Martin a beaucoup cogité !
Et voici le chapitre quatre !
Les enfants avaient réclamé des muffins. « Nature ! » avait précisé Joe. « Nan, avec des pépites de chocolat ! » avait répliqué Grace. Leur mère avait rétabli la paix : « Je ferai les deux ! » Amanda était seule dans la cuisine avec le chien Arthur, les deux gourmands dans leur chambre, entre jeux et disputes, Martin à une émission de radio pour une interview. Elle disposa les ingrédients sur le plan de travail : farine, lait tiédi, chocolat cassé en petits morceaux, levure boulangère, semoule, sel. Après avoir préparé la pâte, divisée en deux boules, l’une avec des pépites de chocolat et l’autre sans, elle la laissa reposer sous un torchon pendant une heure, après quoi elle confectionna les muffins qu’elle laissa également reposer une heure. Elle les fit ensuite cuire sur une poêle avant de les disposer, dorés à point, sur de grandes assiettes bleu pâle. Un peu plus tard, la petite famille au complet se régala au cours d’un goûter tardif. « Personne n’aura faim au dîner » regretta Amanda. Martin étalait de la confiture d’abricots sur une moitié de muffin. Dressant une cuillère en guise de sceptre, il proclama, sentencieux : « Menu de ce soir : un fruit ou un yoghourt chacun ! » puis il posa la cuillère et mordit dans le muffin. Attentif et tendre, son regard s’attardait sur Amanda, perplexe. Elle se leva de table, alla vers l’évier, se retourna. Martin ne l’avait pas lâchée des yeux. Amanda fit couler de l’eau sur ses mains collantes de sucre. Elle en aurait juré, il avait quelque chose en tête.
Joe et Grace étaient couchés. Amanda proposa à Martin de visionner le DVD du film « Lincoln » de Steven Spielberg, qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion de regarder. Martin se gratta le front, puis le cou : « Euh oui, d’accord, tout à l’heure », toussota, s’assit sur le canapé près d’Amanda, toussota encore : « Je voudrais te parler de quelque chose. » Sa compagne reposa le DVD. Martin n’en finissait pas de labourer son cou d’un ongle obstiné tout en étudiant le tapis. Cet embarras très inhabituel commença d’inquiéter Amanda. A croire qu’il allait lui annoncer leur séparation, c’était grotesque. Que lui arrivait-il. Martin finit par laisser son cou en paix, fixant sur Amanda un regard plus attendri que jamais. Il sourit légèrement tout en rougissant. Cette fois, la jeune femme se retint de rire. Et maintenant, il avait l’air sur le point de débiter une demande en mariage. Cela devenait ridicule. Martin s’en prenait désormais à ses doigts, dont il mordillait l’extrémité en silence. Amanda le houspilla : « Bon, Martin, tu accouches ? » Le petit blond devint écarlate, un rire étouffé le secoua. Après un dernier coup d’œil au tapis, il se lança. « Ma douce, ça te tenterait, d’avoir un autre enfant ? » Amanda leva les sourcils. Quelle surprise, c’était mignon, pas très raisonnable, elle n’était plus si jeune, il était adorable. « Je ne sais pas, tu me prends au dépourvu… Tu voudrais un autre enfant, toi ? Tu ne m’avais jamais dit… » Elle se tut et reprit : « Tu voudrais un troisième enfant ? Honey, je ne suis plus une jeunette, mais bon, pourquoi pas après tout, si tu en as vraiment envie, on peut voir… » Elle était émue. Si Martin désirait un autre enfant, un petit dernier, il l’aurait. Elle regarda son homme, toujours occupé à tourmenter ses doigts. Il s’éclaircit la gorge, posa une main sur le genou gauche d’Amanda. Toussota. « Ma douce, avec Benedict, qu’est-ce t’en dirais ? » - Avec Benedict ? La main caressa le genou. « Je ne sais pas comment tout ça va finir pour lui, ça le bouffe, cette histoire