Chapitre 23 : Chez Clint.
Il était un peu plus de cinq heures et demi lorsqu’ils arrêtèrent la moto devant la maison des Barton. Le temps qu’ils mettent pied à terre, Clint vint les rejoindre avec son épouse Laura. Après les salutations et les présentations habituelles (Laura ne connaissait pas Buck), Steve s’empara du sac à l’arrière de la moto et suivit Clint qui les entraîna vers la maison en remarquant : « Venez vous mettre au chaud, il fait un froid de canard, vous devez être un peu fou pour voyager à moto ! - Non, fit Steve, ça va, on s’est tenu chaud… Clint le regarda bizarrement, déjà les voir sur le même engin l’avait surpris un brin, mais la réflexion le laissait encore plus perplexe. Il referma la porte derrière eux et appela ses trois enfants. Les deux plus grands descendirent l’escalier pour venir les saluer, Clint les présenta : « Voici Cooper… C’était un garçon d’une quinzaine d’années aux cheveux sombres, aux yeux clairs. - … et Lila. Il s’agissait d’une jeune fille de treize ans, déjà grande, brune, aux yeux bruns : une petite femme déjà, qui les observait d’une œil appuyé. Ensuite, apparut un garçonnet de trois ans, il sortait du salon. Il les observa d’un œil méfiant en se cachant derrière les jambes de son père. - Celui-là, c’est Nathaniel… Comme Clint le lui ordonna, il dit un « bonjour » rapide, puis s’enfuit de nouveau dans le salon. Les deux grands repartirent dans leur chambre. Clint haussa les épaules : - Les deux grands passent leur temps sur leur ordi et le petit devant la télé ! Il les fit entrer dans la cuisine. - Venez, vous voulez un café, ça vous réchauffera ? - Moi je veux bien, accepta Steve en s’asseyant près de Buck, mais Bucky n’aime pas ça… Laura sourit. - Vous préférez un thé ? Demanda t-elle. Buck hésita. - Je ne sais pas… Steve expliqua. - Il n’a jamais dû goûter. - Ah ! Fit Laura, moi, j’aime beaucoup le thé à la mandarine, vous voulez goûter ? - Oui, je veux bien… » Quand ils furent tous installés devant leur tasse fumante, Clint discuta un moment avec Steve. Buck, silencieux, buvait son thé en tournant la tasse entre ses doigts. Laura l’observait, pensive : elle lui trouvait un air un peu sauvage… Elle hésitait… non, pas « sauvage », distant, il était sur ses gardes, comme si le fait d’avoir des inconnus autour de lui, lui faisait peur. Elle finit par lui demander : « C’est bon ? - Oui, j’aime bien… Clint connaissait un peu Bucky, il savait qu’il ne parlait pas beaucoup. La dernière fois qu’il l’avait vu, il s’était ouvert les veines sur le pavé de sa salle de bain. Il fit aller son regard de Steve à Buck, puis de Buck à Steve. - Ça a l’air d’aller, vous d’eux, remarqua t-il, la dernière fois que je t’ai vu, Buck, c’était pas la grande forme… - Ça va, maintenant… - Tu m’en vois ravi, je suis content que vous soyez venus passer du temps ici, l’hiver, le temps semble long, je ne crache pas sur un peu de compagnie, vous comptez rester longtemps ? - Ça dépend de toi… fit Steve. - De moi ? Mais vous restez le temps que vous voulez ! - On ne veut pas trop déranger non plus. La maison n’est pas très grande… Laura intervint : - Oh ! j’ai vu pire que ça ! Vous ne prendrez pas plus de place que Wanda, Bruce et Natasha, je les ai eu tous les trois pendant un mois… On a la chambre d’amis et le petit bureau où on avait installée Wanda… ça fera très bien l’affaire pour vous… - La chambre d’amis suffira, décida Steve. - Il n’y a qu’un grand lit… objecta Laura vaguement étonnée. Clint trouva amusant de remarquer : - Vous ne comptez pas dormir dans le même lit ?! - Oui, fit Steve, sans faire dans le détail. Laura croisa le regard de son mari. Celui-ci observa le visage un peu gêné de Buck puis ses yeux revinrent se poser sur Steve qui restait ferme et résolu. Clint reprit : - Sérieux ? - Oui, répéta Steve, on est ensemble, on dort ensemble. - Ça fait longtemps ? - Un mois… environs… - Excuse-moi, Steve, marmonna Clint, si j’ai l’air surpris… mais là, il faut