Aller, aller! J'ai encore une fois bien assez traîné!
Voici une suite qui se scinde en deux parties. Vous aurez donc un quatrième chapitre dans peu de temps
Encore et toujours merci à Half, que j'ai bien fait poirotter, comme à mon habitude.
Enjoy
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Chapitre 3 :
La chute inattendue fit échapper un cri de surprise au jeune Hobbit alors qu’il tombait en avant, réceptionné par un sol boueux.
- Pippin ! s’écria Meriadoc.
Rebroussant chemin, l’aîné se précipita vivement vers son petit cousin, qu’il agrippa sous les aisselles pour l’aider à se redresser sur ses jambes. Tout le petit groupe s’arrêta, inquiet.
- Non, non, ne t’en fais pas Merry, j’ai trébuché… rien de plus, articula le jeune Touque, maintenant tout sali.
- Et tu as réussi à te blesser ! constata Merry avec inquiétude, saisissant dans ses mains le visage maculé de Pippin.
Une petite entaille venait déchirer la peau fine de son visage, juste au dessus de l’arcade sourcilière droite, déversant un mince filet de sang qui cerclait l’extérieur de son œil vert. Le pauvre petit bougre avait dû heurter une pierre ou une vieille branche en tombant.
- Laisse-moi regarder, fit Rosie en relevant de sa main le menton de Pippin. La plaie n’est pas vilaine, nous soignerons bien tout cela une fois au chaud, chez mon père. Mais il faut nous hâter ! Les premières lueurs de l’aube ne tarderont plus.
Cela faisait près de deux heures que la petite escadrille Hobbite cheminait au travers des laies les plus étroites qui serpentaient à travers les bois de la Comté, se faufilant entre la végétation hostile qui égratignait leurs mollets nus. Certes, la grande route les aurait menés à destination en moins d’une demi-heure, leur épargnant bien des peines sous cette pluie glacée, mais il leur fallait rester discrets. Déjà, ils avaient croisé une troupe de trois orcs tapageurs qui vermillaient activement dans les recoins boisés, les obligeant à se tapir au sol, dans l’incertitude de retrouver finalement la lumière chaude et rassurante des girandoles de la ferme Chaumine. Cette pénible occurrence les avait paralysés de longues minutes, leur astreignant à une immobilité aussi ferme que pouvait leur permettre l’état d’extrême frayeur qui agitait leurs membres. Heureusement, si la vision des orcs s’améliorait la nuit, la patience leur avait toujours fait défaut. Agacés d’explorer le moindres recoins du pays en sachant pertinemment que les petites gens étaient trop effrayées pour se risquer à sortir la nuit, à leur merci, ils rebroussèrent chemin, laissant derrière eux les cinq petits voyageurs.
La prudence qui, par les temps qui couraient, n’était jamais de trop, leur fit perdre une heure encore, dés lors que le moindre frémissement des arbres les faisait tressaillir. Bien que la pluie tenace leur avait finalement accordé un répit, ils arrivèrent las et gelés à la porte de la ferme. Rosie n’eût pas le temps d’y frapper qu’elle s’ouvrit diligemment sur les cinq petites formes encapuchonnées et recroquevillées, laissant une lumière douce et chaleureuse baigner leurs visages fatigués. Une silhouette courte et dodue qui avait toute l’apparence d’une femme apparut dans l’encadrement de la porte, vêtue d’une épaisse robe de lin vermillon, les poings sur les hanches :
- Ah ! Mais qui voilà ? Une figure de canaille qui mériterait bien que je la reçoive avec mon poêlon ! gronda la mère Chaumine en direction de Rosie qui souriait.
Au même instant, une deuxième silhouette tout aussi trapue fit irruption au côté de la matriarche, brandissant une large fourche face aux voyageurs. Surpris, Merry, Pippin et Frodon sursautèrent, étonnés sur l’instant d’un tel accueil venant d’un foyer qu’ils savaient pourtant bienveillant. De son côté, Sam se présenta à la lumière de la porte en agitant les bras :
- Ohé, Nibs, mon gars ! Que fais-tu ? C’est Sam ! Sam Gamegie ! Rosie est avec moi, et j’arrive avec Monsieur Frodon et ses cousins. Rabaisse-moi ça avant de nous trouer le ventre, veux-tu ?
