Contente que ça vous plaise car voici la suite et fin...
Merci encore à Anhelo pour la relecture !
Cybelia.
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Lorsqu’il ouvrit les yeux, Balian était étendu sur le sol, une douleur sourde se propageant dans sa tête. Il se redressait, essayant de comprendre où il se trouvait, lorsque ses yeux se posèrent sur un homme étendu près de lui, une épée plantée dans le corps. Reconnaissant Imad, il s’approcha de lui et posa une main sur sa poitrine. Il sentit le torse de son ami se soulever doucement, preuve qu’il respirait encore. Balian leva alors les yeux sur l’épée et se figea devant le pommeau si familier. C’est à cet instant précis que trois hommes entrèrent. L’un d’eux se précipita sur le Chevalier et le plaqua au sol en hurlant :
— Il a tué notre maître !
L’un des autres hommes, qui s’était approché d’Imad, répondit :
— Il est vivant. L’infidèle ne l’a pas tué. Il est toujours vivant ! Allez chercher les médecins !
Le troisième homme obéit à l’ordre, disparaissant rapidement. Balian, maintenu au sol par le premier serviteur, ne réagit pas immédiatement, trop abasourdi. Soudain, il réalisa.
— Ce n’est pas moi !
L’homme qui se trouvait près d’Imad cracha :
— C’est ton épée !
— Je n’ai pas attaqué Imad ! Je n’ai rien fait !
Le Chevalier clama encore longtemps son innocence mais tout l’accusait. Il fut traîné dans un cachot où il fut battu à coups de poings et de pieds. Ensuite, on lui attacha les poignets à des anneaux contre un mur avant de l’abandonner. Seul, dans le noir, souffrant de multiples blessures et contusions, il espérait que son ami allait survivre. Tandis qu’il tentait de convaincre les hommes d’Imad de son innocence, il avait compris qu’un piège s’était refermé sur lui. Quel meilleur moyen existait-il de se débarrasser de deux hommes en même temps que de faire accuser l’un du meurtre de l’autre ? Il savait que sa vie dépendait à nouveau de celle d’Imad. Mais, il savait aussi qu’il risquait d’être exécuté, même si son ami vivait.
Cela faisait trois jours que Balian était enfermé dans sa cellule sans boire ni manger. Lorsque deux gardes vinrent le chercher, ils durent le porter car ses jambes étaient incapables de le soutenir. Ils l’amenèrent dans la grande cour et l’attachèrent à un poteau, face à la foule rugissante. Il sut alors ce qu’ils allaient faire de lui. Alors qu’il fermait les yeux, attendant que les pierres le heurtent, pour la première fois de sa vie, il pria leur dieu, Allah, de sauver la vie d’Imad. Il était prêt à mourir mais il aurait tout donné pour savoir si son ami était toujours vivant ou non. Il rouvrit alors les yeux et demanda d’une voix claire :
— Imad est-il vivant ?
— Oui, répondit un homme en se plaçant devant lui. Tu n’as pas réussi à le tuer.
— Je ne l’ai pas attaqué.
— Alors comment expliques-tu que ton épée se soit retrouvée enfoncée dans son ventre ?
— Quelqu’un d’autre l’y auras mise pour me faire accuser.
L’homme rit à gorge déployée.
— As-tu une preuve de ce que tu avances ?
Alors que Balian allait répondre négativement, une voix familière s’éleva derrière lui.
— Moi, j’en ai une !
Le Chevalier se tordit le cou pour voir Imad qui se tenait à sa fenêtre et pointait du doigt l’homme qui se trouvait devant son ami.
— Toi, Massoud, mon demi-frère, tu as tenté de me tuer et de faire accuser mon invité de mon meurtre.
L’homme jeta des regards affolés autour de lui alors que quatre gardes s’approchaient. Il sortit une dague de sa tunique et la pointa sur la gorge de Balian.
— Si vous approchez, il mourra.
Il appuya plus fort l’arme contre la peau du Chevalier, faisant apparaître une goutte de sang sous sa pointe. Depuis que son ami était apparu à sa fenêtre, Balian avait repris espoir et tentait de se libérer. Il réussit à dégager l’une de ses mains et, au moment où les gardes s’arrêtaient, hésitant sur la conduite à tenir, il leva le bras, détourna la dague de sa gorge et frappant son agresseur au visage. Les gardes intervinrent rapidement, maîtrisant Massoud sans difficulté. Balian fut détaché et porté à l’intérieur, dans les appartements d’Imad. Alors qu’on le déposait sur le lit, il sombra dans l’inconscience.