me laisser cinq minutes pour digérer l’information… Steve l’observa, Clint semblait atterré. Il croisa le regard de Laura qui l’était tout autant. Steve reprit : - Si cela dérange, à cause des enfants, on peut s’en aller… Clint leva un sourcil étonné. - On n’a pas dit ça ! Les enfants ne sont pas un problème, l’homosexualité n’est pas un tabou dans cette maison ! c’est juste que venant de toi, Steve, laisse-moi le droit d’être surpris… Laura dit à son tour : - Les enfants ne seront pas choqués que vous soyez ensemble… étonnés, certainement, comme nous. Clint m’a raconté, ce qui s’est passé à cette soirée, juste avant que Buck fasse… ce qu’il a fait. Les déductions de Tony nous paraissaient un peu hâtives… mais, bon, c’est Tony… - Elles étaient fondées, expliqua Steve, Buck a fini par tout m’avouer… Il regarda son ami en disant cela. Celui-ci fixait toujours sa tasse de thé, à présent vide, comme si sa vie en dépendait. Steve eut un petit sourire, il leva la main pour passer rapidement ses doigts dans la chevelure sombre. Il reprit : - Ça a pris du temps… j’ai fini par me rendre compte que, depuis que je savais ça, je ne le regardais plus de la même façon. On ne s’avoue pas ces choses là facilement… Mais, il y a un moment, quand on se rend compte à quel point on fait souffrir celui qu’on aime, il faut accepter ce qu’on ressent. J’aime Bucky… je l’aime certainement depuis toujours sans m’être jamais rendu compte à quel point… puisque le destin m’a donné une seconde chance, je l’exploite. A cette époque, même s’il y a encore des difficultés, elles sont moindre qu’en 1930 ou 40 à Brooklyn… - Qui est au courant ? Demanda Clint. - Mes proches : Tony, Pepper, Bruce, Natasha, Sam, Wanda. Je ne le crie pas sur les toits, mais je ne m’en cache pas non plus… Laura haussa les épaules. - C’est bien, décréta t-elle, comme ça, pas besoin de mettre un lit pliant dans le bureau ! Steve sourit en confirmant : - Non, il ne serait utile à personne. Comme Buck était toujours aussi silencieux. Steve passa un bras autour de ses épaules en remarquant : - Et bien, toi, t’as perdu ta langue ? Buck ne répondit pas. Il n’aimait pas être un centre d’intérêt, et là, il l’était. Il sentait les regards sur lui. Steve le supportait très bien, lui était horriblement gêné. Il connaissait très peu ces deux personnes face à lui. Il aurait voulu disparaître, ne plus sentir qu’on le fixait. Il finit par marmonner : - Je suis vraiment désolé… Clint lui sourit. - Désolé de quoi ? Tu n’as rien fait de mal… Laura et moi sommes toujours aussi content de vous avoir ici. Buck se sentit soudain, extrêmement mal à l’aise. Il se leva et s’excusa en s’éloignant : - Pardon… Je vais prendre l’air cinq minutes… La porte d’entrée s’ouvrit puis se referma. Steve se leva à son tour, Laura questionna : - Qu’est ce qu’il a ? - Rien de grave, expliqua Steve en s’éloignant, on s’est un peu trop concentré sur lui… je vais lui parler... tout va bien… Steve enfila son blouson et emporta celui de Buck. Il le rejoignit dans la cour, non loin de l’endroit où ils avaient garé la moto. Steve posa le blouson sur les épaules, Buck se prêta pour enfiler les manches. Steve l’attira contre lui, l’autre se laissa faire, il posa son menton sur une épaule. Steve dit tendrement : - Qu’est ce qui t’arrives, casse-pied ? - Je ne sais pas. - Ne dis pas ça ou je me fâche… - J’ai l’impression d’être de trop. - Non, c’est une idée à toi. Il faut leur laisser du temps. - J’ai peur… - De quoi ? - Je ne sais pas… de tout… - De moi ? - Non… idiot. - Ce sont mes amis, j’ai confiance en eux. - On est chez eux, comme des étrangers… - Clint n’est pas un étranger pour moi, c’est un ami, il est fiable, j’ai confiance en lui. Buck se serra contre lui, fourra son nez dans son cou puis remarqua d’une voix mal assurée : - Tu leur as dit que tu m’aimais… - Oui, et alors ? c’est vrai ! - Je ne pensais pas que tu pourrais, un jour, dire les choses de cette façon, comme ça, sans