- Ah ! Sam ! C’est que je ne t’avais pas reconnu dans cette pénombre ! Et puis, il n’est pas prudent de laisser entrer n’importe qui ces temps-ci… fit Nibs, le frère de Rosie, en abaissant son arme.
- Ca va, ça va ! répondit Sam en riant.
- Tout malentendu est dissipé. Rentrez tous vous réchauffer à présent, invita Rosie en libérant le palier.
Ils entrèrent précipitamment et se délestèrent de leurs sacs à dos tout en saluant la maîtresse de maison qui rendit la politesse à chacun d’entre eux par une chaude étreinte, ramenant le sourire aux quatre hôtes.
- Je suis bien heureuse de vous trouver sains et saufs ! La rumeur sur votre venue nous apporte bien de l’espoir, assura la mère Chaumine. Elle se tourna alors vers Rosie.
- Mais ne crois pas échapper aussi facilement à mes remontrances, petite dévoyée, et explique-moi quelle folie t’a poussé à galoper la région par de si mauvais temps ! reprit-elle. J’ai bien assez d’un mari et trois fils en vadrouille pour pleurer aussi ma fille. Tu aurais pu te faire tuer !
- Ils sont partis ? interrogea Rosie, soudainement inquiète.
- Et cela t’étonne ? Bien entendu, qu’ils sont partis ! Ils te cherchent ! Toi et tes amis.
- Je suis sûr qu’ils sont bien armés, et votre fille a fait montre d’une prudence admirable, tempéra Frodon pour dissiper l’angoisse qui s’installait brusquement.
- Oh ça, pour ce qui est de la fourberie je lui reconnais volontiers une habileté de maître ! Mais ne parlons pas de choses fâcheuses maintenant, nous ne pouvons rien faire d’autre qu’attendre, se résigna la maîtresse de maison, l’air contrit. Et vous, mes pauvres amis, vous voilà dans un bel état par cette pluie. Vous devez être transis dans ces vêtements mouillés. Rosie ! Nibs ! Trouvez-leur des vêtements à leur taille.
Les deux Hobbits s’exécutèrent, et Sam, habitué de la maison, alla leur prêter main forte.
La matriarche se retourna de nouveau vers ses trois convives et les contempla de ses yeux maternels.
- Ce smial est modeste mais il est suffisamment grand pour vous loger décemment. Vous aurez une chambre pour deux. J’ose espérer qu’elles vous seront confortables.
- Une chambre pour deux ? C’est bien suffisant ! affirma joyeusement Pippin, qui tentait vainement d’empêcher que sa chemise détrempée n’inonde le sol boisé.
- Oh mais, le voilà bien abîmé ce p’tit ! trancha la mère Chaumine en posant les yeux sur la plaie caillée du jeune Touque. Elle saisit vigoureusement de ses doigts potelés les joues rougies de Pippin qui étouffa une plainte comprimée, pour examiner attentivement la blessure.
- Cette plaie me semble moins souillée qu’elle n’est vilaine. Un antiseptique fera l’affaire.
- Un quoi ? interrogea Pippin en regardant Merry, lequel écarquilla des yeux tout ronds quand la mère réapparut avec une vieille bouteille de liqueur de poire à la main, dont l’étiquette jaunie laissait pressentir que la boisson avait du corps.
- Eh bien… tu sais… un désinfectant… pour ta blessure, bredouilla Merry en désignant discrètement la bouteille sombre.
Pippin se raidit soudain en voyant approcher la matriarche avec son sinistre breuvage.
- J’vous garantis qu’avec ça, vous ne sentirez même plus l’bout de votre nez jusqu’à demain matin, assura t-elle sentencieusement.
Amusé de la mine décomposée du pauvre Peregrin, Frodon porta une main à sa bouche pour étouffer un petit rire nerveux que Merry lui-même avait peine à contenir.
