Bon ben voilà la suite, pour celles et ceux que ça intéresse...
Chapitre 2Evan avait fini par accepter, sans trop savoir pourquoi.
Parce que Yuki l’avait harcelé jusqu’au bout de la nuit ?
Parce que sa môman serait trop contente de le voir remonter sur les patins ?
Parce qu’un chèque pareil, ça ne se refusait pas ?
Ou parce que s’il disait non, il risquait de passer pour un dégonflé aux yeux de l’autre folle ?
En y réfléchissant, c’était peut-être bien cette dernière considération qui l’avait emporté.
Sans compter qu’un croc-en-jambe involontaire ou malencontreux coup de patin dans la tronche étaient si vite arrivés…
*
Tandis que Tara sabrait le Champagne, Johnny feuilletait fébrilement le contrat qu’elle venait de lui remettre. Il avait de la peine à y croire. 75.000 dollars ! De quoi éponger tous ses crédits conso. Et se remettre à flamber comme à la grande période.
Arrivé à la page 54, Johnny dut plisser les yeux : les caractères avaient brutalement rapetissés. Il devina qu’il s’agissait des clauses du contrat.
À peine eut-il commencé à les déchiffrer que les feuillets lui tombèrent des mains comme un tas de feuilles mortes. Non, c’était pas possible. Tara, son amie, sa confidente, son fidèle agent, n’avait pas pu lui faire une chose pareille !!!
Passe encore qu’elle signe à sa place – ce n’était pas la première fois, il s’était fait une raison.
Mais pas un contrat qui l’obligeait à patiner en couple avec Lysacek !!!
« Je t’aurais demandé, tu aurais refusé, se justifia Tara avec son culot ordinaire.
– Ben justement !
– Seulement, moi, faut que je mange ! Rachael et Jeremy m’ont plaquée. J’ai plus que toi dans mon agence. Champagne, princesse ?
– Tu m’as trahihihihihi, se mit à chigner Johnny.
– Meuuuh non. Je l’ai fait pour ton bien. Approche ton verre que je te serve. T’avais plus un rond, fallait te sortir de la mouise. Et puis il est pas si terrible que ça, Lysacek.
– Hein ? bondit Johnny. Répète ça, pour voir !
– Allez, trinque avec moi. Je suis sûre que tout va bien se passer…
– Je crois que tu aurais besoin d’un petit topo sur l’histoire de nos relations. »
Car à la seule évocation du nom d’Evan, Johnny se sentait envahi par un sentiment oscillant entre le haut-le-cœur et la gueule de bois. Même si les faits remontaient à deux ans, il n’avait toujours pas digéré la manière dont son compatriote avait ironisé sur son identité sexuelle.
Mais pourquoi cette idiote de Tara n’avait-elle pas eu l’idée de l’associer à Stéphane ? Pour le coup, il se serait plié au destin sans regimber. Il faut dire que le charme du Suisse avait toujours opéré sur lui...
Souvent, le soir, lorsqu’il était seul dans son lit, Johnny se sentait submergé par une douloureuse nostalgie. Il repensait aux moments qu’il avait partagés avec Stéphane. Il revoyait son sourire espiègle, ses beaux yeux aux extrémités plissées, son air de ne pas y toucher, même lorsqu’il laissait traîner une main sur ses fesses…
Tous les deux, ils n’avaient fait que flirter, mais…
L’imagination de Johnny vagabondait.
« Tu trouves pas qu’il est beau garçon ? gloussa Tara.
– Hein, qui ça ? sursauta Johnny, perdu dans des rêveries très concrètes.
– Lysacek. S’il était un poil plus vieux et un peu moins orange, ce serait tout à fait mon genre…
– T’es pas sérieuse ? s’étrangla Johnny, qui n’en croyait pas ses oreilles. Ce type est un salaud fini !
– Arrête de ressasser le passé ! s’exclama Tara, qui en était à son troisième verre. Certes, vous avez été longtemps rivaux, mais maintenant, vous êtes rangés des bagnoles. Il serait peut-être temps d’enterrer la hache de guerre, non ?
