Pour vous remercier, voici la suite :
Chapitre 3 « Ah non ! protestait énergiquement Evan. Pas question que je le touche !
– Qu'il n'aille pas mettre ses sales pattes sur moi ! » renchérissait Johnny.
Natalia soupira. Et dire qu’elle trouvait pénibles les chamailleries de Ben et Tanith !
Ça n’allait pas être simple d’initier ces deux énergumènes à l’art du saut lancé… Et le temps pressait : ils n'avaient que quinze jours pour monter ce programme.
Alors Natalia rassembla son courage. Prenant une voix de poissonnière, elle lança aux deux garçons :
« Bon, écoutez-moi bien : si vous rrrrrefusez de faire ce que je vous dis, je vous plante là !
– Et n’espérez pas trouver quelqu’un d’autre pour vous coacher à quinze jours du show, ajouta Guennadi, sans se départir de son calme.
– Mais peut-être que…, tenta de négocier Evan.
– Vous ne pouvez tout de même pas…, geignit Johnny.
– Ça suffit ! les coupa Natalia. Le contrrrrrat stipule que vous devez patiner en couple, pas chacun de votre côté ! Comprrrrris ? »
Evan et Johnny échangèrent un regard :
« Compris, acquiescèrent-ils à l’unisson, mais sans enthousiasme.
– Trrrrrès bien, reprit Natalia sur un ton plus doux. Evan ! Pose ta main sur le ventrrrrre de ton partenaire… là, comme ça… et de l’autre, tu lui tiens l’avant-brrrrras… plus fort, bon sang ! tu as peur de te brûler ou quoi ? »
Evan resserra son étreinte, cependant que Johnny s’efforçait de faire abstraction de sa présence tout contre lui.
Evan lui soufflait dans le cou, comme Stéphane autrefois, quand ils s’amusaient à faire des sauts lancés.
Ah, Stéphane… La vue de Johnny se brouilla. C’était troublant, tout de même, d’avoir à patiner avec un autre homme.
« Me colle pas comme ça ! se rebiffa-t-il en balançant un coup de coude dans les côtes d’Evan.
– C’est bon, fais pas ta bégueule. »
Le regard furibond de Natalia les rappela immédiatement à l’ordre :
« Johnny, écarte les bras…. Nan, pas comme un goéland malade… voilà… Et maintenant, Evan, tu pivotes en l’entraînant… »
Evan s’exécuta de mauvaise grâce. Plus il y pensait, et plus cette parodie de couple lui semblait ridicule. Deux hommes ensemble, franchement, ça ne rimait à rien, même si Weir était assez efféminé pour faire illusion…
De toute façon, il détestait l’idée d’avoir un partenaire. Question de principe. Il se suffisait à lui-même, et largement. Déjà, à
Dancing with the Stars, ça l’avait gonflé de devoir se coltiner l’autre rouquine… c’était quoi, son nom, au fait ? … Ah ouais, Anna Trebunmachin… La garce lui avait une prise de judo qui l’avait laissé à demi mort sur un tapis de gym. La plus grande honte de sa vie.
« Un peu plus vite, il faut prendre de l’élan, criait Natalia en se faisant un porte-voix avec ses mains. Evan, tu dois aider Johnny à la propulsion du saut. On va commencer par un double salchow. Johnny, souviens-toi que tu dois atterrir sur une carre extérieure arrière. Allez, on y va ! »
Evan guida l’impulsion de Johnny à l’instant où celui-ci s’élançait. Mais au lieu de le propulser dans les airs, il l’envoya, tête la première, se fracasser contre la barrière. Il ne l’avait pas fait exprès, mais il fallait reconnaître que le hasard faisait bien les choses…
« Hé merde ! fit remarquer Guennadi avec son laconisme ordinaire.
– Mais c’est pas vrrrrrai ! » se lamentait Natalia – elle n’avait jamais vu un couple aussi mal assorti.
Evan marmonna un semblant d’excuse, sans bouger de sa place. Pour un peu, il aurait souhaité que son partenaire ne se relève pas.
De son côté, Johnny, passablement sonné, tentait de remonter sur ses patins. Cela faisait belle lurette qu’il ne s’était pas pris une gamelle pareille.
« Ça va ? s’enquit Natalia, qui avait volé à son secours.
– Ça ira », murmura Johnny qui flageolait sur ses jambes, les yeux embués de larmes.
Forcément, il repensait à Stéphane, si doux, si prévenant. Jamais il ne l’aurait envoyé dans le décor comme venait de le faire cette brute sanguinaire.
« Je crois que tu saignes… », s’inquiéta Natalia.
Saisissant Johnny par le menton, elle constata que sa tempe gauche et son arcade sourcilière portaient une légère égratignure.