- Oh ! …L’intention est charmante, merci ! Mais… je m’en occuperai moi-même, dégoisa subitement le cadet en attrapant la bouteille et les linges des mains de la mère Chaumine, surprise.
Au même instant, Rosie, Sam et Nibs reparurent avec les bras chargés de vêtements, et un nouveau visage à leurs côtés.
- Mais … tu es…hésita Merry.
- Le petit Robin, oui, termina Rosie avec le sourire. Le jeune garçon que vous avez croisé au Brandevin et qui est venu nous prévenir par la suite.
- Voici donc où s’est réfugié notre petit ange-gardien, fit Frodon avec douceur, arrachant un sourire timide au petit intéressé qui chiffonnait nerveusement le bas de sa chemise de lin.
- On va vous montrer vos chambres, annonça Nibs en saisissant le sac de Merry de sa main libre.
Les deux petits couples traditionnels se formèrent naturellement, Merry et Pippin suivant Nibs, et Frodon et Sam aux côtés de Rosie.
Pippin portait toujours un regard méditatif sur l’étrange bouteille qu’il tenait dans ses mains.
- Ne t’inquiète pas, je panserai ta blessure avec la plus grande douceur, mon Pippin, taquina Merry en passant le bras autour des épaules du cadet.
- Vous ne croyez tout de même pas que je vais me passer de cette liqueur sur le front ! Une simple gorgée assommerait un cheval, protesta doucement Pippin qui ne souhaitait nullement vexer la maîtresse de maison.
- Tu sais mieux que moi qu’on ne contrarie jamais une mère . Cela dit, n’en abusez pas trop, ajouta Frodon en tapotant l’épaule de Pippin avant de se séparer d’eux.
Accompagné de Sam, il suivit Rosie jusque dans la salle à manger, et emprunta un couloir étroit, au bout duquel une porte arrondie s’ouvrit. Elle débouchait sur une petite chambre coquette, aux parois basses et lambrissées, laissant les murs du plafond voûté se démarquer par leur aspect lisse et sablé. Elle s’étendait en longueur sur le côté gauche de la porte, près de laquelle un petit lit bien fait aux draps rosés était agencé le long du mur. Juste à l’opposé se dressait une armoire en noyer massif et un petit coffre de chêne entrouvert, où le bras ballant d’une poupée de chiffon dépassait. Une chambre de petite fille, délicatement éclairée aux chandelles, que Rosie avait habité de longues années sans n’y avoir rien changé.
- J’admets que le décor n’est pas très approprié, mais la chambre est agréable et bien chaude, déclara la jeune Hobbite en riant quelque peu.
Certes, agréable et bien plus encore. Une chambre de Hobbit, étroite et chaleureuse, en parfait contraste avec les grandes salles hautes et froides de la Cité Blanche. Oh, ils avaient aimé passer ces quelques semaines à Minas Tirith et jouir des bienfaits d’une vie de roi, mais rien ne semblait autant leur manquer que ces petites pièces étriquées, cette douce impression d’intimité et cette odeur de bois chaud, si familière. Ce petit ravissement d’anciennes joies retrouvées arracha à Frodon un frisson de contentement alors que la fatigue et le désespoir pesaient sur ses membres.
- J’ai disposé quelques couettes et coussins au sol, près du lit, car je doute qu’il soit assez large pour vous accueillir tous deux… Du moins vous y seriez à l’étroit. A présent, je vous laisse vous changer, et profitez bien d’une bonne nuit de sommeil.
Sur ces paroles, Rosie referma la porte, laissant les deux semi-hommes face à face, dans un silence soudain. Ils se fixèrent ainsi quelques secondes, sans autre mouvement que le battement de leurs cils. Très vite, Frodon se troubla, mais Sam fut le premier à bouger, déposant nerveusement les vêtements qu’il tenait sur la couche au sol, et tendit ceux déposés par Rosie à Frodon.