– Pas avant de lui en avoir foutu un coup dans la gueule ! »
*
Par l’intermédiaire de leurs agents respectifs, Johnny et Evan avaient convenu qu’ils répéteraient au Center Ice de Dupage, à Chicago – c’était le club d’Evan. Première concession, songeait Johnny sur le chemin des vestiaires. Evan imposait ses règles du jeu. Comme à son habitude. Et lui, étranglé par ses dettes, n’avait d’autre choix que de se soumettre.
Tout en laçant ses patins, Johnny écrasa une larme.
Comme Bing avait refusé de verser un acompte, il était venu de New York en stop. Il avait manqué de se faire violer par un camionneur libidineux et avait dû dormir dans un hall de gare, couché sur sa malle Vuitton, à côté d’une pochtronne qui ronflait. Le matin, très tôt, il s’était lavé dans les toilettes, en priant pour que personne ne fasse irruption – sauf Stéphane, bien sûr.
C’était un de ses vieux fantasmes… Le Suisse surgirait, le plaquerait contre la porte et, s’agenouillant,… Mais qu’est-ce que Stéphane irait foutre dans les chiottes d’une gare sordide à 6H du matin au fin fond du Middle West ? Johnny avait barricadé la porte avec sa malle.
Il avait oublié son fond de teint. Ce fut donc avec une petit bouille fripée et des cernes noirs qu’il se présenta au bord de la patinoire. Son visage (il s’en fit la réflexion) présentait une troublante similitude avec celui de Ping. Ou plutôt de Ping II, son successeur.
Il aperçut au loin Evan, déjà en tenue d’entraînement, et copieusement tartiné d’autobronzant. Deux personnes se tenaient à ses côtés : Natalia, la chorégraphe de Ben et Tanith, et Guennadi, son mari. Ce dernier – le seul à avoir remarqué la présence de Johnny – lui fit signe d’approcher.
Evan, lui, continuait à parler en décrivant de grands cercles dans l’air. Il paraissait déborder de morgue et de condescendance, comme autrefois.
Le cœur de Johnny se serra : il se doutait que ce serait pénible de le revoir, mais à ce point…
Les premiers mètres lui coûtèrent un empire. Il avait l’impression que ses pieds s’étaient enfoncés dans la neige et qu’il devait en arracher une poignée à chaque pas.
Alors qu’il rejoignait son ennemi, ce dernier parut enfin le voir – ou plus exactement l’entrevoir, car sitôt que leurs regards se croisèrent, celui d’Evan esquiva le sien pour aller se perdre au-dessus de son épaule.
« Tiens, il a pris de la brioche », pensa Johnny.
Il faillit le dire, mais un scrupule le retint : ce n’était peut-être pas la meilleure des entrées en matière, et il n’avait aucun intérêt à ce que leur collaboration foire. Aussi tourna-t-il sept fois sa langue dans sa bouche.
Trouver quelque chose d’agréable à dire à l’autre enflure.
Peut-être lui faire un compliment sur son joli teint carotte ?
« Ah, enfin ! s’exclama Guennadi en lui donnant une tape sur l’épaule – Johnny manqua de basculer en arrière.
– On commençait à être inquiets », renchérit Natalia.
Guennadi et Natalia se turent, incitant du regard les deux patineurs à prendre le relais.
Mais ceux-ci, au lieu de s’adresser la parole, se mirent à se regarder en chiens de faïence.
Entre eux semblait se dresser un mur de glace.
« Rum… », toussa Natalia.
Mais Evan demeurait impassible, plus immobile qu’une statue de sel, le col relevé jusque sous les yeux. Quant à Johnny, l’envie de fuir le démangeait. Pour se donner du courage, il pensa très fort à sa petite veste Chanel.
« Bon-bon-jour », bégaya-t-il enfin.
Seconde concession depuis son arrivée. Ça commençait à faire beaucoup.
« S’lut », daigna répondre Evan, sans se départir de sa superbe.
Johnny ébaucha un sourire, qui ressemblait plutôt à une grimace, et lui tendit la main – merde, il avait débordé en se faisant les ongles.
Evan la serra sans ôter ses gants, du bout des doigts.
« Bon, hé bien, on va pouvoir y aller ! conclut Natalia avec un grand sourire. Je vais vous montrer la merrrrrveilleuse chorégraphie que j’ai élaborée pour vous. »
Elle tentait désespérément de réchauffer l’atmosphère.
La pauvre, pensa Johnny.
Quelle conne, songea Evan.
A suivre...