requète particulièrement déplacée en vue de ce que vous avez déjà fait pour moi...
Complètement charmée, elle s'empressa de prendre sa main et de la presser. Non d'un chien, Holmes était en train de faire un numéro de charme à sa mère.
- Non, non, ne vous excusez pas, Monsieur, mon fils se fera un plaisir de vous raccompagner jusqu'à chez vous... n'est-ce pas, John ? - Oh, j'en suis persuadé ! Confirma Holmes qui semblait beaucoup s'amuser, ça ne vous dérange pas, au moins ?
John le regarda, regarda sa mère, comprit qu'ils attendaient une réponse, s'empressa de bafouiller, un peu trop vite :
-Absolument, absolument... euh, je veux dire !! Absolument pas, ça ne me dérange absolument pas.
Il afficha un sourire d'ange, ses paupières clignant doucement. Après maintes salutations, ils furent enfin dehors sur le trottoir, seuls, la portes refermés et les parents, à l'intérieur.
- La légère teinte rosée que prennent vos joues lorsque vous vous sentez mal à l'aise vous va à ravir, Watson.
Celui-ci se mordit les lèvres pour ne pas pouffer. Après tout, ils étaient encore tout près de la maison.
- S'il vous plait, nous sommes encore en vue, ils peuvent nous... - Ce qui veut sans doute signifier que j'aurais le droit de vous mettre aussi mal à l'aise que je le souhaiterai, quand nous aurons dépassé le coin de la rue...
John rougit jusqu'aux oreilles, et éclata de rire. C'est ainsi que tout commença...
_________________ " Si une romance gay parvient un jour à dépasser Titanic dans la liste des plus gros succès de tous les temps, il faudra, à l'occasion, lever notre chapeau à Guy Ritchie "
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