de paternité, sa vie a l’air d’être pleine comme un œuf, mais non, il me parle de vide, de trucs comme ça, quelquefois son regard me fait peur, à Swindon, il m’a fait peur. Je sais bien, il est censé avoir l’embarras du choix pour les femmes, et d’ailleurs il l’a, mais en fait ça coince, tout le temps. Je ne sais pas pourquoi exactement, une chose est sûre, ça coince quelque part, complètement. Il n’y arrive pas, il ne se sent à peu près jamais en sécurité. Avec Olivia, si, avec moi aussi. » Martin hésita une seconde. « Avec toi aussi. » Durant quelques secondes, il attendit une réaction, qui ne vint pas. « Avec toi, il se lancerait, en tout cas, j’en suis presque sûr, il t’aime, beaucoup, et toi aussi il me semble, il te fait confiance, il nous fait confiance à tous les deux. Je sais bien que ça paraît un peu…un peu…mais enfin bon, ce serait… quelque chose de sympa. De beau, voilà. Un petit frère ou une petite sœur pour nos gamins, qu’est-ce que tu en penses, ma toute douce ? » La main de Martin s’immobilisa sur le genou d’Amanda silencieuse, dont le visage n’exprimait aucune émotion visible. Le silence s’intensifia, un spasme vrilla l’estomac de Martin. « C’est une plaisanterie ? » Martin retira sa main. Féroce, le spasme récidiva. Cela démarrait affreusement mal. Amanda se leva et demeura debout près du canapé. « Non, ce n’était pas pour rire ? En gros, si j’ai bien compris, tu me dis si je me trompe, tu me vois comme la pondeuse de Benedict ? Il n’est pas fichu de s’en trouver une tout seul, donc pour toi, grand génie, le remède miracle, la pondeuse, c’est moi ? » Amanda recula de trois pas. Pour la première fois depuis bien longtemps, Martin chercha ses mots : « Ce n’est pas ça… Ma douce, tu es… mon pilier, mon roc… je pensais que tu pouvais… qu’on pouvait… élargir un peu la famille… notre famille…» Le bafouillage s’épuisa sous le regard glacé d’Amanda, toujours immobile : « Tu pensais ? Ah bon ? A trouver une mère porteuse pour ton mec ? Tu pensais l’avoir trouvée à domicile ? Une solution pratique et sans frais, une petite nana gentille et disponible ? » L’accablement figea Martin. Ton mec. Jamais elle n’avait dit ça, jamais. C’était la première fois, c’était horrible. Toujours « Ben », « Benny », « Cumby », le « grand chat », les mots doux d’Amanda. Elle ricana : « Et tu as pensé que j’allais marcher ? Et sauter de joie, tant qu’on y est ? Il t’a vraiment pompé le cerveau, en plus du reste ! » La consternation de Martin atteignit son comble. Jamais elle n’était vulgaire, jamais. Elle était à ce point hors d’elle. C’était épouvantable. Il avait tout gâché. Il avait cru sauver Ben, il avait semé le désastre. Le sol allait s’ouvrir sous ses pieds, le plafond s’écrouler, Amanda le quitter. Près de la porte, celle-ci lança âprement : « Si tu avais pu, tu te serais fait mettre en cloque pour lui, non ? » Elle sortit de la pièce sans attendre de réponse. Martin fixa la porte. S’il avait pu, oui.
Il était près de minuit. Martin monta à l’étage. Il avait bu un verre de whisky, un single malt des Highlands, puis un deuxième, avait cherché refuge au milieu de ses disques, trois minutes plus tard avait fait demi-tour en direction de la bouteille de scotch, saisi le verre, la bouteille, reposé le tout sur la table. Dans la chambre obscure, Martin se déshabilla rapidement, jetant ses vêtements au hasard sur le sol. Dans le lit, Amanda reposait sur le côté gauche, immobile. Martin savait qu’elle ne dormait pas. Il s’allongea sur le dos, la couverture ramenée à hauteur des épaules, les bras croisés. Les yeux fixés au plafond, il se prépara à une nuit sans sommeil.
A suivre
|