Episode 3 : C’est une belle journée…
Les deux amis arrivèrent au parc Micaud, situé un peu à l’écart du centre-ville, le long du Doubs, la rivière qui cerclait Besançon dans sa boucle protectrice. Il n’y avait plus de neige à cette époque de l’année, mais le froid pouvait encore vous jouer parfois de vilains tours. Peu de gens avaient eu le courage de venir passer l’après-midi dans ce joli espace garni de pelouses, de parterres de fleurs, d’arbres magnifiques, d’aires de jeux pour enfants et d’un très vieux kiosque qui siégeait là, comme déterminé à traverser inexorablement le temps et les époques. On y attachait des escouades de poneys qui faisaient la joie des plus jeunes. La Halfeline aimait à revenir de temps en temps en ce lieu chargé de tant de souvenirs de son enfance… Ils déambulèrent tranquillement, Sméagol posant des questions sur tout. Ils s’expliquaient leurs mondes et leurs coutumes, riaient parfois, et la distance de leur rencontre nouvelle se résorbait peu à peu, pas à pas.
Sméagol, avisant un parterre de fleurs, s’y jeta avec joie. Il s’amusa à barboter et à se rouler dedans, et la Halfeline n’eut pas le courage de lui dire qu’ici toucher aux fleurs était interdit, trop amusée et heureuse à la vue de ce spectacle. A la place, elle ôta son parka qu’elle accrocha à une balançoire en forme de poussin et vint le rejoindre en faisant un gracieux plat au milieu des pensées. Il jouèrent comme des petits fous, se lançant des poignées de fleur en se cachant dans l’épais massif. Une fois, Sméagol, voulant lancer une boulette de soucis, trébucha sur son écharpe qui s’était déroulée dans l’agitation, et tomba la tête la première dans les marguerites. Tous deux s’esclaffèrent de ce gag.
Tout à coup, Half vit son camarade se figer, les yeux fixés sur quelque chose dans l’herbe. Elle suivit son regard et vit une minuscule boule de poils blanche courir à travers une pelouse. Sméagol fila se dissimuler derrière un buisson et, au moment opportun, se mit à courser le caniche sur quelques mètres avant de le faire culbuter à terre et de se jeter sur lui. La jeune fille accourut, très embarrassée :
- Heu… Non, Sméagol, les caniches ça ne se mange pas en principe !
C’est alors qu’elle sentit un gros doigt lui tapoter l’épaule et une vois éraillée lui demanda :
- Dites, jeune fille, auriez-vous vu mon Patachon chéri s’il vous plait ?
Elle se retourna avec un grand sourire à la Teträm le Troll et pointa un doigt dans la direction opposée. Finalement, le petit chéri fut récupéré plus sauf que sain et détala à la vitesse d’un guépard vers sa maîtresse.
- Désolé, je ne savais pas que ce n’était pas bien… Cette chose, je ne l’aurais jamais qualifiée de chien ! s’excusa Sméagol, l’air penaud.
- Vous n’êtes pas responsable, notre mode de vie frôle parfois l’absurde… soupira la Halfeline.
Puis, elle se reprit et lança d’un ton enjoué :
- Mais il faut avouer qu’il présente aussi ses avantages ! Puisque vous avez si faim que ça, allons nous régaler avec quelque chose de plus inerte, voulez-vous ?
Rien de tel que de déguster une bonne glace au printemps, telle avait toujours été la devise de notre petite Halfeline. Elle se dirigea donc vers la petite échoppe glacière devant l’office de tourisme et acheta deux belles crèmes glacées, à la vanille pour elle, au citron pour Sméagol. Ils s’assirent sur la barrière bordant la rivière pour les déguster. Le goût et surtout la texture de cette nouvelle nourriture ne cessait de stupéfier l’ancien Hobbit qui lapait sa glace avec prudence.
- Alors, cette petite escapade dans notre monde vous plait-elle, Sméagol ?
- Oui. Je dois dire que beaucoup de choses me paraissent bien étranges mais…
Il leva de grands yeux sincères vers sa nouvelle amie. Il lécha le pourtour de ses lèvres pour récupérer la glace qui avait pu s’y attarder puis déclara :
- Jamais on n’avait été si gentil pour le pauvre Sméagol…
La Halfeline eût un sourire triste, puis répondit :
- Et j’espère pouvoir réparer cela, car vous le méritez plus que quiconque…
Et puis, animé par cette profonde compassion envers le petit être qui l’avait toujours habitée, elle se pencha vers lui et le prit tendrement dans ses bras. Sméagol eut un sursaut de surprise, mais se laissa faire. Pour finir, il noua à son tour ses bras étiques autour de la Halfeline et ils resserrèrent leur étreinte. C’était l’émotion la plus forte que Sméagol avait connue depuis des temps immémoriaux, il lui semblait que le lien qui venait de se créer ne se briserait jamais. Il était heureux. Half aussi.
Mais c’est alors qu’une voix patibulaire les tira de la transe que rythmaient les battements de leurs cœurs.
- Toi, là-bas ! Ecarte-toi de cette jeune fille en détresse !
Les deux amis se séparèrent vivement. Devant eux se tenaient trois énormes individus armés de poêles à frire et portant d’horribles tee-shirt « I
Sam ». La Halfeline s’avança d’un pas décidé vers celui qui paraissait être le chef.
- Non mais dites donc, mêlez-vous de c’qui vous r’garde ! Vous voyez une jeune fille en détresse ici ?
- Oui ! Quiconque est en contact avec une saleté pareille est forcément en détresse.
A ces mots la petite Half entra en frénésie :
- JE VOUS DEFENDS DE L’INSULTER ! NON MAIS VOUS VOUS ÊTES VU, ESPECE DE PECARI SURALIMENTE ?!
Tandis que le meneur tentait de comprendre de quoi on venait de le qualifier, l’un des sbires se détacha du groupe et avança d’un pas menaçant dans la direction de Sméagol. Aussitôt, la Halfeline s’interposa.
- Ecarte-toi de cet chose… Je m’en voudrais de devoir blesser une jolie donzelle à cause d’un être aussi répugnant.
- JAMAIS !
Il y eut un bruit d’impact violent ; puis le gros sauvageon s’étala à plat dos devant le regard médusé de ses compagnons. Derrière se tenait la frêle petite Halfeline, un regard meurtrier dans ses yeux azur, un nunchaku halfelin rutilant dans sa main.