La première sensation qui lui parvint fut la fraîcheur qui inondait son front et ses joues. Puis, il sentit une main frôler son torse et une douleur vive lui traverser le côté. Il ouvrit les yeux en gémissant. Son regard croisa celui d’Imad qui lui sourit :
— Je crois que je suis arrivé à temps.
Alors que Balian ouvrait la bouche, son ami le fit taire en posant un doigt sur ses lèvres desséchées :
— Ne parle pas. Tu dois te reposer.
— Tu es blessé… murmura le Chevalier d’une voix tremblante.
— Je vais bien. Massoud n’a même pas été capable de viser mon cœur. Je guérirai rapidement. Je me suis éveillé alors qu’ils venaient de t’enfermer. Je voulais t’aider, mais j’étais encore trop faible. Je m’en excuse…
Balian fit un léger signe de tête pour lui montrer qu’il ne lui en voulait pas. Un vertige le prit subitement et il ferma les yeux. La main fraîche d’Imad se posa à nouveau sur son front.
— Dors. Tu as besoin de reprendre des forces. Tu es en sécurité ici. Je vais prendre soin de toi.
Rassuré par la présence de son ami, Balian finit par sombrer dans un profond sommeil.
Lorsque Balian sentit qu’il avait enfin retrouvé une bonne partie de sa santé, il s’était passé presque deux jours. Tout ce temps, alors qu’il ne faisait que manger, boire et dormir, Imad était resté à son chevet, dormant à côté de lui sur le grand lit. Se sentant enfin mieux, Balian ouvrit les yeux et se redressa sur un coude. Le soleil n’était pas encore levé, mais dans la lueur de la lune croissante, il pouvait voir son ami qui dormait profondément près de lui. Il s’assit, contemplant le visage paisible, encadré de longs cheveux ondulés, et soupira. Alors qu’il allait se lever pour se dégourdir un peu les jambes, il remarqua une tache sombre sur la tunique d’Imad. Il comprit immédiatement de quoi il s’agissait. Il se leva, chancela un peu le temps que son corps se réhabitue à être debout, puis se dirigea vers un coffret posé sur la table près de la fenêtre. Il l’ouvrit, en sortit des compresses et un bandage propre, puis revint auprès de son ami. Il écarta doucement le bras qui le gênait, puis souleva la tunique, dévoilant un bandage ensanglanté. Imad gémit et ouvrit brusquement les yeux.
— Que fais-tu ? interrogea t’il.
— Ta blessure s’est rouverte. Tu risques l’infection. Je vais te soigner.
Imad voulut protester, mais son ami le coupa avant qu’il puisse parler.
— Je vais beaucoup mieux grâce à toi. C’est donc à mon tour de prendre soin de toi.
Le Musulman sourit. Il se laissa faire, frissonnant lorsque les mains fraîches de son ami se posèrent sur son torse pendant qu’il lui enlevait son bandage. Balian nettoya la blessure comme il avait vu l’Hospitalier le faire pour son père, puis la couvrit proprement.
— Je ne te connaissais pas médecin…
— J’ai de multiples talents que tu ne connais pas encore, mon ami, répondit le jeune homme avec un grand sourire. Maintenant, il faut que tu dormes.
Ne se faisant pas prier, Imad ferma les yeux et s’enfonça rapidement dans un sommeil réparateur.
Suite à l’incident avec Massoud, Imad et Balian étaient devenus encore plus proches. A la grande surprise de certains de ses sujets, le Seigneur de Damas passait beaucoup de temps à expliquer la gestion de la ville à son ami. Les soldats qui étaient présents au siège de Jérusalem commencèrent à faire courir des rumeurs concernant la vaillance et l’intégrité de Balian, ce qui ne tarda pas à lui amener la confiance du peuple. Un matin, Imad convoqua son ami dans la grande salle de réception, lui demandant de porter sa plus belle tenue. Un peu intrigué par cette requête, le jeune homme se vêtit d’une riche tunique bleue brodée d’or, puis rejoignit son hôte. Celui-ci sourit chaleureusement en le voyant arriver, puis lui expliqua :
— J’ai une personne très importante à te présenter.
Ils étaient seuls dans la salle à l’exception d’une femme voilée qui s’approcha d’eux et s’inclina. Imad lui fit signe de se relever, puis découvrit son visage.
— Balian, voici ma sœur, la douce Anissa.
Le jeune homme la salua poliment. Elle était belle, pas autant que Sybille, mais avait un charme envoûtant qui tenait en grande partie à ses yeux d’un vert profond.