rougir… - Je n’ai pas honte de t’aimer… je n’ai pas honte de le dire non plus ! - Ça me touche beaucoup, Steve, tu ne t’imagines pas à quel point… Steve l’écrasa contre lui. - Bucky ! mon Bucky… je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! L’autre sourit largement, ils se regardèrent, Buck souffla : - Moi aussi, Steve… Ce dernier le souleva du sol en le pressant contre lui, il bougonna : - Arrête, crétin ! Tu vas me faire pleurer ! En effet, il y avait des larmes dans les yeux clairs. Buck passa l’empreinte de son pouce sur les cils humides. - Steve… - Oh, ne dis pas mon nom comme ça… Il colla ses lèvres aux siennes, comme pour le faire taire avant d’ajouter : - Tu me le diras ce soir, quand on sera couché. Là, tu pourras me le répéter tant que tu voudras, et sur tous les tons… » Derrière le rideau de la baie vitrée du salon, Clint et Laura regardaient les deux hommes. Il n’y avait plus rien a leur expliquer, tout était clair dans cette simple étreinte. Laura prit les doigts de son mari entre les siens. Il n’y avait rien, là, qui puisse choquer les enfants. La guerre, le sang, la violence, ça, c’était choquant. Mais les deux hommes qui s’embrassaient, là dehors, dans le froid hiver de la Pennsylvanie, devant la prairie glacée et les arbres nus, étaient la beauté même. Il émanait d’eux une tendresse évidente, une complicité étroite, une confiance totale… Laura murmura : « Ils sont mignons, tous les deux... » Chez les Barton, on dînait à sept heures. Autour de la table, les enfants n’étaient pas silencieux. La télévision était allumée pour le folklore, c’était à celui qui parlerait le plus fort pour se faire entendre. Steve tentait de discuter avec Clint, ce qui n’était pas de tout repos. Buck restait silencieux, assis près de Steve, il observait à la dérobée tous ces visages nouveaux, qui, pour l’instant ne faisaient guère attention à lui. Cooper avait une discussion très enlevée avec sa sœur, leur mère leur disait de baisser d’un ton, Nathaniel tentait quelques hurlements pour se faire entendre. Buck n’était pas habitué à ce genre de repas familial, il ne savait pas s’il devait en sourire ou pas. Brusquement, Clint tapa violemment sur la table : les verres sursautèrent, les couverts tintèrent, le père de famille s’écria : « Non mais on s’entend plus ici ! Votre mère vous a dit de baiser d’un ton ! Il y eut un silence bref, Lila remarqua : - C’est lui ! L’autre répliqua aussitôt : - De quoi !? Sale punaise ! - Cooper ! Reprocha Laura. - Pauv’type ! Cria Lila. Clint eut l’air désespéré. - On ne pourrait pas avoir une conversation intéressante, pour une fois, soupira t-il. Lila reprit : - Vous ne parlez jamais de sujet qui nous intéresse ! Clint répliqua. - Parce que vous croyez que vos petites disputes volent plus haut ?! - Non, mais au moins, c’est amusant ! - Tu parles ! Fit Cooper. Nathaniel cria : - Papa ! Je veux du pain ! Clint lui lança une tranche de pain par-dessus la table. Puis décida, histoire de se montrer ouvert à toutes suggestions : - Bon, je vous laisse choisir le sujet, de quoi vous voulez parler. Lila eut un sourire malin. Elle croisa le regard rigolard de son frère et questionna : - C’est normal que Steve et son ami s’embrassent dans le jardin ? Nathaniel cria : - Oui ! c’est vrai, j’ai tout vu ! Y sont amoureux ! - Tais-toi ! Bougonna son frère aîné en lui tapant sur l’épaule. Le petit se défendit : - Non ! Je me tairait pas ! Clint tapa de nouveau sur la table. - Vous allez vous taire ! - Répond à ma question, papa, fit Lila. - Oui, c’est normal… ils sont ensemble. - Ils sont mariés ? Demanda Nathaniel. - Non, expliqua Laura, on n’est pas obligé de se marier… Nathaniel mangea son pain. Lila constata : - Ils ont pas une tête à se marier… Cooper attaqua aussitôt : - Pourquoi ? c’est écrit sur le front des gens !? Sa sœur riposta : - Les hommes ne se marient pas aussi facilement qu’un couple hétéro ! - Le mariage homosexuel n’est plus un problème pour personne, pour