Un grand merci à Ignis pour la bêta.
Disclaimer : Je ne les connais pas, je ne raconte pas leur vie.
Ce texte est pour Aléa.
Broken soul est un titre du groupe Fozzy dont le chanteur est Chris Jericho.
Broken soulJe me tiens dans l’ombre, dans un coin reculé des vestiaires du stade, nous avons fini notre entraînement de football il y a une petite heure. Devant moi le mur séparant les douches du reste de la pièce empêche Wade de me voir. Je me force à ne faire aucun bruit. Il faudra que je trouve une explication à mon absence, une de plus, mais je m’en préoccuperai plus tard. Pour le moment je suis figé par la peur. C’est comme si la paroi qui me masque à sa vue en était imprégnée, comme si tout à coup mes plus grandes frayeurs étaient devenues tangibles, formant un rempart qui m’empêche d’être détecté mais aussi de venir en aide à l’éternelle victime du gang dont je fais partie. Cette victime dont je suis amoureux depuis des mois, cette victime que j’ai déjà frappée… pour cacher que nous sommes ensemble.
Standing in the shadow
Behind a wall
Made of fear
Je ferme les yeux aussi fort que je le peux, voulant me couper de ce qui est en train de se passer, du bruit des coups, des insultes, de la douleur, des remords et de la haine.
J’ai vingt ans, fais plus d’un mètre quatre-vingt, ai suffisamment de muscles pour inspirer de la peur à quiconque serait tenté de me chercher querelle, pourtant je ne suis même pas capable d’agir pour aller sauver mon amant. J’ai intégré ce groupe par facilité, parce qu’il était plus simple d’être avec eux que contre eux, et puis je voulais être du côté de ceux qui n’ont rien à craindre… mais je me suis perdu en route. Je n’ai pas su dire stop, dire non, dire que je voulais partir.
Mes larmes coulent le long de mes joues sans que je puisse les en empêcher. Ce sont des larmes de désespoir et d’impuissance, des larmes de rage aussi. Peut-être qu’elles parviendront à dissoudre la glue qui maintient ce mur de honte et de faiblesse, à faire craqueler ses fondations. Et ensuite que se passera-t-il ?
Cracking the foundations
Dissolve the glue
With my tears
Je prends conscience que je suis à un carrefour de ma vie. Soit cette fois je me rebelle enfin, soit je reste encore sans rien faire pour Randy. Et ça je ne suis pas sûr de pouvoir vivre avec…
Brusquement je sais quelle attitude est la bonne, quel chemin emprunter. Mes tripes me le hurlent mais je me retiens encore de manifester ma présence, je ne suis pas assez fort pour accomplir ça par moi-même. Je me sens démuni et si seul…
Now I'm standing at the crossroads
And I know which way to go
But I'm not strong enough to get there on my own
Je ne peux pas briser ce cycle infernal. Cette idée fait redoubler ma peine et manque m’étouffer. Mais je réalise aussi que si je ne fais rien mon futur sera détruit. Pas seulement le sien. Si je ne fais rien c’est
notre futur qui n’existera plus.
Une vague de frustration m’envahit et je serre les poings.
Cannot break cycle
Rat on the wheel spinning clear
Finding such frustrations a
World undone horizons near
Le son des coups est tellement régulier, presque hypnotique…
Je m’imagine dans quelques années, vivant à la merci du sablier, menacé par les mystères du jour.
Passé, présent et futur se mélangent.
Je suis plus vieux, j’ai trente ans, et tout ce qui me reste sont mes souvenirs et des photographies. Randy m’a protégé en se taisant, en ne révélant pas que je suis gay, mais moi je n’ai rien fait pour lui. Et maintenant je vis dans le regret des choses que j’ai oublié de dire… que je n’ai pas eu le courage de dire.