— Anissa vient d’avoir dix-huit ans. Mes parents ont donc décidé qu’elle devait se marier et ils me l’ont envoyée pour que je lui trouve un époux parmi mes hommes les plus valeureux et intègres.
Imad plongea son regard dans celui de Balian qui frissonna. Il eut peur de comprendre, mais, ne voulant pas froisser la jeune femme, il se tut. Imad sourit, puis appela une servante pour qu’elle conduise sa sœur dans ses appartements. Lorsqu’ils furent seuls, Balian demanda innocemment :
— Lui as-tu déjà trouvé le mari idéal ?
Imad ne répondit pas immédiatement. Il fit signe à son ami de le suivre. Une fois dans son bureau, à l’abri des oreilles indiscrètes, il expliqua :
— J’ai eu des nouvelles de Jérusalem. Apparemment, des croisés venant d’une contrée nommée Angleterre ont décidé de reprendre la cité. Pour l’instant, ils ne sont pas encore partis de France, mais ils seront bientôt là. Et je devrai rejoindre mon Roi pour me battre à ses côtés. Le jour où cela arrivera, je veux que mon domaine soit entre les mains d’une personne en qui j’ai entièrement confiance. J’aimerais te le confier, mon ami, mais tu n’es pas des nôtres…
— Anissa ne peut-elle le gérer pendant ton absence ?
— Elle est jeune et inexpérimentée. Massoud a des amis puissants et ils pourraient profiter de l’occasion pour s’emparer de mon domaine. C’est pour cette raison que j’aimerais que tu l’épouses.
Devant le manque de réaction de son ami, il demanda :
— Ma sœur ne te plait donc pas ?
— Si, elle est très belle… seulement je n’ai pas envie de me marier… et je ne suis pas de ta religion. Comment pourrais-je m’unir à elle ?
— Justement… je comptais te demander de te convertir à l’Islam.
— Même si je ne suis plus vraiment Chrétien, j’ai été élevé dans cette religion…
Imad sourit.
— Je t’ai entendu réciter une prière du Coran lorsque tu me soignais.
— Je ne peux donc me dérober, sourit à son tour Balian.
— Je ne veux pas t’obliger à épouser Anissa. Je veux seulement avoir une personne de confiance pour garder mon domaine en mon absence.
— J’aimerais réfléchir avant de te donner une réponse définitive.
— C’est une demande légitime. Ne parlons plus de cela pour l’instant ! Ce soir, j’organise une fête pour célébrer l’arrivée de ma chère sœur. Je dois m’occuper des préparatifs.
Imad quitta la pièce, laissant Balian perplexe. Il était flatté que son ami ait une telle confiance en lui, mais tout cela lui faisait peur. Il n’en comprenait pas la raison. Il soupira, puis, souhaitant de tout son cœur qu’Imad n’ait pas à partir se battre à nouveau, il rentra dans ses appartements pour réfléchir.
Balian n’arrivait pas à dormir. Cela faisait deux jours qu’Anissa était arrivée et qu’Imad lui avait fait cette proposition mais il n’avait toujours pas pris de décision. Alors qu’il se tournait et se retournait dans son lit, il entendit le bruit d’un galop et se leva d’un bond, se précipitant à la fenêtre. Il aperçut un homme qui entrait en courant dans la demeure et attendit, le cœur battant à tout rompre. Torse-nu, il frissonna lorsqu’une brise fraîche s’introduisit dans la chambre, mais ne bougea pas, tendu. Au bout d’un long moment, deux coups furent frappés doucement à la porte. Sans attendre la réponse, Imad entra et s’approcha de son ami.
— Tu vas partir… souffla Balian.
— Oui. Dès demain matin. Les croisés seront bientôt à Jérusalem et Saladin a besoin de moi.
Le jeune homme soupira profondément. Une tristesse intense venait de l’envahir. Il eut soudain une idée folle :
— Laisse-moi venir ! Laisse-moi t’accompagner ! Je me battrai à tes côtés !
— Tu serais prêt à tuer des Chrétiens ?
— S’il le fallait, oui.
— Tu ne peux pas. Il faut que tu restes ici pour aider Anissa à gouverner en mon absence. Même si vous n’êtes pas mariés, je sais qu’elle t’écoutera.
— Elle oui, mais tes hommes ?
— Je leur ai dit que tu allais l’épouser dès mon retour. Pour eux, tu es déjà de ma famille et ils te respecteront comme tel. Je sais que tu n’as pas encore pris ta décision, mais je ne pouvais pas laisser la situation ainsi.