toi peut-être !? - Il est encore interdit dans certains états ! - Non ! Cria Cooper, il est autorisé pour tous les États-Unis depuis 2015 ! - N’importe quoi ! Cooper chercha un assentiment du côté paternel : - Papa ! - Oui, fit celui-ci, Cooper a raison… mais ce n’est pas le problème… Nathaniel, la bouche pleine, constata : - Ils veulent pas se marier ! Steve éclata de rire sous les regards surpris de tous les autres, même Buck le regarda sans comprendre, lui, la conversation le gênait plutôt. Steve s’excusa : - Pardon… mais, c’est toujours aussi animé, ici, les repas ? - Malheureusement oui, soupira Clint, une vrai foire d’empoigne… - Je n’ai pas connu ça… j’étais fils unique et je vivais seul avec ma mère… - Vos parents étaient divorcés ? Demanda Lila. - Non, mon père est mort dans les tranchés en 1918… - Et vous, Buck ? Interrogea encore la jeune fille. Ce dernier eut l’air surpris qu’on lui parle, il répondit, un peu hésitant : - On ne parlait pas chez moi… - Ça ce voit… constata Cooper. Steve prit sa défense. - Son père n’était pas le genre d’homme avec qui on avait envie de discuter… - Pourquoi ? Demanda Nathaniel, il était méchant ? La question embarrassa Steve, il ne savait pas si Buck avait envie qu’on raconte sa vie. Finalement, ce dernier répondit : - Vous avez beaucoup de chance d’avoir un père comme le votre. Je n’avais pas le droit de parler à table. Si j’avais le malheur de dire un mot, il m’en mettait une… une fois, il m’a planté son couteau dans la main… Il y eut un silence choqué. Ce fut Nathaniel qui détendit l’atmosphère en demandant : - Un couteau qui pique !? - Oui, confirma Buck, un couteau qui pique. - Aïe ! Fit le gamin. - C’est horrible, remarqua Lila, et votre mère ? Et vos frères et sœurs ? - Ma sœur n’était plus à la maison depuis longtemps… Ma mère pleurait en silence… - Vous aviez quel âge ? Vous avez fait quoi ? Interrogea Cooper qui ne parvenait pas imaginer sa propre réaction si son père lui plantait un couteau dans la main. - Je devais avoir quatorze ans… Sur le coup, j’ai rien dit. Ça saignait beaucoup, j’ai caché ça dans ma serviette, j’ai fait signe à ma mère de ne pas s’inquiéter. J’ai fini de manger puis je suis allé dans ma chambre. Là, je suis passé par la fenêtre… Nathaniel qui ne perdait pas un mot, s’étonna : - Pourquoi t’es passé par la fenêtre ? Buck échangea un sourire avec Steve. - Pour aller chez Steve… répondit-il. - C’était déjà votre ami ? s’enquit Lila. Buck n’eut pas le temps de répondre, Nathaniel lança : - C’était déjà son amoureux ! Un sourire s’étala sur les visages, Buck démentit : - Non, c’était mon ami, c’est tout… Sa mère travaillait à l’hôpital, elle m’a soigné… - T’as une cicatrice ? s’enquit le gamin curieux. - J’en avait une… Il montra son bras gauche, Steve posa ses doigts sur la main d’acier, il se souvint : - Tu étais blanc comme un linge, je me demande comment tu as pu parcourir les quelques centaines de mètres qui menaient chez moi… Nathaniel, à présent, regardait le bras chromé, il dit : - Ça, c’est un super bras ! Le couteau le piquerait pas celui-là ! Ils rirent, décidément, Nathaniel était un vrai phénomène. Son frère le bouscula en bougonnant : - As-tu fini de dire des bêtises ! - Je ne dis pas des bêtises ! - Chut ! Fit Laura, taisez-vous un peu… Elle sourit gentiment à Buck. Elle était contente de le voir se confier. Elle savait qu’il n’avait pas eu la vie facile, Clint lui en avait vaguement parlé. Ils mangèrent leur dessert puis elle emmena le plus jeune pour aller le coucher. Les deux grands disparurent de nouveau dans leur chambre, Clint remarqua : - Bon, bah je crois que le fait que vous soyez ensemble n’a choqué personne ! Steve prit Buck par les épaules pour le serrer amicalement : - On n’est pas si abominables quand même ! Plaisanta t-il. - Non, j’ai connu pire, avoua Clint. Il tapa fortement sur le bras de Steve en ajoutant : - Bien pire ! »
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