Hello, juste un petit Fedal en passant pour fêter le 9ème sacre de Rafa à Roland Garros
Cœur d'argileRoland Garros 2014, finale messieursPOV RogerJe te vois entrer sur le terrain, dans ton jardin, sur cette terre ocre dont la couleur te va si bien. Sur cette terre dans laquelle tu t’es roulé tant de fois, sans jamais t’en lasser. Vous êtes devenus si indissociables, elle et toi, que je me surprends souvent à penser à toi à chaque poignée que je ramasse, à chaque court que je foule. Les gens s’imaginent à tort que je préfère le gazon, mais dès que le tournoi parisien approche, je suis assailli par l’image de ta peau aussi dorée que cette argile orangée. Et dieu que j’aime ça. Dieu que j’aime Paris pour ça.
Tu es moins sûr de toi que les autres années, plus fragile encore et chacun de tes pas trahit une hésitation imperceptible. Les commentateurs n’y sont pas aussi sensibles que moi. Ils parlent du roc que tu es, du guerrier que tu deviens, une raquette à la main. Moi, je te connais par cœur. Je connais chacune de tes faiblesses, de tes expressions, je sais voir l’incertitude et la peur sous ton sourire moins éclatant que d’ordinaire.
Je voudrais voler sur le court pour te rassurer, pour réchauffer ton cœur, à défaut de réparer ton corps mais je n’en ai plus le droit.
Je me souviens. De ce regard blessé, de cet éclat de trahison, de la douleur étouffée dans tes yeux caramels quand le journaliste t’a demandé ce que tu pensais de la future naissance de mes enfants. Tu as eu l’air perdu l’espace d’un instant puis tu as souri. Timidement. Tu as juste murmuré :
- Félicitations aux parents.
Tu venais de me battre sèchement à cet open d’Australie. Et je ne t’avais rien dit. La peur de te perdre me rendait lâche. L’idée de ne plus pouvoir te tenir contre moi, respirer le parfum de ta peau, m’enivrer de ta chaleur, me terrifiait et j’ai repoussé cet instant trop longtemps. Tu ne m’as pas pardonné de l’apprendre ainsi. J’ai essayé de te parler, sans savoir vraiment comment justifier l’injustifiable, je t’ai seulement dit :
- Ça ne change rien.
Tu as souri d’un sourire sans joie. J’ai compris que j’ajoutais l’insulte au mensonge. Parce que pour toi, ça changeait tout. Pour toi, ça voulait dire que tous ces instants, toutes ces promesses que je t’avais faites, tous ces projets dont je parlais à mi-voix, tout cela avait brûlé comme un feu de paille. Je pensais pourtant chaque mot. Et je n’ai pas cessé de t’aimer. A aucun moment...
Novak t’agresse dès le début du match. Il veut ce trophée autant que je veux reconquérir ton cœur. Tu alignes des fautes inhabituelles. Il te fait peur. Tu as tort. Personne n’a ta force. Ta résistance. Ta volonté. Pas même moi. Encore moins lui. Il a tout fait pour te déstabiliser, il a séduit ton public avec son français impeccable, il a clamé à qui voulait l’entendre que cette année était pour lui. Ne le laisse pas te voler ta couronne. Pas cette année.
A Melbourne, avec le retour cruel des blessures qui jalonnent ta carrière, j’ai vu ta motivation vaciller. Ton envie de te battre, faiblir. Je sais que ma trahison y a contribué. Tu es devenu un faon égaré sur les courts que tu traversais comme un fantôme, devenu l’ombre du tueur que tu étais. Et jamais, tu ne m’as laissé t’expliquer. Ton sourire qui ensoleillait ma vie s’est fané au printemps, avec la naissance de mes deux enfants. Je ne te mentirai pas, Rafael. Je suis heureux de leur venue. Je les aime comme j’aime mes filles. Mais mon bonheur ne suffit pas à guérir la plaie de ton absence.
Sur le court central, le soleil de Paris devient aussi chaud et sec que celui de l’Espagne. Ses rayons ralentissent vos gestes, affectent votre rythme, vous étouffent. Tu te reprends à y croire quand Novak se fait moins sûr dans ses frappes. Il ne fallait qu’une faille pour t’y engouffrer. Tu n’as besoin de personne pour te pousser. Je le vois à ton regard qui se teinte de la détermination d’autrefois. Tu es prêt à mourir sur le court. Tu n’as plus aucun autre but. Aucune autre obsession. Je sais que Novak n’aura pas la force d’y résister. Je n’ai jamais eu la force d’y résister.
J’ai partagé la vie de Mirka de nombreuses années. Tu ne peux pas me reprocher une incartade. Une seule, Rafa. Je te le jure. J’ai faibli devant ses larmes, alors que je la quittais. J’ai retrouvé les courbes de son corps, comme un adieu. Mais elle avait déjà perdu mon cœur.
Tu arraches cette victoire en puisant dans tout ce qu’il te reste d’énergie et de volonté. Tu tiens à peine debout à la fin de ce combat historique. Les crampes tétanisent tes muscles et tu n’as pas même la force de soulever cette coupe pour laquelle tu as tout donné. Ta victoire a quelque chose de banal pour les spectateurs et les commentateurs. Ils en oublient de voir ce qu’elle a d’essentiel pour toi. Elle te prouve que tu es encore vivant. Que tu es encore capable d’exploit. Que je n’ai pas tué ton cœur d’enfant capable de s’émerveiller devant ce trophée comme la toute première fois où tu l’as croqué.
Alors, je me dis que rien n’est impossible. Que je peux bien mener le même combat pour te convaincre. Tu peux bien piétiner mon égo, me haïr de toutes forces, je n’aurais de cesse de te prouver que non, vraiment, rien n’a changé. Que tu es définitivement celui qui fait battre mon cœur, mon alter égo et mon opposé tout à la fois. Ma coupe des mousquetaires.
L’adrénaline t’a fait tenir le temps qu’il faut pour sourire aux photographes, mais mon regard sait voir chaque infime détail de ta personne. Tu es prêt à t’effondrer. Et tu as mal. Tu fais quelques pas dans le couloir qui t’éloigne du Chatrier et tu flanches, loin du regard des caméras.
Mais je suis là. Là pour te soutenir. Ton regard, encore embué de larmes, se verrouille sur moi. Me sonde. Un sourire léger vient flotter sur tes lèvres. Et je comprends. Tu me connais par cœur, toi aussi. Tu sais lire en moi, autant que moi, en toi. Je n’ai pas besoin de mots, d’excuses, de justification, ni même de déclaration, tu lis ma sincérité, mon amour, au fond de mes yeux. Ton pardon vaut toutes les victoires. Une odeur d’argile mêlée à celle de ta peau me parvient aux narines, il y a tant de souvenirs dans ce mélange subtil que je suis le seul à percevoir... de matchs disputés avec toi, de corps à corps partagés dans l’intimité d’une chambre.
Oui, définitivement, c’est l’argile que je préfère.
FIN