Un petit Fedal pour bien commencer Roland Garros et revenir sur leur dernier match, il y a quelques jours, même si généralement, je ne suis pas très pro-Roger
Dans tes filetsRome, mai 2013, (Après la finale du Master 1000, 6-1 / 6-3 pour Rafa)Rafael n'en revenait pas d'avoir remporté une nouvelle fois le trophée de Rome, comme il n'en revenait pas de tous ceux qu'il avait réussi à arracher depuis son retour après sept mois d'absence. Il se sentait en état de grâce, même s'il avait plus que jamais l'impression que tout pouvait basculer en une seconde. Pourtant, malgré cette confiance en partie récupérée, il avait toujours ce pincement au cœur lorsque sa victoire sur le court était aux dépends de Roger.
Comme souvent, le Suisse avait su donner le change face aux journalistes, un visage de composition, un timide sourire, des encouragements sincères à son grand rival et quelques mots rendant aux fans leur confiance. Mais au fond de lui, l'espagnol savait bien ce que ressentait son ami. Il l'avait déjà vécu, contre lui ou contre d'autres. Et là, il était difficile de nier que la défaite avait été écrasante. Roger avait subi. Baissé les bras dès le début. N'offrant aucune résistance. Forcément, la tristesse devait être là.
Du coup, il s'était retenu de laisser exploser sa joie, par respect pour lui. Il avait attendu d'être sous la douche, loin de son regard, pour pouvoir se sentir enfin apaisé de cette course folle vers le podium qu'il s'était infligé ces derniers mois. Alors qu'il se séchait les cheveux, il reconnut le pas lent et la silhouette abattue du suisse dans l'entrée et se crispa légèrement. L'autre homme ne s'attendait sans doute pas à le trouver encore là, ils se regardèrent un instant sans un mot.
- Roger...
- Tu as très bien joué, Rafa, il n'y a rien à dire...
- Tu avais mal au dos.
- Et toi, au genou, sourit-il avec indulgence.
Il s'avança un peu vers son frère ennemi, il n'aimait pas sentir la compassion dans ses mots, ça entachait sa fierté. Il trancha un peu amèrement :
- Tu m'as infligé neuf jeux d'affilée, je n'étais pas dedans, c'est tout, il n'y a pas d'excuses à trouver...
Rafael ne bougea pas, observant son visage, sentant toute la douleur contenue dans ses yeux. Qu'allaient titrer les journalistes ?
La leçon donnée au maître? Rafa atomise Federer ? Pire,
l'heure de la retraite... Roger ne méritait pas ça.
Le suisse, devinant sa gêne, s'attarda sur le profil fier de son ami toujours plongé dans ses réflexions, le jeune garçon qu'il avait rencontré presqu'une dizaine d'années auparavant avait bien changé, devenu un homme à la musculature impeccable, au mental d'acier, un guerrier pourtant capable d'une telle empathie lorsqu'il s'agissait de lui faire oublier une défaite, d'une telle douceur dans chacun de ses regards pour lui.
Se doutait-il seulement ?Le plus jeune sentit le regard de son aîné devenir plus appuyé, plus indéfinissable et se sentit un peu mal à l'aise, mais il ne trouva rien à dire pour rompre le silence pesant qui accompagnait ce regard perçant. Le numéro 1 suisse sembla réaliser de quelle façon il dévisageait son ami et essaya aussitôt de se justifier en s'empêtrant dans les mots :
- Quand c'est toi en face de moi sur le court... c'est trop difficile, je veux dire, c'est toi, ça me trouble, je...
Il se tut, fixa un instant ses tennis. Rafael, de moins en moins à l'aise, tenta de dédramatiser ce curieux aveu :
- On est pourtant un vieux couple sur le court.
- Justement... ne put s'empêcher de répondre le brun replantant son regard intense dans les yeux caramel du Majorquin...
Et puis sans aucun préavis, comme cédant d'un seul coup à toute la pression qui lui oppressait le cœur, il se pencha vers son ami et posa ses lèvres sur les siennes.
Rafael eut un mouvement de recul immédiat et instinctif, il resta interdit une seconde supplémentaire et, sans un mot ni un regard pour l'autre homme, il se dirigea à grands pas vers la porte du vestiaire. Lorsqu'il la claqua, il y resta adossé une seconde de l'autre côté, le temps de reprendre ses esprits.
Mais qu'est-ce qui avait pris à Roger, bon sang ? Incapable de réfléchir, il s’apprêta à partir pour de bon lorsqu'il les entendit distinctement derrière la porte.
Les larmes de Roger. Pour ne pas dire les sanglots. Un son léger, étouffé mais qui lui glaça le cœur. L'espagnol resta figé. N'importe qui pouvait entrer et le trouver dans cet état-là et ce n'était pas pensable pour le jeune homme. Pas Roger Federer. Son modèle. Son ami. Il n'hésita pas longtemps, il rouvrit la porte et entra à nouveau dans le vestiaire.
Là, il le vit, recroquevillé sur le sol, les bras autour de ses genoux et le visage enfoui, les yeux cachés par ses cheveux mais dont on ne pouvait ignorer les longs sillons humides qui s'en écoulaient. Et Rafael eut mal. Bien plus mal que lorsqu'il l'avait vu pleurer en 2009 sur la tribune de l'Open d'Australie, incapable qu'il avait été alors de cacher son chagrin. Là, la souffrance semblait profonde, réelle, tellement ancrée en lui que le champion à terre ne l'avait même pas entendu revenir sur ses pas.
Roger semblait vaincu et pas seulement par un champion de tennis meilleur que lui. Il ne sortit de cet état que lorsqu'il sentit deux bras puissants le soulever de terre et le relever. Il ne lui fut pas difficile de reconnaître l'homme qui l'aidait, il aurait reconnu son parfum léger et le contact de ses mains, les yeux fermés.
Il était revenu.- Rafa...
- Chuttt.
Rafael l'attira à lui, le serrant dans ses bras sans se poser de questions, il comprenait juste qu'en cet instant, il avait besoin de lui. Et l'autre, de toute façon, n'avait plus la force, ni l'orgueil de résister à cette étreinte que son cœur réclamait bien au-delà de sa raison. Ils restèrent enlacés, le temps que les pleurs se calment dans la poitrine du suisse laissant place à une douce chaleur.
A suivre