Now I'm living at the mercy of the hourglass
Threatened by the mysteries of the day
All I have are the memories and the photographs
Regretting things that I forgot to say
Non, je ne veux pas de cette existence de lâche ! Je ne veux pas de ce futur. Je suis à la fin de mon rêve éveillé et il est trop douloureux. Un gémissement de souffrance, celui que mon amant n’a pu retenir face à son tortionnaire, me fait perdre le contrôle. Mon cœur prend le dessus. Je rouvre les yeux, prêt – enfin – à affronter la réalité et les conséquences de ma lâcheté.
I'm at an end
Losing control
Sortir de ma cachette ne me prend qu’une seconde, rejoindre Wade – qui me tourne le dos – deux de plus. Je l’attrape, l’éloigne de Randy et le plaque contre le mur, me régalant du bruit sourd de l’arrière de sa tête cognant contre le carrelage.
Un coup d’œil en direction de mon compagnon me serre le cœur, je n’ai pas trouvé la force d’intervenir assez vite. Il est recroquevillé sur le sol, le visage meurtri, un œil tuméfié déjà gonflé, une lèvre ouverte. Un filet de sang macule son menton et me fait voir rouge. Orton est mon âme sœur, mon amant, mon ami, mon confident, mon point d’encrage et je l’ai laissé tomber de si nombreuses fois que je pourrais en vomir.
J’ai l’impression que cette scène s’est répétée encore et encore, depuis des mois. Avant aujourd’hui j’étais tantôt un spectateur caché derrière un masque d’impassibilité ou bien juste moqueur, parfois bourreau. Je me dégoûte.
Jusqu’ici je n’avais jamais eu le courage de me dresser face à Barrett et à l’autorité qu’il représente au sein du gang, pas eu le courage de renier le faux-semblant que j’incarne.
Mais maintenant c’est fini.
- John ? Qu’est-ce qu’il te prend ?
Une lueur de compréhension semble traverser les prunelles bovines de Wade.
- Ah ! ricane-t-il, tu veux ta part, c’est ça ? Vas-y vieux, finis le boulot, je commençais à fatiguer. En plus il ne veut toujours pas dire qui est son mec…
- C’est
moi son mec… je siffle entre mes dents serrées.
- Quoi ?!
- Fous-lui la paix Barrett, et dégage ! Sinon je te jure que ce que tu lui as infligé depuis des mois ne sera qu’une petite cure de repos en comparaison de ce que je vais te faire.
Je le secoue, cognant une nouvelle fois sa tête contre le mur, violemment, avant de le balancer contre les casiers métalliques un peu plus loin. Le choc lui coupe le souffle et il s’affale par terre avant de s’enfuir sans demander son reste.
- Jo… John ?
La voix lasse de Randy me rappelle que j’ai beau avoir chassé le méchant tout n’est pas fini pour autant…
Je m’accroupis auprès de mon amant et glisse mon bras autour de ses épaules pour le soutenir. Je sens le poids de son corps peser sur mon torse et comprends probablement pour la première fois à quel point il a du souffrir, pas seulement dans sa chair mais aussi dans son cœur. Pourtant il ne m’a jamais demandé de l’aide, il n’a jamais posé de questions ou fait de reproches quant à mon attitude. Tout ce temps je m’en suis voulu de ne pas le défendre, mais ce n’est rien en comparaison de ce que je ressens en ce moment. Peine. Rage. Culpabilité. Dégoût. Et par-dessus tout amour, amour pour cet homme si courageux que je tiens contre moi.
Ma paume se glisse dans la sienne, nos doigts s’entremêlent, et je baisse la tête de honte.
- S’il te plaît Randy, donne-moi une chance de me rattraper, de… de te montrer à quel point je tiens à toi… à quel point j’ai besoin de toi pour guérir mon âme blessée.
Trying to mend
This Broken Soul
Give me one more chance
For me to show
How much I need you to heal my broken soul
Sa main libre se place sous mon menton et il me force doucement à tourner la tête dans sa direction. Nos yeux se croisent, s’accrochent, ne se lâchent plus.
- C’est déjà fait, souffle-t-il.
FIN