- Il vaut mieux pour vous que vous enfiliez ces habits, m’sieur Frodon, ce sont les plus serrés. Ou bien, je vous garantis que vous flotterez dans votre chemise vu la bedaine de ce cher Tom.
En effet, à l’exception de Rosie qui avait conservé la taille ronde mais leste de la jeunesse, l’ensemble de la famille Chaumine se distinguait, si l’on peut dire, par sa bonne mine et son embonpoint particulièrement généreux. De quoi poser quelques petits soucis quand il était question d’habiller un convive un peu freluquet, à l’image de Frodon. Mais il ne pouvait garder ses vêtements mouillés et brûlait tant de se réchauffer que ce petit dérangement fut très vite relégué au rang de détail sans importance.
Avec un sourire amusé, Frodon saisit les linges tendus par Sam. Ce dernier se détourna avec pudeur avant de se déshabiller à la hâte et d’enfiler maladroitement de nouvelles culottes. Du reste, bien qu’il manqua de tomber lamentablement à deux reprises, il en vint à bout avec élégance. Il ne put cependant éviter que son regard ne dérive vers son maître qui venait également de revêtir les bas. Frodon lui adressa un regard guilleret alors qu’il écartait à son maximum le revers du pantalon de son ventre, laissant l’espace de deux paumes de main, au moins.
- Si la situation le permettait, je serais presque sûr de pouvoir y faire passer Pippin en plus de moi ! Ou je dors avec les bretelles ou bien ce n’est même pas la peine que le garde, fit-il en riant. Sam lui répondit par un petit rire gêné.
C’est alors que Frodon s’assit sur le lit et entreprit d’ôter le veston et la chemise qui collaient à sa peau irritée. Sam voulut de nouveau s’en détourner par quelque étrange retenue, mais une force indocile lui criait tout le contraire. Partagé par des sentiments discordants, il se laissa aller au plus fort qu’il avait tant refoulé ces derniers mois. Il accompagna de ses yeux les doigts du porteur de l’anneau qui déboutonnaient frénétiquement la chemise et dévoilèrent bientôt la courbe d’une épaule blanche, puis l’autre, avant que le linge humide ne découvre l’ensemble du torse. Sam parcourut, avec une avidité qu’il ne se connaissait pas, la chair perlée de frissons de son jeune ami. Une envie coupable le prit de vouloir toucher cette peau si sensible de ses mains chaudes, sans doute plus dans une volonté de soulagement et de plaisir sage que de réelle gourmandise. Il ne savait quel caprice de l’âme avait fait évoluer son dévouement sincère en adoration pour Frodon, mais il maudissait ce désir qui avait changé son regard et ses rapports. Lui qui n’était pas d’une nature particulièrement loquace, il en venait à se trouver timide et rougissant au moindre égard de son ami, lui ôtant toute la verve qu’il aurait voulu préserver pour lui témoigner sa tendresse. Mais pouvait-il seulement se le permettre ? En avait-il le droit ? S’il subsistait encore quelque interrogation au fond de son cœur quand il l’avait vu s’éveiller à Minas Tirith, ce soir, il en était parfaitement sûr. Il n’aurait pu accorder à aucun autre toute cette affection qui rendait son ami maître de ses pensées. Mais qu’en était-il de Frodon ? Durant toutes ces années, Sam avait appris à interpréter ses gestes et ses humeurs, et surtout, depuis leur sombre aventure, il n’était plus un seul regard qui ne lui fût étranger. Il savait poser les mots sur chacune de ses expressions retenues, et mieux que quiconque, il pouvait lire dans ses yeux limpides qui ne savaient pas mentir. Pourtant, ils préservaient toujours de cette habileté l’unique secret que Sam n’avait pas percé. Il ne doutait pas un instant de l’amour que Frodon lui portait, il en ignorait seulement la forme. Il est tant de façons d’aimer. Dans ce cas, Sam ne savait dire si le trouble qu’il percevait souvent dans les yeux de son maître quand ils se retrouvaient seuls, comme à ce moment, provenait d’une reconnaissance profonde ou d’une émotion autrement plus intime. Une émotion viscérale qui, dans les moments d’égarement, cause autant de bien que de mal, et ampute l’esprit de toute pensée cohérente pour peu qu’elle frôle de trop près l’objet qui l’inspire. Ces petits instants privilégiés le révélaient différemment, et il était rare que Frodon soutienne longtemps le regard de son compagnon, comme s’il protégeait quelque chose qu’il souhaitait dissimuler maladroitement. Etait-ce donc la même émotion vivace qui lui donnait cet air craintif quand Sam cherchait à sonder son âme au travers de son regard qu’il connaissait si bien ? Ou peut-être n’était-ce que la pudeur naturelle de son esprit réservé, qui ne savait comment exprimer sa gratitude sans rougir. Sam n’en était pas tellement sûr, mais il devinait comme une fausse note dans la deuxième idée.
