Juste un petit Fedal rapide pas joyeux joyeux en passant
ImpuissanceIl ne savait pas depuis combien de temps il s’entraînait. Il sentait la paume de sa main rugueuse à force de trop frapper mais c’était plus fort que lui, il recommençait encore et encore. Et recommencerait tant qu’il faudrait. Mille fois qu’il lui semblait rater le même coup droit, celui qui sortait habituellement si facilement de sa raquette. Sa patte. Sa signature. Alors, il frappait et frappait encore, jusqu’à l’épuisement.
Assise dans les tribunes, la jeune femme suivait des yeux chacun des gestes de l’homme harassé.
Impuissante. Inquiète. Lorsqu’enfin, à bout de force, il se décida à quitter le court avec un geste d’humeur qui ne lui ressemblait pas, elle se faufila vers les vestiaires, discrète comme une ombre. Comme l’ombre qu’elle était toujours...
- Rafa... murmura-t-elle du bout des lèvres.
Il eut une légère réaction mais ne se retourna pas vers elle, comme s’il pressentait déjà que les mots qui s’apprêtaient à être prononcés n’allaient pas lui plaire. Pourtant Xisca ne le jugeait jamais. Elle était patiente. Compréhensive. Et Rafa, de toute façon, avait toujours su comment se sortir de situations difficiles. Il avait été si souvent blessé et si souvent il était revenu au sommet à force de travail. Pourtant cette fois-ci c’était différent. Il le savait au tréfonds de lui-même mais il n’avait pas le courage de lire en lui alors il appliquait la seule recette qu’il connaissait. Travailler. Toujours.
- Rafa, répéta-t-elle...
Il inclina légèrement le visage vers elle. Malgré la douche, il semblait épuisé. La sueur perlant encore à son front. Les traits tirés et les sourcils froncés en permanence.
- Peut-être que tu devrais faire une pause. Peut-être qu’on pourrait... se marier ?
Les derniers mots s’étaient presque perdus dans le silence du lieu, si hésitants, si timidement émis. Rafa entendit pourtant tout ce qu’elle ne disait pas :
depuis le temps. Et puis ça a plutôt bien réussi à Andy et à Novak. Il se crispa imperceptiblement. N’osa pas vraiment la regarder. Il l’aimait pourtant. Elle avait toujours été là à ses côtés. Indispensable soutien dans la tempête comme dans la gloire. Si constante et pareille à elle-même. Oui, il l’aimait... Alors pourquoi il hésitait ?
En arrière fond, ils aperçurent Roger Federer entrer d’un pas décidé sur le court d’entraînement. Le sourire étincelant. Décidé à tout faire pour s'emparer du titre. Tellement conquérant. Tellement dans une dynamique opposée à la sienne. La voix du majorquin les sortit tous les deux de cette contemplation muette :
- Je crois que ce n’est pas le bon moment.
Elle regarda le suisse encore une seconde et lâcha avec une légère amertume qu'elle tâchait de montrer le moins possible :
- Pas le bon moment... ou pas la bonne personne ?
La phrase lui fit plus mal qu’il ne l’imaginait. Avait-il fait semblant d’ignorer que
ça la blessait ? Elle acceptait mais pouvait-elle être heureuse ainsi ? Il savait bien que non. Il savait bien que c’était ça le nœud du problème.
Toni ne disait rien. Il n’avait pas son mot à dire sur la vie privée de son neveu, c’était une sorte d’accord tacite entre eux mais parfois, son regard noir lui criait distinctement
« choisis, bordel ! »Juan, lui, préférait en rire, il disait seulement
« si c’est juste parce que c’est un homme, ton Roger, alors, je suis candidat ! ». Mais Pico n’était pas Roger. Pico n’était
que son meilleur ami.
- Je suis désolée, dit-il seulement et il se sentit encore plus minable que s'il avait juste répondu oui ou non .
Elle ne dit rien, elle était sensible à sa détresse malgré ce qu'elle ressentait également de peine et de frustration, elle glissa sa main dans celle de son fiancé. Il serra les doigts avec une vraie douceur, l'enlaça doucement, respirant un instant le parfum familier de ses longs cheveux noirs et le cœur moins battant, il murmura la seule promesse qu'il croyait pouvoir faire :
- Bientôt...
Elle s'en contenta.
Encore une fois. Rafa ferma les yeux. Puis les rouvrit un instant sur Roger en contrebas. Ce dernier sursaut de culpabilité le décida à essayer. A trouver la force de se détacher de lui. Il ne pouvait pas continuellement vivre le cœur coupé en deux.
Aussi dès qu'elle fut retourné à l'hôtel, Rafael se fraya un chemin jusqu'à lui. Le suisse, toujours avenant, l'accueillit avec un sourire franc qui se fana très vite devant l'air solennel qu'affichait son cadet.
- Rafa ?
- Il faut qu'on parle un peu de nous.
- Tu veux arrêter ?
Il avait dit ça si vite, l'air si soudainement décomposé que le "oui" ne sortit pas assez vite. Roger avait réagi bien avant, appuyant sa main sur son avant bras, une douleur vive au fond des yeux :
- Je t'en prie Rafa, je n'y arriverai pas sans toi.
- Mais cette vie...
- Si je pouvais changer les choses, tu sais que je le ferai.
Il se sentit vaincu. Et vaincu encore lorsqu'il entendit son aîné lui murmurer qu'il l'aimait.
C'était comme ça. Rafa était la force de Roger, mais Roger était sa faiblesse... Combien de temps supporterait-il de ne pas le voir, de ne pas le toucher, de ne pas l'embrasser aussi souvent qu'il le voulait. Combien de temps supporterait-il encore la peine et le déchirement dans les yeux de Xisca ? Il avait été un guerrier sur les courts mais dans son coeur, il se sentait impuissant à conclure la moindre partie...
FIN