« Suis-moi, lui intima Natalia. J’ai pris ma trousse d’urgence, je vais te soigner ça. »
Johnny baissa les yeux. En voyant la glace tachée de sang, il faillit tourner de l’œil – c’était un garçon émotif. Il s’accrocha à l’épaule de Natalia comme un naufragé à un débris de mât.
« Arrête ton cinoche ! ricana Evan, qui observait la scène de loin. Tu vas pas en mourir. »
*
En vraie mère poule, Natalia tamponnait, désinfectait et pansait Johnny sous le regard moqueur d’Evan.
« On va peut-être s’arrêter là pour aujourd’hui, conclut-elle en rangeant le matériel dans sa trousse.
– Quoi ? s’étonna Guennadi avec une fausse naïveté. Tu leur fais pas bosser le twist comme on avait dit ?
– Et pourquoi pas la spirale de la mort, tant qu’on y est ? ironisa Natalia. Vu la maladresse d’Evan, Johnny risque de rester définitivement sur le carreau. »
Evan serra les poings, mais ne répliqua pas.
*
Quelques minutes plus tard, Johnny retrouvait Evan aux vestiaires. Celui-ci avait déjà fini de se changer et rangeait son sac avec l’air de vouloir détaler au plus vite.
Johnny s’installa au fond de la pièce, à bonne distance d’Evan.
Tandis qu’il fouillait dans son sac, il pleurnichait, sans s’en rendre compte. La douleur, la fatigue, la faim qui le tenaillait, la tension accumulée ces derniers mois, le souvenir de Stéphane, tout s’était conjugué pour le faire craquer.
Evan le regardait du coin de l’œil.
Une ombre de remords s’empara de lui. Après tout, cette petite folle n’était pas si désagréable qu’il l’aurait cru. Et vu qu’il leur faudrait encore cohabiter pendant quinze jours, pourquoi ne pas essayer de détendre l’atmosphère ?
Sa langue se délia ; il prit un ton dégagé pour demander :
« Et sinon, Johnny, tu loges où ? »
C’étaient les premiers mots qui lui étaient passés par la tête – il s’avisa après coup que la question était bien incongrue.
« Hein ? » sursauta Johnny.
Serait-il possible qu’Evan s’intéressât à son sort ? Il devait délirer.
« Où je loge ? répéta-t-il en clignant des yeux.
– Ouaip. »
Quel boulet, pensa Evan. Même pas fichu d’aligner trois mots.
« Je… je ne sais pas », bégaya Johnny en fuyant son regard.
Evan lui avait posé la pire des questions. Celle dont la réponse lui faisait honte.
« Comment ça, tu sais pas ? T’attends les instructions de ta mère ? »
Les bonnes résolutions d’Evan n’avaient pas tenu longtemps…
« C’est juste que j’ai pas encore réservé, se défendit Johnny.
– Ah, répliqua Evan, incrédule. Et tu comptes t’en occuper quand ? Tu as vu qu’il était dix-neuf heures ? »
Les yeux de Johnny étaient rivés au sol. Il aurait dû mentir…
« Je vais m’arranger », prétendit-il.
Hélas, sa voix, qui n’était plus qu’un filet, tremblotait lamentablement.
Evan fronça les sourcils.
La vérité, c’est que Johnny n’avait nulle part où dormir et qu’il devrait compter sur la pitié d’un passant pour ne pas finir dans la rue, entre deux cartons.
Tout lourdaud qu’il fût, Evan avait compris que quelque chose clochait. C’est alors que les paroles de Yuki lui revinrent en mémoire :
« Alors comme ça, c’est vrai ? demanda-t-il, soudain sérieux. T’es fauché ? »
Johnny se retint de ne pas éclater en sanglots :
« J’ai même pas de quoi me payer une chambre d’hôtel », murmura-t-il en passant la main sur ses yeux pour cacher ses larmes.
Jamais il ne s’était retrouvé dans une situation aussi humiliante. Evan devait bien rire dans sa barbe, même si, en cet instant, il faisait presque mine de compatir - l'hypocrite !
Sans dire un mot, Evan s’en retourna à son sac.
Il y eut un long silence. Johnny, à bout de forces, s’était affalé sur le banc. Quant à Evan, il avait depuis longtemps terminé de remballer ses affaires. Il s’attardait sur le seuil de la porte, l’air inhabituellement soucieux.
« Johnny ? appela-t-il enfin d’une voix hésitante.
– Snif, renifla Johnny.
– Si tu veux…
– Quoi ?
– Je… enfin…, tergiversait Evan. Je peux te dépanner pour cette nuit… »
Les mots lui arrachaient la langue.
A suivre...