- Eh bien, je ne suis pas mécontent d’enfiler un vêtement chaud et sec !
Ayant enfin revêtu l’épaisse chemise grise qui lui avait été donnée, Frodon ne manqua pas de la resserrer autour de lui pour se libérer de la désagréable impression de froid qui l’avait imprégné. Il frotta nerveusement ses mains l’une contre l’autre, tachant de chasser la nervosité et les angoisses qui le saisissaient au ventre comme une main glacée, depuis qu’ils étaient rentrés au pays. Il revoyait constamment les même images tourner dans son esprit, cette lame d’acier transpercer le corps du malheureux semi-homme qui avait tenté de se révolter, les prairies saccagées. Malgré ces pensées, il sentit néanmoins le regard insistant de son ami posé sur lui et, se retournant, lui adressa un sourire timide :
- Tu souhaites peut-être dormir à présent, la journée a été rude.
- … Oui, je … C’est certainement la meilleure chose à faire, bredouilla Sam, reprenant ses esprits.
- Sam, tu es sûr que ça va ? Je te sens distant…
- Hein ? Distant ? Mais non voyons, m’sieur Frodon, qu’allez-vous imaginer ?
- Attends Sam, que fais-tu ?
- Eh bien, je me couche…
L’ancien jardinier avait commencé à arranger les draps de la petite couche qui avait été disposée au sol.
- Non, non ! Nous avons suffisamment dormi dans la crasse et la poussière pour ne plus nous priver du confort d’un lit quand il y en a un ! Viens donc dormir avec moi ! Si l’on se serre un peu, il y aura bien assez de place pour deux. Ou si tu préfères dormir aisément, c’est moi qui la prendrai, cette couchette, affirma Frodon avec assurance, en agrippant la manche de son compagnon.
- Euh… Mais enfin, vous n’allez pas être à l’aise si je couche avec vous…
- Moi, je suis sûr qu’on peut très bien y dormir à deux ! Tu préfères peut être que je dorme au sol ?
- Ah ça non ! Ce n’est pas à vous de dormir par terre !
- Ah, tiens donc ! Et pourquoi cela te conviendrait-il mieux qu’à moi ? Je réclame mon droit de dormir par terre ! proclama Frodon d’un ton faussement autoritaire, alors qu’il se leva brusquement du lit pour courir s’asseoir au milieu de la couche, les bras croisés, le menton haut.
Sam, complètement ébahi, regarda son ami sans savoir comment réagir. Après quelque hésitation, il entreprit de reprendre sa place au sol de force, se rasseyant au côté de Frodon. Non mais !