— Je comprends… Et je m’occuperai de ta sœur et de ton domaine en ton absence…
Balian se détourna lorsqu’il sentit des larmes lui piquer les yeux. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi il ressentait une telle terreur à l’idée que son ami puisse se faire tuer. Il avait déjà perdu beaucoup de personnes qu’il aimait, dont une épouse et un fils, mais jamais il n’avait souffert ainsi. Imad posa soudain une main sur son épaule, le faisant sursauter. Sans un mot, il laissa ses doigts glisser doucement sur le dos de son ami. Un violent frisson traversa l’échine de Balian. La main d’Imad se déplaça vers son côté et son corps se rapprocha de celui du jeune homme jusqu’à ce que son torse frôle la peau nue du Chevalier.
— Je ne veux pas offenser Allah en cette veille de bataille, mais je ne peux plus nier ce que je ressens en ta présence. Je sais que toi aussi, tu es troublé par des sentiments contradictoires, je l’ai lu dans tes yeux.
— J’ai peur de te perdre… murmura Balian, sentant le souffle chaud de son ami dans sa nuque.
— Je ne peux te promettre de revenir, mais…
Il s’interrompit. Surpris et curieux, Balian se retourna. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Le jeune homme demanda :
— Mais ?
— Cette nuit… j’aimerais…
Imad ne termina pas sa phrase. Son visage se rapprocha doucement de celui de son ami jusqu’à ce que leurs lèvres se rencontrent dans une caresse aussi légère qu’une plume. Lorsqu’ils s’éloignèrent, leurs regards se confondirent, le gris et le marron se mêlant longuement. Balian souffla alors :
— Cette nuit est la nôtre…
Le lendemain matin, lorsque Balian ouvrit les yeux, il était seul. Il soupira, passant une main sur son visage, puis se leva. L’aurore pointait juste au-dessus du désert mais il savait que son amant d’une nuit était déjà parti. La peur lui étreignait le cœur, mais il avait fait serment à Imad de prendre soin de son domaine et de sa sœur. Il s’habilla rapidement et descendit rejoindre Anissa à qui il aurait tout à apprendre pour qu’elle soit en mesure de gérer la cité.
Chaque nuit depuis le départ d’Imad, Balian se remémorait leur étreinte, priant Allah de laisser celui qu’il avait compris aimer du plus profond de son âme lui revenir. Et, le matin, il se levait en espérant le voir arriver à la tête de son armée. Ce jour-là, lorsque Balian rejoignit Anissa, il la trouva en larmes dans le bureau d’Imad. Son cœur se serra, espérant de toutes ses forces que la triste nouvelle n’était pas celle qu’il redoutait tant. Il s’approcha de la jeune femme et vit une lettre qui était tombée sur le sol. Il la ramassa, la déchiffra, puis quitta la pièce en courant, le cœur au bord des lèvres. Arrivé dans la cour intérieure, il s’arrêta, haletant. Son visage était inondé de larmes et il tomba à genoux. Il avait l’impression que son monde allait s’écrouler. Pourtant, il se força à reprendre la lettre et à la relire. Elle était écrite de la main d’Imad, même si son écriture était presque méconnaissable tant elle était tremblante.
« Ma très chère sœur, Mon très cher ami,
Si cette lettre vous parvient, cela signifie que j’ai succombé à mes blessures. Avant la bataille, j’ai parlé à Saladin qui a approuvé votre union. Il a une très grande considération pour toi, mon cher Balian. Tu seras à la hauteur de la tâche qui t’incombe à présent. Je sais que la douleur dans vos cœurs doit être grande, mais vous avez un peuple à gouverner. Soyez forts, justes et honnêtes. Et surtout, ne m’oubliez pas. Balian, je suis fier d’avoir été ton ami. Tu resteras dans mon cœur pour l’éternité.
Adieu… »
La signature était juste ébauchée, signe qu’Imad avait rendu son dernier souffle avant de pouvoir la terminer. Balian relut la lettre encore, encore et encore, jusqu’à ce que chaque mots soit gravé dans sa mémoire. Anéanti, il hurla sa douleur.
Quelques mois plus tard, lorsque la douleur fut suffisamment atténuée, Balian se convertit à l’Islam, prenant le nom d’Ahmed, et épousa Anissa. La jeune femme lui donna deux filles et un fils qu’ils nommèrent tout naturellement Imad. Ils gouvernèrent la cité de Damas en gardant toujours à l’esprit le sacrifice de celui qui les avait réunis. Parfois, alors qu’il se tenait face au désert, l’ancien Chevalier sentait comme une présence près de lui et il savait, à ces instants, que par-delà la mort, celui qu’il ne cesserait jamais d’aimer veillait sur lui.
Fin.
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