- Ah non ! Cette couche là, je ne la partage pas ! Vas dormir ailleurs ! rabroua ce dernier en bousculant Sam à coups d’épaule. Celui-ci, bien décidé à ne pas se laisser faire, poussa son ami de ses bras puissants, l’obligeant à se coucher au sol pour mieux le maîtriser. Mais, en dépit de son apparence fluette, Frodon mettait du cœur à se défendre, et ne semblait décidément pas disposé à abandonner la lutte. Contre tout insurgé, Sam connaissait un moyen infaillible pour réfréner la résistance. Il attendit une faiblesse de son ami à protéger ses côtés pour venir lui chatouiller impunément les flancs. Celui-ci, pris au dépourvu, se contracta violemment et laissa échapper un rire généreux. Ils s’interrompirent instantanément, réalisant subitement qu’à cette heure, leurs acolytes si accueillants espéraient certainement pouvoir dormir. Ils se calmèrent alors et se fixèrent intensément. Frodon affichait toujours un sourire lutin, les joues rougies par l’effort, les yeux brillants d’espièglerie et le souffle court. Sam le regarda avec tendresse, les yeux encore rieurs, mais respectueux. Il avait peine à imaginer ce moment d’intimité si particulier. A la vérité, malgré toutes les années passées auprès de Frodon, ce fut la première fois qu’il se permettait autant de familiarités avec son maître.
- Alors ? On est résolu à me laisser mon dû ? interrogea fièrement Frodon, feignant d’ignorer la position de faiblesse dans laquelle il se trouvait.
- Il m’apparaît que c’est à vous de capituler, fit remarquer Sam, arborant un semblant de fausse arrogance.
- Jamais ! Pas même sous les chatouillements !
- Très bien… Vous ne perdez rien pour attendre !
Sam libéra Frodon de son étreinte, à regret. Cet instant de proximité l’avait attisé plus qu’il ne l’aurait cru. Il n’avait pas fallu grand chose, le toucher, les corps qui se débattent, le souffle chaud qui avait caressé son cou lors du face à face… Il n’y voyait rien de particulièrement charnel, c’était juste une joie de le sentir si proche, si vivant. Il était heureux d’avoir pu le toucher, de s’être senti l’objet de ses faveurs exclusives.
- Ah ! Tu t’inclines bien vite, cher ami ! souligna Frodon en se redressant, complètement échevelé. Je savais bien que tu convoitais sournoisement le lit.
- Point du tout ! Mais il m’semble qu’il est plus facile de venir à bout de vos muscles que de votre volonté, m’sieur Frodon ! taquina Sam, se donnant de faux airs.
- A qui le dis-tu ! Et maintenant, c’est moi qui vais exercer la tienne !
Sur ces mots, Frodon rampa jusqu’au lit, sous les yeux effarés de Sam.
- Puis-je avoir l’honneur de dormir dans votre lit, maître Gamegie ? fit-il, adressant à son interlocuteur un regard implorant, comme il savait si bien le faire.
Surpris par ces agissements, Sam éclata d’un rire contenu. Sans même attendre une réponse, Frodon se glissa sous les draps, au côté de Sam, avant de souffler sur la dernière bougie allumée.
- Décidément, tu n’es pas très combatif ! taquina t-il.
- Vous voulez vraiment que je vous pousse hors du lit ? Je vous garantis que j’arriverai à mes fins !
Frodon gloussa sous les draps, sachant pertinemment qu’il ne pouvait se mesurer bien longtemps à la force de Sam. Ce dernier l’accompagna dans les rires. Il y avait longtemps qu’il ne leur avait été donné de rire de la sorte. Ils ne savaient bien pourquoi cet asticotage enfantin les prenait maintenant, toujours est-il qu’il leur avait permis d’oublier quelques instants les angoisses et les affreux souvenirs des récents évènements.
Quand le calme revint, ramené malgré eux par la fatigue accablante, Sam accueillit naturellement Frodon qui vint se pelotonner, le dos contre le ventre de son compagnon. Ce dernier passa un bras sécurisant autour des épaules de son jeune maître, comme il avait eu coutume de le faire lors des nuits glacées passées en Mordor. En ces temps là, il avait répété ce geste sans se poser de question. Maintenant qu’ils n’étaient plus liés, dans l’immédiat, par la nécessité de protection face au danger, Sam avait ressenti quelque gêne, compte tenu des nouvelles affinités qu’il sentait émerger en lui. Mais très vite, bercé par le rythme régulier de la respiration de Frodon qui s’était endormi sur le champ, il se détendit à son tour, baigné d’une félicité qu’il avait enfin tout loisir de savourer sans encombre. Il sombra dans un sommeil sans rêve.